Réf. : Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5734LWB)
Lecture: 10 min
N2818BYZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Olivier Garreau, Avocat à la Cour, docteur en droit public, spécialiste en droit public
le 01 Avril 2020
Face à la crise sanitaire majeure actuelle, l’exécutif a été autorisé à légiférer par voie d’ordonnances par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT).
Dans un objectif affiché de soutien aux entreprises, l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020, portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19, vient d’être adoptée.
Celle-ci vient « adapter » le droit de la commande publique à la période d’exception en cours en agissant sur deux volets : les procédures d’attribution des contrats soumis au Code de la commande publique, d’une part, et l’exécution des contrat publics, dont les marchés, d’autre part.
L’article 1er de l’ordonnance susvisée définit un champ d’application très étendu.
Dans l’urgence, le Président de la République, sur rapport du Premier ministre et du ministre de l’Economie et des Finances, n’a pas donné de détail et a souhaité que les mesures prises soient applicables à l’ensemble des contrat publics, puisque sont concernés, « sauf mention contraire », l’ensemble des « contrats soumis au Code de la commande publique ainsi qu'aux contrats publics qui n'en relèvent pas, en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois ».
L’ordonnance se veut également pragmatique et offre aux pouvoirs adjudicateurs et donneurs d’ordre le choix de faire application de ces mesures d’exception en cas de nécessité, pour faire face aux effets des mesures prises pour prévenir la propagation du covid-19, sans plus de précision.
L’article 1er de l’ordonnance, étant donné son caractère général et du fait de la « souplesse » qu’il donne à l’administration dans ses modalités d’application, s’éloigne de la rigueur normalement de mise lors de la définition d’un régime dérogatoire, notamment en matière de règle de passation des marchés publics.
L’état d’urgence sanitaire décrété par les autorités semble pouvoir être, à ce titre, assimilé aux « circonstances exceptionnelles » des arrêts « Dames Dol et Laurent » (CE, 28 février 1919, n° 61593 N° Lexbase : A8878B8C) et « Heyries » (CE, 28 juin 1918, n° 63412 N° Lexbase : A9180B8I), bien connus des administrativistes.
En complément, on pourra noter que le Conseil constitutionnel vient d’ailleurs d’estimer que, si la Constitution n’est pas suspendue, il est possible d’y déroger en raison des circonstances liées à la crise du Covid-19. En effet, la loi sur l’état d’urgence sanitaire suspend jusqu'au 30 juin 2020 le délai dans lequel le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doivent se prononcer sur le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité et celui dans lequel ce dernier doit statuer sur une telle question. Le conseil Constitutionnel a admis que, « compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l'article 46 de la Constitution » (Cons. const, décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020 N° Lexbase : A25003KS).
Pour revenir à l’ordonnance ° 2020-319 du 25 mars 2020, celle-ci définit un « régime d’exception » concernant les modalités de passation des contrats soumis au Code de la commande publique (I) ; elle aménage, en outre, des dérogations aux modalités d’exécution de ces contrats (II).
I - Sur les mesures relatives aux règles de passation des contrats soumis au Code de la commande publique
L’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 permet aux pouvoirs adjudicateurs de prolonger les délais de réception des candidatures et des offres, dans le cadre des procédures d’attribution en cours « d’une durée suffisante », sauf lorsque les prestations objet du contrat « ne peuvent souffrir aucun retard ».
Cette mesure, qui a sans doute pour objet de pallier les ralentissements liés à la réduction des effectifs dans les administrations et les entreprises, du fait, notamment, des mesures de confinement, reste une dérogation « acceptable » aux articles R. 2143-1 (N° Lexbase : L3807LRG) et R. 2143-2 (N° Lexbase : L3970LRH) du Code de la Commande publique. L’atteinte aux principes de libre concurrence et d’égalité des candidats est mesurée.
Il n’en va pas de même, me semble-t-il, pour ce qui concerne les dispositions de l’article 3 de l’ordonnance qui dispose que, « lorsque les modalités de la mise en concurrence prévues en application du code de la commande publique dans les documents de la consultation des entreprises ne peuvent être respectées par l'autorité contractante, celle-ci peut les aménager en cours de procédure dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats ».
La possibilité d’adaptation et donc de modification des documents de la consultation, en cours de procédure d’attribution, heurte les principes fondamentaux de la commande publique, quand bien même injonction serait faite aux pouvoirs adjudicateurs de respecter le « principe d’égalité de traitement des candidats ».
De telles dispositions sont assimilables à une suspension du Code de la commande publique. Leur caractère général pourra permettre à l’administration, en cours de procédure, par exemple, de modifier tant les critères d’attribution, que la nature ou la quantité des prestations prévues au cahier des clauses administratives particulières et au cahier des clauses techniques particulières.
