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N2983BY7
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par Dimitri Houtcieff, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Saclay, Vice-Doyen de la Faculté d'Evry Val d'Essonne, Directeur du Master 2 "Contrats d'affaires et du crédit"
le 09 Avril 2020
Défaillances contractuelles et difficultés des entreprises. Le Covid-19 tétanise l’économie française comme celle du monde. L’état d’urgence sanitaire retentit sur de nombreux contrats en cours [1]. Les restrictions à la liberté de circulation, la fermeture des centres commerciaux, des restaurants, des débits de boissons et -plus généralement- de tous les « lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation » [2] a entravé l’exécution de nombre de conventions. Non seulement les entreprises directement visées sont privées de l’essentiel de leurs revenus, mais leurs difficultés retentissent sur leurs partenaires commerciaux et autres contractants. Ces défaillances contractuelles en chaînes risquant d’emporter beaucoup d’entreprises avec elles, les cessations des paiements sont, dès lors, figées pour un temps. L’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 [3] décide, en effet, que « l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 », jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire [4]. Le redressement ou la liquidation attendront : le débiteur échappe à l’obligation de déposer son bilan dans les quarante-cinq jours de la date réelle de la cessation des paiements. Cependant, ce traitement des difficultés des entreprises semble s’attacher davantage à masquer les symptômes qu’à endiguer le mal : aucun texte ne dispense le débiteur contractuel de ses obligations en raison de la crise.
Force obligatoire des échéances. Le droit des contrats semble immunisé contre le Covid-19 : la prolifération des textes adoptés en vue de faire face à l’épidémie l’a quasiment épargné [5]. Pour preuve, l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures [6] ne le touche qu’à la marge. En premier lieu, si l’article 1er de ce texte précise que ses dispositions sont applicables « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », cette « période juridiquement protégée » [7] ne profite guère, en principe, aux obligations contractuelles.
En second lieu, l’article 2 de l’ordonnance -qu’il est ici nécessaire de reproduire- précise, en effet, que « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ». Il ajoute qu’« Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit ».
Seuls les délais et les mesures « prescrits par la loi ou le règlement » sont ainsi concernés : une interprétation a contrario mais incontestable de l’article 2 de l’ordonnance conduit à exclure les obligations contractuelles. Quoique le Président ait un moment laissé entendre que [8], par principe, les échéances conventionnelles ont toujours « force de loi à l’égard de ceux qui les ont faites ».
Suspension du cours de certaines clauses sanctionnant l’inexécution. Si elle laisse, ainsi, intactes les obligations contractuelles, l’ordonnance neutralise, cependant, certaines clauses sanctionnant le retard ou l’inexécution de la prestation dans les délais : ainsi que l'on le verra, les clauses pénales, les clauses résolutoires ou bien encore les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées « ne pas avoir pris cours » dès lors que le délai a expiré pendant la période protégée. L’ordonnance n° 2020-306 accouche, ainsi, d’un curieux système, où seules certaines clauses comminatoires ou sanctionnatrices sont paralysées un temps, cependant que les échéances et obligations contractuelles demeurent : c’est dire que le droit commun des contrats demeure l’instrument essentiel de traitement des difficultés entraînées par l’épidémie.
Exécuter ou ne pas exécuter ? Telle est toujours la question. Les difficultés d’exécution rencontrées par le contractant en raison de l’épidémie le placent au cœur d’une alternative triviale : exécuter ou pas. Le débiteur n’étant pas dispensé de s’exécuter par l’ordonnance, il n’échappera, en principe, à l’engagement de sa responsabilité en cas d’inexécution de ses obligations que si les conditions de la force majeure sont réunies. A moins qu’il ne préfère, notamment si la force majeure n’est pas caractérisée, recourir à la révision pour imprévision, afin de profiter d’un rééquilibrage de la convention à son profit. Somme toute, les circonstances liées au Covid-19 peuvent déboucher sur une inexécution (I) ou sur une modification du contrat (II).
I - Inexécution entraînée par le Covid-19
Exécuter plus tard ou ne pas exécuter du tout. L’inexécution n’est pas toujours définitive. Certains mécanismes permettant, alors, de limiter les conséquences d’une inexécution tardive (A). Si les difficultés demeurent, le débiteur n’aura, le plus souvent, d’autre espoir que de démontrer la force majeure (B).
A - Exécuter plus tard : la neutralisation sanctionnant l’inexécution d'une obligation dans un délai déterminé
Si l’ordonnance ne touche pas, en principe, à la force obligatoire des échéances purement contractuelles (1), elle suspend, cependant, le cours de certaines clauses (2).
1 - Le maintien de principe des échéances contractuelles
Force obligatoire des échéances purement contractuelles. Ainsi qu’on l’a dit, l’ordonnance n° 2020-306 ne suspend pas, en principe, les délais contractuels. Les parties au contrat demeurent tenues d’exécuter les obligations conventionnelles aux échéances prévues. Il peut, cependant, arriver que les contrats soient soumis en l’application de formalités devant être accomplies dans des délais légaux. La circulaire interprétant l’ordonnance n° 2020-306 évoque ainsi l’exemple de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7564LBR), qui impose en substance au créancier d’informer la caution de l’évolution de la dette principale avant le 31 mars de chaque année. Un tel délai a beau s’appliquer au contrat, il n’en demeure pas moins fixé par la loi : il tombe, dès lors, dans le champ d’application de l’article 2. Ainsi que le relève la même circulaire, donc, l’information considérée pourra être régulièrement délivrée dans les deux mois qui suivent la fin de la période juridiquement protégée, c’est-à-dire dans les trois mois de la cessation de l’état d’urgence. Encore le créancier n’est-il pas tenu de s’exécuter avec retard : il lui est loisible d’accomplir cette obligation dans les délais ordinaires.
Délai supplémentaire de résiliation. Une autre mesure applicable aux conventions en cours doit être signalée. L’article 5 de l’ordonnance n° 2020-306 prévoit, en effet, que « lorsqu'une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu'elle est renouvelée en l'absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s'ils expirent durant la période [juridiquement protégée], de deux mois après la fin de cette période ». Les difficultés matérielles causées par l’épidémie ne sauraient conduire à confiner les parties dans leurs contrats : la préservation de leur liberté contractuelle -qui, après tout, a valeur constitutionnelle [9]- imposait qu’elles puissent en sortir une fois passé l’état d’urgence.
2 - La neutralisation des clauses sanctionnant le retard d’exécution
Suspension des clauses sanctionnant l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé. Si les échéances contractuelles ne sont pas modifiées par l’ordonnance, l’article 4 de ce texte suspend, toutefois, le cours de certaines clauses sanctionnant le retard ou l’inexécution de celles-ci. Il dispose, tout d’abord, que « les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er ». Les clauses considérées sont ainsi neutralisées le temps de la « période juridiquement protégée » et même davantage : l’alinéa suivant du même texte précise, ensuite, que « ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme ». Enfin, le troisième alinéa de l’article 4 précise que « le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er ». Un dispositif du même ordre est mis en place par l’ordonnance du même jour relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de Covid-19 [10].
Afin de préserver la force obligatoire des échéances contractuelles tout en neutralisant les sanctions conventionnellement attachées à l’inexécution, le mécanisme invite, ainsi, à distinguer selon que les clauses visées ont pris effet avant ou après le 12 mars 2020. Dans le cas où ils ont pris effet avant cette date, le cours de l’astreinte ou l’application de la clause pénale sont suspendus : ils reprendront le lendemain de l’expiration de la période juridiquement protégée. Dans le cas où la date de l’inexécution censée déclencher les astreintes et les clauses visées est postérieure au 12 mars, elles sont neutralisées : elles ne reprendront leur cours et ne produiront leurs effets qu’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, si le débiteur ne s’est pas exécuté d’ici là. Autant dire que ce mécanisme devrait inciter les créanciers d’obligations inexécutées à patienter le temps de la période juridiquement protégée en espérant une exécution spontanée par le débiteur. La neutralisation des clauses résolutoires et autres clauses pénales dissuadera, sans doute, les créanciers d’agir en justice pour obtenir paiement, pour peu que l’engorgement des tribunaux qui résultera de la crise n’y suffise pas : on peut voir là un moyen comme un autre d’inviter à la résolution amiable des conflits.
