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par Virginie Pradel, Fiscaliste
le 03 Février 2021
Mots-clés : REP • recours pour excès de pouvoir • administration fiscale • contribuable
Conformément au principe de la légalité de l’impôt [1] et de la compétence liée, l’administration fiscale devrait en principe agir comme une sorte d’« automate institutionnel [2] », appliquant mécaniquement le texte voté par le Parlement, sans l’apprécier. Si tel était le cas au sortir de la Révolution [3], cela ne l’est plus depuis bien longtemps. À cet égard, plusieurs auteurs [4] ont dénoncé la « prise de pouvoir de l’administration fiscale ». Pour le Professeur Martinez, « la légalité de l’impôt n’est plus qu’un mot. L’administration que l’on dit à compétence liée est en fait à pouvoir discrétionnaire [5] ». Le constat est identique pour le Professeur de la Mardière [6] qui considère que le principe de compétence liée « n’a plus de réalité [7] ». Cette prospérité de la doctrine administrative s’explique notamment par les très nombreuses « malfaçons de la loi [8] » en matière fiscale [9].
Pour rappel, le REP présente en droit fiscal un caractère subsidiaire. L’existence d’une procédure spécifique de contestation de l’impôt, le recours de plein contentieux (LPF, art. R* 190-1 et s. N° Lexbase : L6750ISS), a pour conséquence de limiter les hypothèses dans lesquelles le REP est susceptible d’être exercé en la matière.
Les REP se concentrent principalement sur l’annulation des actes généraux et impersonnels, dont la contestation par voie d’action ne relève pas du juge de l’impôt. Ils visent tout d’abord les actes règlementaires, les règlements autonomes, intervenant notamment pour définir la procédure fiscale contentieuse ou l’organisation de l’administration fiscale, comme règlements d’application de la loi [14]. Ils visent ensuite les instructions fiscales, même si celles-ci se bornent à résumer les modifications apportées par le législateur à un dispositif fiscal : celles-ci sont susceptibles d'être déférées au juge de l'excès de pouvoir dès lors qu'elles présentent un caractère impératif [15]. Les personnes justifiant d’un intérêt à agir peuvent demander l’annulation des circulaires et instructions à caractère impératif : tel est le cas des contribuables dont la situation est visée par une interprétation, ainsi que de ceux qui appartiennent au même cercle d’intérêt [16].
A également été admis la recevabilité des recours dirigés contre les réponses écrites aux parlementaires, à la condition que celles-ci revêtent un caractère impératif et soient opposables à l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, c’est-à-dire qu’elles ajoutent à la loi. [20] Le pouvoir règlementaire étant rarement compétent pour ajouter à la loi des conditions par voie d’interprétation impérative, le juge administratif annule alors l’instruction pour incompétence ou pour violation de la loi. Le Conseil d’État a toutefois jugé récemment qu’une réponse du ministre de l'économie et des finances relative au dispositif de régularisation des avoirs détenus à l'étranger, exprimée dans un document prenant la forme d'une « foire aux questions », qui se borne à renvoyer sans s'y substituer aux circulaires ministérielles encadrant l'action de l'administration fiscale pour l'application, notamment, de l'article 123 bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L8449LHE), ne peut être regardée comme étant au nombre des prises de position de l'administration fiscale pouvant lui être opposée par un contribuable sur le fondement de ces dispositions et n’est par suite pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir [21].
Les REP peuvent également concerner des actes individuels détachables de la procédure d’imposition. Il peut s’agir des décisions de refus d’agrément, dès lors que celui-ci aurait permis de bénéficier de certains régimes d’impositions favorables prévus par la loi [22]. Il peut également s’agir des rescrits. Ceux-ci permettent dans un but de sécurité juridique d’obtenir une prise de position de l’administration qui lui sera opposable. Si les rescrits sont, par principe, rattachés à la procédure d’imposition et ne peuvent donc être contestés devant le juge de l’excès de pouvoir ; une exception a déjà été posée lorsque celui qui sollicitait la prise de position n’était pas le redevable de l’impôt. Il en allait ainsi des associations qui demandaient si les dons qu’elles recevaient pouvaient faire l’objet d’un crédit d’impôt parce qu’elles devaient être regardées comme des associations d’intérêt général [23].
En conclusion, les REP concernent de plus en plus d’actes. Ils constituent une « arme » efficace aux mains des contribuables pour s’opposer aux « abus » de l’administration fiscale en matière d’interprétation de la loi fiscale.
