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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France
le 23 Février 2012
I - Réforme de la compétence des juridictions civiles et ajustements procéduraux
La loi du 13 décembre 2011 est un des textes qui reprend les préconisations du rapport "Guinchard" (1). Elle réorganise une partie du contentieux civil en procédant à des transferts de compétences. Elle redéfinit la compétence en matière d'injonction de payer française et européenne. Elle retouche modestement la procédure civile en matière familiale.
L'entrée en vigueur des principaux articles civils de la loi est fixée au 1er février 2013.
A - La suppression de la juridiction de proximité
La juridiction de proximité a été instituée par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (loi n° 2002-1138 N° Lexbase : L6903A4G). Sa compétence civile, initialement limitée par un seuil de 1 500 euros l'avait cantonnée à un contentieux marginal. Par la suite, la loi du 26 janvier 2005, relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance (loi n° 2005-47 N° Lexbase : L5285G7U), a augmenté le taux de compétence à 4 000 euros. Brusquement, ces juridictions se sont vues confier un contentieux de masse. Le rapport "Guinchard" a mis en exergue un ensemble de critiques qui étaient adressées à la juridiction de proximité. Tout d'abord, la création d'un nouvel ordre de juridictions avait complexifié la répartition des compétences en matière civile. La situation était d'autant plus regrettable que le tribunal d'instance devait absorber les compétences de la juridiction de proximité lorsque cette dernière faisait défaut. Ensuite, le contentieux très volumineux auquel les juges ont dû faire face a réduit la proximité entre eux et le justiciable. Comme pour les autres juridictions, le retard du contentieux de proximité s'est accumulé. Enfin, les juges de proximité avaient à faire face à un contentieux d'une technicité égale à celle des autres juridictions. La solitude de ces juges, le caractère non-professionnel de leur fonction et leur service à temps partiel ne leur permettaient pas toujours d'être armés pour remplir leur fonction (2). La commission "Guichard" avait donc préconisé la disparition de la juridiction de proximité et l'absorbation de son contentieux par le tribunal d'instance. En revanche, elle avait estimé nécessaire le maintien des juges de proximité.
La loi du 13 décembre 2011 a repris une grande partie de ces préconisations. Dans un premier chapitre intitulé "suppression de la juridiction de proximité et maintien des juges de proximité", elle définit les attributions des juges de proximité, lesquels peuvent exercer les fonctions de juge au sein d'un tribunal de grande instance ou être chargés de fonctions juridictionnelles dans un tribunal d'instance. Les juges de proximité sont rattachés au tribunal de grande instance et leur service est déterminé par le président de ce tribunal. Ils peuvent être affectés au tribunal d'instance et leur service est alors défini par le magistrat qui préside et administre cette juridiction.
De façon concrète, les fonctions des juges de proximité sont définies strictement par la loi. Ils peuvent :
- siéger comme assesseur du tribunal de grande instance ;
- statuer sur les requêtes en injonction de payer, mais leur compétence ne s'étend pas à la procédure contradictoire lorsque le débiteur forme une opposition à l'injonction ;
- procéder à des mesures d'instruction limitativement énumérées : transport sur les lieux, audition des parties à l'occasion de leur comparution personnelle, audition des témoins à l'occasion d'une enquête.
En définitive, le rôle du juge de proximité est strictement cantonné. Il ne peut plus siéger seul dans une juridiction de jugement mais peut participer à une juridiction collégiale comme assesseur (en pratique, le tribunal de grande instance). Il peut exercer des fonctions juridictionnelles au sein du tribunal d'instance ou du tribunal de grande instance uniquement en matière d'injonction de payer. Enfin, il se voit confier certaines fonctions d'instruction également au sein d'un tribunal d'instance ou d'un tribunal de grande instance. En d'autres termes, le juge de proximité retrouve sa fonction de juge auxiliaire qui avait été imaginée à l'origine.
L'application de la loi dans le temps est étonnante puisque les juges de proximité sont rattachés au tribunal de grande instance à partir du 1er janvier 2013, mais les affaires en cours devant les juridictions de proximité ne sont transférées qu'à partir du 1er juillet 2013. La juridiction de proximité étant supprimée, sa compétence est dévolue au tribunal d'instance.
