Réf. : Ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020, portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention (N° Lexbase : L9353LUX) ; décret n° 2020-225 du 6 mars 2020 (N° Lexbase : L3667LWQ) et arrêté du 6 mars 2020 (N° Lexbase : L3680LW9)
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par Didier Intes, Conseil en Propriété Industrielle, Associé du Cabinet Beau de Loménie, Professeur-associé au CEIPI et Gaston Vedel, juriste au Cabinet Beau de Loménie, titulaire du CAPA, Intervenant au CEIPI
le 09 Avril 2020
L’ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020, portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention et publiée le 13 février 2020 au Journal officiel, a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI) les nouvelles dispositions relatives à la procédure d’opposition aux brevets d’invention français devant l'Institut national de la propriété industrielle (ci-après INPI). Elle a été complétée par deux textes publiés au Journal officiel du 8 mars 2020 : le décret n° 2020-225 du 6 mars 2020, relatif à la procédure d'opposition aux brevets d'invention, et l’arrêté du 6 mars 2020, relatif aux redevances de procédures de l'Institut national de la propriété industrielle.
1. Contexte et objectifs de l’ordonnance
Jusqu’à présent, l’INPI ne disposait pas du pouvoir de rejet d’une demande de brevet français pour défaut d’activité inventive. Il n’était, par ailleurs, pas possible d’initier un recours administratif contre la décision de délivrance d’un brevet français par l’INPI [1].
Cette procédure d’examen simplifiée, moins exigeante que celle d’autres offices de propriété industrielle, a pu être critiquée en ce qu’elle confrontait potentiellement les tiers à des brevets « faibles » susceptibles d’entraver indûment leur liberté d’exploitation et ne pouvant être attaqués qu’au plan judiciaire, ce qui pouvait les conduire à renoncer à l’exploitation envisagée. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK), dite loi « PACTE », a renforcé la procédure d’examen des brevets français, en prévoyant notamment un examen plus complet, incluant désormais un examen de l’activité inventive [2].
La loi « PACTE » a également autorisé le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant normalement de la compétence du Parlement, nécessaires pour la création d’un droit d'opposition aux brevets d'invention délivrés par l’INPI afin de permettre aux tiers de demander par voie administrative la révocation ou la modification d'un brevet, tout en veillant à prévenir les procédures d’opposition abusives, ainsi que de prévoir les règles de recours applicables aux décisions résultant de l’exercice de ce droit [3].
A la suite d’une consultation publique lancée par la Direction Générale des Entreprises [4] (DGE), l’ordonnance du 12 février 2020 vient ainsi introduire dans le CPI les dispositions attendues relatives à cette nouvelle procédure d’opposition devant l’INPI.
Elle est accompagnée d’un rapport au Président de la République du même jour [5], synthétisant les dispositions de l’ordonnance.
Les objectifs de ces nouvelles dispositions sont multiples :
2. Entrée en vigueur
Sous réserve des délais complémentaires qui pourraient être prévus compte tenu de la pandémie liée au virus covid-19, les dispositions de l’ordonnance du 12 février 2020 entrent en vigueur le 1er avril 2020 [8], à l’exception de certaines dispositions relatives à l’Outre-mer [9].
Elles s’appliquent aux brevets d’invention dont la mention de délivrance a été publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle à compter du 1er avril 2020 [10].
Elles s’appliqueront ainsi aux brevets délivrés après le 1er avril 2020, bien que les demandes correspondantes aient été déposées sous l’emprise de l’ancien dispositif, qui ne connaissait pas de procédure d’opposition.
3. Conditions de recevabilité de l’opposition
3.1. L’opposition est ouverte à toutes personnes, physiques ou morales, à l’exception du titulaire du brevet concerné [11].
Contrairement aux actions judiciaires, la recevabilité de l’opposition ne supposera pas la démonstration d’un intérêt à agir de l’opposant, ce qui facilite largement les démarches et permettra également à des intermédiaires d’exercer des oppositions pour le compte de tiers.
