Réf. : Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-16.139, F-P (N° Lexbase : A47444NZ)
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par Vincent Téchené
le 07 Avril 2021
► Il n'existe pas de relation commerciale entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur de matériel dentaire, de sorte que les dispositions du Code de commerce relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies n’ont pas vocation à s’appliquer (C. com., L. 442-6, I, 5°, anc. N° Lexbase : L7575LB8 ; C. com., art. L. 442-1, II , nouv. N° Lexbase : L0680LZ9).
Faits et procédure. Une SELARL, cabinet de chirurgiens-dentistes, s'est fournie pendant plusieurs années auprès d’un laboratoire en matériel dentaire et, notamment, en prothèses dentaires. La SELARL a informé son fournisseur de la cessation immédiate de toute collaboration. Lui reprochant d'avoir rompu brutalement la relation commerciale établie qu'ils entretenaient depuis plusieurs années, le laboratoire a assigné la SELARL en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article L. 442-6, 1, 5°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 (N° Lexbase : L0386LQD), et subsidiairement, sur celui de l'article 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ), devenu 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9), du Code civil.
La SELARL a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 26 septembre 2018, n° 16/07727 N° Lexbase : A8433X7H) qui a constaté qu'elle a entretenu avec le laboratoire des relations commerciales établies pendant six années, brutalement interrompues et l’a condamnée à payer à ce dernier une certaine somme en réparation de son préjudice.
Arrêt d’appel. Pour retenir la responsabilité de la SELARL, l'arrêt d’appel a retenu qu'entre dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce toute relation commerciale qui porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service. Or, en l'espèce, le laboratoire, qui fabrique du matériel dentaire, vendait ses produits au cabinet de chirurgiens-dentistes, lequel les refacturait dans l'exécution de ses prestations, dégageant une marge brute sur ces produits, de sorte que ces deux sociétés, commerciales par la forme, effectuaient des actes de commerce.
Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et de l'article R. 4127-215 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9235GT9), dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2020-1658 du 22 décembre 2020 (N° Lexbase : L2353LZ8).
Pour rappel, aux termes du premier de ces textes, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Selon le second texte, la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. On relèvera que la modification apportée à l'article R. 4127-215 du Code de la santé publique par le décret du 22 décembre 2020 ne modifie en rien la solution, puisque ce principe est inchangé.
Ainsi, pour la Cour de cassation, en statuant comme elle l'a fait, alors que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce n'a pas vocation à s'appliquer dès lors qu'il n'existe pas de relation commerciale entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur de matériel dentaire, la cour d'appel a violé les textes visés.
Observations. Des chirurgiens réunis en SEL se sont également vu refuser l'application de ce texte en cas de rupture de la relation nouée avec une clinique (Cass. com., 23 octobre 2007, n° 06-16.774, FS-P+B N° Lexbase : A8484DYU). En outre, l’incompatibilité de certaines professions avec une activité à caractère commercial a déjà conduit à exclure l'application des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, aux notaires (Cass. com., 20 janvier 2009 n° 07-17.556, F-P+B N° Lexbase : A6375EC4 ; D. Bakouche, La Chronique de responsabilité civile, Lexbase Droit privé, février 2009, n° 337 N° Lexbase : N4911BIQ), aux avocats (Cass. com., 24 novembre 2015 n° 14-22.578, F-D N° Lexbase : A0932NY8), et ce quel qu’en soit le mode d’exercice (ex. pour l’exercice en SELARL : CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 29 juin 2016, n° 14/07291 N° Lexbase : A6592RUP ; B. Brignon, Inapplicabilité de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à une SELARL d'avocats, Lexbase Avocats, septembre 2016 N° Lexbase : N4020BWS) ou encore aux conseils en propriété industrielle (Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-17.905, F-P+B N° Lexbase : A6378KBT ; B. Brignon, Le conseil en propriété industrielle n'est pas commerçant, Lexbase Affaires, avril 2013, n° 337 N° Lexbase : N6873BTQ). Enfin dernièrement, la Cour de cassation a retenu que l’activité principale de comptabilité exercée par l’expert-comptable n’est pas une relation commerciale ouvrant droit à indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie (Cass. com., 10 février 2021, n° 19-10.306, F-P N° Lexbase : A79884GX ; lire N° Lexbase : N6555BYG).
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