B - La compétence du tribunal d'instance
La compétence du tribunal d'instance est redéfinie par la loi du 13 mars 2011 de façon implicite. Avec la suppression de la juridiction de proximité, le tribunal d'instance retrouve un taux de compétence de 0 à 10 000 euros. Plus précisément, l'article L. 221-4 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7861HNH) prévoit que "Sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires fixant la compétence particulière des autres juridictions, le tribunal d'instance connaît, en matière civile, de toutes actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 euros. Il connaît aussi des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros".
La loi du 13 décembre n'ayant pas modifié le taux de ressort, le tribunal d'instance statuera désormais en dernier ressort jusqu'à 4 000 euros et à charge d'appel de 40 00 euros à 10 000 euros.
Par ailleurs, la loi précise que "le tribunal d'instance connaît des demandes formées en application du Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (N° Lexbase : L1110HYR)" (3).
Enfin, pour opérer une clarification de l'article 317 du Code civil (N° Lexbase : L3822IRY) relatif à la juridiction compétente pour délivrer un acte de notoriété, l'article 19 de la loi modifie cette disposition, laquelle prévoit désormais que "chacun des parents ou l'enfant peut demander au juge du tribunal d'instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire".
Le législateur opère également un transfert de certaines compétences dévolues au tribunal d'instance vers le tribunal de grande instance.
C - La compétence du tribunal de grande instance
La compétence de droit commun du tribunal de grande instance demeure inchangée puisque l'article L. 211-3 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7827HN9) n'a pas été modifié. Cette disposition prévoit que "le tribunal de grande instance connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n'est pas attribuée, en raison de leur nature ou du montant de la demande, à une autre juridiction".
De plus, la loi du 13 décembre 2011 prévoit, dans un chapitre VI, un "transfert de compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance". Ce transfert concerne d'abord la matière douanière. Le Code des douanes comporte un certain nombre de dispositions relevant des juridictions civiles. La loi du 13 décembre 2011 prévoit ainsi que les affaires des douanes qui ne relèvent pas des juridictions répressives entrent dans la compétence du tribunal de grande instance.
Par ailleurs, certaines affaires relevant de la compétence exclusive du tribunal d'instance seront dévolues au tribunal d'instance ou au tribunal de grande instance en fonction du montant de la demande. Il s'agit :
- des contestations auxquelles peuvent donner lieu l'exercice de la servitude et le règlement des indemnités (C. for., art. L. 322-8 N° Lexbase : L0063IS7) ;
- des contestations sur les indemnités de classement des objets mobiliers (C. patr., art. L. 622-4 N° Lexbase : L3966HCU) ;
- des actions relatives à la vente des objets abandonnés ou laissés en gage par les voyageurs aux aubergistes ou hôteliers, ainsi qu'à la vente de certains objets abandonnés (4).
D - L'injonction de payer
Procédure française d'injonction de payer
La procédure d'injonction de payer relevait de la compétence du tribunal d'instance ou de la juridiction de proximité en fonction du montant de la demande. En revanche, pour les montants dépassant les 10 000 euros, l'injonction de payer demeurait de la compétence du tribunal d'instance en vertu de l'article L. 221-7 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7864HNL). Avec la disparition de la juridiction de proximité, cette compétence aurait été entièrement dévolue au tribunal d'instance. En réalité, l'article 221-7 du Code de l'organisation judiciaire a été totalement réécrit, faisant ainsi disparaître la compétence exclusive du tribunal d'instance. On doit comprendre que l'injonction de payer relève, comme toutes les autres actions, d'une répartition entre tribunal d'instance et tribunal de grande instance selon le montant de la demande. On rappelle que cette procédure peut être conduite devant un juge de proximité, puisque l'article L. 212-3-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3719IR8) permet à ce juge de statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition.
Procédure européenne d'injonction de payer
Le législateur réserve une compétence exclusive en matière civile au juge du tribunal d'instance pour toutes les demandes formées en application du règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer (N° Lexbase : L1426IRA) (COJ, art. L. 221-7, précité). Cette procédure (créée par le décret n° 2008-1346 du 17 décembre 2008 relatif aux procédures européennes d'injonction de payer et de règlement des petits litiges N° Lexbase : L2782ICZ) est réglementée par les articles 1424-1 (N° Lexbase : L2992ICS) et suivants du Code de procédure civile. Elle permet de faciliter l'exécution des dettes transfrontalières. En matière commerciale, la compétence pour connaître de l'injonction de payer européenne est dévolue au président du tribunal de commerce.
