Réf. : Cass. civ. 1, 15 avril 2021, n° 20-13.649, FS-P (N° Lexbase : A80884PA)
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par Séverin Jean, Maître de conférences, UT1 Capitole, IEJUC EA 1919
le 06 Mai 2021
Mots-clés : propriété • construction sur le terrain d’autrui • autorisation • bonne foi • démolition
La seule autorisation de construire sur le terrain d’autrui ne caractérise pas la bonne foi du tiers constructeur au sens de l’article 555 du Code civil.
La question de la propriété de la construction sur le terrain d’autrui n’est que peu débattue dans la mesure où l’article 552 du Code civil (N° Lexbase : L3131ABL) consacre la règle selon laquelle la propriété du sol s’étend à ce qui s’y incorpore (superficies solo cedit dit-on) ; sauf à pouvoir, pour le tiers-constructeur, invoquer utilement la prescription acquisitive du terrain et partant, de la construction. En revanche, le contentieux est plus nourri lorsqu’il s’agit de se demander si le tiers-constructeur est en droit d’obtenir une indemnité pour la construction réalisée sur le terrain d’autrui conformément à l’article 555 du Code civil (N° Lexbase : L3134ABP). Pour ce faire, encore faut-il démontrer sa bonne foi comme en témoigne l’arrêt du 15 avril 2021 commenté.
En l’espèce, un père, avec l’autorisation de sa fille, construisit une maison sur le terrain de cette dernière. Après avoir quitté les lieux, le père, sur le fondement de l’article 555 du Code civil, assigna alors sa fille afin d’obtenir une indemnité pour la construction réalisée et financée par ses soins. La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 22 octobre 2019 [1], rejeta sa demande et ordonna la démolition de la maison aux frais du père, au motif principal que l’autorisation de construire, donnée par sa fille, n’était pas suffisante à conférer au père la qualité de tiers-constructeur de bonne foi ouvrant droit à l’indemnité sollicitée. Le père forma alors un pourvoi en cassation au moyen, d’une part, que l’autorisation litigieuse présumait la bonne foi peu important l’existence d’un titre translatif de propriété dont le père ignorait le vice, et d’autre part, que cette même autorisation constituait une renonciation tacite de sa fille à se prévaloir de son droit à la démolition de l’ouvrage édifié. La Cour de cassation devait finalement se demander si l’autorisation de construire, donnée par la propriétaire d’un terrain (la fille), était suffisante pour caractériser la bonne foi du tiers-constructeur (le père) en l’absence de titre translatif de propriété dont ce dernier ignorait le vice. Les magistrats du Quai de l’Horloge confirmèrent la décision des juges du fond en procédant en deux temps. Si le père – tiers-constructeur – dispose bien d’une autorisation de construire sur le terrain de sa fille, cette dernière ne constitue pas un titre translatif de propriété. Or, la bonne foi de l’article 555 du Code civil – celle qui autorise le tiers-constructeur à revendiquer une indemnité – ne s’entend que par référence à l’article 550 du même code (N° Lexbase : L3124ABC) : « est de bonne foi (…) [celui qui] possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices ». Par conséquent, la Cour de cassation ne pouvait, à bon droit, que conclure à l’absence de qualité de tiers-constructeur de bonne foi du père de sorte que non seulement la demande d’indemnisation du père devait être rejetée, mais la démolition de la maison pouvait également être ordonnée.