Difficulté d’interprétation. L’article 4 ne manquera sans doute pas de susciter quelques difficultés d’interprétation. Son champ d’application est d’abord incertain. Cette disposition ne vise, en effet, littéralement que les clauses ayant pour objet « de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé » : les clauses paralysées sanctionnent typiquement le non-paiement d’une redevance ou d’un loyer après l’échéance. Il se peut, cependant, que des obligations continues ou des devoirs indépendamment d’un quelconque délai soient également visés par des clauses pénales ou résolutoires : la question se posera, alors, de savoir si l’article 4 débouchera malgré tout sur une neutralisation de ces clauses en pareil cas. S’il est, par exemple, certain que le franchiseur ne peut invoquer la clause résolutoire durant la période juridiquement protégée pour sanctionner un défaut de paiement de redevance, la question se pose de savoir s’il peut se prévaloir de la même clause en cas de manquement du franchisé à la clause de non-concurrence, à l’obligation d’exploitation ou bien encore à la bonne foi contractuelle. S’il est vrai que cette interprétation littérale semble implicitement écartée par la circulaire -qui évoque généralement les clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur-, cette dernière n’a pas de raison de lier l’interprétation judiciaire sur ce point…
L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 pose, du reste, plus généralement, la question de savoir si l’énumération à laquelle il procède est limitative. On est tenté de le penser. Le principe demeurant celui de la force obligatoire et, la neutralisation des clauses étant conçue comme une mesure exceptionnelle et temporaire, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 devrait s’interpréter restrictivement. Le mécanisme de l’astreinte ou celui de la déchéance sont, cependant, suffisamment flous pour être assez accueillants : la caducité que les parties auraient attachée au non-accomplissement de telle formalité doit-elle par exemple être assimilée à une clause de déchéance [11] ? Au reste, ainsi qu’on l’a dit, la circulaire semble plaider pour une conception relativement extensive des clauses visées… Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que ce texte suscitera quelques querelles de qualification : il y a, par exemple, fort à parier que les créanciers d’obligations inexécutées seront tentés de prétendre que la clause sanctionnant telle inexécution contractuelle doit être qualifiée de clause indemnitaire ou de dédit.
Difficultés d’articulation. Au-delà même de ces difficultés d’interprétation, le débiteur en difficulté pour cause de coronavirus a sans doute peu à espérer, en réalité, de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306. La neutralisation des clauses considérées n’emporte pas la paralysie d’autres prérogatives dont le créancier insatisfait continue de disposer. L’article 1219 du Code civil (N° Lexbase : L0944KZY), qui codifie l’exception d’inexécution, lui permet, par exemple, de « refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ». Mieux encore, l’article 1220 du Code civil (N° Lexbase : L0943KZX) lui permet d’anticiper l’inexécution éventuelle : il dispose, en effet, qu’« une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ». Tout au plus le créancier devra-t-il notifier cette suspension dans les meilleurs délais, à charge pour l’autre partie de contester l’exception d’inexécution devant le juge… quand les circonstances le permettront ! Encore l’exception d’inexécution est-elle porteuse d’un peu d’espoir pour l’autre partie : elle est, en effet, nécessairement temporaire, ce qui n’est pas le cas de la résolution unilatérale.
L’article 1226 du Code civil (N° Lexbase : L0937KZQ), selon lequel « le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ». Selon le même texte, dans son alinéa 3, « lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent ». A défaut de pouvoir faire valoir la clause résolutoire, le créancier pourrait, donc, résoudre le contrat unilatéralement.
Influence de la bonne foi sur l’exercice des prérogatives unilatérales ? Ces prérogatives unilatérales peuvent-elles être encadrées ? La résolution unilatérale pourrait-elle être adoucie ? Ce n’est pas impossible : la bonne foi pourrait ici se révéler salvatrice. La jurisprudence admet, après tout, que la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, pour peu qu’il ne porte pas atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties [12]. La déloyauté peut, ainsi, déboucher sur la paralysie d’une « prérogative contractuelle » [13], c’est-à-dire un pouvoir unilatéral lié à la qualité de contractant et permettant à l’une des parties de modifier la situation de l’autre [14]. La bonne foi pourrait, ainsi, être utilement sollicitée pour paralyser l’exercice déloyal des prérogatives unilatérales ainsi que des clauses contractuelles non visées par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306. Séduisante en théorie, cette piste achoppe cependant en pratique sur un obstacle de détail : elle impose à la victime de l’exercice déloyal de la prérogative de contester judiciairement la situation acquise par son cocontractant.
B - Ne pas exécuter du tout : la force majeure
Force majeure d’hier et d’aujourd’hui. En cas d’inexécution, le débiteur peut espérer échapper à sa responsabilité en démontrant la force majeure. Si la notion est ancienne, sa définition a été modifiée par l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats. L’ancien article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU) disposait qu’il « n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ». Insistant sur la libération du débiteur et sa libération de tous dommages-intérêts, le texte ne s’appesantissait guère sur les éléments constitutifs de la force majeure. Le nouvel article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L0930KZH) est plus didactique et affirme qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». Ces modifications ne sont théoriquement pas indifférentes : les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats -le 1er octobre 2016- demeurent soumis au droit antérieur. Il n’est, cependant, pas certain que cette dualité de fondements découlant de la date de conclusion des conventions se traduise par des effets concrets. Certes, l’article 1218 du Code civil n’évoque pas expressément la condition traditionnelle d’extériorité de la force majeure, les rédacteurs de l’ordonnance ayant considéré qu’elle avait été abandonnée par la jurisprudence [15]. L’évocation d’un événement échappant au contrôle du débiteur n'est, néanmoins, pas si éloignée de l’extériorité et la position de la jurisprudence n’était pas si claire [16]. Ajoutons que les juridictions du fond semblent tentées d’assimiler purement et simplement les dispositions d’hier et d’aujourd’hui en évoquant l’article 1148 devenu 1218 du Code civil [17]. La question de savoir si la survenance de l’épidémie constitue un cas de force majeure impose, donc, aujourd’hui comme hier de vérifier si elle constitue un événement imprévisible, extérieur et irrésistible (1). Ce n’est que lorsque ces conditions seront réunies, qu’il conviendra, alors, d’étudier les effets de la force majeure sur les contrats (2).
1 - Conditions de la force majeure
Casuistique de la force majeure. La question de savoir si la survenance de l’épidémie de Covid-19 constitue un cas de force majeure exonérant le débiteur de sa responsabilité ne saurait déboucher sur une réponse systématique : s’il est vrai que les toutes premières décisions rendues à propos du Coronavirus ont admis cette qualification [18], tout dépend, cependant, des circonstances [19]. Les déclarations et autres décisions des pouvoirs publics n’ont, ainsi, que peu d’influence. L’affirmation du ministre de l’Economie selon laquelle « l’Etat considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises » ne lie pas les juges [20] ! Plus fondamentalement, l’état d’urgence sanitaire ne constitue pas, par lui-même, un cas de force majeure : à l’instar de l’état de catastrophe naturelle, il ne dispense pas d’apprécier les circonstances [21]. Tout au plus, certaines décisions prises -telles que la fermeture des établissements accueillant du public non indispensables à la Nation ou encore les restrictions aux réunions- pourront-elles, ainsi, être prises en compte dans le cadre de la caractérisation de la force majeure, afin de démontrer que l’événement échappait au contrôle du débiteur.
