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N1731BTB
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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)
le 10 Mai 2012
A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1 - Notion de "disposition législative"
Le contrôle a posteriori souligne régulièrement son intérêt en complément du contrôle préventif. En témoigne la décision du 3 février 2012 (Cons. const., décision n° 2011-218 QPC, du 3 février 2012 N° Lexbase : A6685IB9), par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré une disposition très récente qu'il n'avait pas examiné deux mois auparavant lors du contrôle a priori du texte qui la contient.
Au cours de la période considérée, le Conseil constitutionnel s'est plusieurs fois penché sur des dispositions législatives anciennes, passant au crible de la Constitution des institutions juridiques parfois séculaires, comme les règles de confiscation de marchandises saisies en douane qui trouvent leur origine dans les articles 1er et 5 du titre XII de la loi de l'Assemblée nationale constituante des 6 et 22 août 1791 (Cons. const., décision n° 2011-218 QPC, du 3 février 2012 N° Lexbase : A6685IB9), les règles de révocation des fonctions de maire qui remontent à la loi du 21 mars 1831, sur l'organisation municipale (Cons. const., décision n° 2011-210 QPC, du 13 janvier 2012 N° Lexbase : A1027IAB), l'action en réintégration d'actif qui prend racine dans le droit romain et qui a été recueillie dans le Code de commerce de 1807 (Cons. const., décision n° 2011-212 QPC, du 20 janvier 2012 N° Lexbase : A8706IAP), ou encore la possibilité de sanctionner pénalement la présence irrégulière d'un étranger sur le territoire national, ce qui est une constante depuis la IIIème République (Cons. const., décision n° 2011-217 QPC du 3 février 2012 N° Lexbase : A6684IB8).
On s'arrêtera sur la décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012 (Cons. const., décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012 N° Lexbase : A3098ICQ). Celle-ci prononce un non-lieu à statuer justifié par deux motifs complémentaires, l'un permettant de souligner à quel moment une disposition devient une disposition législative susceptible de faire l'objet d'une QPC, l'autre à quel moment celle-ci peut cesser de l'être.
Certaines dispositions contestées dans cette affaire n'avaient pas le caractère de dispositions législatives, tout du moins au moment du litige à l'occasion duquel la QPC a été posée. En effet, la QPC avait été en partie dirigée contre les dispositions d'une ordonnance non ratifiée au jour du prononcé de la décision du Conseil constitutionnel. Or, il est de jurisprudence constante que, tant qu'elle n'a pas été ratifiée, une ordonnance a le caractère d'un acte réglementaire (CE 9° et 10° s-s-r., 8 décembre 2000, n° 199072, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1489AIY, T. confl., 19 mars 2007, n° 3622 N° Lexbase : A7097DUE). De telles dispositions ne constituent donc pas des "dispositions législatives" au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), seules normes objet du contrôle effectué par le Conseil constitutionnel. Celui-ci ne pouvait que se déclarer incompétent (voir, déjà, Cons. const., décision n° 2011-152 QPC du 22 juillet 2011 N° Lexbase : A0628HW8, CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 341658, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1901G9B), l'appréciation de la conformité à la Constitution des dispositions réglementaires relevant de la compétence du juge du décret par le biais de l'exception d'illégalité.
La limpidité de cette distribution n'est pourtant pas totale en raison de ses incidences éventuelles. Se pose, notamment, la question de la faculté du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation de "redresser" dans leur champ de compétence de droit commun le "débat QPC" porté contre une ordonnance non ratifiée... Le problème n'est pas que technique, tant il s'agit d'évaluer la possibilité de translation du débat de constitutionnalité.
Quoi qu'il en soit, dans l'affaire n° 2011-219 QPC du 10 février 2012, le Conseil a rejeté la solution qui semble avoir été celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, et qui consistait à considérer que les dispositions en cause avaient seulement été codifiées par l'ordonnance. Il faut dire que les dispositions concernées étaient trompeusement précédées d'une "L." sous leur forme codifiée, ce qui ne fait qu'illustrer les complexités et autres chausse-trappes générées par les ordonnances de codification. Gare aux apparences !
