Réf. : CAA de Versailles, 19 novembre 2019, n° 18VE01276 (N° Lexbase : A65964DN) ; CAA de Versailles, 3 décembre 2019, n° 18VE00849 (N° Lexbase : A2674Z8K)
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N2423BYE
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par Nicolas Chayvialle, Rapporteur public à la cour administrative d’appel de Versailles
le 02 Février 2021
Mots-clés : intégration fiscale • délai de réclamation • délai général • délai spécial
I.Les deux affaires qui viennent d’être appelées et sur lesquelles nous prononcerons des conclusions communes soulèvent la question de l’application du délai spécial de réclamation prévu à l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L1594IND), dans le contexte particulier de l’intégration fiscale prévue par les articles 223 A (N° Lexbase : L1889KG3) et suivants du Code général des impôts.
Ces affaires trouvent leur origine dans l’arrêt Groupe Steria SCA rendu par la CJUE le 2 septembre 2015 relatif à la neutralisation de la quote-part de frais et charges. Rappelons brièvement que le régime des sociétés mères et filiales prévu par les articles 145 (N° Lexbase : L6168LUY) et 216 (N° Lexbase : L9037LNZ) du Code général des impôts permet aux sociétés qui remplissent certaines conditions - à savoir participation au moins égale à 5 % au capital de la société distributrice et conservation d’une telle participation pendant deux ans - de bénéficier à raison des dividendes versés par leur filiale d’une exonération totale d’imposition, à l’exclusion toutefois d’une quote-part de frais et charges, laquelle doit être réintégrée au résultat et en compensation des charges déduites de son résultat par la société mère à raison de la gestion des participations. Toutefois, l’article 223 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L5473LQR) relatif au calcul du résultat d’ensemble au sein des groupes fiscaux intégrés, dans la rédaction applicable aux années 2008 et 2010 en cause dans le présent litige, prévoyait la neutralisation dans le calcul du résultat d’ensemble de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes versés à une société membre de ce groupe par une autre société du groupe. Dès lors que cette neutralisation ne profitait qu’aux dividendes versés par des sociétés résidentes françaises, qui seules peuvent faire partie d’un groupe fiscal intégré, et non à ceux provenant de sociétés établies dans d’autres États membres de l’UE, la question de la conformité de l’article 223 B du CGI avec la liberté d’établissement a été adressée à titre préjudiciel par notre cour à la CJUE (CAA de Versailles, 29 juillet 2014, n° 12VE03691, « Sté Groupe Steria » N° Lexbase : A7124MYI : RJF, 11/14, n° 990, concl. F. Locatelli, BDCF, 11/14, n° 105). Par l’arrêt du 2 septembre 2015, la Cour de Luxembourg a jugé que la liberté d’établissement impliquait d’étendre la neutralisation de la quote-part de frais et charges aux dividendes distribués par des sociétés établies dans d’autres États-membres de l’UE, lorsque ces dernières justifient remplir les conditions d’appartenance au groupe fiscal intégré, autres que celle tenant à la résidence en France (CJUE, 2 septembre 2015 aff. C-386/14 N° Lexbase : A3750NN9, « Groupe Steria SCA », RJF, 2015, n° 972 ; cf. également CAA de Versailles, 21 juin 2016, n° 12VE03691, « Sté Sopra Steria Group » N° Lexbase : A3626RUT : RJF, 2016, n° 814).
Pour l’avenir, le législateur a supprimé à compter de 2016 l’avantage accordé aux distributions de dividendes internes aux groupe fiscaux intégrés et a aligné leur régime sur le droit commun du régime des sociétés mères et filiales.
Les présents litiges vous conduiront à préciser les conditions d’invocation de la décision de la CJUE pour le passé. Les sociétés Accor et Vicat, qui sont des sociétés mères de groupes fiscaux intégrés, ont en effet demandé la réduction de l’impôt sur les sociétés (IS) spontanément acquitté en cette qualité au titre des exercices clos respectivement en 2008, pour la première, et en 2010, pour la seconde, par neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente à des dividendes versés par des filiales établies dans d’autres États membres de l’UE.
Ces réclamations présentées en septembre 2015, s’agissant de la société Accor, et en décembre 2016, s’agissant de la société Vicat, étaient tardives au regard du délai général de réclamation, prévu par l’article R. 196-1, b) du Livre des procédures fiscales, qui s’agissant d’une imposition auto-liquidée, expirait au 31 décembre de la deuxième année suivant le versement de l’impôt, soit au 31 décembre 2011 pour la société Accor et au 31 décembre 2013 pour la société Vicat.
De même, les sociétés Accor et Vicat ne peuvent invoquer la réouverture du délai de réclamation en cas d’événement prévue au c) de l’article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales dès lors que depuis leur modification par décret n° 2013-643, du 18 juillet 2013 (N° Lexbase : L4596IXI) ces dispositions excluent qu’un tel évènement puisse être constitué par un arrêt de la CJUE constant la non-conformité du droit interne avec le droit de l’Union.
C’est donc sur le terrain du délai spécial de réclamation prévu à l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales que les sociétés Accor et Vicat se sont placées. Dans ce cadre, les sociétés contribuables se sont prévalues de propositions de rectifications dont elles ont fait l’objet en qualité de sociétés du groupe au titre des années d’imposition en litige.