Sur un autre plan, les dispositions de l’article 1218 du Code civil n’étant pas d’ordre public, rien n’interdit aux parties d’exclure toute influence de la force majeure ou d’en délimiter le domaine par une clause, ce qu’admet le Code civil : selon l’article 1351 (N° Lexbase : L0998KZY), « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure ». Pour peu que ces clauses ne soient pas abusives rien n’exclut que ces stipulations produisent tous leurs effets : autant dire que les articles 1171 du Code civil (N° Lexbase : L1981LKL) [22] et L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B) [23], qui sanctionnent les clauses abusives, l’un en matière de contrat d’adhésion, l’autre en cas de contrat conclu entre un consommateur ou un non-professionnel et un professionnel, devraient être fréquemment sollicités en cette matière.
Evénement échappant au contrôle du débiteur. La condition de l’extériorité de l’épidémie est, en l’occurrence, la plus facile à vérifier : il est difficilement contestable que cette pandémie échappe à tout contrôle, y compris donc à celui du débiteur ! Cette condition sera d’autant plus facile à démontrer en cas de décision de l’administration ou de fait du prince [24] : à défaut de caractériser, à elles seules, la force majeure, les décisions de fermeture des « lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation », ou d’interdiction des rassemblements de 5 000 personnes [25] ou de 100 [26] attestent de l’impuissance du débiteur.
Evénement ne pouvant être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat. La question de savoir si l’événement était imprévisible au moment de la conclusion du contrat dépendra également des circonstances. Certes, on peut affirmer, sans prendre trop de risque, que l’apparition d’un virus létale débouchant en quelques mois sur le confinement d’une moitié de l’humanité était raisonnablement imprévisible. Si le caractère imprévisible d’une épidémie a parfois été écarté par les juges, c’est souvent qu’elle était récurrente [27] : tel n’est pas le cas de l’épidémie de Covid-19, qui n’a pas de précédent contemporain. Il conviendra, cependant, en pratique, de prendre garde à la date de la conclusion du contrat, la force majeure ne pouvant être admise que pour autant que la survenance de l’épidémie ou de ses conséquences n’était pas prévisible à ce moment. Tout dépendra, donc, de l’appréciation plus ou moins sévère de la « prévisibilité » de la survenance en France d’une épidémie de grande ampleur. La jurisprudence a parfois été rigoureuse [28] : la cour d’appel de Saint-Denis a, par exemple, considéré que « l’épidémie de chikungunya a débuté en janvier 2006 [ne pouvait] être retenue comme un événement imprévisible justifiant la rupture du contrat en août suivant après une embauche du 04 juin » [29]. Une telle rigueur se comprend d’ailleurs. La force majeure est une exception à force obligatoire du contrat. Il n’en demeure pas moins que le caractère imprévisible de l’épidémie pourra être sujet à débats judiciaires pour peu que le contrat ait été conclu dans le courant du mois de février ou au début du mois de mars. Le contentieux risque, d’ailleurs, d’être d’autant plus nourri que nombre de contrats auront sans doute été conclus par tacite reconduction durant cette période. Les conventions reconduites constituent, en effet, des contrats nouveaux : une appréciation rigoureuse de la force majeure dans le cadre de cette convention pourrait, ainsi, conduire les juges à ne pas l’admettre, au motif que l’événement n’était pas imprévisible à la date de la conclusion de la convention tacitement reconduite…
Evénement dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées. L’article 1218 du Code civil impose encore que les effets de l’événement ne puissent être évités par des mesures appropriées. Il s’agit là de la condition classique d’irrésistibilité : le débiteur était-il en mesure d’éviter les conséquences de l’épidémie ? La réponse est incontestablement négative s’il est lui-même frappé par le virus : la jurisprudence admet, en effet, que la maladie peut constituer un cas de force majeure [30]. Il en va de même si des décisions administratives empêchent l’exécution du contrat, par exemple, en imposant la fermeture du commerce ou en interdisant le voyage vers telle ou telle destination. Néanmoins, cette condition pourra susciter quelques débats, dans l’hypothèse où la prestation aurait pu être accomplie autrement ou par équivalent : l’impossibilité de se réunir dans un lieu accueillant du public n’exclut pas nécessairement que la conférence organisée se tienne par l’intermédiaire de dispositifs vidéo ; les marchandises qui ne peuvent être livrées par un fournisseur peuvent peut-être être livrées par un autre [31].
Evénement empêchant l'exécution de son obligation par le débiteur. Cette condition prolonge la précédente et participe de l’irrésistibilité : elle s’en distingue d’ailleurs malaisément [32]. Elle exprime, néanmoins, l’impossibilité au cœur de la force majeure [33]. Si tout dépend, ici encore, des circonstances, il reste que l’exécution de certaines obligations est presque toujours considérée comme possible en raison de leur nature : la Cour de cassation a ainsi affirmé le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne pouvait s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure [34]. Dans le même ordre d’idées, la cour d’appel de Paris a estimé qu’une épidémie avérée, « même à la considérer comme un cas de force majeure, ne suffi[sait] pas établir ipso facto [une] baisse ou [une] absence de trésorerie » [35]. On ne saurait, en effet, admettre que le débiteur puisse se prévaloir de son insolvabilité pour échapper à l’exécution de son obligation : tant que la monnaie existe, la prestation demeure possible, même si le débiteur peine à l’exécuter [36]. La solution n’est, cependant, pas si absolue qu’il y paraît. La doctrine admet généralement que même les obligations monétaires laissent prise à la force majeure, pour peu que l’exécution tardive résulte d’une contrainte extérieure et que l’exécution tardive ne soit pas satisfactoire pour le créancier [37]. En pareil cas, la force majeure ne devrait cependant avoir qu’un effet suspensif -qu’autorise d’ailleurs expressément l’article 1218 alinéa 2 du Code civil- évitant au débiteur de supporter les conséquences de l’exécution tardive sans le libérer pour autant de son obligation.
2 - Effets de la force majeure
Dualités. L’article 1218 du Code civil admet que la force majeure puisse être définitive ou temporaire. Il dispose en effet dans son alinéa second que « Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ». Il convient donc de distinguer ces deux hypothèses.
Empêchement temporaire : suspension du contrat. Les pires choses ayant aussi une fin, la force majeure peut n’être que temporaire. On peut, à cet égard, espérer que cette épidémie ne sera pas éternelle : les contrats dont l’exécution redeviendra possible devraient, dès lors, être simplement suspendus jusque-là, ainsi que l’affirme désormais l’article 1218 alinéa 2. La jurisprudence ancienne l’admettait d’ailleurs déjà et la solution vaut aussi pour les contrats non soumis à la réforme : la Cour de cassation affirme ainsi depuis longtemps qu’« en cas d’impossibilité momentanée d’exécution d’une obligation, le débiteur n’est pas libéré, cette exécution étant seulement suspendue jusqu’au moment où l’impossibilité vient à cesser » [38]. Les parties ne sont alors pas libérées : le contrat est suspendu un temps. L’hypothèse doit être distinguée du retard d’exécution non justifiée par la force majeure. Si l’ordonnance n° 2020-306 neutralise, comme on s’en souvient, certaines clauses liées à l’inexécution, elle ne dispense pas le débiteur de son obligation : au contraire, la force majeure temporaire libère le débiteur de toute obligation le temps qu’elle dure. Cette suspension peut bénéficier aux deux parties ou bien être unilatérale, selon l’économie du contrat. Elle a cependant ses limites. En premier lieu, certaines obligations ne sauraient être suspendues : la force majeure est impuissante à paralyser, serait-ce pour un moment, l’obligation de bonne foi ou ses avatars, telle l’obligation de non-concurrence. En second lieu, il se peut que l’empêchement temporaire prive d’utilité la convention : la livraison de denrée périssable n’a, par exemple, plus de sens, lorsqu’elle est remise à plus tard. Le contrat sera alors résolu de plein droit, comme si l’empêchement avait été définitif.
