Réf. : Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-12.990, FS-P+B+I (N° Lexbase : A03653KQ)
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N2711BY3
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par Marie Le Guerroué
le 08 Avril 2020
► L’appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 (décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile N° Lexbase : L2696LEL), et sollicité, dans le délai prévu par l’article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7239LET), le bénéfice de l’aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d’appel.
C’est en ce sens que s’est prononcée la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mars 2020 (Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-12.990, FS-P+B+I N° Lexbase : A03653KQ ; v., aussi Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 18-23.923, FS-P+B+I N° Lexbase : A48853K7).
Faits et procédure. Le demandeur au pourvoi avait relevé appel, le 9 janvier 2017, d’un jugement d’un tribunal de grande instance, puis avait déposé une demande d’aide juridictionnelle, le 31 janvier 2017, dont le bénéfice lui avait été accordé le 2 mars 2017. Par ordonnance du 23 mai 2017, le conseiller de la mise en état avait prononcé la caducité de la déclaration d’appel, en application de l’article 908 du Code de procédure civile, faute de conclusions dans un délai de trois mois suivant cette déclaration d’appel. L’intéressé avait déféré cette ordonnance à la cour d’appel et conclu au fond le 1er juin 2017.
Pour prononcer la caducité de la déclaration d’appel, l’arrêt retenait, d’abord, que le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 (N° Lexbase : L9928LBC) était applicable à l’espèce, s’agissant d’une demande d’aide juridictionnelle déposée le 31 janvier 2017 ayant fait l’objet d’une décision d’admission le 2 mars suivant. L’arrêt retenait, ensuite, que la circulaire du 19 janvier 2017, prise en application du décret du 27 décembre 2016, précisait notamment en son point 2.2 concernant la modification de l’effet interruptif de la demande juridictionnelle sur les délais d’action, que « L’extension de l’effet interruptif aux délais d’appel s’applique également aux délais prévus aux articles 902 (N° Lexbase : L7237LER) et 908 à 910 (N° Lexbase : L7241LEW) du Code de procédure civile, comme cela était le cas jusqu’à présent en vertu de l’ancien article 38-1 du décret du 19 décembre 1991», que cette circulaire, prise à l’occasion de la parution du décret du 27 décembre 2016, ne comportait aucune disposition impérative et ne pouvait avoir pour effet, en l’absence de toute portée juridique, de rétablir les dispositions d’un article abrogé par les nouvelles dispositions. L’arrêt énonce, enfin, qu’en aucun cas le décret ayant abrogé l’article 38 du décret du 19 décembre 1991 ne pouvait être considéré comme contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M) dans la mesure où chaque justiciable peut déposer, avant de former appel, une demande d’aide juridictionnelle et ainsi bénéficier des nouvelles dispositions, que si le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a modifié les dispositions du décret du 27 décembre 2016, le nouvel article 38, alinéa 2, qui prévoit que la demande d’aide juridictionnelle interrompt les délais prévus par les articles 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 du Code de procédure civile, n’est pas applicable aux délais prévus par les articles 902 ou 908 du même code, et qu’en conséquence, les conclusions déposées le 1er juin 2017 par l’intéressé l’ont été au-delà du délai de trois mois prévu par l’article 908 du Code de procédure civile, qui avait commencé à courir dès le 9 janvier 2017, date de sa déclaration d’appel.
Conséquences de l'abrogation de l'article 38-1. La Cour rappelle que le décret du 27 décembre 2016 a modifié l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, à l’effet de reporter le point de départ du délai d’une action en justice ou d’un recours, au profit de celui qui demande le bénéfice de l’aide juridictionnelle, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, au jour de la désignation d’un auxiliaire de justice en vue d’assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l’exercice de cette action ou de ce recours. Ce décret du 27 décembre 2016 a corrélativement abrogé l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, qui prévoyait, dans le cas particulier d’une procédure d’appel, l’interruption des délais réglementaires que cette procédure fait courir. L’abrogation de l’article 38-1 a entraîné la suppression d’un dispositif réglementaire, qui était notamment destiné à mettre en œuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), selon lesquels l’aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l’instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l’assistance d’un avocat. Il en résulte qu’en l’état de cette abrogation, le sens et la portée des modifications apportées à l’article 38 de ce décret ne pouvaient que susciter un doute sérieux et créer une situation d’incertitude juridique. La confusion a été accrue par la publication de la circulaire d’application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit, par nature, dépourvue de portée normative. En effet, commentant la modification apportée à l’article 38 du décret du 19 décembre 1991, cette circulaire affirmait en substance que l’extension aux délais d’appel de l’effet interruptif s’appliquait également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du Code de procédure civile. En outre, elle annonçait qu’une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point. Postérieurement, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l’article 38-1 du décret du 19 décembre 1991.
L’atteinte consécutive au principe de sécurité juridique. Il résulte de ce qui précède, pour les juges du droit, que le dispositif mis en place par le décret du 27 décembre 2016 est susceptible de porter atteinte au principe de sécurité juridique et, en cela, d’avoir pour effet de restreindre, de manière disproportionnée au regard des objectifs de célérité et de bonne administration de la justice que ce texte poursuivait, le droit d’accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l’aide juridictionnelle après avoir formé une déclaration d’appel. En effet, ces appelants peuvent se voir opposer la caducité de leur déclaration d’appel, les privant ainsi de la faculté d’accéder au juge d’appel. Elle en déduit, par conséquent, la solution susvisée.
Cassation. La Haute juridiction rend sa décision au visa de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et souligne que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n’affectent pas le droit à l’accès effectif au juge, dans sa substance même. Aussi, en statuant comme elle l’a fait, alors qu’elle constatait que le demandeur avait relevé appel le 9 janvier 2017, sollicité, le 31 janvier 2017, le bénéfice de l’aide juridictionnelle, qui lui avait été accordé 2 mars 2017, puis conclu le 1er juin 2017, la Cour conclut que la cour d’appel a violé le texte précité. L’arrêt encourt donc la censure (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E8635ETY).
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