Lexbase Fiscal n°853 du 4 février 2021 : Fiscalité internationale

[Le point sur...] L’intégration fiscale et son évolution à l’aune du droit européen

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[Le point sur...] L’intégration fiscale et son évolution à l’aune du droit européen. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64862550-lepointsurlintegrationfiscaleetsonevolutionalaunedudroiteuropeen
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par Clément Thomas, Doctorant en fiscalité internationale et européenne a l’université Aix - Marseille et consultant en fiscalité

le 02 Février 2021

Cet article a pour ambition de mettre en perspective les récentes modifications apportées par la loi de finance n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, de finances pour 2019, article 32 (N° Lexbase : L6297LNK), notamment au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE).

L’article 32 de la loi a essentiellement pour objet de tirer les conséquences de jurisprudences récentes de la CJUE, qui ont jugé incompatibles avec le droit de l’Union européenne certaines législations nationales réservant des avantages aux régimes de groupes nationaux au motif que ces avantages ne concernaient que des sociétés résidentes. À cette occasion et sans doute avec le souci d’anticiper de nouvelles jurisprudences, d’autres modifications sont apportées au régime français d’intégration fiscale : certaines neutralisations sont supprimées et des assouplissements sont apportés à raison de certaines opérations de restructuration.        

Ces mesures s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, à l’exception de certains des assouplissements apportés aux conséquences des restructurations intragroupes, qui s’appliquent aux exercices clos à compter du 31 décembre 2018, afin de prendre en compte les effets du Brexit.

Afin de mettre en lumière les nouveautés apportées par la loi de finance, notamment quant au droit de l’Union européenne (II), il convient dans un premier temps de faire un rappel de la portée jurisprudentielle notamment en matière de consolidation du résultat fiscal (I).

I - Un encadrement par la Cour de justice

L’objet de cet article n’est pas de faire une étude détaillée de la jurisprudence européenne, mais d’exposer la portée des dernières décisions rendues par la Cour de justice en la matière. Rappelons tout d’abord que cette dernière (CJUE) s’est dans un premier temps attachée à ce que les entreprises taxables en France appartenant à un même groupe puissent être fiscalement intégrées sans aucune prise en considération de leurs modalités de détention. C’est la jurisprudence «Papillon» [1]. Ainsi, le fait qu’une filiale française ne soit détenue qu’indirectement, à plus de 95 %, par une mère française par l’intermédiaire d’une société résidente d’un autre État membre de l’Union européenne ne pouvait l’empêcher de faire partie du groupe.          

Un nouveau pas a été franchi quelques années plus tard lorsque la Cour de Justice a accepté la mise en place de groupe horizontalement intégré et non plus seulement verticalement intégré [2]. Dans ces conditions, la Cour de justice considère qu’au regard de l’objectif du régime de consolidation fiscale en cause, qui est «d’assimiler le plus possible à une entreprise […] le groupe constitué par une société mère avec ses filiales et sous filiales en permettant de consolider les résultats de chaque société» [3], la consolidation des résultats des sociétés membres du groupe établi dans l’État membre qui prévoit ce régime ne doit pas dépendre de la structure de détention. Cela est donc en harmonie avec le principe général de liberté d’établissement.           

Le législateur français face à cela, a du faire preuve d’une profonde adaptation en instaurant tout d’abord un régime d’intégration fiscale par filiale européenne intermédiaire (groupe dit «Papillon») puis une intégration fiscale horizontale sans néanmoins distinguer ces deux régimes. Cela a eu pour effet direct de complexifier la compréhension du régime de l’intégration fiscale.           

De même les décisions de la Cour de justice ont eu pour conséquence de construire progressivement une approche «par élément». Cela consiste à analyser séparément les avantages fiscaux accordés par le régime de la consolidation fiscale pour ensuite apprécier la nature exacte de ces avantages et voir ainsi s’ils sont strictement consubstantiels au mécanisme de la consolidation. Etonnement, cette vision est antinomique à celle de l’intégration fiscale consistant à récolter l’entièreté des avantages et des inconvénients potentiels et de les prendre en considération pour déterminer s’ils entrainent une différence de traitement au détriment des groupes transfrontaliers. Cette approche par «élément» été mise en évidence pour la première fois dans la décision «Group Steria SCA» [4]. Selon les juges européens, il ne saurait être déduit de l’arrêt X holding que «toute différence de traitement entre des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré, d’une part, et des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe, d’autre part, est compatible avec la liberté d’établissement» [5].           