Empêchement définitif. Si l’empêchement est définitif, la force majeure entraîne en principe l’exonération totale du débiteur : le contrat est résolu de plein droit -c’est-à-dire, théoriquement, sans même qu’une décision judiciaire s’impose- et toute responsabilité contractuelle du débiteur est écartée, même si une rupture des relations commerciales en découle [39]. Les tiers ne peuvent pas davantage rechercher la responsabilité du contractant : si la Cour de cassation a récemment réaffirmé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » [40], encore faut-il qu’une faute contractuelle puisse être retenue à son encontre, ce qu’exclut justement la force majeure.
Les risques. Que le débiteur de l’obligation rendue impossible soit dispensé d’exécuter sa prestation est une chose. Faut-il cependant en déduire qu’il ne pourra non plus bénéficier de la prestation dont son cocontractant est tenu dans le cadre d’un contrat synallagmatique ? La réponse est facile si le contrat est translatif de propriété : les risques se transférant en même temps que la propriété, l’acheteur reste tenu du prix même si la chose a péri. L’épidémie de Coronavirus devrait cependant moins poser cette question que celle des conséquences de l’impossibilité d’exécuter une prestation.
Selon l’article 1351 du Code civil, « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive ». Libéré de sa prestation par la force majeure [41], le débiteur ne peut réclamer la prestation réciproque prévue par le contrat synallagmatique [42] : tel est le sens de la vieille maxime « res perit debitori ». Non seulement le débiteur exonéré ne peut rien espérer, mais il doit restituer s’il a déjà reçu paiement [43]. Ces solutions traditionnelles ne manqueront pas d’avoir d’importantes répercussions. Songeons, ainsi, aux baux commerciaux, où l’obligation de délivrance du bailleur lui impose de veiller à la commercialité des locaux : si le propriétaire des murs a été dans l’incapacité d’assurer celle-ci -par exemple parce que le commerce exploité dans ses murs est un café soumis à l’interdiction des commerces non essentiels [44]- il pourra certes invoquer la force majeure pour échapper à toute responsabilité. Le preneur pourra, en revanche, légitimement refuser le paiement du loyer pour la période considérée. Si les ordonnances du 25 mars 2020 n’ont accordé aucun délai de grâce aux preneurs, ils pourraient donc bien tirer profit de l’impossibilité d’exécuter dans laquelle se trouvent nombre de bailleurs pour ne rien débourser du tout…
Question pratique. Pour conclure sur ce point, on relèvera une difficulté pratique suggérée par la nouvelle facture de l’article 1218 du Code civil. Cette disposition affirme, en effet, que si l’empêchement est définitif, « le contrat est résolu de plein droit » : elle revient ce faisant sur une jurisprudence séculaire subordonnant la fin du contrat à une décision judiciaire même en cas de force majeure [45]. Il résulte de ce texte que la force majeure produit mécaniquement ses effets. Deux remarques peuvent être faites sur ce point. En premier lieu, dès lors que la force majeure est démontrée, le juge perd tout pouvoir d’appréciation : il est tenu de faire application des règles des articles 1351 et 1351-1 du Code civil. En second lieu, à supposer que la jurisprudence admette, comme y invite cette disposition, que la résolution est indépendante de toute décision judiciaire, on ne saurait trop conseiller à la partie se prévalant de la force majeure de notifier cette décision au plus tôt à son cocontractant : il paraît, en effet, pour le moins légitime de l’informer de ce que le contrat a pris fin.
II - Modification du contrat entraînée par le Covid-19
La prévision de l’imprévisible. Les parties peuvent espérer préserver la convention autant que faire se peut. Les stipulations contenues par certains contrats leur permettront, sans doute, de faire face aux conséquences de l’épidémie. Les clauses dites de Hardship -qui prévoient une renégociation du contrat lorsque leurs conditions sont remplies- ou bien encore les MAC (material adverse change) clauses -qui protègent contre la survenance d’événement significativement défavorable entre la signature du contrat et la réalisation de l’opération- préserveront quelques contractants des conséquences de la pandémie. On laissera cependant de côté ici l’étude de ces clauses. Non seulement leur application dépend de leur rédaction, mais nombre de contrats -y compris de « contrats d’affaires »- ne comportent aucune stipulation de cet ordre. Ainsi, imagine-t-on mal, par exemple, qu’un bail commercial comporte une quelconque clause de renégociation du loyer susceptible d’être appliquée en raison de l’épidémie ! On ne s’arrêtera pas davantage sur l’hypothèse « non pathologique » d’un accord entre le créancier et le débiteur pour modifier la convention aux fins de la préserver : on ne s’intéressera, ci-après, qu’aux mécanismes mis en place par le droit commun pour pallier l’absence de telles stipulations ou d’accord.
La modification du contrat en raison des circonstances. Le droit commun autorise désormais les parties à espérer une modification du contrat en raison des circonstances : c’est la « révision pour imprévision » (A). D’autres mécanismes peuvent cependant être envisagés pour remodeler le contrat en fonction des circonstances induites par l’épidémie (B).
A - La modification du contrat par le juge
Il convient d’envisager brièvement les conditions du recours à la révision pour imprévision (1) avant d’étudier ses effets (2).
1 - Conditions de l’imprévision
Avant d’étudier les conditions posées par l’article 1195 du Code civil (N° Lexbase : L0909KZP) pour recourir à la révision pour imprévision (b), il convient de faire quelques observations sur l’applicabilité du mécanisme (a).
a - Applicabilité du mécanisme de l’imprévision
Application de la loi dans le temps et caractère supplétif de l’article 1195 du Code civil. Deux conditions préalables doivent être vérifiées pour espérer recourir à la révision pour imprévision : non seulement le contrat doit être soumis à la réforme (1°), mais le dispositif de l’article 1195 du Code civil ne doit pas avoir été écarté par la loi ou les parties (2°).
1° - Application de la loi dans le temps
La révision pour imprévision ne s’applique qu’aux contrats soumis à la réforme du droit des contrats. La consécration de la révision pour imprévision est une innovation de la réforme du droit des contrats : le dispositif de l’article 1195 du Code civil ne s’applique donc qu’aux conventions conclues après le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats. Les contrats conclus antérieurement à cette date demeurent, en revanche, soumis à une conception rigoureuse de la force obligatoire : à leur égard, ainsi que l’a affirmé en son temps la Cour de cassation, « la règle que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites est générale et absolue : en aucun cas, il n’appartient aux tribunaux de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et ils ne pourront davantage, sous prétexte d’une interprétation que le contrat ne rend pas nécessaire, introduire dans l’exercice du droit constitué par les contractants, des conditions nouvelles, quand bien même le régime ainsi institué paraîtrait plus équitable à raison des circonstances économiques » [46].