E - La procédure familiale
La procédure civile en matière familiale fait l'objet de plusieurs modifications, dont certaines à titre expérimental.
Médiation obligatoire
Durant trois années à compter de la promulgation de la loi, certains tribunaux de grande instance seront désignés pour instaurer une procédure de médiation obligatoire en matière familiale pour tous les litiges concernant l'exercice de l'autorité parentale, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ou la convention homologuée qui porte sur ces questions (5). L'article 15 de la loi dispose : "à peine d'irrecevabilité que le juge peut soulever d'office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d'une tentative de médiation familiale". Cette médiation obligatoire ne s'applique pas dans plusieurs situations :
- si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention ;
- si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime (6) ;
- si cette tentative de médiation préalable risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d'intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d'avoir accès au juge dans un délai raisonnable. Cette dernière exception, introduite par le Sénat, tient compte des difficultés rencontrées par les services de médiation familiale et des délais importants que rencontrent certains couples pour obtenir un rendez-vous avec ce service.
La convention d'honoraires obligatoire
La loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ), est modifiée pour réglementer les relations entre les avocats et leurs clients dans les procédures de divorce. Ainsi, l'article 10 in fine de la loi prévoit désormais que "l'avocat est tenu de conclure avec son client une convention d'honoraires pour les procédures de divorce". La loi prévoit encore que des barèmes indicatifs seront publiés par arrêté du Garde des Sceaux après consultation du Conseil national des barreaux.
II - Le nouveau cadre procédural des modes conventionnels de règlement des litiges civils
Les procédures de médiation et de conciliation sont bien connues en procédure civile française. Les articles 127 (N° Lexbase : L1108IND) et suivants du Code de procédure civile, aménagent les règles applicables à des modes alternatifs de règlement des litiges. Toutefois, les modes amiables de résolution des différends viennent de connaître d'importantes modifications sous l'impulsion de deux mouvements d'origines différentes. Le premier est la Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Cette Directive avait pour objectif premier de fournir des règles communes applicables aux médiations de litiges transfrontaliers. Elle a fait l'objet d'une transposition très large par l'ordonnance du 16 novembre 2011, laquelle a institué des règles communes applicables aux litiges transfrontaliers et internes (7). Le second texte est la loi du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (loi n° 2010-1609 N° Lexbase : L9762INU), qui a institué la convention de procédure participative (8). Ce contrat spécial est intégré dans le Code civil aux articles 2062 (N° Lexbase : L9826INA) et suivants. Ces deux textes devaient faire l'objet d'une transposition dans le Code de procédure civile ; ce qui fut fait avec le décret du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends.
Cet arsenal juridique, d'origine européenne, législative et réglementaire a paradoxalement conduit le gouvernement à proposer une vision unitaire des procédures alternatives conventionnelles. Si les règles relatives à la résolution amiable des litiges sont disséminées dans des textes très différents (ordonnance, Code civil, Code de procédure civile), on se retrouve, en définitive, face à deux grands modes de résolution amiable des litiges : d'un côté, la résolution judiciaire qui comprend la conciliation et la médiation judiciaire (C. pr. civ., art. 127 N° Lexbase : L1108IND à 131-15) ; d'un autre côté, la résolution conventionnelle du litige, qui comprend, la médiation, la conciliation et la procédure participative.
A - Le cadre général : l'ordonnance du 16 novembre 2011
Cette ordonnance réforme la loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD).
Définition de la médiation
La médiation est définie dans l'ordonnance de façon très large, de sorte qu'elle regroupe toutes les formes de règlement amiable des litiges. Il s'agit de "tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige".
Les qualités que doit présenter le médiateur
Le médiateur doit accomplir sa mission "avec impartialité, compétence et diligence". L'impartialité et la compétence sont les deux qualités requises pour que la procédure amiable ait une chance d'aboutir. La diligence est une transcription de l'exigence européenne d'efficacité du médiateur. En revanche, le gouvernement a choisi de ne pas imposer d'exigence d'indépendance. L'indépendance étant protégée par des règles statutaires, elle aurait conduit à restreindre le choix du médiateur par les parties. Au contraire, la souplesse de la procédure amiable doit permettre aux parties de conserver une grande liberté de choix, pourvu que le tiers qui assure la médiation soit impartial.
