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N1727BT7
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
C'est que, désormais, il faut choisir entre PVC, extrudés ou alvéolaires, polyéthylènes et autres polypros ; il faut former les personnels des Ordres à l'accueil de ces nouveaux inscrits aux tableaux, pour donner du "Monsieur ou Madame le député sortant" ; il faut organiser des sessions de rattrapage pour la formation déontologique de ces nouveaux entrants dans la profession, comme on préparerait des leçons sur le Code de la route pour des personnes "autorisées à conduire sans permis". Tout juste concéderons nous qu'il n'y a pas d'examen à organiser, donc moins de tracas ; mais, c'est justement là où le bât blesse. On eut aimé que les us fussent justement respectés. Puisque les Hautes autorités politiques n'ont pas laissé le choix aux Hautes autorités professionnelles d'incorporer dans leurs rangs ces nouveaux venus errant, pour la majorité d'entre eux, entre le Palais Bourbon et l'Île de la Cité, il reste donc aux avocats la manière de les accueillir.
Et puis, il y a le site internet de chaque Ordre qu'il faut mettre à jour ; il faut incorporer ces nouveaux avocats dans les agendas, avec comme spécialisation "a participé à l'élaboration de la loi". La mention est utile : qui de mieux pour défendre un justiciable que celui qui a élaboré la loi dont il conteste l'application, voire la constitutionnalité. Il sera intéressant de voir tel ou tel ténor politique, devenu ténor des prétoires, démontrer l'inconstitutionnalité d'une loi qu'il aura lui-même votée... pas plus que le fait de voir un ancien Président siéger rue de Montpensier, pour juger de la régularité d'une loi dont il aura été l'instigateur, nous diriez-vous -étend entendu qu'un membre du Conseil doit se déporter lorsqu'est présentée à la question une loi au vote de laquelle il a participé-.
Bref, il y a urgence à organiser les préparatifs d'accueil des nouveaux membres de la profession, comme il y avait urgence à publier le décret du 3 avril 2012, malgré les réticences du Conseil national des barreaux et du barreau de Paris ; un décret jugé "cotonneux" par le Président Charrière-Bournazel, et alors que le conseil de l'Ordre de Paris, premier barreau intéressé par cette nouvelle "passerelle", déplorait, dans une motion du 20 mars 2012, l'imprécision du texte concernant la définition des personnes susceptibles de bénéficier d'un tel accès dérogatoire. L'exercice par toute personne, même pendant huit années, de "responsabilités publiques la faisant directement participer à l'élaboration de la loi", ne garantit pas l'effectivité d'une pratique professionnelle juridique et la connaissance de la déontologie et des règles professionnelles indispensables à l'exercice de la profession d'avocat. Il y a une contradiction évidente entre élaborer une loi, sécuritaire ou relative au droit des étrangers, pour ne parler que des plus épineuses, et défendre par la suite, avec un dévouement et un entrain certains, les justiciables confrontés à la rigueur du texte. Heureusement que les avocats ne s'arrêtent pas à l'adage "dura lex sed lex", pour défendre leurs clients, sinon la profession serait composée d'exégètes de tout poil, dont la seul vertu serait de savoir réciter un code.
A lire Boris Vian, "il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. Ou démontée s'il est urgent qu'on en répare la serrure". Mais, selon le Haut conseil, dont le Président est l'actuel Premier ministre, il n'y a pas d'urgence à suspendre le décret litigieux, car le texte ne porte pas "une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la profession d'avocat dans son ensemble". Il n'est point d'usage que les politiques commentent une décision de justice, mais encore est-il heureux que les justiciables puissent commenter une décision politique. Et, si le Conseil d'Etat argumente, comme il se doit, pour dénier au référé suspension tout fondement, en attendant un contrôle pour excès de pouvoir statuant sur la légalité du décret dans les longs mois prochains, chacun sait que cette nouvelle passerelle aura plein effet en juin 2012 et non au moment probable où le décret sera examiné par les sages du Palais-Royal. Les candidats à la profession d'avocat auront sans doute tous prêté serment, d'ici là, et il ne sera, dès lors, ni possible, ni souhaitable de leur retirer leur robe et leur titre. Le mal sera fait et la nullité de la passerelle n'y fera rien : on ne reprend pas un serment donné, comme celui de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971. On pensait, avec Jankélévitch, que "l'urgent, c'est le pressant avenir immédiat, le futur en train de se faire au présent". Alors, si l'atteinte n'est pas d'une gravité telle qu'elle nécessite l'intervention du Conseil d'Etat, l'urgence semble pourtant évidente et caractérisée. Encore que la "gravité" ne réside-t-elle pas tant dans le nouvel accès dérogatoire visant à grossir les rangs de la profession d'avocat, eu égard aux autres modalités consenties depuis 40 ans, que dans la méthode imposée par la Chancellerie, contraignant une profession à accepter en son sein, sans mot dire ou presque, une catégorie de personnes qui ne sont pas des anonymes... En clair, il n'y a rien d'anodin à accepter que des hommes politiques puissent devenir avocats, sans autre préalable que leur qualité passé, toute compétence juridique éventuelle mise à part. Cela fait longtemps que les anciennes personnalités politiques intègrent les rangs de la profession, mais le cursus était peu ou prou le même pour tous les candidats à la passerelle et la faculté d'appréciation des Ordres était jusque là préservée. Les voici désormais certains de se tenir sous le parapluie de la profession (secret professionnel, secret des correspondances), tout en espérant éviter les conflits d'intérêts, en attendant des jours électoraux meilleurs...
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