Le Quotidien du 11 janvier 2021 : Droits fondamentaux

[Brèves] Suspension du film « Grâce à Dieu » : la Cour de cassation précise l’office du juge et rejette la demande

Réf. : Cass. civ. 1, 6 janvier 2021, n° 19-21.718, FS-P+I (N° Lexbase : A56154BL)

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par Adélaïde Léon

le 11 Janvier 2021

► L’atteinte à la présomption d’innocence est constituée lorsque l’expression litigieuse est exprimée publiquement et contient des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d’une personne pouvant être identifiée relativement à des faits qui font l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, ou d’une condamnation pénale non encore irrévocable ; le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur, il appartenait au juge de les mettre en balance afin de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime ;

C’est à bon droit que la cour d’appel, qui a procédé à la mise en balance des intérêts en cause, en notant que le film participait au débat d’intérêt général sur la liberté de la parole des victimes de pédophilie au sein de l’ Église catholique, a apprécié l’impact du contenu du film et des avertissements y figurant sur la procédure pénale et considéré que la culpabilité de l’intéressé n’y est pas tenue pour acquise avant qu’il soit jugé, juge que la suspension de la diffusion du film litigieux, jusqu’à ce qu’une décision définitive sur la culpabilité soit rendue, constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu.

Rappel des faits. Le 26 janvier 2016, un individu est mis en examen du chef d’atteintes sexuelles sur des mineurs qui auraient été commises entre 1986 et 1991 alors qu’il était prêtre dans le diocèse de Lyon. Il est également entendu en qualité de témoin assisté concernant de viols qui auraient été commis au cours de la même période.

Le 31 janvier 2019, l’intéressé assigne trois sociétés de production en référé aux fins, notamment, de voir ordonner, sous astreinte, la suspension de la diffusion du film « Grâce à Dieu », prévue le 20 février 2019 jusqu’à l’intervention d’une décision de justice définitive sur sa culpabilité.

En cause d’appel. La cour d’appel rejette le recours de l’intéressé. Elle retient que le film ne constitue pas un documentaire sur le procès à venir mais retrace le parcours de personnes se disant victimes d’actes infligés par le prêtre en cause et la création d’une association rassemblant des victimes de faits similaires. Par ailleurs, les juges notent que cette œuvre s’inscrit dans une actualité portant sur la dénonciation de tels faits au sein de l’Église catholique et participe à un débat d’intérêt général autour de la libération de la parole. La cour d’appel précise que le film débute et s’achève par des cartons précisant qu’il s’agit d’une fiction inspirée de faits réels et que l’intéressé bénéficie de la présomption d’innocence. Les juges d’appel notent que la sortie du film à la date prévue n’est pas de nature à porter une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la sérénité des débats dès lors qu’elle ne coïncide précisément pas avec ces débats. Enfin, il est souligné que la suspension de la sortie du film jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale pourrait reporter cette sortie à plusieurs années de telle sorte qu’il en résulterait une atteinte grande et disproportionnée à la liberté d’expression.

La cour d’appel conclut que la suspension de la diffusion du film litigieux jusqu’à ce qu’une décision définitive sur sa culpabilité soit rendue constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu.

Le mis en examen a formé un pourvoi.

Moyens du pourvoi. Il est fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté la demande de suspension de diffusion du film. Selon le demandeur, une telle suspension temporaire n’aurait pas été disproportionnée et n’aurait pas paralysé le débat d’intérêt général auquel le film contribuait. L’intéressé relève que la cour d’appel a elle-même noté que, dans l’œuvre litigieuse, la réalité des faits imputés était présentée comme certaine, et la culpabilité de l’intéressé présentée comme incontestable, portant nécessairement atteinte à la présomption d’innocence. Il souligne que l’impact des cartons est minime au regard de celui du film dans son entier. Il est souligné que le caractère fictionnel du film n’en réduit pas l’atteinte susceptible d’être portée au droit à la présomption d’innocence.

Pour le demandeur, il résulterait nécessairement de cette « démonstration publique » de culpabilité une atteinte à l’exigence d’impartialité du juge. La seule circonstance que la sortie n’ait pas lieu en même temps que les débats judiciaires est indifférente dès lors que demeure la possibilité, pour tous, de télécharger ou d’acquérir une copie du film pendant le procès.

Décision de la Cour. La première chambre civile rejette le pourvoi au visa des articles 6 (procès équitable et présomption d’innocence) (N° Lexbase : L7558AIR) et 10 (liberté d’expression) (N° Lexbase : L4743AQQ) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et de l’article 9-1 du Code civil (référé) (N° Lexbase : L3305ABZ).

La Cour rappelle qu’en vertu d’un arrêt du 10 avril 2013 (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 11-28.406, F-P+B+I N° Lexbase : A9955KBC) l’atteinte à la présomption d’innocence est constituée lorsque l’expression litigieuse est exprimée publiquement et contient des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d’une personne pouvant être identifiée relativement à des faits qui font l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, ou d’une condamnation pénale non encore irrévocable.

Selon la Cour, le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur, il appartenait à la cour d’appel de les mettre en balance afin de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 29 mars 2016, Req. 56925/08, Bédat c/ Suisse [GC] N° Lexbase : A3892RAE), la première chambre civile précise que, dans cette appréciation, doivent être prises en considération la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée.

La Haute juridiction rappelle que les juges d’appel ont apprécié l’impact du film et des avertissements au regard de la procédure pénale en cours, ont constaté que celui-ci participait à un débat d’intérêt général et n’ont pas retenu que la culpabilité de l’intéressé avait été tenue pour acquise avant qu’il soit jugé.

Selon la Cour, la juridiction d’appel a justement procédé à la mise en balance qu’appelait ce litige et c’est à bon droit que la cour d’appel a considéré que la suspension de la diffusion du film litigieux, jusqu’à ce qu’une décision définitive sur la culpabilité soit rendue, constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu.

Pour aller plus loin : v. J. Perot, N. Catelan, J. Pasieczny, La séance est ouverte #2 :  « Grâce à Dieu » de François Ozon, un podcast Lexradio [à écouter ici].

 

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