Réf. : Cass. com. 6 décembre 2011, n° 10-24.885, F-P+B (N° Lexbase : A2011H4A)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Institut François Gény, Université de Lorraine)
le 23 Février 2012
I - Le droit de faire appel du débiteur visé par l'extension de la procédure collective
Les voies de recours en droit des entreprises en difficulté se caractérisent par leur complexité. En effet, dans un premier temps, le législateur a eu tendance à limiter volontairement leur exercice, ou du moins, à les encadrer (en restreignant les personnes ayant qualité pour les exercer, en limitant le délai pour agir, notamment) afin de trouver rapidement une solution aux difficultés de l'entreprise. Toutefois, de telles restrictions ont permis le développement des recours-nullité, de manière plus significative que dans d'autres domaines du droit. Puis, sous l'impulsion de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), l'exercice des voies de recours a été fortement assoupli, notamment sous l'influence des droits de la défense. En outre, ces voies de recours sont souvent plus sophistiquées qu'en droit commun (J.-P. Rémery, Les voies de recours dans la réforme de la loi de sauvegarde des entreprises, JCP éd. G, 2009, I, 129) et n'ont pas été oubliées par le législateur lors de la réforme opérée par l'ordonnance du 18 décembre 2008 précitée. En effet, l'article L. 661-1 du Code de commerce a notamment été modifié, afin de répondre aux attentes légitimes des praticiens à propos des décisions assimilées aux décisions d'ouverture, au nombre desquels figurent celles statuant sur l'extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines. En effet, jusqu'à la réforme de 2008, le régime juridique de l'extension de procédure pour confusion de patrimoines était essentiellement de nature jurisprudentielle car il s'agit d'une création prétorienne. L'ordonnance de 2008 la consacre indirectement en accordant le droit de faire appel au débiteur visé par une décision d'extension de procédure collective.
Sous l'empire des dispositions légales antérieures à la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, la Cour de cassation avait déjà considéré que le débiteur visé par le jugement d'extension d'une liquidation judiciaire dispose d'un droit propre à contester cette décision (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-20.674, F-D N° Lexbase : A4208DIP, Act. proc. coll., 2005, n° 150 ; RTDCom., 2005, p. 608, n° 18, obs. J.-L. Vallens). La réforme de 2005 n'avait apporté aucune précision sur cette question. Désormais le 3° de l'article L 661-1, I du Code de commerce prévoit des règles spéciales aux décisions statuant sur l'extension d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Elles peuvent faire l'objet d'un appel ou d'un pourvoi en cassation de la part du débiteur qui est soumis initialement à la procédure collective ainsi que de la part du débiteur visé par cette extension (appelé parfois le "débiteur cible"), du mandataire judiciaire, de l'administrateur et du ministère public. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 6 décembre 2011, la procédure initialement ouverte était une liquidation judiciaire que le mandataire avait souhaité étendre à une autre société, in bonis (suite à l'adoption de son plan de continuation : Cass. com. 21 février 2006, n° 04-10.187, FS-P+B N° Lexbase : A1747DNZ, LPA, 27 avril 2006, p. 1, nos obs.). Dans ces conditions, il paraît logique que cette dernière puisse contester le jugement prononçant l'extension car n'étant pas en cessation des paiements, le jugement lui fait réellement grief. Cette possibilité lui est effectivement ouverte, car la procédure collective initiale a été ouverte en septembre 2009, soit postérieurement à l'entrée en application des dispositions réformées par l'ordonnance du 18 décembre 2009 et son décret d'application du 12 février 2009, précités, fixée au 15 février 2009. Pour cette raison, l'arrêt du 6 décembre 2011 vise les textes dans leur dernière rédaction. Par ailleurs, il semble qu'il s'agisse d'une première application de ces dispositions du livre VI du Code de commerce, d'où l'intérêt de relever cet arrêt.
Outre la mise en oeuvre de la dernière rédaction de dispositions juridiques, l'arrêt du 6 décembre 2011 apporte des précisions pratiques importantes, en application du principe de l'unicité de la procédure collective, consécutivement au prononcé de l'extension pour confusion des patrimoines de plusieurs débiteurs.
II - Le principe d'unicité de la procédure collective : un liquidateur judiciaire unique
Jusqu'en 2005, il convenait de distinguer entre deux types d'extension de procédure : l'extension véritable, également appelée l'extension lato sensu, fondée sur la fictivité d'une personne morale ou sur la confusion des patrimoines et l'extension légale. Cette dernière existait déjà sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8), mais la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L4126BMR) avait multiplié le nombre de cas dans lesquels elle pouvait être prononcée. Pratiquement, l'extension légale est une sanction prononcée à l'égard du dirigeant d'une personne morale débitrice, qui consiste à prononcer à l'encontre du dirigeant un redressement judiciaire, dont le déroulement est totalement indépendant de la procédure collective de la personne morale. Cette extension légale a été abrogée par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (P.-M. Le Corre, Droit et Pratique des procédures collectives, Dalloz-Action, 2010-2011, n° 214.41). Par conséquent, il n'existe plus que l'extension qui avait été qualifiée d'"extension véritable" par la doctrine (F. Derrida, P. Godé, J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaire des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 585).
