Réf. : CE référé, 20 avril 2020, n° 439983 (N° Lexbase : A91553KB)
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par Marie Le Guerroué
le 22 Avril 2020
► Il appartient à l’Etat d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à se procurer des masques lorsqu'ils n'en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement.
Telle est l’une des réponses apportées par le Conseil d’Etat, dans sa décision du 20 avril 2020, aux demandes de l’Ordre des avocats du barreau de Marseille et l’Ordre des avocats du barreau de Paris qui dénoncaient la carence de l’Etat dans l’organisation sanitaire du service public de la Justice pendant la crise sanitaire et réclamaient la protection des avocats dans l’exercice de leurs missions d’auxiliaires de justice dans ce contexte (CE référé, 20 avril 2020, n° 439983 N° Lexbase : A91553KB).
L’Ordre des avocats du barreau de Marseille demandait au juge des référés du Conseil d’Etat qu’il enjoigne à l’Etat de fournir des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques aux avocats du barreau de Marseille dans l’exercice de leurs missions comme mesures de protection contre le covid-19. L’Ordre des avocats du barreau de Paris demandait lui, plus précisément, la mise à disposition systématique des masques et du gel hydro-alcoolique à la disposition des avocats et justiciables lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans toutes les circonstances du fonctionnement du service public de la justice où la présence d’un avocat est ou peut être requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense. Ils faisaient, tous deux, valoir que les carences de l’administration concernant la protection des avocats dans l’exercice de leur mission d’auxiliaires de justice ainsi que, par ricochet, des justiciables et personnels de justice méconnaissent gravement et manifestement le droit au respect de la vie, la possibilité́ pour les justiciables d’assurer de manière effective leur défense devant le juge et la liberté pour les avocats d’exercer leur profession, qui constituent des libertés fondamentales.
Une adaptation de l’activité et de l’organisation judiciaire. Le Conseil d’Etat relève, d’abord, qu’il y eu une adaptation de l’activité judiciaire pendant l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre la propagation du covid-19. Il souligne, notamment, la fermeture de l’ensemble des juridictions judiciaires et le maintien du service pour les contentieux essentiels, l’adaptation des règles de la procédure civile et de la procédure pénale pour limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes et aménager la présence personnelle de l’avocat auprès du justiciable de manière à être compatible avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation de la contamination ainsi que l’adaptation de l’organisation des services judiciaires. Il note, aussi, que s’agissant des masques de protection, l’Etat a mis en place une stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques à l’échelle nationale et, s’est attaché à l’adapter en fonction de l’évolution de l’épidémie. Il précise que pour les catégories de professionnels dont les fonctions justifient d’avoir accès à des masques non sanitaires, l’approvisionnement en masques se fait par l’intermédiaire des organisations auxquelles ils sont rattachés, qu’elles soient publiques ou associatives, qui disposent, selon le cas, de financements ou de concours financiers publics ainsi que de l’appui des pouvoirs publics pour accéder aux circuits d’approvisionnement lorsque ces organisations n’en disposent pas déjà du fait de leurs activités habituelles, ou éprouvent des difficultés à s’approvisionner par ceux-ci.
Obligations de l’Etat. Pour la Haute juridiction, il appartient à l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge. Il doit, à ce titre, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, veiller au respect des règles d’hygiène et de distance minimale entre les personnes afin d’éviter toute contamination. Il doit, également, lorsque la configuration des lieux ou la nature même des missions assurées dans le cadre du service public conduisent à des hypothèses inévitables de contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des intéressés des équipements de protection, lorsqu'ils n'en disposent pas eux-mêmes.
Sur l’accès aux masques. Cependant, face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, le Conseil d’Etat précise qu’il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d'employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu'ils n'en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement.
Sur la mise à disposition de gel hydro-alcoolique. Pour le gel hydro-alcoolique, pour lequel il n'existe plus la même situation de pénurie et les avocats sont donc en mesure de s’en procurer par eux-mêmes, il appartient à l'Etat d'en mettre malgré tout à disposition, lorsque l'organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale.
Carence caractérisée (non). Il s’ensuit, toutefois, qu’eu égard à l'office du juge des référés, qui ne peut ordonner que des mesures susceptibles d'être prises à très bref délai, aux mesures prises par le Gouvernement, et aux moyens dont dispose actuellement l'administration, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, que l’absence de distribution de masques de protection aux avocats lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans les circonstances où la présence d’un avocat est requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées. Les requêtes de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et de l’Ordre des avocats au barreau de Paris sont donc rejetées (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E1051E73).
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