2 - Statut de l'interprétation et de l'application de la loi
Au cours de la période étudiée, le Conseil constitutionnel a examiné, à plusieurs reprises, la disposition dont il était saisi telle qu'interprétée par la jurisprudence des juridictions ordinaires, que ce soit celle du Conseil d'Etat (Cons. const., décision n° 2011-210 QPC du 13 janvier 2012 N° Lexbase : A1027IAB), ou celle de la Cour de cassation (Cons. const., décision n° 2011-216 QPC du 3 février 2012 N° Lexbase : A6683IB7). La doctrine du droit vivant "à la française" trouve, ainsi, de nouvelles manifestations, désormais banalisées, quoique employées selon des modalités ou des degrés variables.
C'est ainsi qu'à été reprise l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation sur la nature et l'étendue du pouvoir conféré aux agents des douanes (Cons. const., décision n° 2011-214 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4118IB7), qu'est prise en compte la mise en oeuvre concrète du dispositif examiné (Cons. const., décision n° 2011-213 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4117IB4), ou que la disposition contestée est examinée selon la qualification que le juge retient de la mesure organisée (Cons. const., décision n° 2011-218 QPC du 3 février 2012 N° Lexbase : A6685IB9).
3 - Dispositions n'ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution
N'est pas considéré comme ayant été "spécialement examiné" dans une précédente décision du Conseil constitutionnel un article qui n'a été mentionné dans les motifs que par voie de conséquence des déclarations de non-conformité auxquelles le Conseil procédait par ailleurs, sans examiner le contenu des dispositions critiquées par le requérant. Le Conseil confirme, ainsi, la lecture cumulative des critères prévus au 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3) (1) afin d'apprécier si son précédent examen vaut bien pour la disposition contestée en QPC (Cons. const., décision n° 2011-210 QPC du 13 janvier 2012 N° Lexbase : A1027IAB, confirmant l'arrêt de renvoi du Conseil d'Etat, CE 9° et 10° s-s-r., 24 octobre 2011, n° 348771, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8467HYA).
Pour renvoyer la question hyper-médiatique relative au dispositif des parrainages des candidats à l'élection présidentielle, édictées en 1976 et validées à l'époque par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat a admis un changement des circonstances, à la fois de droit et de fait. Il a considéré que les changements ayant affecté la vie politique et l'organisation institutionnelle du pays depuis cette date justifient que la conformité à la Constitution de l'exigence de publicité des parrainages soit à nouveau examinée (CE 2° et 7° s-s-r., 2 février 2012, n° 355137, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6657IB8). Cette appréciation n'a été que partiellement confirmée par le Conseil constitutionnel, qui n'a pas retenu l'existence d'un changement dans les circonstances de fait (Cons. const., décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012 N° Lexbase : A0369IDZ). La reconnaissance, dans cette décision du Conseil constitutionnel, d'un changement de circonstances de droit est de nature à inciter le juge de renvoi à moins de timidité en la matière.
4 - Applicabilité d'une disposition législative au litige
De façon implicite, et assez énigmatique, la Cour de cassation semble prendre en considération le caractère "résiduel" de l'applicabilité d'une disposition législative pour appuyer la justification du non renvoi d'une QPC portée à son encontre (Cass. QPC, 5 janvier 2012, n° 11-40.084, F-D N° Lexbase : A0301H9Z). Cette nuance, si tant est qu'elle ait un sens, ne repose sur aucun fondement précis.
Une disposition non entrée en vigueur ne saurait porter atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne peut, par suite, faire l'objet d'une QPC. Il en est ainsi d'une disposition abrogée faute de l'intervention des dispositions réglementaires auxquelles son application était subordonnée (Cons. const., décision n° 2011-219 QPC du 10 février 2012 N° Lexbase : A3098ICQ). Il en va de l'effet utile de la procédure. Au cas précis, on peut considérer qu'un tel contrôle, qui porte davantage sur l'existence d'un effet juridique de la disposition que sur son applicabilité, se situe à la frontière de la règle prétorienne selon laquelle le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause la décision du juge de renvoi en la matière (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 N° Lexbase : A6283EXY) .
B - Normes constitutionnelles invocables
1 - Notion de "droits et libertés que la Constitution garantit"
a) Droits et libertés individuels
Outre une confirmation de la définition stricte que retient le Conseil constitutionnel de la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99), on relèvera que le droit de ne pas s'accuser est consacré au rang des droits et libertés invocables (Cons. const., décision n° 2011-214 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4118IB7). Ce droit trouve son fondement dans l'article 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q), mais aussi, indirectement, dans son article 16 (N° Lexbase : L1363A9D), en tant que ce dernier fonde le droit de garder le silence.