Le tribunal administratif s’est prononcé par deux jugement du 18 janvier 2018 dont l’un a été classé C+. Le tribunal a estimé qu’en cas de rectification d’une société appartenant à un groupe fiscal intégré, la portée de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales doit être limitée aux réclamations relatives au résultat individuel de la société ayant fait l’objet de la procédure de rectification, à savoir, dans les présentes instances, les sociétés Accor et Vicat. S’agissant de la société Vicat, dont la réclamation portait sur la neutralisation de la quote-part de frais et charge afférente aux dividendes perçus par une autre société du groupe, la société Parficim, le tribunal a estimé que le délai spécial de réclamation n’était pas applicable. S’agissant de la société Accor, dont la demande portait sur la neutralisation de la quote-part de frais et charge afférente à des dividendes qu’elle avait elle-même encaissés, le tribunal a, au contraire, admis que la réclamation entrait dans le champ d’application de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales. Décomptant le délai spécial de réclamation à partir de la notification à la société Accor, le 27 février 2014, de l’avis de mise en recouvrement portant sur les suppléments d’IS, le TA a admis la recevabilité de la réclamation du 14 septembre 2015 et a prononcé la décharge des impositions litigieuses. Vous êtes saisis, sous le n° 18VE00849, d’un appel présenté par la société Vicat contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande et, sous le n° 18VE01276, d’un appel du ministre de l’action et des comptes publics contre le jugement par lequel le TA a prononcé la décharge de l’impôt sur les sociétés acquitté par la société Accor.
II. Nous commencerons par la requête n° 18VE00849 présentée par la société Vicat qui vous conduira à vous prononcer sur les principes dégagés par le tribunal administratif dans les deux jugements s’agissant de l’application de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales.
Reprenant une solution dégagée par deux précédents jugements (TA Montreuil, 11 mai 2017, n° 1602983, N° Lexbase : A1548WWA « Sté Colgate Palmolive International », C+ : RJF, 2017, n° 1032, étude S. Humbert, BF, 5/18 ; Dr. Fisc. 2017, n° 42 comm. 514 note S. Humbert ; TA Montreuil, 14 décembre 2017, n° 1605732, C+) et réitérée ultérieurement (TA Montreuil, 8 mars 2018, n° 1609323, « Société Cegedim » : inédit), le tribunal administratif a estimé que dans le cas d’un groupe fiscal intégré, la portée du délai spécial de réclamation doit être limitée à la contestation de l’imposition relative au résultat de la société membre du groupe qui a fait l’objet de la rectification. Les premiers juges ont estimé que la demande de neutralisation de la quote-part de frais et charge en application de l’arrêt Groupe Steria SCA relève de ce principe et que le délai spécial de réclamation ne peut être invoqué que si la demande porte sur l’imposition afférente au résultat de la société qui a fait l’objet de la rectification. En l’espèce, le tribunal administratif a estimé que la rectification du résultat individuel de la société mère du groupe n’a pas ouvert à la société requérante le délai spécial de réclamation pour contester la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes perçus par une autre société du groupe, à savoir la société Parficim.
La société requérante conteste cette interprétation sur un double terrain. A titre principal, elle fait valoir que la portée du délai spécial de réclamation ne saurait être limitée à la part de l’impôt sur les sociétés correspondant au résultat de la société qui a fait l’objet de la rectification.
Il nous semble que la lettre de l’article R. 196-3 n’est pas déterminante dans la résolution de la difficulté juridique. Rappelons que cet article trouve son origine dans l’article 4 de la loi du 27 décembre 1963, portant unification ou harmonisation des procédures, délais et pénalités en matière fiscale, initialement codifié sous l’article 1932 5° du Code général des impôts (N° Lexbase : L4906HMN) puis transféré dans la partie réglementaire du Livre des procédures fiscales par décret n° 81-860 du 15 septembre 1981 dans le cadre la procédure de déclassement prévue à l’article 37 de la Constitution. Cet article dispose que « dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ».
La société vous demande de juger que ces dispositions permettent à la société mère du groupe de déposer une réclamation relative à l’impôt sur les sociétés dont elle est redevable, sans aucune limitation et y compris pour contester l’imposition afférente au résultat de sociétés qui n’ont pas fait l’objet d’une rectification. Il est vrai, comme le souligne la société requérante, que l’intégration fiscale, instaurée par la loi n° 87-1060, du 30 décembre 1987, de finances pour 1988 (N° Lexbase : L6432I8Q) et prévue aux articles 223 A et suivants du Code général des impôts, a pour objet de rendre la société mère du groupe, seule redevable de l’impôt sur les sociétés calculé sur le résultat d’ensemble du groupe, constitué en vertu de l’article 223 B du Code général des impôts par la somme algébrique des résultats individuels des sociétés membres, déterminés dans les conditions de droit commun. Ces dernières sociétés sont seulement solidaires de la mère pour la part d’impôt sur les sociétés qui serait à leur charge en l’absence d’appartenance au groupe. La jurisprudence en a déduit que seule la société mère du groupe fiscal intégré est recevable à contester l’impôt sur les sociétés établi à raison du résultat d’ensemble, alors qu’une société membre du groupe n’est recevable à saisir le juge en son nom propre qu’en sa qualité de redevable solidaire de l’imposition, à condition que cette dernière n’ait pas été acquittée par la société mère (CE 10° et 9° ch.-r., 10 juillet 2013, n° 337137, inédit au recueil Lebon « Sté Fresenius Medical Care Groupe France » N° Lexbase : A5870KGI : RJF, 2013, n° 947, conclusions D. Hédary, BDCF, 2013, n° 109) et dans la seule limite de cette solidarité (CE 9° et 10° ch.-r., 10 mai 2017, n° 395447, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1102WCS « SAS Intelligent Electronic Systems et Sté LH 28 » : RJF, 2017, n° 863, conclusions M.-A. Nicolazo de Barmon, C 863).
