Réf. : Cass. civ. 1, 24 mars 2021, n° 19-20.962, F-P (N° Lexbase : A67784MY)
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
le 01 Avril 2021
► La caractérisation d’un dépôt nécessaire est sans incidence sur les effets de ce contrat, le déposant doit procéder au remboursement des frais de conservation engagés par le dépositaire ;
► le dépositaire rétenteur ne peut retenir les fruits produits par le dépôt dès lors qu’il restitue ce dernier.
Faits et procédure. A la suite de la séparation d’un couple, une femme a été contrainte de quitter la ferme familiale sans avoir d’autre choix, eu égard à la soudaineté de la séparation, que d’y laisser les juments dont elle était propriétaire. Par la suite, elle en demanda donc la restitution ; son mari, quant à lui, demanda le paiement des frais de conservation et retint les juments dans l’attente de ce paiement. Condamnée par la cour d’appel à payer les frais de conservation engagés par son mari, le dépositaire (Caen, 7 mai 2019, n° 16 :03269 N° Lexbase : A5690ZAY), la propriétaire des juments, le déposant, a formé un pourvoi au soutien duquel trois moyens étaient avancés tenant (i) aux conséquences de l’existence d’un dépôt nécessaire, (ii) à la propriété des poulains nés des juments en cause et (iii) au droit de rétention exercé par le dépositaire.
S’agissant d’abord des conséquences du dépôt nécessaire. Alors que la cour d’appel avait condamné le déposant à rembourser au dépositaire les frais de conservation, le pourvoi considérait qu’en présence d’un dépôt nécessaire (C. civ., art. 1949 N° Lexbase : L2173AB4), seul un dépôt rendu nécessaire par un événement extérieur aux parties emporte obligation pour le déposant de rembourser les frais de conservation. Or, tel n’était pas le cas dès lors que le dépôt avait été rendu nécessaire par le comportement du mari. La Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que c’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond ont caractérisé l’existence d’un dépôt nécessaire et ont « pu en déduire qu’était dû à ce dernier (dépositaire) le remboursement des dépenses qu’il avait faites pour la conservation des animaux ». Deux remarques peuvent être formulées. La première tient à la caractérisation d’un dépôt nécessaire, laquelle est suffisamment rare pour être relevée (v. G. Pignarre, Rép. civ. Dalloz, V° Dépôt, n° 188). La seconde tient à son régime. Sa caractérisation d’un dépôt nécessaire est sans incidence sur le remboursement des frais de conservation. Cette caractérisation n’a d’incidence que relativement à la preuve du contrat de dépôt (v. A. Bénabent, Contrats civils et commerciaux, LGDJ, 13e éd., 2019, n° 758).
S’agissant, ensuite, de la propriété des poulains. Alors que la cour d’appel n’avait pas retenu le déposant comme étant leur propriétaire, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 4 du décret n° 2001-913 du 5 octobre 2001 relatif à l’identification et à l’amélioration génétique des équidés et modifiant le décret n° 76-352 du 15 avril 1976 fixant les modalités d’application aux équidés de la loi n° 66- 1005 du 28 décembre 1966 sur l’élevage (N° Lexbase : O4323BBQ). Elle considère qu’à défaut de preuve du transfert de la propriété des poulains par la propriétaire des juments, elle était également propriétaire des poulains.
S’agissant, enfin, du droit de rétention du dépositaire. Il faut au préalable préciser que la cour d’appel avait admis qu’à défaut de paiement intégral des frais de conservations se rapportant au poulain, le dépositaire était en mesure d’exercer son droit de rétention sur celui-ci. L’arrêt est cassé au visa des articles 1936 (N° Lexbase : L2160ABM), 1944 (N° Lexbase : L4831IRD) et 1948 (N° Lexbase : L2172AB3) du Code civil, considérant que « si en vertu du dernier de ces textes, le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison de celui-ci, il résulte des deux premiers que, s’il restitue le dépôt, il doit remettre aussi les fruits produits par celui-ci ». Ce faisant, le dépositaire ne saurait exercer son droit de rétention sur les fruits, en l’espèce, le poulain, afin d’obtenir le remboursement des frais de conservation qui lui sont afférents. La restitution du dépôt, et donc l’extinction du droit de rétention, implique la restitution des fruits, laquelle est le corollaire de la restitution du dépôt. Il ne saurait y avoir de dissociation entre la rétention du dépôt et la rétention des fruits. Le dessaisissement volontaire, quelle que soit sa cause, emporte extinction de la rétention tant du principal que des fruits, quand bien même la conservation de ceux-ci auraient entraîné des frais pour le dépositaire. L’adage accessorium sequitur principale n’est sans doute pas étranger à la solution.
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