Il est fort à craindre qu’en cette période de « circonstances exceptionnelles », le contrôle du juge sur le respect du principe d’égalité de traitement des candidats soit réduit à sa plus simple expression, si tant est que ce contrôle puisse matériellement être exercé dans un délai utile.
II - Sur les dérogations aux modalités d’exécution
En matière d’exécution des contrats administratifs en cours, l’ordonnance du 25 mars 2020 prend une série de mesures dont l’objet affiché est clairement de protéger la continuité de l’activité économique et la pérennité des entreprises, mais également de protéger l’administration et la continuité du service des effets de la crise sanitaire.
Ainsi, l’article 4 de l’ordonnance permet une prolongation, par avenant, de la durée d’exécution des contrats arrivés à terme, lorsque l’organisation d’une procédure de remise en concurrence ne peut être mise en œuvre. Ces dispositions dérogent aux dispositions des articles L. 2125-1 (N° Lexbase : L7085LQH) et L. 2325-1 (N° Lexbase : L7105LQ9) du Code de la commande publique pour les accords cadre et concerne également les contrats de concession.
La durée de prolongation est cependant encadrée et celle-ci ne pourra excéder la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois, auquel pourra être ajouté le délai nécessaire à l’organisation d’une nouvelle procédure de mise en concurrence.
L’article 5 autorise les acheteurs à modifier, par avenant, les conditions de versement de l'avance. Son taux peut être porté à un montant supérieur à 60 % du montant du marché ou du bon de commande. Ils ne sont pas tenus d'exiger la constitution d'une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché.
Enfin, l’article 6 tente de prévenir les difficultés d’exécution que pourrait provoquer la crise sanitaire, dans le sens d’une protection du cocontractant de l’administration.
Ainsi, l’article 6-1° autorise le cocontractant de l’administration à bénéficier d’un délai d’exécution complémentaire pour une ou plusieurs obligations du contrat, au-delà de la fin de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée, augmentée d'une durée de deux mois.
Les dispositions de l’article 6-2° suppriment la possibilité de sanctionner le cocontractant de l’administration lorsque celui-ci est dans l'impossibilité d'exécuter tout ou partie d'un bon de commande ou d'un contrat, notamment lorsqu'il démontre qu'il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive.
Parallèlement, le pouvoir adjudicateur, pourra en cas d’impossibilité pour le titulaire d’exécuter le contrat, mais uniquement pour les besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, passer un marché de substitution, sans toutefois pouvoir en imputer les frais et risques au titulaire initial. Le titulaire initial ne pourra non plus rechercher la responsabilité de l’administration pour la passation de ce marché de substitution.
De même, aux termes de l’article 6-3°, l’acheteur public pourra résilier un marché ou renoncer à un marché à bon de commande en raison des conséquences de mesures liées à l’état d’urgence sanitaire, sous condition d’indemniser le titulaire du marché des dépenses engagées liées à l’exécution du contrat. Cette mesure semble plus restrictive pour le titulaire du marché que l’hypothèse de la résiliation pour motif d’intérêt général, puisqu’elle ne comprend pas l’indemnisation de son manque à gagner, c’est-à-dire le bénéfice manqué par le titulaire en raison de l’interruption du marché.
L’article 6-4° concerne exclusivement la suspension en cours d’exécution d’un marché à forfait et impose à l’administration le règlement sans délai du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat, avec, à l'issue de la suspension, un avenant déterminant les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l'identique ou sa résiliation, ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l'acheteur.
Ces dispositions, sous réserve de l’interprétation de leur caractère imprécis, semblent permettre au titulaire du marché d’obtenir le règlement de l’intégralité du marché, sans délai, à charge pour ce dernier d’avoir à rembourser l’administration d’un trop éventuel perçu, notamment en cas de résiliation, après la fin de la suspension. Si tel est bien le cas, il est peu probable que le pouvoir adjudicateur soit enclin à suspendre les marchés forfaitaires de travaux d’un montant important, surtout si ceux-ci n’en sont qu’au début de leur exécution.
Enfin, les articles 6-5° et 6-6° de l’ordonnance concerne les concessions, et permet la suspension de l’exécution du contrat, accompagné de la suspension des versements des redevances et toutes autres sommes au concédant, le concessionnaire pouvant, en revanche, solliciter le versement d’une avance pour sommes dues à hauteur de ses besoins, si la situation le justifie.
En dehors de la suspension, l’article 6-6° permet, lorsque le concédant est conduit à modifier significativement les modalités d'exécution prévues au contrat, le versement de droit d’une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l'exécution, même partielle, du service ou des travaux, « lorsque la poursuite de l'exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n'étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire ». Les termes « charges manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire », du fait de leur imprécision, promettent d’âpres négociations entre les cocontractants et pourraient être source de contentieux.
L’article 8 de l’ordonnance précise, enfin, les modalités d’application des dispositions de celle-ci pour les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:472818