Le principe de confidentialité
L'une des clés de la réussite d'une procédure amiable repose sur la confiance que les parties peuvent investir dans cette procédure. Il est essentiel que les déclarations des parties ne puissent être utilisées contre elles dans une procédure juridictionnelle qui pourrait faire suite à l'échec de la médiation. Pour cette raison, l'ordonnance prévoit que " sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité".
Cette confidentialité concerne les déclarations des parties et les constatations du médiateur. Ces éléments ne peuvent être, ni divulgués à des tiers, ni produits dans une procédure subséquence (judiciaire ou arbitrale).
En revanche, la confidentialité peut être écartée dans trois situations :
- avec l'accord des parties ;
- en présence de raisons impérieuses d'ordre public ou de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou à l'intégrité physique ou psychologique de la personne ;
- si la publicité de certaines informations est nécessaire pour exécuter l'accord.
L'accord consécutif à la médiation
Si les parties aboutissent à un accord, celui-ci peut être soumis au juge pour homologation en vue de lui conférer une force exécutoire. Il n'y a là aucune nouveauté. De même, si le médiateur a été nommé par le juge, il doit rendre compte du résultat de sa mission (accord ou échec de la procédure). Enfin, dans l'accord, les parties ne peuvent porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition (droits indisponibles comme l'état des personnes).
Dispositions spécifiques à la médiation judiciaire
L'ordonnance comporte une section relative à la médiation judiciaire qui ne présente pas d'originalité par rapport au droit existant. Le texte rappelle que le juge peut désigner un médiateur à tout moment de la procédure avec l'accord des parties, à l'exception du préalable de conciliation en matière de divorce et de séparation de corps. Dans toutes les autres matières, sans accord des parties, le juge peut tout de même leur enjoindre de rencontrer un médiateur afin d'être informées sur l'objet et le déroulement de la mesure de médiation.
L'ordonnance définit également les règles applicables aux médiations payantes (9). Les parties peuvent librement se répartir le coût de la médiation. Dans le cas contraire, le juge les fixe à part égales ou, le cas échéant, en tenant compte de la situation économique des parties. L'aide juridictionnelle peut être accordée pour les médiations judiciaires payantes.
Le juge fixe la durée de la médiation. Il peut renouveler cette durée ou mettre fin à la mission du médiateur avant l'expiration du délai qu'il a déterminé.
Champ d'application de l'ordonnance
L'ordonnance s'applique par simple transposition à tous les litiges civils transfrontaliers. Il s'agit là d'une règle imposée par la directive européenne. En revanche, l'extension de la transposition de la directive aux litiges internes est une initiative de la France. Elle n'avait qu'un caractère facultatif.
Pour cette raison, l'ordonnance exclut de son champ d'application certains contentieux. Il en va ainsi de la médiation pénale, qui n'est pas modifiée. Il en est également ainsi de la médiation en droit du travail. Devant le conseil des prud'hommes, le préalable de conciliation est obligatoire. La médiation judiciaire est donc systématique. L'ordonnance a ainsi exclut la possibilité de recourir à une médiation conventionnelle pour les litiges internes. En revanche, la transposition de la Directive a imposé que la médiation conventionnelle soit possible dans les litiges transfrontaliers.
Vue d'ensemble
En définitive, l'ordonnance du 16 novembre 2011 ne révolutionne pas les procédures amiables en matière civile (10). Ces procédures étaient largement développées en droit interne. De surcroît, l'ordonnance crée un concept générique de médiation, alors que le droit français connaît aujourd'hui trois procédures distinctes : la conciliation, la médiation et la procédure participative (11). Enfin, l'ordonnance crée une certaine complexité en instaurant une médiation conventionnelle dans les litiges transfrontaliers du travail tout en l'excluant pour les litiges internes. Le paysage français du règlement amiable des litiges n'est donc pas clarifié. Il est, en revanche, unifié grâce aux principes communs à toutes les formes de règlement amiable : impartialité, compétence et confidentialité sont consacrées comme de véritables principes directeurs des modes alternatifs de règlement des litiges.