Le recours en réformation devant la cour d’appel de Paris [12] est quant à lui soumis aux conditions procédurales de droit commun [13] et supposera donc la démonstration par l’appelant d’un intérêt à agir. Cela ne devrait toutefois pas soulever de difficulté dans la mesure où l’intérêt à agir de l’appelant devrait naître de la contestation de la décision du Directeur général de l’INPI l’ayant débouté de tout ou partie de ses demandes.
3.2. Le délai pour former opposition est de 9 mois à compter de la publication de la mention de la délivrance du brevet concerné [14], conformément à la pratique de l’OEB [15].
En revanche, on peut regretter que l’ordonnance n’inclut pas de règle équivalente à celle de la Convention sur le brevet européen (ci-après CBE) [16], prévoyant la possibilité, pour une personne faisant l’objet d’une action en contrefaçon ou ayant engagé une action en déclaration de non-contrefaçon recevable, de se joindre, hors délai, à une procédure d’opposition en cours à l’encontre du brevet qui lui est opposé.
Il conviendra d’être particulièrement vigilant quant au respect de ce délai de 9 mois, car l’inobservation de ce délai ne pourra pas faire l’objet d’un recours en restauration [17].
3.3. Lorsque plusieurs oppositions sont formées à l’encontre du même brevet, leur jonction est ordonnée d’office par l’INPI [18].
4. Titres concernés par l’opposition
La procédure d’opposition est limitée aux seuls brevets d’invention.
Sont ainsi exclus les autres titres de propriété industrielle protégeant les inventions, tels que les certificats d’utilité ou les certificats complémentaires de protection [19].
5. Fondements possibles de l’opposition
L’opposition ne peut se fonder que sur des motifs limitativement énumérés [20], incluant :
L’opposant pourra ainsi contester la validité de tout ou partie du brevet opposé en se fondant sur les principaux motifs de nullité existants.
L’opposant pourra invoquer les documents de l’art antérieur identifiés dans le cadre du rapport de recherche, ainsi que tous autres documents qu’il estime pertinents.
L’opposant a l’obligation de préciser les fondements et la portée de l’opposition (revendications du brevet opposées dont la validité est contestée) avant la fin du délai d’opposition, ces derniers ne devant plus pouvoir être modifiés ultérieurement dans le cadre de la procédure d’opposition [21] alors qu’ils pourraient l’être dans le cadre d’un recours devant la cour d’appel [22].
6. Procédure d’opposition
6.1. A l’instar d’une procédure judiciaire, la procédure d’opposition est une procédure écrite et contradictoire [23], impliquant que les arguments et pièces invoqués soient systématiquement communiqués à l’INPI et à l’ensemble des parties impliquées.
Au même titre que le juge judiciaire, l’INPI est en charge de faire respecter le contradictoire [24].
6.2. La procédure d’opposition se décomposera en plusieurs phases, qui comprennent :
- une phase d’information, durant laquelle l’INPI notifiera, sans délai, l’opposition au titulaire du brevet et le titulaire déposera, dans un délai imparti, ses observations et ses propositions éventuelles de modification des revendications ;
- une phase de rédaction de l’avis d’instruction, qui est de trois mois, durant laquelle l’INPI notifiera aux parties son avis d’instruction, détaillant son opinion sur l’opposition et les arguments des parties ;
- une phase de débat écrit, durant laquelle, dans un délai imparti, les parties s’échangeront leurs observations écrites et le titulaire du brevet pourra proposer des modifications complémentaires des revendications ;
- une phase de débat oral, sorte de plaidoiries, durant lesquelles les parties présenteront leurs observations orales à l’INPI ;
Le schéma ci-dessous, publié par l’INPI [26], synthétise les différentes phases et délais de la procédure d’opposition :
L’ensemble des délais prévus par le décret apparaît particulièrement court et obligera chaque partie à anticiper au maximum les arguments de la partie adverse.
Sauf extension des délais (existant par exemple dans le cadre des procédures judiciaires [27]), les sociétés étrangères pourraient avoir des difficultés importantes à suivre efficacement les débats avec leurs conseils.
6.3. De manière étonnante, le principe « silence vaut rejet » s’appliquera et l’opposition sera réputée rejetée si le Directeur général de l’INPI n’a pas statué dans un délai de quatre mois à compter de la fin de la période d’instruction [28].