Application anticipée de la réforme ? Cette dichotomie entre les contrats conclus avant ou après l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats est peu satisfaisante en pratique. On peut donc se demander si les juges ne seront pas tentés d’interpréter le droit antérieur à la lumière des nouvelles dispositions. On sait, en effet, qu’afin d’éviter que la réforme du droit des contrats ne débouche sur trop de distorsions, la Cour régulatrice s’est engagée dans un mouvement d’harmonisation des solutions en interprétant parfois le droit ancien en considération de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 » [47]. On pourrait, dès lors, imaginer que l’ancien article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) soit interprété à la lueur de « l’évolution du droit des obligations résultant de l’ordonnance », afin d’en déduire une possibilité judiciaire de modification du contrat, quand bien même il serait antérieur à la réforme. La jurisprudence n’y paraît cependant pas favorable : la cour d’appel de Paris a réaffirmé récemment sur le fondement de l’ancien article 1134 du Code civil, que « le contrat est intangible et que le juge n’a pas le pouvoir de le réviser » [48]. Tout au plus admet-elle l’existence d’une obligation de renégocier le contrat sur le même fondement [49] : selon un récent arrêt de la cour d’appel de Paris, « les dispositions de l’article 1134 du Code civil dans sa version applicable au présent litige posent le principe de l’intangibilité des conventions qui exclut la révision pour imprévision par le juge. Néanmoins, il peut être admis que l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi doit inciter les parties à renégocier une convention dont le déséquilibre résulte notamment d’une hausse imprévisible du coût de l’énergie qui est susceptible de bouleverser l’économie du contrat » [50]. Peut-être l’importance de l’épidémie conduira-t-elle sur ce point la jurisprudence à assouplir ?
2° - Applicabilité du mécanisme de l’article 1195 du Code civil au contrat
Les clauses faisant obstacle à la révision pour imprévision. Le mécanisme de la révision pour imprévision n’est pas d’ordre public, de sorte qu’il est loisible aux parties de l’écarter par une simple clause contractuelle. Ces clauses se sont évidemment multipliées. Certaines d’entre elles peuvent, sans nul doute, être contestées, pour peu qu’elles débouchent sur un déséquilibre significatif : en pareil cas, et pour peu qu’elles soient souscrites entre un professionnel et un non professionnel ou un consommateur [51], ou bien encore dans le cadre d’un contrat d’adhésion [52], voire à l’occasion de relations commerciales [53], ces clauses peuvent être réputées non-écrites sur le fondement des dispositions de lutte contre les clauses abusives. D’autres obstacles peuvent égalementse dresser sur la voie de l’invocation de la révision pour imprévision.
L’exclusion de l’imprévision par le droit des contrats spéciaux. L’article 1195 du Code civil est une disposition de droit commun. Paradoxalement, cette considération peut parfois nuire à son applicabilité : la jurisprudence tend, en effet, à en déduire son exclusion par certaines règles de droit des contrats spéciaux. La cour d’appel de Douai a par exemple tout récemment jugé que « les circonstances imprévisibles ne sont pas de nature à entraîner la modification du caractère forfaitaire du contrat », excluant ainsi la révision pour imprévision d’un marché à forfait [54]. Quant à la cour d’appel de Versailles, elle a écarté la révision pour imprévision en matière de bail commercial, au prétexte que « le statut des baux commerciaux prévoit de nombreuses dispositions spéciales relatives à la révision du contrat de bail (révision triennale, clause d’indexation), [et qu’] il n’y a pas lieu de faire application des dispositions générales de l’article 1195 précité, ces dernières devant être écartées au profit des règles spéciales du statut des baux commerciaux, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a débouté [le preneur] de sa demande de révision fondée sur les dispositions générales du Code civil » [55]. Si cette dernière décision est plus que contestable -on voit mal en quoi les règles propres à la fixation des loyers ont à voir avec l’imprévision- elles attestent néanmoins d’une certaine réticence à l’égard du mécanisme de l’article 1195 : là encore, l’avenir dira si cette rigueur survivra au coronavirus.
b - Conditions d’application
Le Covid-19 : une circonstance imprévisible. A supposer que les conditions qui viennent d’être dites soient remplies -c’est-à-dire que le contrat soit soumis la réforme et qu’aucune disposition ni stipulation n’écarte l’application de l’article 1195 du Code civil- la partie subissant les conséquences de l’épidémie pourra songer à se prévaloir de la révision pour imprévision. Si une telle imprévision se définit traditionnellement comme un bouleversement imprévisible des circonstances économiques ayant présidé à la conclusion du contrat [56], le nouvel article 1195 du Code civil la présente plus largement comme « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat [qui] rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Il est donc peu douteux que la survenance de l’épidémie sera invoquée à ce titre. Les conséquences de cette imprévision se déclinent alors en deux temps.
Renégociation. Le premier alinéa de l’article 1195 du Code civil instaure une obligation préalable de renégociation : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». Ce dispositif aboutit à une obligation de renégocier fort proche de celles qu’avait admise la jurisprudence antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 1195 du Code civil et que les parties liées par un contrat antérieur à la réforme peuvent du reste toujours invoquer [57]. Encore faut-il, pour qu’elle se déclenche, que le changement de circonstances ait été imprévisible au moment où le contrat a été conclu : comme s’agissant de la force majeure -et ainsi qu’on l’a évoqué plus haut- il conviendra d’être particulièrement attentif, dans l’appréciation de cette condition, à la date de conclusion du contrat.
L’objet de cette obligation de renégocier est par ailleurs cantonné. Elle est limitée aux modalités du contrat : l’obligation de renégociation ne saurait, en effet, imposer la conclusion d’un nouveau contrat, ne serait-ce que pour des raisons tenant à la liberté contractuelle. Cette obligation n’est par ailleurs que de moyens : il ne saurait pas non plus être imposé aux parties d’aboutir dans leurs négociations, encore moins de consentir aux modifications du contrat. Au vrai, la partie subissant le bouleversement des circonstances devra se garder de nourrir trop d’espoirs dans ces négociations. Non seulement leur cours ne suspend guère la force obligatoire du contrat -qui demeure obligatoire dans l’entretemps- mais ces négociations tendent davantage à la survie du contrat qu’à un retour à l’équilibre : si la partie profitant du déséquilibre doit « prendre en compte » la modification des circonstances, il n’en résulte pas qu’il lui revienne d’assurer le maintien de ses bénéfices au cocontractant, ni même de lui garantir une absence de perte.
Révision en cas d’échec des négociations. Selon l’article 1195, alinéa 2, du Code civil, « en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation ». S’il n’est pas étonnant que la résolution du contrat puisse être convenue, on peut en revanche douter de l’accord des parties pour solliciter « l’adaptation » du contrat par le juge. Au reste, selon le même article 1195 du Code civil, « à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». Le coronavirus donnera à la jurisprudence l’occasion de faire les preuves de l’efficacité ou non de ce mécanisme. Il n’est, cependant, pas certain que les juges s’engagent avec enthousiasme dans une magistrature économique. Ajoutons que la simple difficulté à obtenir une date d’audience pour obtenir la révision du contrat devrait dissuader nombre de contractants de recourir à ce mécanisme pour lui préférer des solutions se dispensant du juge.
B - La modification du contrat sans le juge
Prérogatives unilatérales. La réforme du droit des contrats fait bénéficier les contractants de prérogatives unilatérales les dispensant de recourir au juge. Le coronavirus débouchant, non seulement sur une crise économique, mais également sur une crise judiciaire -les audiences étant rendues particulièrement difficiles lorsqu’elles demeurent possibles- il pourrait inciter les parties à y recourir pour modifier la convention. On ne reviendra pas ici sur la résolution unilatérale, évoquée ci-avant, qui débouche du reste non pas sur la modification, mais sur l’anéantissement du contrat. La réduction du prix qu’autorise désormais le Code civil mérite en revanche que l’on s’y arrête (1). On évoquera également la caducité, qui permet d’envisager la fin du contrat pour l’avenir, débouchant ainsi sur une modification du contrat dans le temps (2).
1 - Réduction du prix
Décision unilatérale de réduire le prix. Issu de la réforme du droit des contrats, le nouvel article 1223 du Code civil (N° Lexbase : L2338K7Q) permet en substance au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’obtenir une réduction du prix. Dans sa réduction issue de la loi de ratification du 20 avril 2018 [58], applicable à compter du 1er octobre 2018, l’article 1223 du Code civil prévoit qu’« en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit ». L’alinéa suivant dispose que « si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix ». Si cette dernière possibilité est de peu de secours pour le créancier, la possibilité de réduire le prix sans recourir au juge qu’organise le premier alinéa paraît en revanche prometteuse.