En procédure civile, l'ordonnance est complétée par un important décret du 20 janvier 2012, relatif à la résolution amiable des différends.
B - L'intégration des règlements amiables conventionnels dans le Code de procédure civile par le décret du 20 janvier 2012
Ce décret est véritablement innovant puisqu'il insère un livre 5 dans le Code de procédure civile relatif à la résolution amiable des différends. Ce livre est divisé en trois titres. Le premier rassemble la médiation et la conciliation conventionnelles, le deuxième concerne la procédure participative, et le troisième est consacré aux dispositions communes.
Très attendu, ce décret permet de mettre en oeuvre à la fois l'ordonnance du 16 novembre 2011, mais également la loi du 22 décembre 2010 qui avait créé, dans le Code civil, la convention de procédure participative. Il permet également d'intégrer les procédures amiables conventionnelles dans le Code de procédure civile.
L'article 1528 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8343IRG) affirme de façon générale que "les parties à un différend peuvent, à leur initiative et dans les conditions prévues par le présent livre, tenter de le résoudre de façon amiable avec l'assistance d'un médiateur, d'un conciliateur de justice ou, dans le cadre d'une procédure participative, de leurs avocats".
1 - Les dispositions communes à tous les règlements amiables
Les articles 1565 (N° Lexbase : L8380IRS) à 1568 du Code de procédure civile définissent des règles communes d'homologation de la convention issue d'un règlement amiable. Ces règles sont applicables à la médiation, à la conciliation, à la procédure participative, mais également aux transactions conclues par les parties en dehors de ces procédures.
La convention peut être soumise pour homologation au juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée. Le juge est saisi sur requête et peut statuer sans débat. Il ne peut modifier les termes de l'accord. En cas d'homologation, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision. En cas de refus d'homologation, le requérant peut faire appel selon la procédure gracieuse.
2 - La médiation et la conciliation conventionnelles
Ces deux procédures correspondent à la définition générique de la médiation prévue par l'ordonnance du 16 novembre 2011. Ainsi, l'article 1530 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8345IRI) énonce que "la médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s'entendent, en application des articles 21 et 21-2 de la loi du 8 février 1995 susmentionnée, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence".
Ces deux procédures sont soumises au principe de confidentialité.
La médiation conventionnelle
Le médiateur peut être une personne physique ou morale. Il ne doit pas avoir fait l'objet d'une condamnation inscrite au casier judiciaire n° 3 et doit posséder une qualification requise au regard du différend.
Si les parties sont parvenues à un accord, il peut faire l'objet d'une homologation par la voie de la requête présentée par l'ensemble des parties ou l'une d'entre elles. Cette homologation confère à l'accord son caractère exécutoire. Si cette exequatur a été obtenue dans l'un des Etats de l'Union Européenne, elle s'impose en France sans avoir recours au juge.
La conciliation conventionnelle
La conciliation se distingue de la médiation par le recours à un conciliateur de justice dont la profession est réglementée par le décret du 20 mars 1978 (décret n° 78-381, relatif aux conciliateurs de justice N° Lexbase : L0747AYC).
Le conciliateur de justice exerce son activité à titre bénévole et il est nommé par le premier président de la cour d'appel. Le conciliateur de justice peut se voir confier une mission par le juge (conciliation judiciaire) ou par les parties (conciliation conventionnelle). Le conciliateur de justice possède des pouvoirs d'instruction. Ces pouvoirs s'exercent avec l'accord des parties. Il peut se rendre sur les lieux, entendre les personnes dont l'audition lui paraît utile. En cas de conciliation, même partielle, il peut être établi un constat d'accord signé par les parties et le conciliateur. Ce constat est obligatoire si la conciliation débouche sur la renonciation à un droit. Le constat est remis à chaque partie et un exemplaire est déposé par le conciliateur au greffe du tribunal d'instance. Pour la conciliation judiciaire, cet accord peut être consigné dans un procès-verbal signé par les parties et le juge. Le constat d'accord conventionnel doit faire l'objet d'une requête en homologation devant le juge d'instance pour obtenir un caractère exécutoire. A l'inverse, en matière de conciliation judiciaire, le procès-verbal qui contient l'accord vaut titre exécutoire.
