Réf. : CAA de Nantes, 26 novembre 2020, n° 19NT01998 (N° Lexbase : A407338D)
Lecture: 9 min
N5985BYC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 07 Janvier 2021
Dans le cadre de la vente d’un château bénéficiant au titre de la plus-value dégagée de l’exonération réservée à la résidence principale, la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que le parc de 81 hectares cédé dans le même acte ne constituait pas une dépendance immédiate et nécessaire.
Dans la présente affaire, une propriété est cédée en 2014 ; l’acte de vente ne ventile pas entre les biens bâtis et les biens non bâtis. Ces derniers sont constitués par un parc boisé d’environ 81 hectares ne constituant pas une dépendance immédiate et nécessaire de l’habitation principale. Le calcul de la valeur des bois et taillis de châtaigniers par l’administration étant jugé erroné par les cédants, ceux-ci le conteste devant le juge de l’impôt. Nonobstant les différents éléments par eux produits, la cour administrative d’appel de Nantes rejette leur demande. L’administration a, selon le juge, procédé à une évaluation correcte des biens en présence en produisant notamment un article de la revue « La France agricole » du 17 mars 2005 ». Il est donc ardemment conseillé aux propriétaires envisageant de vendre leur domaine de s’abonner à ladite revue ; elle semble faire office d’argument déterminant quand vient le moment juridictionnel de cogiter sur le fardeau probatoire supporté par le contribuable. Certes, le juge se prononce également sur le fondement de l’estimation réalisée par la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de Maine Océan. Reste qu’il apparaît ardu pour les contribuables de contredire avec succès, au regard des éléments produits par les requérants, les prétentions de l’administration fiscale.
Les contribuables vendent une propriété à la SAFER Maine Océan pour un prix de 1 570000 euros. Cette propriété est composée d’un château avec dépendances ainsi qu’un parc de 93 hectares 10 ares et 32 centiares. L’acte authentique, en date du 1er octobre 2014, dispose que le prix de vente est décomposé en 1 472600 euros pour le bien immobilier (sans opérer de distinction entre biens bâtis et biens non bâtis) et en 97400 euros pour les biens mobiliers. Estimant que la plus-value immobilière par eux réalisée est exonérée sur le fondement de l’article 150 U (1er du II) du CGI (N° Lexbase : L6173LU8), les contribuables n’opèrent aucune déclaration. L’administration estime cependant que l’exonération ne s’applique pas à la totalité du prix de vente. Une mise en demeure leur est adressée aux fins qu’ils déposent une déclaration de plus-value immobilière, ce qu’ils ne font pas. Les contribuables sont alors imposés, selon la procédure de taxation d’office (LPF, art. L. 66, 1° N° Lexbase : L9380LHU), à des cotisations d’IR et de contributions sociales. In fine, l’administration exonère seulement qu’une partie du parc (11 hectares 17 ares 92 centiares).
Quid de la notion de dépendances immédiates et nécessaires ? Il s’agit d’une question de fait appelant à un examen des circonstances particulières de chaque affaire. Les dépendances immédiates et nécessaires doivent former un tout indissociable avec la résidence principale, et être cédées en même temps. La vente auprès d’acquéreurs distincts n’empêche pas que survienne une exonération ; encore faut-il, en cas de cession simultanée, que les cessions interviennent dans un délai normal. D’exonération de l’impôt sur la plus-value il n’y a pas lorsqu’un critère fait défaut : celui de l’immédiateté de la dépendance. Tel est le cas – c’est l’hypothèse la plus fréquente – en présence d’une parcelle de terrain qui est séparée physiquement de la résidence principale ; en général, cette parcelle est pourvue d’un accès indépendant.
Les contribuables saisissent le tribunal administratif de Nantes pour que soit prononcée la décharge, ou subsidiairement, la réduction des droits et pénalités en question. Leur demande est rejetée. Appel est interjeté devant la cour administrative d’appel de Nantes qui opère, de prime abord, lecture de l'article 150 U du code général des impôts : sous réserve du régime propre aux BIC, aux BA, aux BNC, les plus-values réalisées par les personnes physiques sont passibles – lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens – de l’IR dans les conditions prévues aux articles 150 V (N° Lexbase : L1883HN3) à 150 VH (N° Lexbase : L0458IHG). De telles dispositions ne reçoivent pas application : en présence d’immeubles constituant la résidence principale du cédant au jour de la cession … au titre de la première cession d'un logement, y compris ses dépendances immédiates et nécessaires si leur cession est simultanée à celle dudit logement … aux biens constituant les dépendances immédiates et nécessaires des biens faisant office de résidence principale. Quant à la plus-value brute réalisée lors de la cession de biens, elle est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition par le cédant.