[1] V. l’article 34 de la Constitution de 1958 qui dispose que : « La loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». Ce cadre constitutionnel se traduit concrètement par une formule quasi rituelle contenue dans le premier article de chaque loi de finances initiale : « La perception des impôts, produits et revenus affectés à l’État, aux collectivités territoriales, aux établissements publics et organismes divers habilités à les percevoir continue d’être effectuée pendant l’année X conformément aux lois et règlements et aux dispositions de la présente loi ».
[2] Ch. Mardière (de la), Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l’impôt, LGDJ, 2002, n° 366 et s.
[3] Au point que le premier texte de loi, sur la contribution mobilière, allait jusqu’à donner les exemples chiffrés pour assurer son application sans intervention de l’Administration.
[4] V. not. J-C. Martinez., Lettre ouverte aux contribuables, op. cit., p. 87.
[5] Ibid.
[6] Ch. Mardière (de la), Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l’impôt, LGDJ, 2002, n° 366 et s.
[7] Ibid.
[8] Th. Lambert, Procédures fiscales, LGDJ, coll. « Précis Domat », 3e éd., 2017, p. 449, n° 1168.
[9] Ch. Mardière (de la), « La véritable nature de la doctrine administrative en droit fiscal », in Mélanges en l’honneur de Jean Pierre Lassale, L’Harmattan, coll. « Finances publiques », 2012, p. 85-95.
[10] Issu de la loi n° 59-1472, du 28 décembre 1959, portant réforme du contentieux fiscal et divers aménagements fiscaux, art. 100 (N° Lexbase : L3443IP9), le premier alinéa de l’article L. 80 A constitue l’élément initial de la garantie contre les changements de doctrine. Cet élément se caractérise par un champ d’application large, mais un objet limité : s’il fait produire des effets tant à la doctrine individuelle qu’à la doctrine de portée générale, il ne saurait faire obstacle qu’au rehaussement d’une imposition antérieure positive (et en aucun cas à l’établissement d’une imposition primitive). Le dispositif initial de la garantie contre les changements de doctrine a été complété en 1970 (loi n° 70-601, du 9 juillet 1970, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, art. 21 N° Lexbase : C94587DN) par une disposition devenue, après la loi pour un État au service d’une société de confiance (loi n° 2018-727, du 10 août 2018, pour un État au service d'une société de confiance, art. 9 N° Lexbase : L6744LLD), le troisième alinéa de l’article L. 80 A.
[11] CE Contentieux, 28 octobre 2020, n° 428048, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A49183Z8). L’articulation entre la garantie prévue à l’article L. 80 A du LPF et la possibilité donnée par l’article L. 64 du LPF à l’administration fiscale de remettre en cause une opération en cas d’abus de droit avait déjà suscité de nombreux débats à la suite d’une décision rendue par la CAA de Paris en 2018 (V. CAA Paris, 20 déc. 2018, n° 17PA00747 N° Lexbase : A4146YSD).
[12] Conseil d’État, Dossier thématique : le juge administratif et l’impôt, janvier 2019.
[13] J. Martinez-Mehlinger, Le recours pour excès de pouvoir en matière fiscale, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 2002.
[14] Par ex., CE 8° et 3° ssr., 6 juin 2008, n° 299287, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0469D9A).
[15] CE 9° et 10° sr., 6 mars 2006, n° 262982, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4849DNW).
[16] CE Section, 4 mai 1990, n° 55124, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4632AQM).
[17] Par une décision n° 435562 rendue le 23 janvier 2020, le Conseil d’État a annulé l’ensemble de l’alinéa de l’instruction administrative (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 20), qui fixait les deux critères d’appréciation de la prépondérance de l’activité professionnelle, reconnaissant au passage que l’exercice d’une activité civile n’est pas de nature à priver le contribuable de l’avantage fiscal sur la valeur totale des parts transmises à titre gratuit (CE 3° et 8° ch.-r., 23 janvier 2020, n° 425562, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A56683CW).
[18] BOI-IS-BASE-20-20-10-20 § 95 al. 2, 125 et 127.
[19] Le Conseil d’État a conclu que « la réintégration de la quote-part de frais et charges égale à 12 % du montant brut des plus-values de cession est subordonnée à la réalisation par l’entreprise d’une plus-value nette au cours de l’exercice de cession » (CE 3° et 8° ch.-r., 14 juin 2017, n° 400855, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6894WHS). Autrement dit, l’administration ne pouvait pas imposer cette société au titre de la QPFC qui avait été réintégrée au résultat, dès lors qu’une moins-value avait été enregistrée.
[20] CE Section, 16 décembre 2005, n° 272618, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1081DMY).
[21] CE 3° et 8° ch.-r., 17 mai 2017, n° 404270, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1677WDH).
[22] TC, 17 octobre 1988, n° 2523.
[23] CE 9° et 10° ssr., 3 juillet 2002, n° 214393, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0334AZE).
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