Au cours de la période considérée, le Conseil a rendu une série de décisions qui clarifient la jurisprudence constitutionnelle sur le régime de protection du droit de propriété. Au terme d'une formulation légèrement innovante s'agissant de la distinction entre les branches du diptyque que forment les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration de 1789, le Conseil juge désormais "qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de [l'article 17], il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi" (Cons. const., décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012 N° Lexbase : A1020IAZ). La solution a été immédiatement mise en application, aboutissant à trois reprises au rejet de la qualification de privation (Cons. const., décision n° 2011-209 QPC du 17 janvier 2012 N° Lexbase : A5323IAE, Cons. const., décision n° 2011-212 QPC du 20 janvier 2012 N° Lexbase : A8706IAP, Cons. const., décision n° 2011-215 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4119IB8).
Cette modification prend acte de l'évolution de la jurisprudence du Conseil. Elle a pour objet de souligner que toute privation de propriété ne relève pas nécessairement du champ de l'article 17 mais, le cas échéant, peut être envisagée sur le fondement de l'article 2. Autrement dit, l'article 17 ne s'applique pas à toutes les privations de propriété, mais seulement à celles qui devaient être regardées comme des privations "au sens de cet article". Au fond, la méthode employée par le Conseil dans l'exercice de son contrôle de proportionnalité sur ces terrains demeure inchangée.
b) Droits et libertés collectifs
Le principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions garanti par l'article 4 de la Constitution (N° Lexbase : L1300A9Z) est reconnu comme un droit et liberté invocable en QPC (Cons. const., décision n° 2011-4538 du 12 janvier 2012 N° Lexbase : A1064IAN, Cons. const., décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012 N° Lexbase : A0369IDZ).
c) Droits de procédure
Le Conseil a jugé que les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'appliquent dans des litiges purement privés. Il en est, ainsi, du droit à un recours juridictionnel effectif et l'équilibre des droits des parties, qui se fondent sur les articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 de la Déclaration de 1789 (Cons. const., décision n° 2011-213 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4117IB4).
2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC
Pour être recevable en QPC, on sait depuis la jurisprudence "Kimberly Clark" que le moyen tiré de ce que le législateur n'a pas pleinement exercé la compétence que lui attribue la Constitution doit être assorti d'une critique selon laquelle un droit ou une liberté que la Constitution garantit est affecté par cette incompétence négative (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI). Les conditions posées sont cumulatives. S'agissant de la seconde condition, le Conseil d'Etat s'est clairement aligné sur cette solution, en jugeant que, "dès lors que la disposition législative en litige n'affecte pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit, le requérant ne peut utilement invoquer, au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il soulève, la méconnaissance, par le législateur, de la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution" (CE 1° et 6° s-s-r., 8 février 2012, n° 354080, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3417ICK).
II - Procédure devant les juridictions ordinaires
A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes
1 - Juridiction compétente
En application des dispositions de l'article 59 de la Constitution (N° Lexbase : L1324A9W), qui prévoit qu'il lui revient de statuer sur la régularité des élections législatives et sénatoriales, le Conseil constitutionnel s'est reconnu compétent pour examiner une QPC (Cons. const., décision n° 2011-4538 du 12 janvier 2012, préc.). Le Conseil revient, ainsi, sur sa jurisprudence antérieure en matière d'office du juge constitutionnel statuant en qualité de juge électoral. Dès lors, le Conseil peut examiner une QPC non pas seulement sur le fondement de l'article 61-1, mais aussi sur celui de l'article 59. Cette solution était attendue (2), tant les législateurs constituant et organique avaient, par leur silence, laissé au Conseil le soin d'en décider ainsi. L'esprit de la réforme constitutionnelle, comme le souci légitime d'assurer la cohérence du contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori, finissait de convaincre que la voie de droit QPC pouvait exister dans ce cas même sans texte express.