Ainsi qu’évoqué en amont, les contribuables n’ont pas ventilé le prix entre biens bâtis et biens non bâtis dans l’acte de vente de 2014. La question centrale était d’évaluer le prix du parc boisé de 81 hectares ne constituant pas une dépendance immédiate et nécessaire de l’habitation principale. Pour ce faire, l’administration se fonde sur une expertise réalisée – avant l’acte de vente – par la SAFER Maine Océan ; cette dernière agit alors dans le cadre des missions qu’elle est susceptible de réaliser sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code rural et de la pêche maritime ([LXB=]). Au regard de cette estimation, l’administration retient une valeur des bois et taillis de châtaigniers de 8523, 97 euros par hectare ; puis, elle applique un coefficient entre le prix convenu entre et l’acquéreur et l’évaluation de la SAFER.
C’est précisément ce que contestent les requérants pour qui la valeur retenue par l’administration est erronée. Il leur revient de supporter le fardeau probatoire. En vertu de l’article 193 du LPF (N° Lexbase : L8356AE9), dans l’hypothèse où une imposition est établie d’office, la charge de la preuve échoit au contribuable demandeur de la décharge ou d’une réduction d’impôt. Dans le cas présent, les impositions objet du présent litige ont effectivement été établies selon la procédure de taxation visée à l’article L. 66 (1°) du LPF. Les requérants arguent du caractère exagéré des impositions ; il leur revient en conséquence d’apporter la preuve que de telles impositions présent en effet une dimension exagérée.
Selon eux, la valeur des bois et taillis de châtaigniers ne peut pas être supérieure à celle d’une peupleraie dont la valeur sylvicole est d’environ de 1894 euros par hectare. Les requérants produisent un acte de vente rectificatif (2015), signé notamment par le représentant de la SAFER, dont l’objet est de préciser le prix de vente ; celui-ci est de 1 247000 euros pour les biens bâtis et de 225 600 pour les biens non bâtis. Le prix de 1894,22 euros par hectare est retenu pour les taillis de châtaigniers. Les requérants produisent en outre un document de la SAFER (2018) indiquant qu’elle ne retient pas de « valeur spécifique concernant la vente de taillis de châtaigniers ». De plus, ils rapportent au dossier un courriel d’un notaire (2015) qui mentionne - s’agissant de la vente d’un bien situé dans la même commune – une valeur de 3000 euros par hectare pour des taillis et une valeur de 5000 euros pour une parcelle forestière de qualité ; le notaire souligne par ailleurs la nécessité de l’estimation, par un expert forestier, de la valeur du bois.
Aux yeux de la cour administrative d’appel de Nantes, ces différents éléments « au vue de leur contenu ne suffisent pas à établir que la valeur retenue par l’administration serait erronée ». Pourquoi ? Parce que l’administration produit un article de la revue « La France agricole » en date du 17 mars 2005 énonçant que les taillis de châtaigniers ont une valeur sylvicole supérieure au simple bois de chauffage. Quant à l’évaluation des châtaigniers par la SAFER, elle ne porte pas seulement – estime le juge – sur les taillis mais également sur les bois ; or, l’évaluation d’une parcelle de bois et taillis dépend notamment de leur densité, de leur âge, de leur forme, de leur circonférence et de leur hauteur. À l’aune de ces différents éléments, le moyen des requérants – tirés de ce que le montant du prix de cession de leur propriété immobilière retenu par l’administration serait erroné – est écarté. Ils ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif de Nantes a, à mauvais droit, rejeté leur demande relative au calcul des plus-values de la cession de leur bien immobilier.
La commune où résident les requérants se situe dans la Sarthe, département ayant joliment pris le nom d’un cours d’eau. Les forêts de Sarthe sont composées majoritairement de chênes, de peupliers et de châtaigniers. Il n’existe pas de méthode officielle pour évaluer la valeur d’un arbre. En vertu de quel raisonnement juridique les données fournies par une revue – aussi sérieuse soit-elle – ont elles force probatoire déterminante ? Pourquoi ne pas retenir, par exemple, les données fournies par une autre revue estimant que les prix moyens du marché forestier sont d’environ 4000 euros par hectare ? Il n’y a rien à redire au fait que le juge souligne l’importance de la densité, l’âge, la forme, la circonférence, la hauteur d’une parcelle de bois et de taillis. Encore faudrait-il que survienne une analyse – réalisée aux frais de l’administration puisqu’elle conteste la valeur proposée par les requérants - émanant de professionnels certifiés. Le rejet des prétentions des contribuables apparaît – à l’aune des éléments retenus par le juge – peu pertinente.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475985