Toutefois, l’interprétation littérale des dispositions précitées sur laquelle se fonde la société requérante nous semble difficile à suivre. En effet, les dispositions de l’article R.196-3 du Livre des procédures fiscales ont été adoptées en 1963 sans aucune modification par la suite et n’ont donc pas envisagé la question de l’intégration fiscale instaurée par le législateur en 1987.
Surtout, les dispositions de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales reposent sur l’identification dans la figure du contribuable entre l’entité qui fait l’objet des procédures de rectification et le titulaire du droit de réclamation. Or, une telle identification est exclue dans le cadre de l’intégration fiscale. Si ainsi qu’il a été dit c’est la société mère du groupe qui acquitte l’impôt sur les sociétés et qui dispose du droit de réclamation, les procédures de contrôle sont diligentées à l’égard des sociétés membres du groupe fiscal intégré. En vertu de l’article 223 A du Code général des impôts, les sociétés du groupe restent en effet soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés dans les conditions prévues par les articles L. 13 (N° Lexbase : L9781I3N), L. 47 (N° Lexbase : L3160LCZ) et L. 57 (N° Lexbase : L0638IH4) du Livre des procédures fiscales. Par sa décision de principe société Weil Besançon, le Conseil d’État a déduit de ces dispositions que les procédures de vérification et de rectification doivent être diligentées à l’égard des seules sociétés membres du groupe et que s’agissant de la société mère du groupe fiscal prise en sa qualité de redevable de l’impôt sur les sociétés, l’administration fiscale est seulement tenue à une obligation d’information préalable à la mise en recouvrement de l’imposition, sans avoir à préciser les motifs en droit et en fait des rectifications (CE 3° et 8° ssr., 7 février 2007 n° 279588, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9638DT7 « Min. c/ Sté Weil Besançon » : RJF, 2007, n° 407, concl. E. Glaser, BDCF, 4/07, n° 44 ; CE 9° et 10° ssr., 21 octobre 2011, n° 325619, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8322HYU « Sté financière Snop Dunois » : RJF, 2012, n° 16, concl. Cl. Legras, BDCF, 2012 n° 5). L’article R. 256-1 du Livre des procédures fiscales, dans la rédaction issue du décret n° 2004-1469 du 23 décembre 2004 (N° Lexbase : L5184GUK), a même limité le contenu de l’information qui doit être fournie à la société mère par l’administration fiscale avant la mise en recouvrement des impositions supplémentaires au montant global par impôt des droits, pénalités et intérêts de retard dont elle est redevable.
Si vous nous suivez, vous ne pourrez pas vous fonder sur la seule lettre de l’article R. 196-3 du LPF. En revanche, vous devrez vous reporter à l’objet de ces dispositions, qui est d’assurer « l’égalité des armes » entre l’administration fiscale et le contribuable rectifié en accordant à ce dernier un « droit de rétorsion », pour reprendre les expressions employées respectivement par Nathalie Escaut dans ses conclusions sous la décision CE 8° et 3° ssr., 21 juin 2016, n° 385395, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5772N4K « Sté Batipro » (conclusions publiées à Dr. fisc. 2016, n° 12 comm. 247) et par le président Philippe Martin dans ses conclusions sous la décision du 28 novembre 1986, de Bierre (CE Plénière, 28 novembre 1986, n° 47147, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3804AMT, RJF, 1987, n° 236, conclusions publiées à Dr. fisc. 1988 n° 6 comm. 233). La rectification dont fait l’objet le contribuable lui ouvre ainsi le droit de demander par voie de réclamation la réduction de son imposition au titre de la période rectifiée. Par une décision de principe de 1973, le Conseil d’État a interprété le « délai » accordé au contribuable par ces dispositions par référence au délai de reprise dont dispose l’administration fiscale en vertu de l’article L. 168 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8487AE3) pour établir l’imposition (CE Section, 5 octobre 1973, n° 83169, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2037AY4). Les procédures de reprise ou de rectification susceptibles de déclencher ce délai s’entendent non seulement de la procédure contradictoire prévue à l’article L. 55 du Livre des procédures fiscales, mais également des procédures d’évaluation ou de taxation d’office (CE Plénière, 24 juin 1987, n° 33739-36122, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2351APR : RJF, 1987, n° 942 ; CE 8° et 9° ssr., 8 avril 1998, n° 179605, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7574ASC « Ministre contre Gourcerol » : RJF, 1998, n° 771) ou encore de la procédure de rectification particulière applicable en matière de taxe professionnelle (CE 9° et 10° ssr., 13 octobre 2000, n° 189505, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3205ATU « SA Marin » : RJF, 2001, n° 91, avec chronique J. Maia, concl. G. Goulard, BDCF, 2001, n° 1). Les dispositions de l’article R196-3 du LPF sont soumises à la condition d’identité d’impôt en ce qu’elles ne permettent au contribuable d’introduire une réclamation après expiration du délai prévu à l’article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales qu’en ce qui concerne l’imposition et la période qui ont fait l’objet de la procédure de reprise engagée par l’administration (CE Plénière 25 octobre 1972, n° 80107, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7463B8W : Dupont 1973 p. 20 ; CE 10 juillet 1985, n° 46076 : RJF, 1985, n° 1377 ; CE 9° et 8° ssr., 14 mai 1986 n° 48358, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4228AMK « SA société minière et métallurgique de Penarroya » : RJF, 1986, n° 676). A l’inverse, une proposition de rectification dont le seul objet est de prononcer un dégrèvement en faveur du contribuable n’enclenche par le délai spécial de réclamation, en l’absence de procédure de rectification (CE 3° et 8° ssr., 27 juillet 2009, n° 303877, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1281EKN « Gonet » : RJF, 2009, n° 1155, concl. E. Glaser BDCF, 12/09, n° 146).