Cette nouvelle disposition interroge du fait de l’absence totale de motivation du rejet de l’opposition dans une telle hypothèse. Elle pourrait impliquer de mettre en œuvre des recours propres au droit administratif afin d’obtenir une motivation de la décision de rejet.
L’INPI devrait tenter d’éviter cette situation en statuant systématiquement sur le bien-fondé des oppositions dans les délais applicables.
6.4. L’opposition est inscrite au Registre National des Brevets [29], ce qui permettra aux tiers d’en être informés.
Conformément aux pratiques existantes, l’ensemble des éléments du dossier devrait être accessible aux tiers dans des délais réduits sur le site internet de l’INPI.
7. Modification du brevet sous opposition
Conformément à la pratique en cours devant l’OEB, le titulaire du brevet opposé pourra modifier les revendications du brevet en réponse aux motifs d’opposition soulevés par l’opposant [30].
Ces modifications devront naturellement répondre aux exigences habituelles prohibant toute extension de l’objet de la demande par rapport au contenu de la demande initiale et toute extension de la protection conférée par le brevet. Elles devront, également, elles-mêmes constituer une position de repli du breveté vis-à-vis des griefs de l’opposant [31].
Sous les mêmes réserves, le titulaire du brevet opposé pourra également modifier la description et les dessins [32].
Conformément à la pratique en cours devant l’OEB, le Directeur général de l’INPI pourra donc révoquer le brevet en tout ou en partie (seulement certaines revendications), ou le maintenir sous une forme modifiée, selon les propositions du titulaire du brevet.
La procédure d’opposition devant l’INPI devrait donc se dérouler dans des conditions tout à fait similaires à celles existant devant l’OEB, avec la pratique des requêtes subsidiaires permettant aux titulaires de brevet de préparer différentes positions de repli, avec des revendications modifiées, pour faire face aux différentes attaques des opposants.
8. Effet de la décision d’opposition
La décision du Directeur général de l’INPI a les effets d’un jugement [33]. A ce titre, elle constitue un titre exécutoire et peut faire l’objet d’une exécution forcée.
La décision de révocation a un effet absolu [34] et sera assimilable à ce titre à une décision judiciaire statuant sur la validité d’un brevet.
Lorsque la décision de l’INPI révoque partiellement le brevet, le titulaire devra solliciter la modification du brevet devant l’INPI pour se conformer à cette décision si un recours n’est pas engagé par l’une des parties [35]. L’INPI contrôlera la conformité des modifications du brevet à la décision de révocation partielle intervenue dans le cadre de l’opposition, qui devra intervenir dans le cadre d’une limitation devant l’INPI [36].
De manière classique, les effets de la décision d’opposition rétroagissent à la date du dépôt de la demande de brevet [37].
9. Coûts
9.1. Précisée par l’arrêté du 6 mars relatif aux redevances de procédures de l’INPI, la taxe d’opposition sera finalement de 600 €.
A titre de comparaison, la taxe d’opposition devant l’OEB est de 785 €.
9.2. Les frais de Conseils en propriété industrielle devraient être assez similaires à ceux à prévoir pour une procédure d’opposition devant l’Office.
9.3. S’agissant de la prise en charge et du remboursement des frais afférents à la procédure d’opposition, le principe est que chacune des parties supportera les frais qu’elle a exposés [38], comme cela est le cas dans le cadre de la procédure d’opposition devant l’OEB.
Toutefois, le Directeur général de l’INPI aura la possibilité de décider d’une répartition différente, en mettant par exemple à la charge d’une des parties seulement les frais de la procédure. Une telle décision devrait être motivée par des raisons tirées de l’équité et supposera probablement une certaine motivation de la décision.
En revanche, à l’instar de la procédure existant en matière d’opposition devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (ci-après EUIPO), le montant des sommes mises à la charge d’une des parties sur décision du Directeur général sera plafonné par un barème [39], qui sera fixé par arrêté à intervenir prochainement.
A titre de comparaison, ce montant maximum du remboursement est de 300 € devant l’EUIPO.
En revanche, de manière étonnante, il n’existe aucune procédure équivalente dans le cadre d’autres procédures administratives devant l’INPI, notamment les procédures d’opposition, de nullité ou de déchéance de marques.
