Réf. : Cass. civ. 1, 14 avril 2021, n° 19-21.290, F-D (N° Lexbase : A80484PR)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 05 Mai 2021
► En condamnant le notaire à verser au légataire une certaine somme en réparation de ses divers préjudices résultant de ce que le notaire avait qualifié à tort le legs litigieux de résiduel, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée par le notaire, si en raison de cette erreur de qualification, l’intéressé n'avait pas bénéficié d’une économie d’impôt venant contrebalancer son préjudice, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil.
Rappel concernant les libéralités résiduelles/graduelles. Pour comprendre la décision rendue le 14 avril 2021, il convient de rappeler le principe et le régime fiscal attaché à chacune de ces libéralités.
La libéralité résiduelle est une opération par laquelle un disposant prévoit dans une donation ou un testament qu'une personne est appelée à recueillir ce qui subsistera du don ou du legs fait à un premier gratifié, à la mort de celui-ci (C. civ., art. 1057 N° Lexbase : L0217HPQ).
Sur le plan fiscal, au moment de la donation, ou du décès du testateur, seul le premier gratifié est redevable des droits de donation ou de succession selon qu'il est question d'une donation ou d'un legs. Au décès du premier gratifié, le second bénéficiaire doit acquitter des droits de mutation à titre gratuit. Si le premier gratifié a donné ou vendu une partie des biens, les droits dus à son décès par le second gratifié ne portent que sur le residuum transmis.
Quant à la libéralité graduelle, il s’agit de la libéralité par laquelle un disposant donne ou lègue des biens ou des droits, à charge pour le donataire ou le légataire de les conserver et de les transmettre à son décès à un second gratifié désigné dans l'acte (cf. C. civ., art. 1048 N° Lexbase : L0208HPE). Il faut comprendre que le dispositif implique une double charge pour le gratifié, de conservation et transmission.
Concernant le régime fiscal, au moment de la donation, ou du décès du testateur, seul le premier bénéficiaire est redevable des droits de donation ou de succession selon qu'il est question d'une donation ou d'un legs ; au décès du premier gratifié, le second bénéficiaire doit acquitter des droits de mutation à titre gratuit.
Ces principes étant rappelés, on comprendra aisément tout l’enjeu de la qualification de la libéralité en cause dans l’affaire soumise à la Cour de cassation le 14 avril 2021.
Faits et procédure. En l’espèce, décédée le 10 février 2010, la défunte avait laissé pour lui succéder son époux, et son fils, en l'état d'un testament daté du 3 décembre 2006, rédigé, au dos d'un tableau, en ces termes « Je soussignée […] veux que ce tableau ainsi que tout ce que je possède […] aillent en direct lègue à mon époux bien-aimé le jour de ma mort. À la mort de celui-ci tout reviendra à mon fils mais pas du vivant de son père. Aucun autre héritier ne pourra justifier de quoi que ce soit ».
Le 5 novembre 2010, le notaire avait établi un acte de partage en considérant que ce testament instituait le mari légataire à titre particulier des biens et droits immobiliers visés dans le testament, notamment, de la pleine propriété d’une maison. Après s'être remarié, le père avait, le 13 septembre 2013, vendu cette maison à son épouse.
Soutenant qu'il avait bénéficié d'un legs graduel de la maison et non d'un legs résiduel, et qu'en conséquence, l'acte de partage était affecté d'une erreur résultant d'une mauvaise interprétation de cette libéralité, le fils avait assigné son père et le notaire afin d'obtenir la nullité de cet acte et la condamnation de ce dernier à réparer le préjudice causé par le manquement à son devoir de conseil.
Décision cour d’appel. Pour condamner le notaire à payer au fils la somme de 102 000 euros au titre de sa perte de chance, la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 21 juin 2019, n° 17/05252 N° Lexbase : A1899ZGG) avait retenu que le legs était « grevé d'une charge comportant l'obligation pour le légataire de conserver les biens qui en étaient l'objet et, à son décès, de les transmettre au second gratifié désigné dans l'acte, conformément aux dispositions de l'article 1040 du Code civil » (lire C. civ., art. 1048, définition de la libéralité graduelle).
Les juges d’appel ajoutaient que le notaire n'avait pas attiré l'attention du père et du fils sur la différence entre un legs graduel et un legs résiduel et que, faute d'avoir pris en compte l'existence de cette charge grevant le legs, le partage opéré par l'acte du 5 novembre 2010 avait été atteint d'une cause de nullité, de sorte que le manquement du notaire à son devoir de conseil était directement à l'origine de la perte de chance, par le fils, d'hériter de la maison en cause au décès de son père. Ils avaient retenu que ce préjudice pouvait être évalué à 85 % du prix de vente du bien, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise pour estimer la valeur de ses droits en considération de l'existence de la charge grevant le legs.
Cassation. La décision est censurée, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9), sur la question de l’évaluation du préjudice à indemniser ; la Haute juridiction fait droit à l’argument du notaire qui reprochait à la cour de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si en raison de l'erreur de qualification du legs, le fils n’avait pas bénéficié d’une économie d'impôt de nature à réduire son préjudice.
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