Lecture: 9 min
N0216BT8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes
le 23 Février 2012
L'apport de l'arrêt est de préciser les conditions dans lesquelles peut être combattue la présomption simple de l'article 751 du CGI, en apportant la preuve de la sincérité des conventions des contractants. L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation ici commenté se place dans le prolongement de l'arrêt rendu par cette même chambre le 23 mars 2010 (Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-65.820, F-D N° Lexbase : A1676EUM) et illustre la libéralisation progressive du contenu et des modalités selon lesquelles le contribuable peut combattre la présomption de l'article 751 du CGI, notamment en présence d'une opération de démembrement effectuée moins de trois mois avant le décès du donateur. Cet assouplissement progressif de la jurisprudence, à l'origine stricte de la Cour de cassation, s'effectue de façon moins volontaire que subie, ainsi que le montre l'intervention du législateur en 2008, postérieurement à un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 janvier 2007 (Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-14.403, F-P+B N° Lexbase : A6790DTN). Cependant, la solution retenue par les juges sous l'arrêt du 17 janvier 2012 retient l'argument selon lequel le décès, dans un court laps de temps suivant la donation, a constitué un événement inattendu lors de la signature de l'acte, de nature à écarter toute intention d'éluder fictivement les droits de succession, argument que la Cour de cassation avait pourtant écarté le 13 juin 1995 (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 N° Lexbase : A5957CSG et n° 93-21.734 N° Lexbase : A5958CSH, inédits au Bulletin).
I - La présomption simple édictée par les dispositions de l'article 751 du CGI est sévère mais découle de la loi
La Cour de cassation tire les conséquences des termes généraux du texte et, dans l'espèce jugée par cette juridiction le 17 janvier 2012, il était constant que les conditions d'application de la présomption de l'article 751 du CGI étaient réunies.
A - Les conditions d'application de la présomption simple de l'article 751 du CGI
Les dispositions de l'article 751 du CGI réputent, du point de vue fiscal, faire partie, jusqu'à preuve contraire, de la succession de l'usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant pour l'usufruit au défunt, et, pour la nue-propriété, à l'un de ses présomptifs héritiers ou descendants, même exclu par testament ou à ses donataires ou légataires institués, même par testament postérieur ou à des personnes interposées. Il n'en va autrement que s'il y a eu donation régulière et, que cette donation, si elle n'est pas constatée dans un contrat de mariage, a été consentie plus de trois mois avant le décès ou qu'il y a eu démembrement de propriété effectué à titre gratuit, réalisé plus de trois mois avant le décès, constaté par acte authentique.
Ainsi, la présomption ne peut être combattue que si deux conditions sont réunies. D'une part, la donation doit être régulière et, d'autre part, la donation doit dater de plus de trois mois avant le décès du de cujus. Lorsque la donation, comme c'était le cas dans l'espèce jugée le 17 janvier 2012, est intervenue moins de trois mois avant le décès, les héritiers sont en droit d'apporter la preuve contraire à la présomption. Le juge a fait une application restrictive des dispositions législatives de l'article 751 du CGI, en jugeant, notamment, que la preuve contraire n'est pas regardée comme apportée s'il ne peut être établi que le démembrement avait eu lieu antérieurement à la donation partage (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 et n° 93-21.734, inédits au Bulletin, précités). La présomption de l'article 751 du CGI s'étend d'ailleurs au conjoint de l'héritier présomptif ; il en est ainsi lorsque le défunt a vendu la nue-propriété d'immeubles à sa nièce, héritière présomptive, et au mari de celle-ci, en s'en réservant l'usufruit viager (Cass. com., 1er octobre 1996, n° 94-15.134, inédit au Bulletin N° Lexbase : A0769CL3).
B - La loi réserve à l'héritier ou au légataire la preuve contraire à la présomption de propriété du défunt usufruitier du bien en cause
La présomption simple de fictivité de l'opération de démembrement effectuée moins de trois mois avant le décès du donateur a pour objectif d'empêcher que des personnes ne délaissent de leur vivant la nue-propriété de tout ou partie de leurs biens en faveur de leurs héritiers présomptifs ou de leurs légataires, dans le seul but que les héritiers ne paient pas l'impôt de mutation par décès. L'usufruitier est présumé propriétaire de la totalité du bien si la nue-propriété appartient soit à un héritier présomptif ou à un de ses descendants, même exclus par testament, soit à un donataire ou légataire, même institué par testament postérieur au démembrement de propriété, ou aux personnes réputées interposées entre le défunt et les héritiers, donataires ou légataires et désignées aux articles 911, alinéa 2 (N° Lexbase : L0058HPT), et 1010 (N° Lexbase : L0167HPU) du Code civil.
Les éléments constitutifs de la preuve contraire sont appréciés souverainement par le juge et les motifs constituant cette appréciation ne peuvent utilement être critiqués devant la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 28 octobre 1986, n° 84-17.664, publié au Bulletin N° Lexbase : A5617AAB et Cass. com., 27 juin 1989, n° 87-19.514, publié au Bulletin N° Lexbase : A3214AHI). Le juge peut décider, sans inverser la charge de la preuve, que le contribuable apporte la preuve contraire à la présomption de propriété édictée par l'article 751 du CGI, dès lors qu'il constate que la cession de la nue-propriété du bien litigieux a été effectuée par acte authentique (Cass. com., 16 janvier 2001, n° 97-20.041 N° Lexbase : A4194ARR).
Lorsque la conclusion de la donation est intervenue moins de trois mois avant le décès, la preuve de la régularité de la donation n'est pas, a priori, de nature à renverser cette présomption.
