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par Pierre Dunac, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Toulouse
le 06 Mai 2021
Mots-clés : Tribune • réforme • justice • avocat • secret professionnel • discipline • perquisition
La sémantique est importante, à l’instar de la vie politique, l’institution judiciaire, qui en l’occurrence se réduit à l’ordre judiciaire, avait-elle besoin d’une proclamation moralisatrice actant la nécessité de restauration d’une confiance qu’elle n’inspirerait plus ?
Au demeurant, cette confiance n’était-elle pas largement entamée par les déclarations de ceux-là mêmes qui entendent ou prétendent la restaurer à chaque fois que le fait divers est l’occasion d’un nouveau débat sécuritaire et d’une récupération politique s’exprimant désormais dans la limite de 169 caractères, confinant plus surement à la caricature qu’à la nuance du propos.
Une loi qui semble finalement davantage dictée par les échéances électorales de 2022 que par la volonté d’une véritable réforme de fond qu’exigent désormais les évolutions de notre société.
Une loi de plus, engagée au pas de charge sans même attendre les échéances expérimentales précédemment décidées [1] et aux termes de rapports commandés et finalisés dans des délais particulièrement contraints [2].
Une loi qui, en tout état de cause, ne renforce guère l’indépendance nécessaire de l’avocat, laquelle pourtant signe le degré d’une démocratie sur le baromètre de l’État de droit.
En cela tout d’abord, les dispositions relatives au renforcement de la protection du secret professionnel des avocats ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Le secret professionnel, corollaire de l’indépendance de l’avocat et exigence des libertés individuelles, est ici disloqué.
Peut-être faut-il rappeler à ceux qui croient pouvoir en douter, souvent les mêmes d’ailleurs qui assimilent l’avocat à leurs clients ou à la cause de leurs clients, que le secret professionnel n’est évidemment pas la protection d’une confidentialité permettant de favoriser une conduite illicite.
La protection du secret de la confidence, s’il faut user du pléonasme pour appuyer le propos, participe de la confiance nécessaire du client dans son conseil et défenseur : sans la protection du secret, les fonctions de défense et de conseil n’existent plus.
Or, alors même que la protection du citoyen contre l’immixtion excessive de l’autorité publique est une garantie fondamentale de l’État de droit, la commission « Mattei » dressait le triste constat de n’avoir « pas atteint de consensus sur le degré de protection du secret professionnel de l’avocat qu’offre le droit positif, en particulier dans le cadre des mesures d’enquête les plus intrusives, et précisément sur l’étendue du secret à l’activité de conseil… ».
Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire aurait pu être l’occasion de la mise en œuvre des réformes souhaitées unanimement par la profession, mais elle accouche finalement d’un secret professionnel scindé en deux en entérinant le « secret de la défense » plutôt que le « secret professionnel » dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ce qui constitue, sans contestation possible, une véritable régression au regard des dispositions préexistantes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui protègent au nom du secret professionnel : « que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier ».
On arguera que quelques avancées méritent d’être soulignées, principalement concernant le rôle croissant du juge des libertés et de la détention en matière de décisions coercitives et notamment s’agissant des perquisitions, des réquisitions portant sur données de connexion liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques (données de trafic ou de localisation), dites « fadettes », et des interceptions téléphoniques.
Dans le cadre des perquisitions au cabinet ou au domicile de l’avocat, le projet de loi instaure un recours suspensif contre la décision du juge des libertés et de la détention devant le premier président de la cour d’appel.
S’agissant des écoutes téléphoniques et des fadettes, la décision autorisant l’interception ou la réquisition sera prise, non plus par le juge d’instruction, mais par le juge des libertés et de la détention au terme d’une ordonnance motivée devant faire état des raisons plausibles de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre une infraction qui fait l’objet de la procédure.
Enfin, qu’il s’agisse d’une mesure de perquisition, d’une interception de ligne téléphonique ou d’une réquisition de factures détaillées, le Bâtonnier devra obligatoirement en être informé.