3 - La procédure participative
Il s'agit des dispositions les plus innovantes du décret puisque cette procédure, créée par la loi du 22 décembre 2010, devait faire l'objet d'un décret d'application pour entrer en vigueur. La date limite de publication du décret avait été fixée au 1er septembre 2011. Le décret du 20 janvier est donc tardif, mais nécessaire. La procédure participative est une institution inspirée des modes de résolution amiable pratiqués dans le système anglo-américain.
La procédure participative est divisée en deux étapes. La première étape, appelée "procédure conventionnelle", définit les règles de résolution amiable du différend. La seconde étape, appelée "procédure aux fins de jugement" concerne, soit l'homologation de l'accord qui met fin à l'entier différend, soit la procédure de jugement du différend persistant.
La procédure participative se distingue nettement de la médiation et de la conciliation. Elle est conduite par les parties avec l'aide de leurs avocats. Elle ne nécessite donc pas le recours à un tiers impartial. Par ailleurs, cette procédure permet d'anticiper la mise en état de l'affaire si le différend persistait à son issue. Une passerelle entre la phase amiable et la phase contentieuse est alors possible.
Dispositions prévues par le Code civil
Le Code civil définit le cadre général de la convention de procédure participative.
La procédure participative se déroule d'abord dans le cadre d'un contrat spécial conclu entre les parties, assistées par leurs avocats. Ce contrat est défini à l'article 2062 du Code civil : "la convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n'a pas encore donné lieu à la saisine d'un juge ou d'un arbitre s'engagent à oeuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend".
Cette convention peut être conclue pour trouver un accord sur les droits dont les parties ont la libre disposition, à l'exclusion des litiges relatifs au contrat de travail. En revanche, la procédure participative est ouverte dans le contentieux du divorce et de la séparation de corps.
Durant la période déterminée par la convention, les parties sont irrecevables à agir en justice. Elles peuvent néanmoins solliciter des mesures conservatoires ou provisoires. Si l'accord ne peut être trouvé, les parties peuvent agir en justice. Si un préalable de conciliation est obligatoire, les parties en sont alors dispensées.
La procédure conventionnelle
L'article 1544 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8359IRZ) définit cette procédure comme celle par laquelle les parties, assistées de leurs avocats, recherchent conjointement, dans les conditions fixées par convention, un accord mettant un terme au différend qui les oppose.
Le Code de procédure civile aménage une procédure de mise en état. Ainsi, la communication des écritures et pièces entre les parties se fait par l'intermédiaire de leurs avocats selon les modalités prévues par la convention. La communication des pièces se fait au moyen d'un bordereau, comme en matière contentieuse. Les parties peuvent également avoir recours à un technicien, quelles choisissent d'un commun accord et qu'elles rémunèrent. Ce technicien est soumis aux mêmes obligations qu'en matière contentieuse. Il doit accomplir sa mission "avec conscience, diligence et impartialité, dans le respect du principe du contradictoire". Il remet aux parties un rapport écrit qui peut être produit en justice. Cette procédure est à mi-chemin entre l'expertise judiciaire et l'expertise dite "amiable" qui est initiée par une seule partie dans une procédure contentieuse.
La procédure conventionnelle peut s'éteindre pour trois causes distinctes :
- la résiliation anticipée par écrit par les parties assistées de leurs avocats ;
- le terme fixé par la convention ;
- la conclusion d'un accord mettant fin en totalité au différend ou l'établissement d'un acte constatant la persistance de tout ou partie de celui-ci.
La procédure aux fins de jugement
La première hypothèse concerne le succès de la procédure amiable. Les parties vont alors conclure un accord qui met fin au différend. Cet accord peut faire l'objet d'une homologation par voie de requête.
La deuxième hypothèse concerne l'échec partiel de la phase amiable. Elle conduit vers une procédure mixte appelée "procédure d'homologation d'un accord partiel et de jugement du différend résiduel".