A cet égard, le principal argument en faveur de la solution retenue par le tribunal administratif, selon nous, est lié à l’effet interruptif de prescription de la proposition de rectification notifiée à la société membre du groupe. Une proposition de rectification dépourvue d’effet interruptif ne déclenche pas le délai spécial de réclamation (CE 16 mai 1990, n° 54135, M. Colombani N° Lexbase : A5046AQX ; CE 9° et 8° ssr., 21 juillet 1995, n° 129227, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4999ANH « Société Romantic Music Corporation » : RJF, 1995 n° 1175). Au sein d’un groupe fiscal intégré, les procédures de rectifications sont suivies, on l’a dit, à l’égard de chacune des sociétés membres et il nous semble que la proposition de rectifications notifiée à une société membre n’interrompt la prescription que pour l’imposition correspondant au résultat de cette dernière et non pour l’imposition correspondant au résultat des autres membres du groupe. La solution n’a certes jamais été expressément affirmée par la jurisprudence mais elle est commandée par l’analogie entre intégration fiscale et sociétés de personnes sur laquelle est fondée la décision société Weil Besançon d’après les conclusions du rapporteur public E. Glaser. Il est en effet de jurisprudence constante que la proposition de rectification notifiée à une société de personnes interrompt la prescription à l’égard des membres de cette dernière en tant que redevables, chacun à proportion de ses droits dans la société, de l’impôt assis sur ses bénéfices (CE Section, 8 avril 1994, n° 60405-65876, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5515AYW : RJF, 1994 n° 579).
La société tire argument des termes de la décision société Weil Besançon, qui a qualifié de « procédure unique » les opérations diligentées par l’administration fiscale depuis la rectification du résultat individuel d’une société intégrée jusqu’à la mise en recouvrement des suppléments d’impôt sur les sociétés à la charge de la société mère. Toutefois, le motif invoqué avait pour seul objet de dispenser l’administration fiscale de notifier une proposition de rectification à la société mère du groupe et d’admettre que la procédure de contrôle suivie à l’encontre de la société dont le résultat est rectifié soit opposable à la société mère, en sa qualité de redevable de l’imposition commune. A l’inverse, ainsi qu’il a été dit, l’intégration fiscale ne dispense pas l’administration de respecter les procédures de rectification à l’égard des sociétés membres du groupe dont elle contrôle le résultat imposable.
La société se prévaut également des termes de la décision du 13 décembre 2013 (CE 9° et 10° ssr. 13 décembre 2013 n° 338133, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3703KRL « EURL Pub Finance » (RJF, 2014, n° 231) selon lesquels la proposition de rectification notifiée à une société membre du groupe a pour effet d’interrompre la prescription à l’égard de la société mère. Toutefois, cette décision se borne à indiquer que « la notification régulière à une société membre d'un groupe fiscal intégré des rehaussements apportés à son bénéfice imposable interrompt la prescription à l'égard de la société mère en tant que redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe ». Elle ne précise pas la portée de cette interruption. Or, cette portée nous semble devoir être limitée à l’imposition relative au résultat de la société membre du groupe qui a fait l’objet de la rectification.
À l’opposé, la société se prévaut de la jurisprudence selon laquelle le délai spécial de réclamation permet au contribuable de contester non seulement l’imposition supplémentaire destinée à être établie au terme de la procédure de rectification, mais également et, surtout l’imposition, primitive à laquelle il a été assujetti au titre de la période d’imposition soumise à rectification (CE 9° et 8° ssr. 9 juillet 1980, n° 13629 et 15531, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9321AI3 : RJF, 1980, n° 790 ; CE 9° et 10° ssr., 28 décembre 2012, n° 339977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6821IZN « Sté Les Complices » : RJF, 3/13, n° 345 ; CE 9° et 10° ssr., 7 février 2018, n° 396926, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6155XCX : RJF, 2018, n° 541). La possibilité de contester les impositions primitives est d’ailleurs le principal intérêt du délai spécial de réclamation, alors que les impositions supplémentaires correspondant aux rectifications ont vocation à être contestées dans le cadre du délai général de réclamation à la suite de leur mise en recouvrement.