Dans la présente affaire, l'extension de procédure contestée, a été prononcée en raison de la confusion des patrimoines de deux sociétés. Ainsi, le liquidateur prétend que les actifs et les passifs des deux personnes morales sont mélangés à un tel point que l'on ne puisse pas distinguer l'actif appartenant à chaque société, ni les dettes afférentes à chacune d'elles. Il y aurait alors un mélange matériel inextricable (F. Reille, La notion de confusion de patrimoines, cause d'extension des procédures collectives, Litec, 2006, spéc. n° 625 et s.) empêchant de mener à bien le déroulement de la liquidation judiciaire initialement ouverte. Par conséquent, ce "mélange patrimonial" justifie que la procédure initiale soit étendue à la seconde société afin qu'une procédure unique se déroule avec les deux débiteurs, sans pour autant remettre en cause l'existence des personnes morales. Toutefois, cette affirmation doit être appréciée au regard de la procédure ouverte, car en application de l'article 1844-7, 7° du Code civil (N° Lexbase : L3736HBY), le prononcé de la liquidation judiciaire entraîne la dissolution de la société, par conséquent sa personnalité juridique ne subsiste que pour les besoins de la liquidation.
Ainsi, en raison du prononcé de l'extension d'une procédure collective, un débiteur in bonis, se trouve sous l'influence de celle-ci, sans qu'il soit nécessaire de prononcer un jugement d'ouverture au sens strict. Par conséquent, le jugement prononçant l'extension est qualifié de "décision assimilée à une décision d'ouverture" par la doctrine (J.-P. Réméry, précité), car elle ne produit que certains effets attachés aux décisions d'ouverture d'une procédure collective. En effet, le tribunal n'a pas besoin de fixer la date de cessation des paiements du débiteur visé dans la procédure précédemment ouverte (Cass. com., 25 mai 1993, n° 91-10.998, inédit N° Lexbase : A1203C3X). Cette solution se justifie pleinement sur le plan pratique, car ce dernier n'a pas nécessairement cessé ses paiements. En outre, le jugement prononçant l'extension pouvant lui faire grief (et lui faisant certainement grief), il doit pouvoir le contester.
A l'opposé, la procédure initiale ouverte produit des effets à l'égard du débiteur à l'encontre duquel elle a été étendue. Ainsi, la date de cessation des paiements fixée par le tribunal, produit ses effets à l'égard des deux sociétés débitrices, comme dans la présente affaire. Il en est de même pour les organes. Les mandataires désignés dans la procédure initialement ouverte sont automatiquement organes pour le débiteur "attiré" dans la sphère de la procédure. C'est ce que l'on appelle le principe d'unicité de la procédure en matière d'extension, en vertu duquel la situation juridique des débiteurs est identique (Cass. com., 17 novembre 1992, n° 90-22.130, publié N° Lexbase : A4803ABI, Bull. IV, n° 357 ; Cass. com., 22 octobre 1996, n° 94-20.760, inédit N° Lexbase : A7780CYS). Par conséquent, si l'on applique cette règle à l'affaire à l'origine de l'arrêt du 6 décembre 2011, le mandataire judiciaire désigné en qualité de liquidateur dans la procédure initialement ouverte, est également organe à l'égard de la seconde société, et ce, sans qu'il soit besoin de le mentionner expressément dans la décision d'extension de la procédure pour confusion des patrimoines. C'est ce que rappelle la Cour de cassation : "en raison de l'unicité de la procédure collective découlant d'une décision d'extension fondée sur la confusion du patrimoine des débiteurs, ceux-ci ont un liquidateur judiciaire unique". Autrement formulé, le liquidateur de l'un est également et simultanément le liquidateur de l'autre.
Pratiquement, l'article L. 661-1, 3° du Code de commerce permet au débiteur visé par l'extension de la procédure de faire appel de cette décision, mais à condition, que le liquidateur désigné dans la procédure collective soit intimé, conformément à l'article R. 661-6 1° du même code. Comme précédemment indiqué, en application du principe d'unicité de la procédure collective, le liquidateur du débiteur soumis à la liquidation judiciaire étendue est également le liquidateur du débiteur visé par l'extension. Par conséquent, si le liquidateur est intimé au titre de ce premier débiteur, il l'est automatiquement en qualité d'intimé du débiteur visé par la l'extension, auteur de l'appel interjeté contre la décision d'extension. Pour cette raison, la Cour de cassation censure la cour d'appel, et précise "qu'il importe peu que le débiteur appelant d'une telle décision n'ait pas été précisé en intimant ce liquidateur que celui-ci était aussi intimé en qualité de liquidateur de sa propre liquidation". Il n'est pas nécessaire d'être intimé deux fois, car l'unicité de la procédure collective implique l'unicité des organes de cette même procédure, sous réserve de la nécessité de désigner deux liquidateurs consécutivement à l'extension, et ce comme pour toutes les autres liquidations judiciaires.
Ainsi, l'arrêt du 6 décembre 2011 constitue une première application du droit de faire appel reconnu par l'ordonnance du 18 décembre 2008 au débiteur visé par la décision d'extension d'une procédure collective. Il précise également le régime juridique de l'extension, et certains effets du principe de l'unicité de procédure : l'unicité des organes de la procédure. En l'occurrence, s'agissant d'une liquidation judiciaire, il y avait un liquidateur judiciaire unique. Reste alors en suspens, la solution au fond de ce litige. Le débiteur visé par l'extension étant une société bénéficiant d'un plan de continuation, dont rien ne dit qu'il n'était pas respecté, dans ces conditions, peut-on prononcer l'extension d'une liquidation judiciaire à un débiteur dont les opérations résultant du plan n'ont pas encore pris fin (C. com., art L. 640-2, al.2 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4830722, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "L640-2", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L8862INK"}}) ? Le doute est permis. Peut-être, une prochaine décision de la Cour de cassation nous le précisera-t-elle ?
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