Les praticiens attendront avec intérêt le barème à intervenir et la nouvelle pratique de l’INPI sur ce point.
10. Relations entre procédure d’opposition et autres procédures
10.1. Il ne sera désormais plus possible de limiter un brevet si ce dernier fait l’objet d’une procédure d’opposition devant l’INPI [40].
Dans le même sens, la procédure de limitation sera close par l’INPI si une procédure d’opposition est formée à l’encontre du brevet [41].
En revanche, la limitation restera possible si elle est sollicitée alors qu’une demande en nullité du brevet concerné est présentée dans le cadre d’une action judiciaire, que ce soit à titre principal (par un tiers qui contesterait judiciairement la validité du brevet) ou à titre reconventionnel (par un tiers défendeur à une action en contrefaçon engagée sur la base du brevet).
10.2. La procédure d’opposition est suspendue en cas d’action judiciaire en revendication de propriété ou en nullité du brevet concerné, ainsi qu’en cas de demande conjointe des parties pour une durée de quatre mois, renouvelable deux fois [42].
L’INPI a également la possibilité de suspendre la procédure dans l’attente d’informations ou d’éléments susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue de l’opposition [43], par exemple liés à une procédure administrative ou judiciaire parallèle en France ou à l’étranger.
En revanche, l’ordonnance et le décret ne prévoient aucune disposition particulière sur l’impact d’une opposition devant l’INPI sur une action judiciaire en contrefaçon ou en nullité du brevet opposé. Un sursis à statuer pourra donc être sollicité par les parties à l’action judiciaire pour des motifs tirés d’une bonne administration de la justice et devrait faire l’objet d’une décision au cas par cas, selon les critères fixés par la jurisprudence existant en matière d’opposition devant l’OEB [44].
10.3. Le projet de décret prévoyait l’impossibilité d’introduire une action en nullité devant le tribunal judiciaire si une décision d’opposition « ayant le même objet et la même cause a été rendue par l’INPI entre les mêmes parties »[45].
Cette disposition qui avait vraisemblablement pour objet de limiter le contentieux judiciaire en nullité des brevets pouvait étonner dans la mesure où aucun équivalent n’existe dans l’hypothèse d’une procédure d’opposition devant l’OEB et où elle aurait pu pousser les opposants à se faire représenter par des « hommes de paille » dans le cadre de la procédure d’opposition devant l’INPI, ce qui est possible compte tenu de l’absence d’exigence d’un intérêt à agir [46]. Le projet d’article R. 615-1 A a finalement été abandonné.
11. Recours
11.1. Les décisions du Directeur général de l’INPI statuant sur opposition pourront faire l’objet d’un recours en réformation devant la cour d’appel de Paris dans un délai d’un mois de la décision du Directeur général de l’INPI [47], éventuellement augmenté des délais de distance [48].
Le régime de l’opposition en matière de brevet se distingue ici de celui applicable aux oppositions à l’enregistrement de marque, qui font l’objet d’un simple recours en annulation.
Contrairement à la procédure d’opposition, les parties devront obligatoirement se faire représenter par un avocat inscrit à l’Ordre des avocats du Barreau de Paris.
11.2. L’INPI ne sera pas formellement partie à l’instance, mais son Directeur général pourra présenter des observations écrites ou orales [49]. Dans la mesure où l’INPI se voit reconnaître un pouvoir quasi-juridictionnel dans le cadre de la procédure d’opposition, sa participation à l’instance devant la cour d’appel apparaît surprenante et avait été fortement critiquée dans le cadre des discussions sur les projets d’ordonnance et de décret.
Les conclusions et pièces des parties doivent lui être adressées par lettre RAR [50], sous les mêmes sanctions et délais que ceux applicables entre les parties (incluant la caducité de l’appel et l’irrecevabilité en cas de non-respect des délais impératifs [51]), ce qui alourdira fortement le formalisme pour les parties. Le Directeur général de l’INPI doit également notifier ses observations écrites aux parties selon les mêmes formes.
Le Ministère public pourra prendre communication des affaires et intervenir s’il l’estime nécessaire [52].