Toutefois, cette jurisprudence a uniquement pour objet de permettre au contribuable qui fait l’objet d’un contrôle de l’administration fiscale de riposter à la rectification de ses bases imposables en en demandant la réduction par voie de réclamation, conformément à l’objet de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales qui est d’assurer l’égalité des armes entre le contribuable et l’administration. A la rectification par l’administration de la base imposable du contribuable, répond la rectification par ce dernier de ses propres déclarations dans le cadre du délai spécial de réclamation. Admettre que, du fait de l’intégration fiscale, la société mère d’un groupe puisse demander la minoration d’une base imposable qui n’a fait l’objet d’aucun contrôle de la part de l’administration nous semble aller au-delà de cet objet. L’unicité de l’impôt sur les sociétés mise à la charge de la société mère dans le cadre de l’intégration fiscale, ne saurait occulter la diversité de la matière imposable et des procédures de contrôle à mettre en œuvre par l’administration fiscale.
Cette limitation de la portée de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales n’est pas inconnue de la jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi, en matière de taxe professionnelle, la rectification des bases imposables d’un établissement situé dans une commune n’a pas pour effet d’ouvrir au redevable un nouveau délai de réclamation pour contester la taxe afférente à des établissements établis dans d’autres communes (CE 9° et 10° ssr., 28 décembre 2012 n° 339977, mentionné aux tables du recueil Lebon préc. ; CE 9° et 10° ch.-r., 7 juin 2019 n° 411436, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9486ZDP « Min. c/ SAS Atos intégration » : RJF, 2019, n° 969, concl. E. Bokdam-Tognetti C 969 ; CAA de Versailles, 3 mars 2015, n° 14VE02501 N° Lexbase : A5700NDH : RJF, 2015, n° 524). Dégagée dans l’hypothèse de la juxtaposition géographique de la matière imposable, l’approche du Conseil d’État nous semble transposable à la consolidation des résultats individuels opérée par l’intégration fiscale.
Les précédents invoqués par la société ne nous semblent pas convaincants. L’arrêt de la cour de Paris admettant qu’une procédure de rectification diligentée à l’encontre d’une société membre d’un groupe fiscal intégré ouvre à la société mère de ce groupe le délai spécial de réclamation pour contester l’imposition afférente au résultat d’une autre société du groupe (CAA de Paris, 8 juillet 2016, n° 13PA04417 N° Lexbase : A0934RXU « Société BNP Paribas SA ») a, en tout état de cause, été censuré (CE 9° et 10° ch.-r., 28 janvier 2019, n° 403356, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3760YUS « Société BNP Paribas » : RJF, 2019, n° 337). Plus délicate est l’analyse de la décision du 28 décembre 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 389954 inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4908S38 : RJF, 2017, n° 245, concl. E. Cortot-Boucher n° 270). Cette affaire soulevait la question du délai dans lequel la société mère d’un groupe fiscal intégré peut déposer une déclaration rectificative de crédit d’impôt recherche à raison de dépenses de recherche supportées par ces filiales et demander le rembourser du supplément de crédit d’impôt correspondant. La société requérante se prévalait notamment sur le fondement de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales de propositions de rectification adressées à l’une des filiales ayant supporté les dépenses de recherche litigieuse. Par un premier arrêt, notre Cour avait rejeté cette demande comme irrecevable au motif que les « rectifications ainsi opérées ne concernent que l'impôt sur les sociétés et non le crédit d'impôt recherche et qu'au surplus, aucun des rappels n'est relatif à une dépense entrant dans la base de calcul de ce crédit d'impôt » (CAA de Versailles 3 mars 2015, 13VE01024 N° Lexbase : A5235NDA : RJF, 2015 n° 521). Ce motif a été censuré par le Conseil d’État qui a retenu que la société requérante avait fait l’objet d’un redressement au titre de l’exercice sur lequel portait la demande de remboursement de CIR et entrait donc dans le champ d’application du délai spécial de réclamation. L’apport de la décision concerne selon nous la condition d’identité d’impôt et consiste à admettre qu’une rectification d’impôt sur les sociétés permette de présenter une réclamation portant sur le crédit d’impôt recherche, lequel constitue un élément de liquidation de cet impôt. Le CE ne peut être regardé à nos yeux comme ayant censuré le motif présenté par la cour comme surabondant selon lequel le CIR litigieux concernait une société membre du groupe qui n’avait fait l’objet d’aucune procédure de rectification.
Enfin, la solution dégagée par le tribunal administratif de Montreuil a déjà été adoptée par notre cour (CAA de Versailles, 17 janvier 2012, n° 10VE04145. Dans cette affaire, la question était abordée par le biais de l’intérêt moratoire prévu par l’article L. 208 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L7618HEU) en cas de dégrèvement prononcé par l’administration à la suite du dépôt par le contribuable d’une réclamation régulière. Amenée à se prononcer sur cette régularité au regard du délai spécial de réclamation, notre cour a jugé qu’une société mère ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation que pour contester « les impositions primitives et supplémentaires découlant de l’activité d’une filiale, membre du groupe, qui a fait l’objet d’une procédure de reprise » et que « la circonstance que la société mère fasse elle-même l’objet d’une procédure de reprise, à raison de ses propres impositions, au titre d’une année, ne lui confère pas le droit de contester les impositions primitives assises sur les bénéfices de sa filiale lorsque cette dernière n’a pas fait elle-même l’objet d’une procédure de reprise, à raison de ses propres bénéfices, au titre de la même année ». Il nous semble que vous ne pourriez-vous démarquer de ce précédent, classé C+ et devenu définitif, qu’avec des motifs particulièrement solides, que pour notre part nous n’avons pas identifiés.