Du point de vue logique, plus qu'une simple extension, c'est presque une "autre" procédure QPC qui se trouve consacrée car la procédure de QPC de l'article 61-1 ne peut, par construction, trouver à s'appliquer telle quelle devant le Conseil constitutionnel juge de l'élection : un filtrage des questions par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation n'est évidemment pas concevable. Cela permet de dévoiler que la QPC est fondamentalement un recours individuel en abrogation de la loi, et qu'elle peut aussi fonctionner sans filtre. Dans ce cas, sans méconnaître la dualité de l'office du Conseil, le contrôle se rapproche nécessairement de la voie d'exception : contrairement au contentieux QPC "normal", le Conseil connaît nécessairement des pièces de procédure relatives au litige au fond qu'il est tenu de trancher. Il s'agit, de façon inédite, d'un contrôle de l'exception d'inconstitutionnalité sur le modèle de la QPC. De sorte que, d'une certaine façon, le juge constitutionnel de l'élection est le seul juge jouissant d'une plénitude de compétence en la matière.
Du point de vue technique, si la procédure applicable au traitement des QPC dans ce cadre est identique pour l'essentiel, on notera que le Conseil n'a pas visé son règlement intérieur relatif au traitement des QPC, estimant que la procédure n'était pas intégralement applicable. Une telle prudence peut se justifier afin de prévenir les éventuels conflits entre ce règlement et celui applicable à la procédure suivie pour le contentieux de l'élection des députés et sénateurs. On regrette, en revanche, que les dispositions concernées ne soient aucunement précisées.
2 - Modalités d'examen de la question
Des observations présentées plus d'un mois à compter de la transmission de la QPC à la Cour de cassation ont été jugées irrecevables comme tardives (Cass. QPC, 4 janvier 2012, n° 11-90.106, F-D N° Lexbase : A0263H9M). La solution est d'autant plus rigoureuse que la Cour contrôle, par ailleurs, la précision et la cohérence de la motivation.
3 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question
La contestation d'un refus de renvoi n'est possible qu'à l'occasion d'un recours contre la décision au fond. La Cour de cassation précise, à cet égard, qu'une QPC concernant la même disposition législative ne peut être formulée qu'à l'occasion d'un recours contre la décision de cette juridiction réglant tout ou partie du litige (Cass. QPC, 17 janvier 2012, n° 11-90.112, F-P+B N° Lexbase : A1530IBB). De son côté, le Conseil d'Etat retient que l'autorité de la chose jugée d'une décision de non renvoi s'oppose à ce qu'à l'occasion d'un litige opposant les mêmes parties, une nouvelle QPC portant sur la conformité des mêmes dispositions législatives aux mêmes dispositions constitutionnelles soit posée, alors même que les requérants présentent une argumentation différente (CE 4° et 5° s-s-r., 3 février 2012, n° 354068, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6903IBB).
Par ailleurs, l'actualité jurisprudentielle conduit à rappeler les textes, clairs, qui fixent les délais imposés aux juridictions de renvoi pour statuer sur une QPC. Aux termes des articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précitée, elles doivent se prononcer sur le renvoi dans un délai de trois mois. Conformément à la dernière phrase de l'article 23-7, "si le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel". L'ordonnance reste, toutefois, silencieuse sur les modalités de transmission de la QPC en cas d'expiration, ce qui laisse de façon générale au Conseil constitutionnel une large marge de manoeuvre.
Le Conseil est, toutefois, soucieux d'éviter d'apparaître, en droit et en fait, comme une instance d'appel des décisions de non renvoi prises par les juridictions suprêmes. C'est en ce sens qu'il faut lire la décision n° 2012-237 QPC du 15 février 2012 (Cons. const., décision n° 2012-237 QPC du 15 février 2012 N° Lexbase : A3861ICY) portant sur une demande de saisine directe du Conseil constitutionnel. Une application littérale des textes aurait pu conduire le Conseil à s'estimer valablement saisi de la QPC, dès lors que le juge de renvoi n'a pas statué dans le délai de trois mois à compter de sa saisine. Mais le Conseil a privilégié une lecture fonctionnelle, sinon pragmatique, de l'article 23-7.
