La lettre juridique n°481 du 12 avril 2012 : Éditorial

Cynique et la "faute grave" : le repentir est une seconde faute*

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Ouf ! Le "patronat" (comme s'il s'agissait d'un corps constitué homogène) est rassuré...

A l'approche d'une éventuelle alternance gouvernementale et parlementaire, la rupture conventionnelle commençait à compter ses heures, car il est de notoriété commune que cet important élément de la "modernisation du marché du travail", selon les voeux de la loi du 25 juin 2008, est fort décrié par les avocats, qui constatent de nombreux détournements de procédure, et les salariés eux-mêmes, qui ne sont pas suffisamment informés de leurs droits, faute d'une assistance obligatoire. Aucun bilan chiffré n'est établi, mais le dernier état (2010) faisait de la rupture amiable un mode croissant de la séparation du salarié et de l'entreprise, même si le licenciement conservait une part prégnante des modes de rupture (les 2/3 environ). Avec un "retoquage" par l'Inspection du travail, de l'ordre de 10 %, on comprend, dès lors, que la rupture conventionnelle, si elle ne constitue pas un mode sécurisé de la rupture du lien salarial pour l'employé peu ou mal informé, présente une sécurité juridique, hors pair (sous trois semaines), pour l'employeur. Tout juste admet-on qu'une rupture conventionnelle sur trois est suivie d'un retour à l'emploi avant la fin de l'année, quand le taux de retour à l'emploi après un licenciement avoisine les 12 % sur la même période. D'aucuns, mauvaises langues sans doute, ajouteront aussitôt que la rupture conventionnelle concerne d'abord les cadres (39,9 %) du secteur tertiaire (75,6 %)... soit la catégorie socio-professionnelle la moins touchée par le chômage de longue durée.

Non, si ce "patronat" a de quoi se réjouir, c'est bien parce que la "faute grave" a encore de beaux jours devant elle ! Le dynamisme de la Cour de cassation en la matière est symptomatique d'une recrudescence de ce motif personnel de licenciement que peut constituer une faute, qui plus est jugée "grave", moyen net et sans bavure de se séparer d'un salarié indélicat, car, sauf volonté contraire des parties, le licenciement pour faute grave exclut le versement de l'indemnité de licenciement...Voyez vous-même...

Dans un arrêt rendu le 27 mars 2012 et promis à la publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que constitue une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, le fait pour un salarié, appartenant au personnel critique pour la sécurité d'une compagnie aérienne, de consommer des drogues dures pendant des escales entre deux vols, se trouvant ainsi sous l'influence de produits stupéfiants pendant l'exercice de ses fonctions.

Et, par quatre arrêts diffusés, rendus le 28 mars 2012, on apprend que rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifient son licenciement pour faute grave :

- le comportement d'une salariée qui a volé, dans son entreprise d'édition, un livre destiné à l'activité professionnelle d'une collègue, et ce, alors qu'elle était coutumière de ce type d'agissement ;

- le comportement d'un salarié, exerçant en qualité de moniteur-éducateur, violent et grossier, ce qui est générateur d'angoisse pour les enfants, et qui est caractérisé par son attitude vindicative, des propos excessifs, accusateurs et dévalorisants, des accès de colère et une violence verbale vis-à-vis des enfants et qui n'y a pas remédié en dépit d'une mise en demeure ;

- le comportement d'une salariée qui s'est rendue coupable d'une faute grave en entrant des données fictives dans une base de données commerciales qu'elle était chargée de renseigner, ce qui avait eu pour conséquence de fausser la fiabilité de celle-ci et de porter préjudice à l'employeur, et ce alors qu'elle avait une qualification de haut niveau et une parfaite connaissance du travail à effectuer ;

- le fait pour un salarié de refuser de se rendre au lieu fixé par l'employeur pour y recevoir les consignes de celui-ci pour le travail de la journée et de refuser, un jour déterminé, de conduire un camion au motif inexact que ce dernier était en mauvais état.

Une chose est certaine : "Qui fait la faute la boit"...

Mais, si, sur le licenciement consécutif à un acte illégal commis par le salarié, nous n'avions aucun doute quant aux conclusions de l'appréciation hautement souveraine des juges en matière de faute grave, pour le mensonge et l'insubordination, la question était déjà plus délicate. La cour d'appel de Paris avait, tout de même, jugé, le 14 février 2008, que les insultes proférées par le salarié s'inscrivant dans un contexte particulier, la faute, ainsi, commise n'avait pas le caractère de faute grave invoqué par l'employeur. Mieux, le 27 mai 2009, considérant que l'employeur avait pour le moins toléré le comportement raciste du salarié, la cour d'appel décidait que le licenciement était justifié non par une faute grave, mais par une cause réelle et sérieuse... Et, l'on retient au détour d'un "vieil" arrêt de cassation du 14 mai 1987 que l'ancienneté du salarié dans l'entreprise peut avoir pour effet d'atténuer la gravité de la faute, quand, en 2002, la Haute juridiction ne considère pas qu'un salarié qui compte une ancienneté de 22 ans et qui refuse de porter un équipement de protection deux jours de suite ne commet pas une faute grave, d'autant moins qu'il finit par se conformer aux directives de l'employeur. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appréciation du juge en matière de "faute grave" est à géométrie variable, d'autant que, depuis un arrêt du 27 septembre 2007, la définition traditionnelle de la faute grave se voit amputée de toute référence au préavis, si bien que la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est, désormais, simplement celle qui rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise. Et, effectivement, la frontière avec la cause réelle et sérieuse apparaît ténue...

Mais que voulez-vous ? "Gens trop heureux font toujours quelque faute...", nous enseigne le fabuliste académicien. Trop de bonheur dans les entreprises françaises nuit, décidément, trop au climat social... c'est bien connu.

* Baruch Spinoza

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