SI vous nous avez suivi au plan des principes applicables, vous devrez examiner la contestation subsidiaire de la société Vicat. Cette dernière se prévaut de sa qualité de société mère du groupe fiscal et de ce que la neutralisation de la quote-part de frais et charge doit être effectuée sur le résultat d’ensemble de l’intégration.
Il nous semble - même si ce n’est pas contesté - que la rectification de la société bénéficiaire des dividendes ouvre le délai spécial de réclamation, même si la neutralisation doit être effectuée au niveau du résultat d’ensemble. Il existe en effet un lien étroit entre le résultat de la société bénéficiaire des dividendes et la neutralisation de la quote-part de frais et charge afférente à ces dividendes, même si en vertu de l’article 223 B du Code général des impôts, la neutralisation doit être effectué au niveau du résultat d’ensemble et le résultat individuel des sociétés membres doit être déterminé selon les conditions de droit commun. De même, il nous semble que le délai spécial de réclamation peut être déclenché par une procédure de rectification portant sur les mécanismes de retraitement du résultat d’ensemble et diligentée à l’égard de la société mère. En effet, si le résultat d’ensemble est en principe la somme algébrique des résultats individuels des sociétés membres du groupe, un certain nombre de retraitement sont opérés sur le résultat d’ensemble pour tenir compte de l’existence de ce groupe, notamment la neutralisation de la quote-part de frais et charges. En revanche, il n’en va pas de même de la procédure de rectification diligentée à l’égard de la société mère à raison de son résultat individuel en tant que membre du groupe. En effet, il convient de distinguer parmi les procédures susceptibles d’être diligentées à l’égard de la société mère, celles relatives au résultat d’ensemble du groupe de celles relatives à son individuel (CE 3° et 8° ssr., 19 novembre 2008, n° 298728, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6883EDB « Min. c/ société Tipiak » : RJF 2009, n° 115, concl. F. Séners BDCF 2009 n° 17). Une solution contraire excèderait ce qui est nécessaire pour assurer l’égalité des armes entre le contribuable et l’administration, dans le cadre de l’intégration fiscale. Or, la procédure de rectification dont se prévaut la société Vicat concernait uniquement son résultat individuel et non le résultat d’ensemble.
Si vous nous avez suivi vous jugerez que la réclamation de la société était tardive et que par suite cette dernière n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande.
IlI. Venons-en à présent à la requête du ministre de l’action et des comptes publics contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société Accor tendant à la réduction de l’impôt sur les sociétés acquittée au titre de l’exercice 2008.
Le bien-fondé de la demande de neutralisation de la quote-part de frais et charges, qui dépend ainsi qu’il a été dit précédemment de la question de savoir si la filiale européenne distributrice des dividendes aurait rempli les conditions d’intégration fiscale si elle avait été résidente de France, n’est pas contesté par le ministre qui, dès le stade de la réclamation préalable, a fait droit aux demandes similaires de la société concernant les exercices postérieurs. Toutefois le ministre soutient que c’est à tort que les premiers juges ont admis la recevabilité de la réclamation présentée par la société Accor le 14 septembre 2015.
A titre liminaire, rappelons que pour admettre la recevabilité de cette réclamation, les premiers juges ont d’abord, estimé que la réclamation entrait bien dans le champ du délai spécial de réclamation, défini dans les termes examinés précédemment, après avoir constaté que la rectification et la réclamation concernaient les résultats de la même société, à savoir la société Accor en qualité de société membre du groupe pour son résultat individuel de l’exercice 2008. Ensuite, ils ont retenu comme point de départ de ce délai l’avis de mise e recouvrement notifié le 27 février 2014 et ont estimé qu’eu égard au délai de reprise de l’administration, la société disposait pour présenter sa réclamation d’un délai expirant au 31 décembre 2017, de sorte que la réclamation de la société en date du 14 septembre 2015 était bien recevable.
Le ministre ne conteste pas le premier temps du raisonnement des premiers juges, qui correspond à l’application des principes présentés précédemment et que nous vous invitons à valider. Sa critique porte uniquement sur le décompte. Le ministre fait valoir que le point de départ du délai correspond à la notification de la proposition de rectification et non à la notification de l’avis de mise en recouvrement et qu’en l’espèce, eu égard à la date de la proposition de rectification établie le 3 août 2011, le délai spécial de réclamation expirait au 31 décembre 2014 et la réclamation présentée postérieurement était tardive.