II - La décision du 17 janvier 2012 illustre l'assouplissement progressif des modalités d'apport de la preuve contraire permettant de combattre la présomption de l'article 751 du CGI
La jurisprudence de la Cour de cassation "libéralise" progressivement le contenu et les modalités à partir desquelles peut être combattue la présomption de l'article 751 du CGI.
A - Une jurisprudence progressivement plus favorable au contribuable qui apporte la preuve de la sincérité des conventions passées
Les héritiers sont en droit d'apporter la preuve contraire à la présomption. Les conditions dans lesquelles cette preuve est apportée ont été interprétées, dans un premier mouvement de jurisprudence, de manière stricte par la Cour de cassation, qui a refusé d'admettre comme preuve contraire la donation régulière d'une somme d'argent permettant d'acheter la nue-propriété d'un bien. La Cour de cassation a, ainsi, jugé que la donation régulière permettant d'écarter la présomption de fictivité du démembrement était celle de la nue-propriété ou de l'usufruit du bien, et non la donation d'une somme d'argent permettant d'acheter la nue-propriété ou l'usufruit de celui-ci, quand bien même cette donation serait elle-même réalisée régulièrement (Cass. com., 23 janvier 2007, n° 05-14.403, F-P+B, précité).
C'est pour assouplir cette lecture jurisprudentielle stricte des conditions dans lesquelles la présomption simple peut être combattue que la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 N° Lexbase : L5488H3N) a ouvert une possibilité d'apporter la preuve contraire en présence de donation des fonds permettant l'acquisition de la nue-propriété plus de trois mois avant le décès. Cette preuve contraire peut, notamment, résulter d'une donation des deniers constatée par un acte ayant date certaine, quel qu'en soit l'auteur, en vue de financer, plus de trois mois avant le décès, l'acquisition de tout ou partie de la nue-propriété d'un bien, sous réserve de justifier de l'origine des deniers dans l'acte en constatant l'emploi.
Les héritiers peuvent, par ailleurs, démontrer que la donation, intervenue moins de trois mois avant le décès, était envisagée plus de trois mois avant. Ils peuvent, notamment, s'appliquer à démontrer que, à une date antérieure à celle à laquelle est intervenu l'acte authentique de donation, soit trois mois avant le décès, une pluralité d'indices permettait de considérer que la transmission avait eu lieu. C'est la position qu'a adoptée la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 mars 2010, le juge ayant, à cette occasion, estimé que la preuve contraire à la présomption était rapportée, dès lors que la donation avait été envisagée plus de trois mois avant le décès, les difficultés pour évaluer les biens de grande valeur retardant la signature de l'acte et l'éventualité, au jour de la donation, d'un décès brutal du donateur ne pouvant être envisagée (Cass. com., 12 mars 2010, trois arrêts, n° 09-65.820 N° Lexbase : A1676EUM, n° 09-65.821 N° Lexbase : A1677EUN et n° 09-65.824 N° Lexbase : A1678EUP, F-D).
Cette décision précisait les modalités de décompte du délai de trois mois avant le décès, la donation ayant eu lieu avant la date de l'acte la constatant. La décision de la Cour de cassation du 17 janvier 2012 prolonge la jurisprudence du 12 mars 2010 en s'appuyant, pour retenir la sincérité de la donation, sur des éléments survenus moins de trois mois avant la donation.
B - La preuve contraire à la présomption de propriété de l'article 751 du CGI est apportée si le décès intervenu dans un court laps de temps suivant la donation constitue un événement inattendu lors de la signature de l'acte
En l'espèce, le directeur des services fiscaux de Paris faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé mal fondé le redressement alors que, en s'appuyant sur des attestations portant sur la période comprise dans les trois mois précédant le décès et sans rapport avec la donation, la cour avait privé sa décision de base légale au regard de l'article 751 du CGI. La Cour de cassation, après avoir rappelé que l'héritier avait produit une attestation établie par le médecin traitant de sa mère d'où il résultait que sa mère était en bonne santé début octobre 2002, ainsi que deux autres attestations rédigées par des personnes l'ayant rencontrée peu de temps avant son décès qui confirmaient cet état et témoignaient du caractère soudain et surprenant de celui-ci, juge que la cour d'appel, qui a souverainement estimé que ces éléments suffisaient à démontrer la sincérité de la donation litigieuse, a légalement justifié sa décision.
Ce faisant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur la solution retenue le 13 juin 1995 (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-21.732 et n° 93-21.734, inédits au Bulletin, précités), espèce dans laquelle elle avait rejeté l'allégation de l'héritier selon laquelle le décès dans un court laps de temps suivant la donation constituait un événement inattendu lors de la signature de l'acte, de nature à écarter toute intention d'éluder fictivement les droits de succession. La Cour de cassation avait alors considéré que l'héritier n'apportait pas la preuve contraire à la présomption de propriété édictée à l'article 751 du CGI, en retenant, d'une part, que le démembrement de la propriété n'était pas caractérisé avant l'acte de donation-partage et, d'autre part, que les donateurs avaient agi dans l'urgence de leur santé précaire. Toutefois, dans l'arrêt du 13 juin 1995 précité, le démembrement de la propriété n'était, en tout état de cause, pas caractérisé avant l'acte de donation partage. Tout au contraire, dans la décision du 17 janvier 2012, les témoignages circonstanciés et concordants établissaient que le décès était survenu soudainement et avait surpris l'entourage. La Cour de cassation juge alors que le service était mal fondé à critiquer la date des attestations, l'important étant que le contenu pertinent de ces attestations portait sur des faits contemporains de la donation critiquée.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:430216