11.3. Le recours est un recours en réformation, dit de plein contentieux, dans le cadre duquel la cour d’appel sera saisie de l’intégralité du litige et statuera en fait et en droit [53].
Les règles procédurales issues du Code de procédure civile seront applicables[54]. Les parties devront notamment prêter attention aux délais impératifs applicables pour déposer leurs premières conclusions, qui ont été légèrement modifiées :
Le non-respect de ces délais impératifs, éventuellement augmentés des délais de distance [58], est sanctionné sévèrement respectivement par la caducité du recours du demandeur et l’irrecevabilité des conclusions du défendeur ou du demandeur.
Conformément à la pratique judiciaire, mais contrairement à la pratique habituelle de l’OEB, l’opposant pourra invoquer de nouveaux moyens (fondements juridiques ou arguments) pour soutenir ses demandes en nullité du brevet et produire de nouvelles pièces, incluant de nouveaux documents de l’art antérieur [59].
Cette particularité de la procédure d’opposition française permettra aux parties de développer des stratégies particulières quant aux arguments et pièces qu’elles invoquent devant l’INPI et devant la cour d’appel.
La procédure d’appel est toutefois soumise au principe dit de concentration qui impose aux parties d’invoquer l’ensemble de leurs prétentions dès leurs premières conclusions [60].
11.4. L’arrêt de la cour d’appel pourra faire l’objet d’un pourvoi en cassation selon les règles de droit commun.
De manière particulièrement étonnante, le Directeur général de l’INPI pourra se pourvoir en cassation à l’encontre de la décision de la cour d’appel [61], alors même qu’il n’est pas formellement partie à la procédure d’appel et intervient à titre quasi-juridictionnel en première instance de la procédure d’opposition.
11.5. Contrairement à la procédure d’opposition devant l’INPI, la procédure devant la cour d’appel ne devrait faire l’objet que d’une publicité limitée, les conclusions et pièces déposées par les parties n’étant habituellement pas accessibles aux tiers.
Le caractère hybride de la procédure d’opposition « à la française » distingue cette dernière de la pratique de la plupart des Offices, où l’ensemble des éléments échangés entre les parties (fondements de l’opposition, arguments, antériorités citées, etc.), y compris en appel, est habituellement accessible aux tiers.
12. Conclusion
La mise en place d’une procédure d’opposition, couplée au renforcement de la procédure d’examen des demandes de brevet devant l’INPI, semble cohérente et hisse le droit français des brevets au niveau de celui d’autres grandes juridictions [62].
Cette procédure est donc certainement bienvenue et ses modalités, notamment en termes de coûts et de durée, semblent raisonnables.
Plusieurs facteurs peuvent cependant faire douter de l’attractivité du régime d’opposition à la française. Son caractère hybride, avec une première instance purement administrative devant l’INPI, mais une deuxième instance judiciaire, entraine de curieuses conséquences.
Alors que l’opposant est contraint, pendant toute la phase administrative de première instance, par les moyens invoqués avant la fin du délai d’opposition, les parties pourront au contraire présenter de nouveaux moyens et de nouvelles antériorités lors du recours. Les différences entre les règles formelles et procédurales existant en première et seconde instance pourraient complexifier une procédure qui se voulait simple et diminuer l’effectivité du principe du double degré de juridiction.
On peut également se demander si le concurrent du breveté prendra le risque de former une opposition dans la mesure où il s’interdirait la possibilité d’engager par la suite une action judiciaire en nullité. Le système pourrait ainsi encourager le recours à un homme de paille dans le cadre de l’opposition.
Le risque d’atteinte au principe du double degré de juridiction est augmenté par l’application du principe du « silence vaut rejet » à la procédure d’opposition, contraignant ainsi l’opposant à s’en remettre à la réactivité de l’INPI.
Alors que la procédure administrative de première instance semble fluide, le recours devant la cour d’appel comporte des lourdeurs, comme l’obligation faite à chaque partie de communiquer ses actes et conclusions à l’INPI en RAR dans des délais contraints, au risque de perdre ses droits, alors même que l’INPI ne serait en principe pas partie à ce recours et que ces documents sont de toute façon remis à la cour d’appel.