La solution de la Cour de cassation s’inscrit, en première intention, dans sa jurisprudence constante en matière de contentieux relatif à la construction sur le terrain d’autrui et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de caractériser la bonne foi du tiers-constructeur de l’article 555 du Code civil. En effet, la jurisprudence a pris l’habitude d’énoncer que la bonne foi de l’article 555 du Code civil s’entend par référence à l’article 550 du même code, lequel exige de se comporter comme un propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété [2]. En d’autres termes, le tiers-constructeur se comporte comme un propriétaire parce qu’il jouit d’un titre translatif de propriété dont il ignore le vice, et c’est précisément parce qu’il est dans l’ignorance du défaut de son titre qu’il se comporte comme un propriétaire et qu’il s’en prévaut pour faire valoir sa bonne foi. L’arrêt commenté est ici en parfaite adéquation avec ce principe, dans la mesure où le fait de se comporter comme un propriétaire – et donc être considéré comme de bonne foi – trouve sa source dans l’existence d’un titre translatif de propriété. Or, de toute évidence, le père – tiers-constructeur – n’en dispose pas comme a pu le constater la cour d’appel. Toutefois, on a pu douter ces derniers temps [3] d’une définition unique de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui puisque quelques jurisprudences, relativement récentes, ont étendu la bonne foi à l’hypothèse où le tiers-constructeur avait été autorisé à construire par le propriétaire du fonds. Ainsi, il a été jugé en 2013 que le consentement donné par des propriétaires à l’édification de constructions sur des terrains donnés à bail conduit à retenir la bonne foi des tiers-constructeurs [4]. Plus récemment, la même chambre de la Cour de cassation a eu l’occasion d’énoncer « que celui qui construit sur le terrain d’autrui avec l’autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi » [5]. En l’espèce, le moyen développé par le tiers-constructeur s’inscrit pleinement dans ce mouvement jurisprudentiel qui, pour une partie de la doctrine, semblait augurer un revirement de la jurisprudence ou, à tout le moins, une extension de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui. Pourtant, cet apparent relâchement de l’appréciation de la bonne foi doit être largement relativisé dans la mesure où les décisions les plus récentes, dont celle commentée, reviennent à une appréciation stricte de la bonne foi. En effet, la Cour de cassation, par un arrêt du 26 mars 2020, l’exprime sans le moindre doute : « le terme de bonne foi employé par l'article 555 du Code civil s'entend par référence à l'article 550 du même code et ne vise que celui qui possède comme propriétaire en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore le vice » (nous soulignons) [6]. Dès lors, l’arrêt du 15 avril 2021 n’est qu’une confirmation de la stricte appréciation de la bonne foi en matière de construction sur le terrain d’autrui. Par conséquent, bien que la jurisprudence se soit assouplie à plusieurs reprises, le retour systématique, pour retenir la bonne foi du tiers-constructeur, à l’exigence d’un titre translatif de propriété doit conduire à la prudence lorsqu’il s’agit de solliciter l’indemnité de l’article 555 du Code civil en s’appuyant sur la seule autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds.
Le régime juridique de la construction sur le terrain d’autrui peut paraître excessif en ce qu’il organise un régime du « tout ou rien », soit parce que la bonne foi du tiers-constructeur oblige le propriétaire du fonds à conserver la construction et à indemniser le tiers-constructeur, soit parce qu’a contrario, la mauvaise foi de ce dernier peut conduire à la démolition de l’ouvrage à ses frais. En revanche, on ne peut que saluer la Cour de cassation qui offre, par cet arrêt, une définition uniformisée de la bonne foi focalisée sur l’exigence d’un titre translatif, qu’il soit réel ou putatif [7], permettant de fonder la croyance erronée du tiers-constructeur. En effet, il est certain que l’autorisation donnée par le propriétaire du fonds ne transfère aucunement la propriété dudit fonds. Sans doute, peut-on regretter, voire arguer à l’avenir comme en matière d’empiètement [8], que la sanction retenue – la démolition aux frais du tiers-constructeur – est disproportionnée lorsque le tiers-constructeur a obtenu l’accord du propriétaire du fonds pour construire sur le terrain de ce dernier. Cela étant, il ne faudrait pas oublier que l’ouvrage demeure