L'affaire n° 2012-237 QPC présentait une particularité qui y concourrait fortement. En effet, à l'occasion d'une procédure parallèle, la Cour de cassation s'était prononcée dans les délais requis sur une seconde QPC portée à l'encontre des mêmes dispositions, pour les mêmes motifs, par le même requérant, et que la Cour a refusé de renvoyer par une décision rendue avant l'expiration du délai de trois mois à compter de la première saisine. Dans de telles conditions, on aurait difficilement compris, sauf à adopter une démarche excessivement formaliste (quoique justifiable en pur droit), que le Conseil ne tienne pas compte de cette décision de non-renvoi. On ne sait pas avec exactitude si toutes ces conditions doivent être réunies pour qu'une décision de non renvoi puisse ainsi être jugée comme transposable à une autre. Le bénéfice de l'autorité de chose non renvoyée ne paraît pas se cantonner à l'identité matérielle des deux QPC. On retiendra au moins que le Conseil constitutionnel considère que la réponse donnée en temps utile à la seconde QPC doit implicitement mais nécessairement valoir pour la première. Une décision de non renvoi peut, ainsi, en cacher une autre.
B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation
Le Conseil d'Etat a jugé que l'invocation du dernier alinéa de l'article 4 de la Constitution (N° Lexbase : L1300A9Z), qui prévoit depuis 2008 que la loi "garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation", constitue une question nouvelle justifiant son examen par le Conseil constitutionnel (CE, 2 février 2012, n° 355137, préc.). Il convient d'observer que le Conseil d'Etat ne fait pas expressément référence au fait que le Conseil constitutionnel n'ait pas eu à se prononcer sur la portée de cette disposition, bien que cette circonstance soit ici confortative.
III - Procédure devant le Conseil constitutionnel
A - Etendue de l'examen du Conseil constitutionnel
Sans apporter une solution nouvelle, la décision n° 2011-214 QPC du 27 janvier 2012 (Cons. const., décision n° 2011-214 QPC du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4118IB7) mérite l'attention car, pour la première fois, le Conseil était conduit à statuer, dans une même décision, sur deux versions successives d'un même texte. Il a opéré son contrôle de l'article 65 du Code des douanes dans ses rédactions antérieure (N° Lexbase : L5657H9E) et postérieure à une modification intervenue au cours de la période d'application de la disposition au requérant. Et il a considéré, au cas présent, que les deux modifications textuelles n'avaient d'incidence ni sur l'examen des griefs, ni sur le contrôle de constitutionnalité à opérer, précision qui figure dans la décision.
A défaut de précision, dans la décision de renvoi, de la version applicable des textes contestés par la QPC, il incombe, en tout état de cause, au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la dernière version applicable. C'est là un principe désormais bien acquis : le Conseil écarte la possibilité d'examiner d'autres dispositions que celles jugées applicables au litige. Aussi, faute de précision sur ce point par la Cour de cassation, le Conseil est conduit à s'intéresser au litige en cause et à statuer sur la question de la loi applicable au litige dans des conditions qui s'imposent aux juridictions saisies du litige (Cons. const., décision n° 2012-227 QPC du 30 mars 2012 N° Lexbase : A8574IGN). A cette fin, il fait application du droit commun de l'application de la loi dans le temps.
B - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel
1 - Application immédiate aux instances en cours
Dans la décision n° 2011-212 QPC du 20 janvier 2012 précitée, le Conseil constitutionnel a validé un mécanisme de réintégration d'actif que les spécialistes des procédures collectives connaissent sous l'appellation de "présomption mucienne". Ce dispositif très dérogatoire au droit civil prévoit l'inclusion dans l'actif d'un débiteur faisant l'objet d'une procédure collective de certains biens dont son conjoint est propriétaire. S'il n'a pas remis en cause cette action dans son principe, le Conseil a estimé que, faute d'encadrement suffisant par le législateur, les dispositions législatives contestées portaient une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Or, il fait produire à l'abrogation un effet immédiat en application de la règle selon laquelle, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la QPC et la disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut plus être appliquée. Ainsi, il a été jugé que l'abrogation prend effet à compter de la publication de la décision et qu'elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date. Cette solution est, en elle-même, inattaquable car elle résulte, qu'on l'approuve ou qu'on le déplore, d'une appréciation purement discrétionnaire de la part du Conseil. Il lui revient d'apprécier, au regard des exigences de sécurité juridique, de l'intérêt général, des objectifs du législateur et de l'intérêt des justiciables, s'il convient de maintenir temporairement en vigueur la disposition législative inconstitutionnelle afin de laisser au législateur le soin de la corriger, ou de l'abroger avec effet immédiat. La mise en oeuvre du standard des "conséquences manifestement excessives" qui auraient découlé de l'application immédiate de l'abrogation est une affaire contingente, et le Conseil n'explicite que rarement les justifications qui ont commandé sa décision sur ce point. Or, la position du Conseil dans l'affaire rapportée peut paraître surprenante : alors que le mécanisme législatif n'est pas en lui-même vicié, le Conseil constitutionnel ne diffère pas l'abrogation afin de laisser au législateur un délai pour corriger, par retouche des modalités et conditions du régime législatif en cause, l'inconstitutionnalité soulevée. Cela peut être perçu comme une invitation, en toute opportunité, à choisir un nouveau régime de réunion d'actif. Quoi qu'il en soit, le Conseil préserve la marge de manoeuvre dont il dispose dans la modulation dans le temps des effets de ses décisions.
