Le Quotidien du 9 septembre 2020 : Procédure pénale

[Brèves] Immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice : fondements et application

Réf. : Cass. crim., 2 septembre 2020, n° 18-84.682, FS-P+B+I (N° Lexbase : A70373SG)

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par Adélaïde Léon

le 23 Septembre 2020

► Les crimes de tortures et actes de barbarie imputés à un chef d’État dans une plainte avec constitution de partie civile ne relèvent pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice ;

L’obligation d’informer du juge d’instruction saisi par plainte avec constitution de partie civile de faits susceptibles d’être couverts par l’immunité des chefs d’État étrangers en exercice trouve son fondement dans la nécessité pour le magistrat de vérifier les conditions d’application de l’immunité pénale dans le dossier concerné ;

L’octroi de l’immunité tel qu’il est prévu par le droit international « ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d’un particulier d’avoir accès à un tribunal » ;

L’association qui entend se constituer partie civile et dont les statuts ne désignent pas de représentant en cas d’action en justice est tenu de produire une décision du conseil d’administration ou de l’assemblée générale donnant pouvoir à une personne de les représenter ;

Lorsqu’une infraction est commise envers une personne considérée individuellement, l’association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la personne intéressée.

Rappel des faits. Le 26 novembre 2014, deux personnes et deux associations ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction des chefs de torture et actes de barbarie à l’encontre du président de la République d’Égypte lequel devait séjourner en France du 26 au 28 novembre 2014 dans le cadre d’une visite officielle. L’un des auteurs physiques de la plainte avait été blessé par les forces de l’ordre alors qu’il manifestait sur la place Rabaa Al Adawiya. Le second avait quant à lui été arrêté sur la place Tahrir puis transféré dans un commissariat où il avait été dénudé et torturé à plusieurs reprises. Les associations enfin entendaient dénoncer dans leur action les infractions envers un groupe de personnes non individualisées.

En réponse à ce dépôt de plainte, le juge d’instruction a dit n’y avoir lieu à informer sur la plainte et a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles des associations. L’avocat des parties civiles a interjeté appel de l’ordonnance du magistrat instructeur.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a déclaré irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile des associations et des plaignants personnes physiques.

La juridiction d’appel a notamment retenu que les associations n’avaient produit aucun document donnant pouvoir à une personne de les représenter. Leur avocat ne produisait donc pas la preuve qu’il avait reçu mandat d’assister et de représenter les parties civiles conformément aux disposition de l’article 416 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0432IT8). Elle a également noté que les associations ne justifiaient pas avoir reçu les personnes concernées individuellement par les faits comme l’exige l’article 2-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7915LC7).

La chambre de l’instruction a par ailleurs estimé que le juge d’instruction ne pouvait valablement instruire sur les faits dénoncés à l’encontre du président de la République d’Égypte en raison de l’immunité de la juridiction pénale de l’État d’accueil accordée par le droit coutumier international aux chefs d’État lors de leurs visites officiels.

Moyens du pourvoi. Le pourvoi critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile des associations.

Celles-ci ont avancé qu’elles entendaient dénoncer dans leur action les infractions envers un groupe de personnes non individualisées et que dès lors, l’accord des victimes n’étaient pas nécessaire. Elles ont estimé qu’il avait été porté une atteinte disproportionnée à leur droit d’agir.

S’agissant de leur représentation les associations ont soutenu que leur avocat était dispensé de justifier de son mandat et qu’en déclarant leur plainte avec constitution de partie civile irrecevable au motif qu’elles ne produisaient pas de décision donnant pouvoir à leur conseil de les représenter, la chambre de l’instruction avait porté atteinte à leur droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

Le pourvoi critique également l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile des deux personnes individuellement concernées par les faits. Les auteurs de la plainte considéraient que la nature des faits dénoncés, la pratique de la torture, aurait dû amener le juge d’instruction à instruire les faits résultant de la plainte. L’interdiction de la torture en droit international public présentait selon eux un caractère impératif écartant l’immunité reconnue par la chambre de l’instruction au président de la République arabe d’Égypte.

Réponse de la Cour. La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les plaignants.

S’agissant de la représentation des associations, la Cour confirme l’arrêt attaqué selon lequel l’article 416 du Code de procédure civile obligeait les associations à produire une décision donnant pouvoir à leur avocat de les représenter faute de quoi leur constitution de partie civile était irrecevable.

S’agissant des constitutions de partie civile des plaignants personnes physiques, la Cour estime que c’est à tort que la cour d’appel a estimé qu’elles étaient irrecevables. La Chambre criminelle ne censure toutefois par l’arrêt.

Elle rappelle que l’obligation d’instruire de la juridiction régulièrement saisie d’une plainte avec constitution de partie civile cesse si les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou s’ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale. La Chambre criminelle souligne que l’obligation d’informer n’est pas contraire en son principe à l’immunité de juridiction des États étrangers et de leurs représentants. Elle précise toutefois que cette obligation trouve son fondement dans la nécessité pour le juge de vérifier, avant de retenir une immunité pénale, que ses conditions d’application sont réunies dans le dossier dont il est saisi. En l’espèce, la Cour procède elle-même à l’appréciation de la plainte et des conditions d’application de l’immunité. Ainsi elle retient que la plainte avec constitution de partie civile est claire et précise dans ses imputations des faits dénoncés à l’encontre d’un chef d’État.

La Chambre criminelle confirme que la communauté internationale a la faculté de fixer les éventuelles limites au principe d’immunité lorsqu’il peut être confronté à d’autres valeurs reconnues et notamment la prohibition de la torture. En l’espèce, la Haute juridiction retient qu’en l’état du droit international le crime dénoncé ne relève par des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice.

Enfin, s’agissant du droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 de la CESDH, la Cour précise qu’il n’est pas absolu et qu’il ne s’oppose pas à une limitation dès lors que celle-ci est consacrée par le droit international. En l’espèce, la Chambre criminelle estime que l’octroi de l’immunité tel qu’il est prévu par le droit international « ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d’un particulier d’avoir accès à un tribunal ».

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