Le Quotidien du 2 avril 2021 : Droit social européen

[Brèves] Affaire "Vueling" : nullité de la condamnation à des dommages-intérêts prise en présence d’un certificat E 101 valide et en méconnaissance du droit de l’Union

Réf. : Cass. soc., 31 mars 2021, n° 16-16.713, FP-B+R+I (N° Lexbase : A93714MZ)

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N7070BYI

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[Brèves] Affaire "Vueling" : nullité de la condamnation à des dommages-intérêts prise en présence d’un certificat E 101 valide et en méconnaissance du droit de l’Union. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/66352531-breves-affaire-vueling-nullite-de-la-condamnation-a-des-dommagesinterets-prise-en-presence-dun-certi
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par Laïla Bedja

le 02 Avril 2021

► L’article 11, paragraphe 1, du Règlement n° 574/72 (N° Lexbase : L7131AUN), et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude ;

Doit en conséquence être cassé l’arrêt qui, pour condamner un employeur à payer diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d’activité pour défaut de déclaration aux organismes de sécurité sociale et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, se fonde, en présence d’un certificat E 101 dont la validité a été confirmée par l’autorité émettrice, sur l’autorité de la chose jugée revêtue par une condamnation pénale reposant sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne.

Les faits et procédure. La société Vueling, société commerciale de droit espagnol dont le siège est en Espagne. Elle opère des vols vers l’Espagne à partir de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et, à ce titre, a fait inscrire au registre du commerce et des sociétés de Bobigny, le 31 mai 2007, la création d’un fonds de commerce de « transport aérien et auto assistance en escale », implanté dans cet aéroport.

Un salarié engagé en qualité de copilote à compter du 21 avril 2007 par contrat rédigé en langue anglaise et de droit espagnol, a été détaché à l’aéroport français par avenant du 14 juin 2007. Un certificat E 101 a été délivré par l’institution compétente espagnole qui, après avoir été annulé par une décision de cette institution à la demande de l’Urssaf, a été maintenu à la suite d’un recours hiérarchique formé contre cette décision par la société Vueling Airlines.

Par lettre du 30 mai 2008, le salarié a démissionné en invoquant notamment l’illégalité de sa situation contractuelle, puis s’est rétracté par un message électronique du 2 juin 2008. Il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 juin 2008.

Dans le cadre d’une procédure diligentée devant la juridiction pénale, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris, après avoir retenu que la preuve était rapportée que la société Vueling Airlines était établie en France, a déclaré cette dernière coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité pour avoir omis de déclarer aux organismes de protection sociale ses salariés travaillant dans son établissement en France, faits prévus à l’article L. 8221-3, 2°, du Code du travail (N° Lexbase : L0323LMW). Elle a également condamné la société Vueling Airlines à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l’infraction retenue à onze salariés parmi lesquels le salarié de l’affaire, ainsi qu’à l’URSSAF. La Chambre criminelle avait rejeté le pourvoi sans renvoi de question préjudicielle (Cass. crim., 11 mars 2014, n° 12-81.461, FS-P+B+I N° Lexbase : A5032MGH).

La cour d’appel de Paris (Chambre sociale) a, de son côté, condamné la société à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de rappels de salaire, de droits à congés payés, de prime de précarité et de dommages-intérêts pour absence de cotisations à la caisse de retraite complémentaire du personnel navigant. Elle a, par ailleurs, dit que la rupture du contrat de travail produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement de diverses sommes à ce titre.

La société a alors formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation a saisi la CJUE de questions préjudicielles (Cass. soc., 10 janvier 2018, n° 16-16.713, FP-P N° Lexbase : A1986XAS, lire N° Lexbase : N2280BXQ). La société reprochait à la cour d’appel, d’une part, de ne pas avoir recherché si la délivrance d’un E 101 par les autorités espagnoles n’excluait pas l’affiliation du salarié au régime de Sécurité sociale français, et faisait donc obstacle à sa condamnation pour travail dissimulé par dissimulation d’activité, et, d’autre part, de s’être fondée sur l’autorité de chose jugée d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude méconnaissant le droit de l’Union.

Sur la condamnation de la société Vueling à payer au salarié diverses sommes au titre de la régularisation des salaires au regard du droit français, des congés payés afférents, et des dommages-intérêts

Sur ce point, la Cour de cassation s’appuie sur la réponse de la CJUE qui précise (CJUE, 14 mai 2020, aff. C-17/19, Bouygues travaux publics N° Lexbase : A44833LM), au point 48 de l’arrêt, que les certificats ne produisent pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la Sécurité sociale, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers. Il en résulte que le maintien d’un certificat E 101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’État membre d’accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à cette relation de travail et sanctionne ainsi la violation par l’employeur d’obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.

Elle pouvait donc en conclure, au regard des constatations opérées par la cour d’appel, que le moyen de société, était inopérant.

Sur le paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France

Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Pour justifier sa solution, la Cour de cassation prend appui sur la décision de la CJUE répondant aux questions préjudicielles posées dans le cadre de l’affaire. Pour la CJUE, les juridictions d’un État membre ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées, d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce Règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

Ainsi, pour condamner la société au paiement d’une indemnité forfaitaire et de dommages-intérêts, alors qu’elle était saisie de la question de la validité d’un certificat E 101 et que la société faisait valoir, sans être contredite sur ce point, que la Direction départementale de gestion décentralisée de la Direction départementale de la Trésorerie générale de la Sécurité sociale de Barcelone avait, le 15 décembre 2014, confirmé la validité des formulaires E 101 litigieux, de sorte que la condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l’Union européenne ne pouvait s’imposer à la juridiction prud’homale saisie d’une demande au titre du travail dissimulé et du défaut d’affiliation à la sécurité sociale française, la cour d’appel a violé articles 13 et 14 du Règlement n° 1408/71 (N° Lexbase : L4570DLT), les articles 11 et 12 bis du Règlement (CEE) n° 574/72.

Pour en savoir plus :

Lire les commentaires :

  • Ch. Willmann, Validité du certificat E 101 délivré frauduleusement, Lexbase Social, février 2019, n° 771 (N° Lexbase : N7565BXH) ;
  • V. Roulet, Portée ratione materiae du certificat A1, Lexbase social, juin 2020, n° 826 (N° Lexbase : N3532BYH) ;
  • H. Nasom-Tissandier, Des certificats E101/A1 et E106/S1 réguliers ne font pas obstacle à des condamnations pour travail dissimulé, Lexbase social, février 2021, n° 854 (N° Lexbase : N6427BYP) ;
  • H. Nasom-Tissandier, Quelle est la portée de la décision de retrait d’un certificat E101/A1 par l’autorité émettrice ?, Lexbase social, décembre 2020, n° 846 (N° Lexbase : N5560BYL).

 

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