On signalera, par ailleurs, deux décisions qui illustrent la possibilité que des effets pour le passé soient prévus ou induits. Dans sa décision n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012 (Cons. const., 27 janvier 2012, décision n° 2011-211 QPC N° Lexbase : A4116IB3), le Conseil a jugé inconstitutionnelle une disposition prévoyant, en matière de discipline des notaires, une sanction d'interdiction définitive d'inscription sur les listes électorales. Comme il en a jugé s'agissant de l'article L. 7 du Code électoral (N° Lexbase : L2506AA3) (Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC, 11 juin 2010 N° Lexbase : A8020EYP), le Conseil a précisé qu'à compter de la présente décision, tous les condamnés à la destitution ayant été radiés des listes électorales sur le fondement de l'alinéa déclaré inconstitutionnel peuvent demander leur réinscription sur ces listes. La disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut plus être appliquée, y compris pour les faits antérieurs au prononcé de la décision. Dans sa décision n° 2011-218 QPC du 3 février 2012 ( Cons. const., décision n° 2011-218 QPC, du 3 février 2012 N° Lexbase : A6685IB9), le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d'inconstitutionnalité de dispositions du Code de justice militaire prévoyant une perte automatique de grade consécutive à certaines condamnations, non seulement est applicable à toutes les instances en cours, mais peut aussi être invoquée à l'occasion de recours en annulation qui seraient formés, après la publication de la décision, à l'encontre de dispositions prises sur le fondement des dispositions déclarées inconstitutionnelles.
2 - Modulation dans le temps des effets de la décision
Dans sa décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012 (Cons. const., décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012 N° Lexbase : A1020IAZ), après avoir rappelé que les dispositions de l'article 374 du Code des douanes (N° Lexbase : L5837ISY) permettent à l'administration des douanes de poursuivre, contre les conducteurs ou déclarants, la confiscation des marchandises saisies sans être tenue de mettre en cause les propriétaires de celles-ci, même s'ils lui seraient indiqués, le Conseil a jugé "qu'en privant ainsi le propriétaire de la faculté d'exercer un recours effectif contre une mesure portant atteinte à ses droits, ces dispositions méconnaissent l'article 16 de la Déclaration de 1789". Quant à l'article 376 du même code (N° Lexbase : L5837ISY), qui prévoit une interdiction de revendication "en toute hypothèse" des biens saisis ou confisqués, le Conseil juge qu'il porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété, ce dernier terrain absorbant, dans le raisonnement retenu, le droit d'agir en justice ou le droit à un procès équitable. Le Conseil reporte au 1er janvier 2013 l'abrogation de ces deux articles, date qui tient évidemment compte du calendrier électoral. Là encore, l'opportunité d'un tel report pourrait de prime abord être discutée, dans la mesure où sont ici en cause non des dispositions substantielles, mais des droits procéduraux du justiciable. Faute d'indications en ce sens, on ne discerne pas nettement les justifications précises de cette restriction. Vraisemblablement, le Conseil a souhaité laisser au législateur le soin de revoir le régime de la confiscation douanière, et d'apprécier, notamment, s'il y a lieu de légiférer pour remplacer les dispositions déclarées contraires à la Constitution. Le report ad futurum paraît d'autant plus raisonnable que la déclaration d'inconstitutionnalité laisse au législateur une large marge d'intervention.
(1) Qu'il nous soit permis de renvoyer à nos obs., Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, Axe droit, 2011, n° 217 et s.
(2) Not. nos obs., Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, Axe droit, 2011, n° 174.
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