La lettre juridique n°467 du 5 janvier 2012 : Éditorial

La conversation* : quand le soda XXL vient au secours de la France AAA

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Préambule

La scène se déroule, le 23 décembre 2011, à Santa Claus Village, un bourg situé exactement sur le cercle polaire arctique, au nord de Rovaniemi en Finlande. L'un des protagonistes, le Père Noël, s'affaire comme de coutume à la préparation de ses hottes et de son traîneau. D'un geste, il commande aux lutins de nourrir ses rennes ; d'une voix caverneuse, il presse les saisonniers de sa firme internationale -since 1823- d'emballer cadeaux en tout genre. Une bouteille de soda cola à la main, il s'apprête à mémoriser le registre des heureux bénéficiaires de ses présents, quand le spectre de John Styth Pemberton, inventeur de la recette du Coca-Cola, lui apparaît et engage la conversation.

John Styth Pemberton : Pardonnez mon intrusion à cette heure tardive et, qui plus est, un jour aussi chargé que celui-ci. Je vous sais fort occupé à satisfaire les desiderata d'une population infantile ou infantilisée, toujours plus nombreuse -croissance démographique oblige-, alors que le nombre de vos employés peine à croître, faute de trouver du personnel compétent et au dessus de tout soupçon, en ces temps de méfiance, d'espionnage industriel et de faible mobilité professionnelle. Mais, je viens vous parler d'une affaire grave, qui nous intéresse tous les deux. Votre destin et le mien sont intimement liés, vous en conviendrez ; car, si votre ancêtre Saint-Nicolas arborait votre barbe et votre pourpre, vous admettrez tout de même que l'essor de votre petite affaire baltique prit un élan certain, dès lors que mon entreprise vous a pourvu de votre embonpoint et vous a affublé d'une bonhomie populaire propre à la démocratisation de vos services.

Père Noël : Assurément ! Je ne peux pas nier que votre campagne publicitaire, en 1931, ne m'ait pas servi au plus haut point, tel un animal symbiotique. Et, bien entendu, je vous en serai éternellement reconnaissant, d'autant que votre firme reverse à la mienne, aujourd'hui encore, des droits à l'image plus que conséquents. Si vous n'êtes point mon créateur devant l'Eternel, mon paganisme m'oblige à vous rendre grâce ; et vous observerez avec quel entrain je procède régulièrement aux libations gazeuses, étanchant ma soif exclusivement avec votre soda, en mémoire de notre fidèle collaboration.

John Styth Pemberton : Fort bien ! C'est justement cette fidèle collaboration que je viens mettre, en cette avant-veille de Noël, à l'épreuve. Avez-vous lu les journaux dernièrement ? Bon, de là à ce que vous vous intéressiez à la politique française, il y a pour vous un intérêt social et professionnel limité, j'en conviens. Et pourtant ! Jugez vous-même : mercredi 21 décembre 2011, l'Assemblée nationale a voté le budget 2012 et introduit, par là même, deux taxes sur les sodas. La première touche les boissons avec du sucre ajouté et la seconde, adoptée après moult pérégrinations, s'attaque aux boissons "light" contenant des édulcorants de synthèse. Autant dire que ces taxes ont comme assiette l'ensemble de nos boissons gazeuses ; et que, d'abord nos fidèles consommateurs, puis nous-mêmes, allons trinquer allègrement. Plus 35 % d'augmentation ! Comme s'il ne suffisait pas de nous faire porter tous les maux de la "malbouffe" et de l'obésité dans le monde...

Père Noël : Calmez vous John ! Calmez vous ! Je comprends votre ire, mais vous deviez bien vous attendre à un effet boomerang, même 125 ans après l'élaboration de votre breuvage. Franchement, à américaniser au plus haut degré métaphorique la boisson d'un corse, Angelo Mariani, le french wine coca, boisson à base de vin de Bordeaux et de feuille de coca, il était à craindre que, plus d'un siècle plus tard, et vous connaissez la mémoire des corses, l'un de ses descendants sans doute, ce Thierry Mariani, ministre de la Droite populaire, ne pousse en sous main à l'adoption d'une telle imposition. C'est un peu des redevances perdues de la propriété industrielle et des brevets que les Français cherchent à récupérer, désormais, auprès du confortable matelas que vous vous êtes confectionné depuis tant d'années...

John Styth Pemberton : Que nenni, cher ami ! La naissance de cette taxe n'apparaît même pas être une réponse du berger à la bergère ! Elle ne semble pas même être inspirée, réellement, par une politique de santé publique visant à déporter nos buveurs invétérés de sodas vers de nouvelles boissons dites "naturelles" ou de vieux breuvages sanctuarisés, comme le vin, au pays de la gastronomie partisane... Non, voyez vous, le produit de ces taxes devrait alimenter, certes les caisses de leur Sécurité sociale, mais surtout permettre un allégement des charges sociales dues par les agriculteurs. Depuis le temps que les éleveurs de bovins et autres producteurs d'orge et de mils veulent notre peau, à nous les chantres de la "bouffe sauce cola" !

Père Noël : Voyons ! Voyons ! Il faut raison garder. 7,16 euros par hectolitre ! 2 centimes d'euro d'augmentation par cannette ! Craignez vous réellement la fin de votre empire ? Je vous vois mal, vous qui avez fait fortune en mettant du gaz dans de l'eau, vous arrêter devant pareil OFNI (objet fiscal non identifié, selon Gilles Carrez), au point de mettre de l'eau dans le gaz dans vos relations avec le plus américain de tous les présidents français !