La position du ministre ainsi énoncée nous semble conforme aux principes généraux dégagés par la jurisprudence concernant l’application de l’article R. 196-3 du LPF. La décision de section de 1973 mentionnée précédemment a posé pour principe que le délai spécial de réclamation a, pour point de départ, la notification de la proposition de rectification et, pour durée, le délai de reprise dont dispose l’administration à la suite de cet acte de procédure, lequel, en vertu des articles L. 169 et L. 189 du Livre des procédures fiscales dans la rédaction applicable au présent litige, expire au 31 décembre de la troisième année suivant ce dernier (CE Section, 5 octobre 1973, n° 83169, publié au recueil Lebon, préc.). Si certaines décisions rendues en 1985-1986 ont au contraire fixé le point de départ du délai de réclamation à la notification de l’avis de mise en recouvrement des impositions supplémentaires (CE 27 février 1985, n° 47569 : RJF, 1985, n ° 640 ; CE 9° et 8° ssr., 14 mai 1986, n° 48291, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4225AMG : RJF, 1986, n° 733), il a été mis un terme à ces hésitations par la décision de plénière du 28 novembre 1986 de Bierre précitée. Par cette décision, confirmée par la suite (CE 9° et 8° ssr., 16 mai 1990 n° 68585, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5074AQY « Lussato » : RJF, 1990, n° 905 et CE 9° et 8° ssr., 11 mai 1994, n° 77689, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7973B7G : RJF, 1994, n° 831), le Conseil d’Etat a énoncé le principe selon lequel « un contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise dispose, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai égal à celui fixé à l'Administration pour établir l'impôt, lequel expire le 31 décembre de la quatrième année suivant celle au titre de laquelle les redressements ont été notifiés ».
La notification de l’avis de mise en recouvrement correspondant à la procédure de rectification est-elle susceptible de reporter ce point de départ ? La réponse à cette question nous semble devoir être négative. Certes, comme le fait valoir la société requérante, la notification de l’avis de mise en recouvrement n’est pas dépourvue de toute incidence sur la procédure de rectification et sur le droit de reprise. L’avis de mise en recouvrement est en effet l’acte par lequel l’administration, au terme de la procédure de contrôle et de rectification, authentifie sa créance sur le contribuable en vue d’en assurer le recouvrement. Pour paraphraser l’ancien article L. 275 du Livre des procédures fiscales la notification de l’AMR interrompt le délai de prescription de l’assiette de l’impôt prévu aux articles L. 169 et suivants du Livre des procédures fiscales et lui substitue le délai de recouvrement de l’impôt prévu à l’article L. 274 du Livre des procédures fiscales. Toutefois, s’agissant de l’application de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, le Conseil d’État refuse d’établir un strict parallélisme entre le délai spécial de réclamation du contribuable et le délai de reprise de l’administration, au-delà de la première proposition de rectification. En effet, selon l’affirmation du Conseil d’État dans les décisions précitées (CE 9° et 8° ssr., 16 mai 1990, n° 68585, inédit au recueil Lebon « Lussato » et CE 9° et 8° ssr., 11 mai 1994, n° 77689, inédit au recueil Lebon préc.), la circonstance que postérieurement à la première proposition de rectification le service a adressé de nouvelles propositions confirmatives ne saurait avoir pour effet de reporter le point de départ du délai de réclamation. Il n’en va autrement que dans l’hypothèse où ces nouvelles propositions de rectification ont pour effet de majorer le montant des rectifications. Ainsi, pour l’application de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, le Conseil d’État semble opérer une distinction entre, d’une part, l’exercice par l’administration du pouvoir de rectification, consistant à majorer l’assiette de l’imposition en vue d’établir une créance sur le contribuable et, d’autre part, la notification des actes par lesquels l’administration tente seulement de faire échapper cette créance à la prescription de son pouvoir de rectification. Seuls les actes relevant de la première catégorie sont susceptibles d’ouvrir le délai spécial de réclamation. En tant qu’acte relevant de la seconde catégorie, l’AMR est sans incidence sur le délai de réclamation. Autrement dit, la notification de l’AMR, conforme dans son montant à une précédente proposition de rectification, ne traduit pas l’exercice par l’administration de son pouvoir de rectification ou de reprise au sens et pour l’application de l’article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales.
Deux éléments peuvent toutefois vous faire hésiter à appliquer ces principes bien établis au présent litige.
Le premier est tiré des particularités de l’intégration fiscale et met en lumière les difficultés d’articuler le rôle de la société mère redevable de l’impôt global et titulaire du droit d’agir et celui des sociétés intégrées qui font l’objet des procédures de rectification. En effet, en vertu d’une jurisprudence classique, tant l’application du délai spécial de réclamation que son point de départ sont subordonnés à la notification au contribuable d’une proposition de rectification interruptive de la prescription et un contribuable ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation lorsque la proposition de rectification notifiée par le service n’a pas interrompu le délai de prescription (CE Contentieux, 16 mai 1990, n° 54135 N° Lexbase : A5046AQX et CE Contentieux, 21 juillet 1995, n° 129227 préc.). Eu égard à cette jurisprudence vous pourriez hésiter à fixer comme point de départ du délai opposable à la société mère la proposition de rectification notifiée à la seule société intégrée. Toutefois, cette première difficulté doit être surmontée eu égard à la décision « Eurl Pub Finance » précitée selon laquelle les propositions de rectification notifiées aux sociétés intégrées interrompent la prescription à l’égard de la société mère intégrante (CE 9° et 10° ssr., 13 décembre 2013, n° 338133, mentionné aux tables du recueil Lebon « EURL Pub Finance », préc.).