- les parties peuvent saisir le juge par la voie traditionnelle sur le différend persistant ;
- elles peuvent encore le saisir par requête conjointe. Cette requête fige le litige. Elle contient les prétentions des parties, la convention qui définit l'accord partiel, les pièces communiquées au cours de la phase amiable et, le cas échéant, le rapport du technicien. Durant cette procédure contentieuse, l'évolution du litige sera limitée au strict nécessaire. L'article 1561 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8376IRN) prévoit que "les parties ne peuvent modifier leurs prétentions, si ce n'est pour actualiser le montant d'une demande relative à une créance à exécution successive, opposer un paiement ou une compensation ultérieur ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait postérieur à l'établissement de l'accord". De plus, les moyens des parties sont également limités. La même disposition prévoit que "les parties ne peuvent modifier le fondement juridique de leur demande ou soulever de nouveaux moyens qu'en vue de répondre à l'invitation du juge de fournir les explications de fait ou de droit qu'il estime nécessaires à la solution du litige".
La procédure par requête conjointe est donc tout à fait contraignante. Elle a pour objectif de limiter tout à la fois la définition du litige, mais encore les moyens de droit utilisés par les parties.
La troisième hypothèse concerne l'échec total de la procédure amiable. Trois voies s'offrent alors aux parties :
- soit elles ont recours au juge selon la procédure traditionnelle (assignation ou saisine simplifiée selon les cas) ;
- soit elles agissent en justice par la voie de la requête conjointe selon les règles contraignantes qui ont été définies précédemment ;
- soit l'une des parties saisit le juge par voie de requête unilatérale. La requête unilatérale doit être déposée dans les trois mois suivant le terme de la procédure participative. Elle contient un exposé des moyens de fait et de droit et, est accompagnée de la liste des pièces issues de la procédure amiable. L'autre partie est informée de cette requête par les voies traditionnelles.
Conclusion
L'arsenal législatif et réglementaire relatif à la conciliation est imposant. Directives, lois, ordonnances et décrets se sont enchaînés depuis 2010 pour aboutir à un ensemble plutôt cohérent qui réunit les procédures judiciaires amiables et les procédures conventionnelles. Mises à part une clarification et une harmonisation des règles procédurales, cet enchaînement de réformes est marqué par une seule innovation : la procédure participative. L'intervention des avocats pour résoudre un différend à l'amiable était déjà connue, mais l'insertion d'une procédure détaillée dans le Code est bienvenue. Elle peut inciter les professionnels à choisir cette voie, notamment en raison des avantages qu'elle procure : anticiper la mise en état, cantonner le litige, parvenir à un accord amiable plutôt que de prendre le risque d'un procès. Enfin, de façon plus académique, cette réforme propose une véritable théorie générale des règlements amiables des litiges.
(1) Rapport de la Commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée. Cf. à propos de ce texte, C. Blery, Répartition des contentieux et allègement de certaines procédures juridictionnelles. Aspects civils de la loi du 13 décembre 2011, JCP éd. G, 2011, 1465 ; L. Mauger-Vielpeau, Aspects familiaux de la loi du 13 décembre 2011, JCP éd. G, 2012, 90.
(2) Sauf lorsqu'il s'agissait d'anciens magistrats.
(3) COJ, art. L. 221-4-1 (N° Lexbase : L3746IR8). Sur la procédure de règlement des petits litiges, cf. C. pr. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L3011ICI) et suivants.
(4) Loi du 31 mars 1896 relative à la vente des objets abandonnés ou laissés en gage par les voyageurs aux aubergistes ou hôteliers et loi du 31 décembre 1903, relative à la vente de certains objets abandonnés (N° Lexbase : L1805DN8).
(5) C. civ., art. 373-2-6 et suivants (N° Lexbase : L7178IMS).
(6) Ce motif n'est pas précisé par les travaux parlementaires.
(7) N. Nevejans, L'ordonnance du 16 novembre 2011. Un encouragement au développement de la médiation ?, JCP éd. G, 2012, 148.
(8) S. Amrani Mekki, La convention de procédure participative, D., 2011, 3007.
(9) En procédure civile, la médiation judiciaire visée aux articles 131-1 (N° Lexbase : L1435H4W) et suivants du Code de procédure civile est une procédure payante. En revanche, la conciliation judiciaire (C. pr. civ., art. 129-1 N° Lexbase : L1805DN8 et suivants) est gratuite.
(10) L'effet est plus visible en matière administrative puisque l'ordonnance crée un chapitre dédié à la médiation dans le Code de justice administrative.
(11) Laquelle ne relève pas du champ d'application de la Directive.
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