édifié sur la propriété d’autrui de telle façon que le propriétaire du fonds, au nom de l’exclusivisme de la propriété, doit retrouver son bien dans son état initial. Dès lors, la sévérité de la position de la Cour de cassation tient davantage au refus de prendre compte l’autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds au tiers-constructeur lorsqu’il s’agit d’envisager une indemnisation, plutôt qu’à l’admission automatique de la démolition de l’ouvrage réalisé sur le terrain d’autrui. Pour autant, des solutions sont envisageables selon la finalité poursuivie. La première, lorsqu’il est question d’assurer une indemnité au tiers-constructeur, tient au fait que l’article 555 du Code civil n’est pas d’ordre public de sorte qu’il est parfaitement possible d’y déroger en recourant, selon la formule consacrée et constante de la Cour de cassation, à une convention réglant le sort des constructions [9]. Cela étant, l’autorisation de construire donnée par le propriétaire du fonds ne peut être assimilée à une telle convention dans la mesure où la seule autorisation ne règle aucunement le sort des constructions. Aussi, pour échapper à l’article 555 du Code civil, il conviendra, par convention, de veiller à bien prévoir le sort (et l’éventuelle indemnité) des constructions dès lors qu’un tiers (celui qui n’est pas propriétaire du fonds) envisage de construire sur le terrain d’autrui. La seconde, lorsqu’il est question d’assurer au tiers-constructeur la jouissance de la construction et qui peut parfaitement se combiner avec la première, tend à envisager un démembrement de propriété. En effet, on aurait pu imaginer que la fille confère à son père l’usufruit sur l’ouvrage édifié tout en conservant la nue-propriété [10]. Ce montage aurait permis au père de jouir de la maison qu’il avait construit à ses frais sur le terrain de sa fille tout en assurant à cette dernière qu’elle en retrouve un jour la pleine propriété. En somme, si l’appréciation de la bonne foi en matière de construction sur le terrain est stricte, il n’en demeure pas moins que des solutions peuvent être mobilisées pour prévenir ce type de contentieux.
[1] CA Poitiers, 22 octobre 2019, n° 17/03454 (N° Lexbase : A3209ZSN).
[2] Cass. civ. 3, 17 novembre 1971, n° 70-13.346 (N° Lexbase : A9115CH3) ; Cass. civ. 3, 29 mars 2000, n° 98-15.734, publié au bulletin (N° Lexbase : A5494AWE) ; Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-18.857 (N° Lexbase : A9120AGU) ; Cass. civ. 3, 15 juin 2010, n° 09-67.178, F-D (N° Lexbase : A1115E3P).
[3] Cela étant, ce fût déjà le cas avant. En ce sens : Cass. civ. 3, 3 mai 1983, n° 81-14.989, publié au bulletin (N° Lexbase : A8717CEL) (l’autorisation de solliciter un permis de construire donnée par le propriétaire d’un terrain à une personne souhaitant l’acquérir devait conduire à retenir la bonne foi de cette dernière) ; Cass. civ. 3, 3 octobre 1990, n° 88-18.415, publié au bulletin (N° Lexbase : A3921AHP) (un locataire/tiers-constructeur avait été qualifié de bonne foi en raison de l’autorisation donnée par le bailleur de construire sur son terrain).
[4] Cass. civ. 3, 17 décembre 2013, n° 12-15.916, FS-P+B (N° Lexbase : A7627KSB). Cela étant, il convient de nuancer cette décision dans la mesure où une transaction avait été conclue entre les bailleurs et les preneurs. En ce sens, voir notre commentaire : De la construction sur le terrain d’autrui : l’étonnante bonne foi ?, Lexbase Droit privé, janvier 2014, n° 556 (N° Lexbase : N0439BUS).
[5] Cass. civ. 3, 3 novembre 2016, n° 15-22.692, F-D (N° Lexbase : A9063SEE).
[6] Cass. civ. 3, 26 mars 2020, n° 18-20.202, F-D (N° Lexbase : A60203K8).
[7] Cass. civ. 1, 5 décembre 1960, n° 59-10.820 (N° Lexbase : A86914QX), Bull. civ. I, n° 527 ; Cass. civ. 1, 10 avril 1967, n° 65-12.221, Bull. civ. I, n° 118 ; CA Fort-de-France, 2 juin 1995, n° JurisData : 1995-042007 ; CA Saint-Denis (Réunion), 7 novembre 2008, n° JurisData : 2008-372315.
[8] Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-25.113, FP-P+B (N° Lexbase : A9133SGD) : « Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si un rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiétement constaté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
[9] Cass. civ. 3, 6 novembre 1970, D. 1971, 395.
[10] En ce sens v. Cass. civ. 3, 19 septembre 2012, n° 11-15.460, FS-P+B (N° Lexbase : A2420ITS). V. notre commentaire, L’accession différée à la fin de l’usufruit, Lexbase Droit privé, novembre 2012, n° 504 (N° Lexbase : N4322BTA).
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