Pouvoir unilatéral de modification du contrat en l’absence de paiement intégral par le créancier. Le pouvoir de réduction conféré au créancier dans l’hypothèse où il n’a pas intégralement payé le prix est particulièrement important [59] : il permet de tirer unilatéralement les conséquences de la dégradation de la prestation de l’autre partie. Ce pouvoir unilatéral est du reste indépendant des circonstances : peu importe que la prestation n’ait pas été correctement accomplie en raison du coronavirus ou d’autre chose. Ainsi, le créancier qui n’a par exemple pas été intégralement livré des fournitures promises n’aura qu’à procéder à un paiement partiel, en fonction de l’évaluation proportionnelle du prix à laquelle il aura unilatéralement procédé.
Conditions. Le texte subordonne la mise en œuvre de la réduction du prix au respect de quelques conditions. Il impose d’abord une mise en demeure, afin d’offrir au débiteur une dernière chance de s’exécuter correctement. S’il ne le fait pas, le créancier qui n’a pas intégralement réglé la prestation notifie sa décision de réduire -« proportionnellement » [60]- le prix. Si le débiteur accepte par écrit cette décision, les choses en reste là : le contrat est en quelque sorte refait par les parties qui ont toutes les deux manifesté leur volonté. S’il conteste cette décision, il appartiendra en revanche au débiteur de saisir le juge pour la contester.
Utilité du dispositif. Ainsi qu’on le voit, si le mécanisme n’écarte pas totalement le juge, il fait toutefois peser les conséquences du recours judiciaire -que l’épidémie rend particulièrement lourdes- sur la partie ayant imparfaitement exécuté la prestation. Même si la charge de la preuve pèse sur lui [61], le créancier bénéficiera ainsi de la réduction qu’il se sera appliquée à lui-même tant qu’un juge ne l’aura pas condamné à payer davantage. Le temps jouera pour lui, ceci d’autant plus que l’appréciation de cette réduction ressortit à la compétence du juge du fond, à l’exclusion de celle du juge des référés [62]. La réduction du prix confère ainsi au créancier un moyen de pression en l’autorisant à placer le débiteur devant le fait accompli et à faire peser sur lui la contrainte et l’aléa de la procédure judiciaire.
2 - Caducité
Perte d’intérêt du contrat et intérêt de la caducité. L’épidémie de coronavirus pourrait conduire à un regain d’intérêt pour la caducité du contrat. Il se peut en effet qu’une partie n’ait plus d’intérêt à poursuivre l’exécution d’une convention, sans pour autant qu’elle puisse se prévaloir d’un quelconque cas de force majeure ou d’une imprévision. Voici par exemple un commerçant de détail frappé par le coronavirus et dans l’impossibilité de tenir sa boutique : il ne pourra se prévaloir de cette situation pour refuser de payer les denrées périssables que son fournisseur est disposé à lui livrer conformément à la convention. A supposer qu’aucune stipulation contractuelle ne règle cette question, l’article 1186 alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L0892KZ3), pourrait permettre au créancier d’échapper à la poursuite du contrat [63].
Selon cette disposition, « un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît ». Les conditions de mise en œuvre de ce mécanisme sont, il est vrai, incertaines. La question se pose ainsi de savoir si la caducité opère de plein droit, ou si elle droit être prononcée par le juge. Les textes invitent à trancher en faveur de la première branche de l’alternative : quoiqu’une telle interprétation n’écarte pas le rôle du juge, elle permettrait à la partie se prévalant de la caducité d’imposer à l’autre le risque de contester la situation acquise. L’article 1186 du Code civil pose également la question de savoir ce que recouvre la notion « d’élément essentiel » : l’intérêt du contrat pour une partie peut-il passer pour un tel élément entraînant la fin du contrat en cas de disparition ? Ce n’est pas certain : la jurisprudence qui l’a un temps admis sur le terrain de la cause de l’obligation s’est éteinte en même temps que cette notion a disparu [64]. Il n’est pas certain que le coronavirus ne la ressuscite pas.
Et demain : prévoir l’imprévisible ? Comme on le voit, le droit des contrats est décidément immunisé contre le Covid-19 : les règles séculaires qui le régissent ont connu d’autres bouleversements, d’autres pandémies même, sans vaciller. L’épidémie participera sans doute au perfectionnement de ses règles plutôt qu’à leur effondrement. Elle devrait cependant inciter à l’avenir à davantage encore de précaution dans la rédaction d’actes : le contrat n’est-il pas après tout un acte de prévision si hardi qu’il permet même d’envisager l’imprévisible ?
[1] Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT).
[2] Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAZ2007749A (N° Lexbase : Z229179S).
[3] Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale (N° Lexbase : L5884LWT).
[4] Ibid..
[5] Les articles relatifs à cette question sont nombreux : on renverra ici pour l’essentiel à J. Heinich, L'incidence de l'épidémie de coronavirus sur les contrats d'affaires : de la force majeure à l'imprévision, D., 2020, p.611. et à M. Mekki, De l’urgence à l’imprévu du Covid-19 : quelle boîte à outils contractuels ?, AJ Contrat, 2020, p.164 et s..
[6] Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5730LW7).
[7] Pour cette expression : Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5954LWG).
[8] E. Macron, Adresse aux Français, 12 mars 2020 : « Les échéances qui sont dues dans les prochains jours et les prochaines semaines seront suspendues pour toutes celles et ceux qui en ont besoin ».
[9] Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC (N° Lexbase : A4712KGM), JCP éd., G, 2013, 929, note J. Ghestin.
[10] Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5731LW8), article 4 : « ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce ; Les dispositions ci-dessus s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée ».
[11] A se fier encore à la circulaire, il semble que les auteurs du texte n’aient eu à l’esprit que la déchéance du terme…
[12] Cass. com., 10 juillet 2007, n° 06-14.768, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A2234DXZ), JCP, éd. G, 2007, II, 10154, note D. Houtcieff ; D., 2007 p. 2839, note P. Stoffel-Munck ; Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B (N° Lexbase : A2088MYY), Gaz. Pal., 2015, n° 99, p. 18, obs. D. Houtcieff ; JCP, éd. G, 2015, 306, obs. J. Ghestin et G. Virassamy ; Cass. com., 8 novembre 2016, n° 14-29.770, F-D (N° Lexbase : A8955SGR), RTDCiv., 2017, p. 133, obs. H. Barbier.
[13] Par ex., Cass. civ. 3, 8 avril 1987, n° 85-17.596 (N° Lexbase : A7560AAA), Bull. civ. III, n° 88, Rép. Defrénois, 1988, p. 75, obs. J.-L. Aubert ; RTDCiv., 1988, pp. 120 et s., obs. J. Mestre, JCP, éd. G, 1988, II, p. 21037, note Y. Picod. ; Cass. com., 15 mai 2012, n° 10-26.391 ; Cass. civ. 3, 8 septembre 2016, n° 13-28.063, F-D (N° Lexbase : A5088RZH), Gaz. Pal., 2017, obs. D. Houtcieff.
[14] En ce sens, L. Aynès, RDC, 2007, p. 1107, obs. préc..
[15] Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, JO n°0035 du 11 février 2016 (N° Lexbase : Z0453939) : « Le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d'extériorité, également abandonné par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006 (Ass. Plén. 14 avr. 2006, n° 04-18902 et n° 02-11168), pour ne retenir que ceux d'imprévisibilité et d'irrésistibilité ».
[16] V. Cass. civ. 3, 15 octobre 2013, n° 12-23.126, F-D (N° Lexbase : A0901KNP), qui relève expressément qu’un « incendie avait été pour les preneurs un fait imprévisible, irrésistible et extérieur » ou encore, dans le même sens, Cass. civ. 3, 23 mars 2017, n° 16-12.870, F-D (N° Lexbase : A7829ULK).