Cependant, ici encore, le projet est en demi-teinte.
Certes le projet de loi précise que « lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe contre celui-ci des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ».
Mais est-ce là une réelle avancée ? Tout citoyen est en droit d’être à l’abri de mesures intrusives alors même que rien ne permet de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction.
Pour autant, la première phrase du 1er alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale demeurant, n’est manifestement pas supprimée la possibilité de perquisitionner un cabinet d'avocat ou son domicile lorsque l'avocat n'est pas mis en cause.
Par ailleurs, si le projet de loi exige tant en ce qui concerne la perquisition, que l’interception de ligne téléphonique ou la réquisition de factures détaillées de l’avocat que « des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure », nous sommes ici au niveau d’acception le plus bas de la justification de pareilles investigations.
En matière de préservation du secret professionnel de l’avocat, secret, rappelons-le, qui n’est pas un privilège qui permettrait à l’avocat d’échapper à sa responsabilité pénale, mais qui demeure l’ultime protection des droits de la défense, il était légitime d’espérer le choix d’un niveau supérieur d’exigence, moins empreint de subjectivité, telle que l’existence préalable d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de l’avocat, comme auteur ou comme complice, à la commission d’une infraction.
Au-delà, le projet de loi n’apporte aucune réponse efficace aux interceptions téléphoniques dites « incidentes », voire « sauvages », de conversations pourtant protégées par le secret, mais néanmoins écoutées, et parfois même retranscrites en procédure, moyennant l’interception des communications du client de l’avocat.
Sachons-le ou redisons-le, le téléphone demeure donc le meilleur ennemi de la protection du secret professionnel.
Il nous reste à espérer désormais que les parlementaires seront, eux, à la hauteur des enjeux en inscrivant définitivement dans la loi que l’indépendance de l’avocat, garantie par le secret professionnel, n’est pas un privilège, mais bien un principe essentiel de l’État de droit et de notre démocratie.
Autre source de déception sinon de déconsidération, les modifications de la procédure disciplinaire envisagée par ce projet de loi à la faveur notamment de l’insertion au sein de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 d’un nouvel article 22-3 prévoyant que « par dérogation aux articles 22-1 et 22-2, le conseil de discipline est présidé par un magistrat du siège de la cour d’appel, désigné par le premier président, lorsque la poursuite disciplinaire fait suite à une réclamation présentée par un tiers ou lorsque l’avocat mis en cause en fait la demande. »
Comment interpréter cette nouvelle disposition autrement que comme la manifestation d’une défiance à l’égard des avocats ?
En effet, comment ne pas entendre que lorsque la réclamation d’un tiers est à l’origine de la poursuite disciplinaire, l’impartialité ne serait pas garantie aujourd’hui, et ne pourrait l’être que par la présidence rassurante d’un magistrat du siège ?
Relent désagréable d’une justice, conçue peut-être, mais surtout de plus en plus vécue, comme le théâtre d’un rapport de force, où l’avocat, défenseur par définition des intérêts particuliers de son client, serait caricaturalement incapable d’être impartial, le principe d’impartialité n’étant accessible qu’à la magistrature quand bien même serait-elle debout.
Désormais, au premier degré comme au second, la juridiction disciplinaire des avocats sera donc présidée dans de nombreux cas par un magistrat de l’ordre judiciaire, qui plus est exerçant au sein de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’avocat exerce aussi, ce qui n’est pas non plus de nature à renforcer l’indépendance nécessaire de l’avocat.
L’idée initiale d’un échevinage permettant une meilleure connaissance de la déontologie de l’avocat est dévoyée et le projet de loi est, à cet égard encore, une motion de défiance à l’égard de l’avocat.
Il ne s’agit pas ici de prétendre que la tâche soit aisée, mais entre confiance, défiance et méfiance, ce projet de loi, pour l’heure, illustre une regrettable paronomase.
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