Les recours devant la cour d’appel ne devraient pas ailleurs pas participer au désengorgement souhaité des juridictions judiciaires, ni à la réduction des coûts globaux de l’opposition.
Les prérogatives de l’INPI, « juge » de la première instance, à intervenir dans le cadre d’un recours devant la cour d’appel, voire d’un pourvoi en cassation, interrogent. On ne peut qu’espérer que ces interventions seront cadrées et effectuées en toute transparence.
Il semble que, lorsque l’opposition se conclura par une décision de maintien du brevet sous une forme modifiée, le breveté devra revenir vers l’INPI pour, de manière ex-parte, mettre en œuvre cette décision sous la forme d’une procédure de limitation. L’opposant aura-t-il cependant la faculté d’intervenir dans le cadre de cette procédure ? L’expérience des procédures d’opposition devant l’OEB montre que la présentation des sous-revendications et les modifications de la description, consécutives à l’accord sur une revendication indépendante limitée, peuvent donner lieu à d’intenses débats.
Ces écueils seront probablement lissés à l’épreuve de la réalité et faisant espérer que la procédure d’opposition à la française connaisse le même succès que celle pratiquée à l’OEB.
[1] Après sa délivrance, la validité d’un brevet d’invention français ne pouvait être contestée que dans le cadre d’une action judiciaire devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire de Paris.
[2] Article 122 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, modifiant l’article L. 612-12 du CPI et s’appliquant aux demandes de brevet français déposées à partir du 22 mai 2020.
[3] Article 121, I, 1° et 2° de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.
[4] Projets d’ordonnance et de décret relatifs à la création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention, publiés par la DGE, du 22 novembre 2019.
[5] Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020 portant création d'un droit d'opposition aux brevets d'invention (JORF du 13 février 2020, texte n° 13).
[6] Bien que les rapports de recherche établis par l’Office européen des brevets pour le compte de l’INPI soient réputés de bonne qualité, ils citent généralement des demandes de brevet et brevets publiés, et incluent rarement d’autres types de documents de l’art antérieur (documents relatifs aux produits existant sur le marché par exemple), généralement mieux connus par les acteurs du marché concerné.
[7] Les actions en nullité de brevet engagées à titre principal, sans demande reconventionnelle en contrefaçon du titulaire du brevet, constituent toutefois une portion faible du contentieux brevet, l’essentiel du contentieux de la validité des brevets s’inscrivant dans le cadre d’actions en contrefaçon (la nullité du brevet étant généralement soulevée par le défendeur à l’action).
[8] Article 5 de l’ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020, portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention.
[9] Les dispositions de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-116, relatives à l’article L. 811-1-1 du CPI (N° Lexbase : L9511LUS), dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, relative aux marques de produits ou de service (N° Lexbase : L5296LTC), entrent en vigueur à la même date que celle de l’entrée en vigueur de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet signée à Bruxelles le 19 février 2013.
[10] Article 5 de l’ordonnance n° 2020-116 du 12 février 2020, portant création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention.
[11] C. prop. intell., art. L. 612-23, nouv. (N° Lexbase : L3568ADI).
[12] Cf. infra, n° 11.
[13] C. prop. intell., art. R. 411-20 (N° Lexbase : L8656LTR).
[14] C. prop. intell., art., R. 613-44, nouv. (N° Lexbase : L4604LWG). Le projet d’ordonnance faisait expressément référence à un délai de 9 mois, mais l’article L. 613-23 introduit par l’ordonnance du 12 février 2020 précise finalement que les conditions et délais applicables sont prévus par un décret en Conseil d’Etat. Le décret a été publié au JORF du 8 mars 2020.
[15] Article 99 (1) de la CBE.
[16] Article 105 de la CBE.
[17] C. prop. intell., art. L. 612-16, nouv., in fine (N° Lexbase : L9504LUK).
[18] C. prop. intell., art. R. 613-44-3, nouv. (N° Lexbase : L4588LWT).
[19] C. prop. intell., art. L. 611-2, nouv., in fine (N° Lexbase : L4007ADR).
[20] C. prop. intell., art. L. 613-23-1, nouv. (N° Lexbase : L9506LUM).