[17] V. par ex. TGI Grasse, 1re ch. civ., sect. b, 13 juillet 2017, n° 15/00991 : « S’agissant d’un non-respect d’engagements contractuels, le débiteur n’est responsable de son inexécution que si celle-ci peut lui être imputée de sorte qu’il peut être exonéré de toute responsabilité en cas de survenance d’un cas fortuit ou d’une situation de force majeure dans les termes fixés par l’article 1148 devenu 1218 du Code civil ». Dans le même sens, TGI Nanterre, 7e ch., 30 mai 2017, n° 13/01009 : « L’article 12 ainsi rédigé ne permet nullement à la société […] de s’exonérer de sa responsabilité dans des cas ne correspondant pas nécessairement à la force majeure, celle-ci restant définie par référence à l’article 1148 ancien, 1218 nouveau, du code civil ». Adde CA Montpellier, 1° ch. b, 28 février 2018, n° 17/00784 (N° Lexbase : A7583XEL) « Si le preneur se réfère aux critères de l’article 1218 nouveau du Code civil définissant la force majeure en matière contractuelle, pour dire que cet incendie constitue bien un événement échappant à son contrôle, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du bail et dont les effets ne pouvaient être évités par d’autres mesures appropriées que celles prises, c’est de façon superfétatoire, dès lors que, selon l’article 9 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, date de son entrée en vigueur, demeurent soumis à la loi ancienne, comme c’est le cas du bail de l’espèce conclu le 14 octobre 2015 ».
[18] Quelques décisions du même jour de la cour d’appel de Colmar ont qualifié le coronavirus de force majeure. Ces décisions n’ont, cependant, pas été rendues en matière contractuelle mais de droit des étrangers : v. not. CA Colmar, ch. 6, 16 mars 2020, n° 20/01142 (N° Lexbase : A88683IB) ; CA Colmar, ch. 6, 16 mars 2020, n° 20/01143 (N° Lexbase : A90603IE) ; CA Colmar, ch. 6, 16 mars 2020, n° 20/01206 (N° Lexbase : A07363KH).
[19] V. L. Landivaux, Contrats et coronavirus : un cas de force majeure ? ça dépend…, Dalloz actualité, 7 avril 2020.
[20] Vie publique, Déclaration de Bruno le Maire du 28 février 2020. Le Ministre avait du reste lui-même immédiatement restreint la portée de cette affirmation générale en explicitant le sens de sa phrase en cantonnant sa portée aux marchés publics : « Ce qui veut dire que pour tous les marchés publics de l'Etat, si jamais il y a un retard de livraison de la part des PME ou des entreprises, nous n'appliquerons pas de pénalités, car nous considérons le coronavirus comme un cas de force majeure ».
[21] Comp. en matière de catastrophe naturelle : Cass. civ. 3, 10 décembre 2014, n° 12-26.361, FP-P+B (N° Lexbase : A6075M77), D., 2015, p. 362 , note J. Dubarry et C. Dubois, et 1863, obs. L. Neyret ; RTDCiv., 2015. 134, obs. H. Barbier et 399, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal., 15 avril 2015, p. 22, obs. N. Blanc. Adde V. Leduc, Catastrophe naturelle et force majeure, RGDA, 1997, p. 409. Adde Cass. civ. 3, 10 décembre 2002, n° 01-12.851, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4219A4Z) Bull. civ. III, n° 256 : selon laquelle, ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui déduit de la simple constatation administrative de l’état de catastrophe naturelle donnée à des inondations, la conséquence nécessaire que cet événement avait, dans les rapports contractuels, le caractère de force majeure.
[22] C. civ., art. 1171 al. 1er (N° Lexbase : L1981LKL) : « Dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».
[23] C. consom., art. L. 212-1 al. 1er (N° Lexbase : L3278K9B) : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
[24] Cass. civ. 3, 1er juin 2011, n° 09-70.502, FS-P+B (N° Lexbase : A3137HTD), Bull. civ. 3, III, n° 89, D., 2011, p. 2679, obs. A.-C. Monge.
[25] Arrêté du 9 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAZ2007069A (N° Lexbase : L3753LWW).
[26] Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, NOR: SSAZ2007749A (N° Lexbase : Z229179S).
[27] V. par ex. CA Nancy, 1re ch., 22 novembre 2010, n° 09/00003 (N° Lexbase : A1459GLM) : « Les parties ont produit une documentation très complète sur la Dengue dont il ressort que cette maladie virale dite 'grippe tropicale’ très répandue a été décrite pour la première fois en 1779 et sévit régulièrement depuis le début des années 1980 dans l’ensemble de la zone intertropicale en raison de l’érosion des programmes d’éradication du moustique qui en est le vecteur. Ce phénomène épidémique présente un caractère récurrent notamment dans les Antilles françaises. La survenance au cours du mois d’août 2007 et dans les mois suivants de nombreux cas de Dengue jusqu’à aboutir au dépassement du seuil épidémique n’est donc pas un phénomène nouveau. Dans le bulletin du mois de septembre 2007, l’analyse effectuée par l’institut de veille sanitaire révélait l’existence de nombreux cas de Dengue depuis le milieu de l’année 2006 ainsi que le dépassement du seuil épidémique durant dix-huit semaines sur trente-six pour l’année 2007 avec une forte augmentation des cas biologiquement confirmés pour le mois d’août et la première semaine de septembre (document n°20 produit par l’appelant). Ces documents démontrent que l’épidémie survenue au cours de l’année 2007 ne présentait donc pas un caractère imprévisible ». Adde plus récemment : CA Basse-Terre, 1re ch., 17 décembre 2018, n° 17/00739 (N° Lexbase : A5434YRP).
[28] P. Guiomard, La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts, Dalloz actualité, 4 mars 2020.
[29] CA Saint-Denis de la Réunion, 29 décembre 2009, n° 08/02114 (N° Lexbase : A6009GPA).
[30] Ass. plén., 14 avril 2006, n° 02-11.168 (N° Lexbase : A2034DPZ), Bull., Ass. plén., n° 5, JCP, éd. G, 2006, II, 10087, P. Grosser ; Contrats, conc. consom., 2006, comm. n° 152, L. Leveneur ; D., 2006, p. 1577, note P. Jourdain ; RDC, 2006, p. 1083, obs. Y.-M. Laithier ; RDC, 2006, p. 1207, obs. G. Viney.
[31] Cass. civ. 1, 12 juillet 2001, n° 99-18.231, (N° Lexbase : A1970AUI), Bull. civ. I, n° 216 : Ne constitue pas un cas de force majeure l’impossibilité invoquée par une société d’honorer son contrat d’approvisionnement, faute pour elle d’expliquer en quoi la défaillance de son fournisseur avait présenté un caractère irrésistible. Adde, dans le même sens en matière administrative, CAA Bordeaux, 4e ch., 20 novembre 2014, n° 12BX03261 (N° Lexbase : A9666M3E).
[32] F. Gréau, Force majeure : les caractères de la force majeure Rep. Civ. Dalloz, 2017, spéc. n° 67.
[33] La question se pose en théorie de savoir si ce texte ne recouvre pas deux hypothèses : l’évitabilité des conséquences de l’événement, et l’évitabilité de l’événement lui-même. La question n’a que peu d’intérêt ici : il paraît en effet peu contestable que le débiteur n’avait pas de prise sur l’événement lui-même.
[34] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B (N° Lexbase : A8468MWK), Bull. civ. IV, n° 118, D., 2014, p. 2217, note J. François ; Rev. sociétés 2015, p. 23, note C. Juillet ; RTDCiv., 2014. 890, obs. H. Barbier ; JCP, 2014. 1117, note V. Mazeaud.