John Styth Pemberton : "Une recette de poche" de 240 millions d'euros, tout de même ! Ce qui me rassure ou m'attriste -c'est selon-, c'est qu'en s'attaquant à nous, le Gouvernement français creuse sa propre tombe. 58 % des sondés désapprouvent la taxe sur les sodas et 92 % estiment que le seul objectif de cette taxe est de remplir les caisses de l'Etat (sondage du 7 septembre 2011, commandé par le Syndicat national des boissons rafraîchissantes (SNBR)). Cette taxe sera déboursée par les 80 % des foyers français qui sont des consommateurs de sodas.

Père Noël : Ne vous emportez pas comme cela, John ! Vous connaissez l'appétence des Français pour clouer au pilori ce qu'ils adorent. Quand ils ne condamnent pas à l'échafaud un roi qu'ils vénèrent dans leur grande majorité, ils envoient promener, sur les plages irlandaises, leur sauveur de la Patrie, pour une sombre histoire sénatoriale. L'insincérité des Français est chose mondialement connue ; il n'y a que leur Conseil constitutionnel pour valider un budget sur les bases d'une croissance fantasmée... Et, tout le monde sait que les Français se plaisent à déboulonner les statues anglo-saxonnes. Souvenez vous de ce Lavoisier, qui découvrant l'oxygène et inspirant la chimie moderne, remisait au placard notre polymathe britannique Joseph Priestley, inventeur génial de l'eau gazeuse, mais adepte de la théorie du phlogistique devant l'Eternel... Le soda et la France, c'est une longue histoire dont les relations n'ont pas toujours gazé -si vous me permettez l'expression-. Et, taxer ainsi vos sodas colas, qui ont prospéré sous la prohibition géorgienne, au pays de la vigne et du malt, c'est tout de même du meilleur cru ironique... Enfin, délester leurs bourses pour alléger le poids des Français, il fallait y penser !

John Styth Pemberton : Certes, mais en attendant, les négociations commerciales avec les géants de la distribution française risquent d'être houleuses... Et, c'est surtout l'effet de contagion que nous craignons. Cette initiative gauloise pourrait bien donner de l'eau au moulin de ces deux économistes américains de l'Université de l'Iowa -Helen Jensen et John Beghin- qui proposent de taxer les sucres ajoutés non dans les aliments et boissons vendus chez les détaillants, mais lors du processus de fabrication. Selon eux, une telle mesure nous obligerait à réduire significativement les quantités de saccharose (canne à sucre, betterave sucrière) ou d'isoglucose de maïs incorporées. Les fabricants pourraient, également, être incités à utiliser des édulcorants de synthèse moins taxés (car moins calorigènes) que les produits sucrants traditionnels beaucoup plus riches sur le plan nutritif. Le genre de "taxe sur le péché" (de gourmandise) dont sont friands les puritains outre-atlantique, mais beaucoup moins nos actionnaires !

Père Noël : Soit ! Mais venez en au coeur de votre visite. En quoi suis-je, moi aussi, concerné par cette taxe ? Et, que puis-je faire pour vous ?

John Styth Pemberton : Mon cher ami, croyez vous qu'il fasse bon ton d'être quelque peu enveloppé à l'heure de la lutte contre l'obésité et la gaudriole ? Pensez-vous que votre image toute scandinave soit-elle, si intimement liée à la nôtre, si injustement décriée comme bouc émissaire de l'impérialisme culinaire, en sorte indemne ? En s'attaquant aux boissons sucrées, aux sodas light, le Gouvernement français s'attaque au rabelaisien que vous êtes. Quand nous faisons croire à la Terre entière que nous sommes, vous comme nous, "source de bonheur", les caciques de cette Droite populaire nous caricaturent, et nous collent, sur le dos, leurs maux de ventre. Ils démythifient votre barbe blanche et votre manteau rouge, comme ils ont jadis démythifié le cow-boy de Marlboro, jusqu'à l'interdire d'apparaître sur les paquets de cigarettes ! Quid du far west dans l'inconscient culturel français, désormais ? Quid de vos royalties, demain, vous qui êtes notre ambassadeur le plus emblématique ? Ce que j'attends de vous "petit papa Noël" : un triple A pour la France, afin de sauver nos boissons XXL ! De quoi satisfaire Moody's et Standard and Poor's, pour abandonner cette maudite taxe.

Père Noël : Voyons John, si je comprends bien, vous me faites un remake d'Hamlet : "être ou ne pas être, telle est la question" ! Mais, si je suis le Père Noël, je ne fais pas de miracle ! Garantir à la France son précieux sésame, c'est un peu comme contrevenir à la marche du monde... Je peux inspirer les consciences, influer les comportements, mais non résorber quelques centaines de milliards d'euros de déficit, en une nuit, fut-elle magique. En revanche, je vous propose une autre alternative : susciter l'engouement des Français pour les boissons sucrées, pour vos sodas, en les présentant comme le remède pharmaceutique à la crise. Comprenez moi bien : si, face à cette taxe visant à résorber leur déficit abyssal, nous encouragions les Français à boire des sodas colas ou autres boissons taxées, plus que de raison, pour qu'ils pensent ainsi, dans une frénésie patriotique, concourir au bien-être budgétaire de leur cher pays. Au pays de Rabelais, il s'agirait de boire à foison du soda cola, afin de redresser les comptes et d'obtenir le "magic number" des agences de notation ! A quelque chose, malheur doit être bon : et, le comble d'une taxe anti-crise présentée comme obéissant à un objectif de santé publique ne serait-il pas de rapporter aux finances de l'Etat, ce qu'il dénie au bien-être corporel de ses contribuables... Et connaissant l'esprit de contradiction de ces fiers gaulois, il y a cher à parier de ce côté-là...

* Nous rendons, ainsi, avec humilité, hommage au dernier ouvrage de Jean d'Ormesson, paru, cet hiver, aux éditions Héloise d'Ormesson.

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