Le second motif d’hésitation est tiré de ce que la solution adoptée par les premiers juges constitue la reprise exacte des termes de la décision récente du 12 juillet 2017 (CE 8° et 3° ch.-r., 12 juillet 2017, n° 400834, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0194WNI « Ministre contre SA MMA Vie Assurances Mutuelles » (RJF, 2017, n° 1022, concl. B. Bohnert, c 1022). Par cette décision, le Conseil d’État, après avoir constaté que cette société, redevable de l’IS, avait fait l’objet d’une proposition de rectification, en a déduit que le délai dont elle disposait pour contester l’imposition primitive mise à sa charge « courait jusqu’à l’expiration du délai de reprise de l’administration, lequel avait été interrompu par la proposition de rectification puis par la notification de l’avis de mise en recouvrement ». Reportant le point de départ du délai spécial de réclamation à la notification de l’avis de mise en recouvrement, le Conseil d’État a donc écarté la fin de non-recevoir opposée par le ministre et a confirmé la solution de décharge des impositions prononcée par notre cour (CAA de Versailles 21 avril 2016, 13VE02931, « MMA Vie Assurances mutuelles » N° Lexbase : A2558RLC). Toutefois, nous ne vous proposons pas de reprendre cette solution qui d’une part semble difficile à articuler avec la jurisprudence du Conseil d’État indiquée précédemment sans avoir fait l’objet d’aucun classement par le Conseil d’État, et d’autre part, ne concerne pas une intégration fiscale. Nous vous invitons donc à faire application de la jurisprudence classique du Conseil d’État qui fixe le point de départ du délai spécial de réclamation à la notification de la proposition de rectification et écarte comme sans incidence les actes de procédure postérieurs dont le seul objet est de faire obstacle à la prescription du délai de reprise de l’administration, sans majoration des rectifications.
Si vous nous avez suivi, vous direz donc que le point de départ du délai spécial de réclamation est la notification de la proposition de rectification d’août 2011 et que la réclamation présentée par la société en septembre 2015 était tardive et donc irrecevable, contrairement à ce qu’ont estimé à tort les premiers juges.
Statuant dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, vous examinerez les autres moyens soulevés par la société à l’encontre de la fin de non-recevoir opposée par le service et fondée à titre principale sur la tardiveté de la réclamation au regard du délai général de réclamation prévu à l’article R. 196-1 du LPF, qui doit faire l’objet d’un examen prioritaire pour apprécier la recevabilité d’une réclamation (CE 3° et 8° ssr., 5 juillet 2010 n° 310945, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1327E4W « Min. c/ SNC Serater » : RJF, 2010, n° 1102)
Sur ce point, la société fait valoir qu’en vertu de l’article R. 196-1 Livre des procédures fiscales le délai général de réclamation à l’encontre des impositions supplémentaires 2008 mises en recouvrement par l’avis du 27 février 2014 expirait au 31 décembre de la deuxième année suivant cette date, à savoir le 31 décembre 2016. Elle se prévaut, en outre, de la compensation prévue à l’article L. 205 Livre des procédures fiscales entre les impositions supplémentaires mises à sa charge et les impositions primitives ne comportant pas de neutralisation de la quote-part de frais et charge afférente aux dividendes versés par des sociétés européennes, en méconnaissance du droit de l’Union.
Toutefois, vous constaterez que la réclamation de la société portait non sur les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l’exercice 2008, mais sur les impositions primitives, ainsi que le confirme d’ailleurs la circonstance qu’elle a joint à cette dernière la liasse fiscale 2008 déposée en 2009 et non l’avis de mise en recouvrement des impositions supplémentaires. Si, en application des dispositions précitées des articles L. 203 et L. 205 du Livre des procédures fiscales, un contribuable peut à tout moment de la procédure, y compris devant les juges du fond, demander à bénéficier d'une compensation, et ce alors même que le délai de réclamation serait expiré, ce n'est que dans la limite de l'imposition qu'il a régulièrement contestée (CE Contentieux, 11 juillet 2011 n° 301849, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0224HW9 « Sté Crédit Lyonnais » : RJF, 2011, n° 1111). En l’espèce, la société Accor n’a pas régulièrement contesté les impositions supplémentaires établies par l’avis de mise en recouvrement. Elle n’est pas donc pas fondée à invoquer la compensation entre ces impositions supplémentaires et les impositions primitives contraires au droit de l’Union.
Dans ces conditions vous jugerez que la réclamation de la société était tardive et que c’est à tort que les premiers juges, après avoir admis la recevabilité de cette dernière ont prononcé la décharge des impositions litigieuses.
Par ces moyens nous concluons, sous le n° 18VE00849, au rejet de la requête de la société Vicat en toutes ses conclusions et, sous le n° 18VE01276, à l’annulation des articles 1er et 3 du jugement attaqué, au rétablissement des impositions dont le tribunal a prononcé la décharge et au rejet des conclusions présentées par la société Accor devant les premiers juges ainsi que de ses conclusions présentées en appel et tendant à l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4970573, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "L761-1", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L3227AL4"}}).
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