[35] CA Paris, 17 mars 2016, n° 15/04263 (N° Lexbase : A8418Q7W).
[36] La solution est présentée comme étant applicable, au-delà des obligations monétaires, à toutes les obligations ayant pour objet une chose fongible : CA Paris, 21 décembre 1916, DP 1917. 2. 33 note H. Capitant.
[37] V. F. Gréau, Force majeure : les caractères de la force majeure, Rep. Civ. Dalloz, 2017, spéc. n° 72.
[38] Cass. civ. 1, 24 février 1981, n° 79-12.710 (N° Lexbase : A5243DNI), Bull. civ. I, n° 65, D., 1982, jur., p. 479, note D. Martin ; Cass. civ. 3, 22 février 2006, n° 05-12.032, F-P+B (N° Lexbase : A4518DQE), Bull. civ. III, n° 46, RDC, 2006, p. 1087, obs. Y.-M. Laithier ; RTDCiv., 2006, p. 764, obs. J. Mestre et B. Fages ; Cass. civ.1, 18 décembre 2014, n° 13-24.385, F-P+B (N° Lexbase : A2825M87).
[39] Comme le remarque notre collègue Julia Heinich, la responsabilité du fait de la rupture des relations commerciales est écartée par l’article L.442-1 II, dernier alinéa, du Code de commerce : « Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».
[40] Ass. plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963 (N° Lexbase : A85133AK), D., 2020, p. 416, note J.-S. Borghetti ; D., 2020, p. 353, obs. M. Mekki ; D., 2020, p.394, point de vue M. Bacache : AJ contrat 2020, p. 80, obs. M. Latina ; JCP, éd. G, 2020, 167, note M. Mekki ; Gaz. Pal., 4 février 2020, n° 5, p. 15, note D. Houtcieff.
[41] L’article 1231-1 du Code civil (N° Lexbase : L0613KZQ) ajoute que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
[42] Cass. civ., 14 avril 1891, DP, 1891, 1, p. 419, note M. Planiol ; Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-26.518, F-P+B (N° Lexbase : A7421MHC), Bull. civ. I, n° 58.
[43] Cass. civ.1, 20 mars 2014, n° 12-26.518, F-P+B (N° Lexbase : A7421MHC), Bull. civ., I, n° 58.
[44] Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, NOR: SSAZ2007749A.
[45] Par ex. Cass. civ. 1, 13 novembre 2014, n° 13-24.633, F-D (N° Lexbase : A2936M37) : « La résolution d’un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations, quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements et alors même que cet empêchement résulterait de la force majeure ».
[46] Cass. civ., 15 novembre 1933, S., 1934, I, p. 13. Adde Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne, D., 1876, 1, p. 193, note A. Giboulot.
[47] Cass. ch. mixte, 24 février 2017, n° 15-20.411 (N° Lexbase : A8476TNA), D., 2017, p. 793, obs. note explicative de la Cour de cassation, note B. Fauvarque-Cosson ; D., 2017, p. 1149, obs. N. Damas ; AJ Contrat, 2017, p. 175, obs. D. Houtcieff ; RTDCiv., 2017, p. 377, obs. H. Barbier.
[48] CA Paris, 9 mai 2019, n° 17/04789, Gaz. Pal., 2019, n°31, p.21 obs. D. Houtcieff.
[49] Sur cette obligation, voir infra.
[50] CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 17 janvier 2020, n° 18/01078 (N° Lexbase : A88663BY).
[51] C. consom., art. L.212-1 (N° Lexbase : L3278K9B).
[52] C. civ., art. 1171 (N° Lexbase : L1981LKL).
[53] C. com., art. L.442-1 I 2°(N° Lexbase : L0501LQM).
[54] CA Douai, ch. 1, sect. 2, 23 janvier 2020, n° 19/01718 (N° Lexbase : A44603C8), Gaz. Pal., 2020, n° 14, p.36 obs. D. Houtcieff.
[55] CA Versailles, 12e ch., 12 décembre 2019, n° 18/07183 (N° Lexbase : A9242Z7G), Gaz. Pal., 2020, n° 14, p.36 obs. D. Houtcieff.
[56] Sur l’imprévision, voy. not. P. Stoffel-Munck, Regards sur la théorie de l’imprévision, Aix-en-Provence, PUAM, 1994 ; C. Jamin, Révision et intangibilité, Dr. et patrimoine, mars 1998, pp. 46 et s. ; D. Tallon, La révision pour imprévision au regard des enseignements récents du droit comparé, in Droit et vie des affaires, Etudes à la mémoire d’Alain Sayag, Paris, Litec, 1997, p. 403 ; C. Ménard, Imprévision et contrats de longue durée : un économiste à l’écoute du juriste, in Etudes offertes à Jacques Ghestin, Paris, LGDJ, 2001, p. 661 ; E. Savaux, L’introduction de la révision ou de la résiliation pour imprévision, RDC, 2010, p. 105 ; M. Mekki, Hardship et révision du contrat, JCP, éd. G, 2010, p. 1219 ; B. Deffains et S. Ferey, Pour une théorie économique de l’imprévision en droit des contrats, RTDCiv., 2010, p. 719.
[57] Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547 (N° Lexbase : A4297ABR), Bull. civ. IV, n° 338, RTDCiv., 1993, p. 124, obs. J. Mestre, JCP, éd. G, 1993, II, 22614, note G. Virassamy, Rép. Defrénois, 1993, art. 35663, obs. J.-L. Aubert.
[58] Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L0250LKH).
[59] Voy. sur cette question, D. Houtcieff, Les nouveaux pouvoirs unilatéraux du contractant : l’étendue des pouvoirs, RDC, 2018.
[60] Sur cette proportionnalité, V. D. Houtcieff, Droit des contrats, 4e éd., Bruylant, 2018, n° 955-6.
[61] Voy. par ex., T. com. Paris, 19e ch., 21 février 2018, n° 2016051093 : « Attendu qu’en application de l’article 1315, alinéa 1, du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, alors applicable, il appartient à celui qui se prévaut de l’inexécution défectueuse de ses obligations par son cocontractant pour obtenir une réduction du prix des prestations qu’il a reçues ou une indemnité destinée à réparer son préjudice, d’établir tant la nature que la gravité des manquements allégués et d’apporter la preuve, tant de l’existence que du montant du dommage qu’il allègue ».
[62] Comp. T. com. Manosque, 12 octobre 2010, n° 2010003506 : « Constatons que la demande tendant à la résiliation anticipée du contrat du 26.07.2005 aux torts de la SARL B... et au paiement d’une clause pénale contractuelle, se heurte à des difficultés sérieuses qui rendent incompétent le juge des référés ».
[63] V. posant cette même question, J. Heinich, art. préc.
[64] Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.646, FS-P+B (N° Lexbase : A0620EBL), JCP, éd. G, 2009, II, 10000, note D. Houtcieff, Rép. Defrénois, 2008, art. 38916, p. 671, obs. R. Libchaber ; RTDCiv., 2009, p. 111, obs. B. Fages ; RDC, 2009, p. 49, obs. D. Mazeaud. Adde dans le même sens pour la Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n°14-20.498, F-D (N° Lexbase : A9485NNM), D., 2015, p. 2361 , note D. Mazeaud ; RTDCiv. 2016, p. 339, obs. H. Barbier ; V. en sens contraire, Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29.453, F-D (N° Lexbase : A7374MHL), D., 2014, p. 1915, note D. Mazeaud ; RTDCiv., 2014, p. 884, obs. H. Barbier ; Cass. com., 3 juillet 2019, n° 17-27.820 (N° Lexbase : A2975ZIZ), AJ Contrat, 2019, p. 452, obs. D. Houtcieff ; RTDCiv. 2019, p.858 obs. H. Barbier.
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