Si cette décision laisse penser que le régime de consolidation fiscale est constitutif d’une entrave à la liberté d’établissement en ce sens qu’il n’autorise pas la consolidation des résultats des sociétés étrangères se pose la question de savoir si cette entrave peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En d’autres termes, la Cour de justice peut-elle faire de ce régime une exception ? La Cour de justice se montre très stricte à cet égard. Certaines décisions peuvent en témoigner notamment les affaires «Steria et AFEP» [6] où ni la nécessité de sauvegarder la répartition du pouvoir d’imposer entre États membres ni celle de préserver la cohérence du système fiscal de l’État en cause n’a été retenue. Ce paysage jurisprudentiel a ainsi laissé le législateur français dans une profonde difficulté. C’est ainsi que des évolutions ont été nécessaires notamment au regard du droit de l’Union européenne.

II - Les nécessaires évolutions quant au droit de l’Union européenne

           

Sans qu’il soit nécessaire de faire une étude précise des nouvelles mesures issues de la loi de finance pour 2019, il convient toutefois d’évoquer les mesures qui ne pouvant faire l’objet d’une contestation.           

Tout d’abord, le nouveau régime des distributions intragroupe ne bénéficie pas du régime mère-fille [7]. Les distributions versées par une société intégrée à une autre société intégrée sont tables à hauteur de 1 % de leur montant comme les distributions versées par une société européenne intégrable à la même société intégrée. Il en résulte que le législateur supprime les justifications spécifiques exigées des groupes «Papillon» ou «horizontaux» dont le seul objet était d’assurer une traçabilité entre les distributions perçues de la société étrangère et en amont, une distribution effectuée par une société intégrée pouvant être neutralisée en application de l’ancien article 223 B, al, 2 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9036LNY).           

Cette règle s’applique également aux dividendes perçus par une société non-membre d’un groupe intégré à condition que la société distributrice étrangère soit intégrable et que la société mère ne soit pas non intégrée parce qu’elle n’a pas donné son accord pour être membre d’un groupe ou que sa mère française n’a pas exercé l’option pour constituer un groupe intégré alors que les conditions pour constituer un tel groupe étaient remplies.           

Ensuite, le passage d’un groupe vertical à un groupe horizontal, avec le maintien de la même mère, n’entrainera plus la cession du régime de groupe [8].           

Par ailleurs, l’absence de décentralisation, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, des plus-values de cession de titres de participation entre sociétés membres d’un même groupe intégré [9].           

En ce qui concerne le nouveau régime applicable aux charges financières issus de l’article 34 de la loi de finance pour 2019, il tient compte de la facturé offerte par la Directive n° 2016/1164/UE du 12 juillet, sur la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale dite «ATAD» (N° Lexbase : L3612K9N), d’assimiler le groupe intégré à un seul et même contribuable. Le nouveau régime semble, a priori, compatible avec le droit de l’Union européenne.           

Enfin concernant les abandons de créances et les subventions entre sociétés intégrées [10], pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, les subventions (directes ou non) et abandons de créances consentis entre sociétés fiscalement intégrées ne seront plus neutralisées pour la plupart, car elles ont généralement un caractère financier au sens de l’article 39, 13 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3894IAH).           

Reste la question de savoir comment cela se matérialisera en pratique.

Affaire à suivre….

 

[1] CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Sté Papillon (N° Lexbase : A4435EBU).

[2] CJUE, 12 juin 2014, C-39/13, SCA group holding BV, C-40/13, X AG et C-41/13, MSA international holdings BV (N° Lexbase : A2810MRI).

[3] Arrêt Papillon précité.

[4] CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Steria (N° Lexbase : A3750NN9).

[5] Point 27 de l’arrêt.

[6] CJUE, 17 mai 2017, aff. C-365/16, AFEP (N° Lexbase : A9846WCN).

[7] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, de finances pour 2019, art. 32, I, 3e.

[8] Article 32-I-10e de la loi de finances pour 2019.

[9] Article 32, I, 5e de la loi de finance pour 2019.

[10] Article 32-I-3e-d de la loi de finances pour 2019.

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