[21] C. prop. intell., art. R. 613-44-1, nouv. (N° Lexbase : L4605LWH).
[22] Cf. infra n° 11.3.
[23] C. prop. intell., art. L. 613-23-2, nouv. (N° Lexbase : L9507LUN).
[24] C. prop. intell., art. R. 613-44-4, nouv. (N° Lexbase : L4589LWU).
[25] C. prop. intell., art. L. 613-23-2, nouv..
[26] Cf. site internet de l’INPI, « S'opposer à un brevet délivré à compter du 1er avril 2020 », .
[27] L’article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6758LEZ) prévoit une augmentation des délais d’un mois pour les personnes demeurant dans les territoires et départements d’Outre-mer et de deux mois pour les personnes demeurant à l’étranger.
[28] C. prop. intell., art. L. 613-23-2, al. 2, nouv. et R. 613-44-6, al. 1er, nouv. (N° Lexbase : L4578LWH).
[29] C. prop. intell., art. R. 613-44-1, nouv., in fine (N° Lexbase : L4605LWH).
[30] C. prop. intell., art. L. 613-23-3, I, 1°, nouv.(N° Lexbase : L9501LUG).
[31] C. prop. intell., art. L. 613-23-3, I, 2°, 3° et 4°.
[32] C. prop. intell., art. L. 613-23-3, II, nouv..
[33] C. prop. intell., art. L. 613-23-2, nouv. (N° Lexbase : L9507LUN).
[34] C. prop. intell., art. L. 613-23-6, al. 1er, nouv. (N° Lexbase : L9510LUR).
[35] C. prop. intell., art. L. 613-23-6, al. 3, nouv..
[36] C. prop. intell., art. R. 613-45, 6°, nouv..
[37] C. prop. intell., art. L. 613-23-6, al. 1er, nouv..
[38] C. prop. intell., art. L. 613-23-5, nouv. (N° Lexbase : L9509LUQ).
[39] C. prop. intell., art. L. 613-23-5, nouv..
[40] C. prop. intell., art. L. 613-24, al. 4, nouv. (N° Lexbase : L9502LUH).
[41] C. prop. intell., art. L. 613-24, al. 5.
[42] C. prop. intell., art. R. 613-44-10, nouv. (N° Lexbase : L4580LWK).
[43] C. prop. intell., art. R. 613-44-10.
[44] La jurisprudence fait droit aux demandes de sursis à statuer selon des motifs d’opportunité liées notamment au sérieux de l’opposition, à sa durée potentielle ou encore à son caractère dilatoire.
[45] Projet d’article R. 615-1 A.
[46] Cf. supra n° 3.1
[47] C. prop. intell., art. R. 612-73-3 (N° Lexbase : L4602LWD) et R. 411-21(N° Lexbase : L8657LTS).
[48] C. prop. intell., art. R. 411-43(N° Lexbase : L8711LTS).
[49] C. prop. intell., art. R. 411-23, al. 2 (N° Lexbase : L8661LTX).
[50] C. prop. intell., art. R. 411-33 (N° Lexbase : L8659LTU).
[51] Cf. infra n° 11.3.
[52] C. prop. intell., art. R. 411-23, al. 3.
[53] C. prop. intell., art. R. 411-19, al. 2(N° Lexbase : L8700LTE).
[54] C. prop. intell., art. R. 411-20 (N° Lexbase : L8656LTR)PI.
[55] C. prop. intell., art. R. 411-29 (N° Lexbase : L8706LTM).
[56] C. prop. intell., art. R. 411-30 (N° Lexbase : L8694LT8).
[57] C. prop. intell., art. R. 411-32 (N° Lexbase : L8658LTT).
[58] C. prop. intell., art. R. 411-43 (N° Lexbase : L8711LTS).
[59] C. prop. intell., art. R. 411-38, al. 1er (N° Lexbase : L8666LT7).
[60] C. prop. intell., art. R. 411-37 (N° Lexbase : L8665LT4).
[61] C. prop. intell., art. L. 411-4 (N° Lexbase : L9498LUC).
[62] Les offices européen, allemand, japonais et américain, par exemple.
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