La lettre juridique n°819 du 2 avril 2020 : Covid-19

[Textes] La réponse du droit des entreprises en difficulté au covid 19 : l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire

Réf. : Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale (N° Lexbase : L5884LWT)

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N2822BY8

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[Textes] La réponse du droit des entreprises en difficulté au covid 19 : l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/57569835-texteslareponsedudroitdesentreprisesendifficulteaucovid19lordonnancen2020341du27mar
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre du CERDP (EA 1201)

le 25 Mai 2020

1. Dans le contexte d’angoisse sanitaire que traverse le Pays, le Gouvernement a pris en urgence l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 (JORF du 28 mars 2020, texte n° 3), qui porte adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire. Notons également une autre ordonnance, celle n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5730LW7). Cette ordonnance a un impact sur le droit des entreprises en difficulté. Selon son article 2, « Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit
 ». Ce texte a, par exemple, pour effet de prolonger le délai de déclaration de créance, non expiré entre le 12 mars 2020 et la fin de la période d’urgence sanitaire, majoré d’un mois, soit le 24 juin 2020, ce qui permet au créancier d’être toujours dans les délais en déclarant sa créance jusqu’au 24 août 2020.

Pour sa part, l’article 4 précise que « Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l'article 1er.
Ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de cette période si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme.
Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er
 ». Ainsi ce texte neutralise-t-il pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois les clauses de résiliation de plein droit et les déchéances du terme.

Pour le surplus, nous concentrerons notre attention sur la seule ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020.

2. Applications de l’ordonnance dans le temps et dans l’espace. L’article 5 précise les règles d’application de l’ordonnance dans le temps et dans l’espace.

Le I précise que « La présente ordonnance s'applique aux procédures en cours ».

Il faut entendre par là les procédures de conciliation ou les procédures collectives en cours. L’état d’urgence sanitaire justifie la dérogation aux règles classiques d’application de la loi dans le temps dans notre matière, à savoir la seule application de la loi nouvelle aux procédures collectives, aux conciliations et aux rétablissements professionnels ouverts après son entrée en vigueur.

Le II dispose que « nonobstant les dispositions de l'article R. 670-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4183LT4), les dispositions de l'article R. 662-2 du même code (N° Lexbase : L4177LTU) sont applicables dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ».

L’urgence sanitaire justifie aussi l’application de l’ordonnance aux départements de l’Alsace-Moselle, alors surtout qu’ils sont considérablement impactés par la crise sanitaire.

Le III précise enfin que « La présente ordonnance est applicable à Wallis-et-Futuna. Pour l'application du 2° du I de l'article 1er et des 2° et 3° du II de l'article 2, la référence au Code du travail est remplacée par la référence aux dispositions applicables localement ».

L’objet de l’ordonnance est simple. Il s’agit de tenir compte des difficultés extrêmes rencontrées pendant la période de crise sanitaire par les débiteurs, pour modifier quelques règles intéressant directement leur situation. La méthode employée tient compte des difficultés de fonctionnement des juridictions et des études de mandataires de justice pendant la période de confinement. Et c’est pourquoi certains textes sont adaptés pour régler cette question.

L’examen de l’ordonnance sera mené dans l’ordre des articles, étant précisé que l’article 4 ne concerne pas notre matière. Il ne subsiste donc que trois articles à étudier.

I - L’article 1er de l’ordonnance

3. Une appréciation particulière de l’état de cessation des paiements. L’article 1, I de l’ordonnance dispose que « Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée :
1° L'état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020, sans préjudice des dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article L. 631-8 du Code de commerce
(N° Lexbase : L7315IZX), de la possibilité pour le débiteur de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou le bénéfice d'un rétablissement professionnel, et de la possibilité de fixer, en cas de fraude, une date de cessation de paiements postérieure ».

L’article L. 631-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3381IC9) dispose qu’« il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 (N° Lexbase : L8806LQ9) ou L. 631-3 (N° Lexbase : L7313IZU) qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements ». Ainsi, classiquement, l’état de cessation des paiements se définit par une comparaison entre l’actif disponible à très court terme et le passif exigible. Si la balance penche du côté du passif exigible, il y a état de cessation des paiements.

Dans cette appréciation, tout le passif exigible est pris en compte. C’est sur cet élément qu’intervient l’ordonnance. L’état de cessation des paiements sera apprécié à la date du 12 mars 2020, sans prendre en compte les dettes devenues exigibles à compter de cette date. Cette façon de procéder perdurera entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de trois mois qui expirera à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 août 2020.

C’est donc une véritable neutralisation du passif devenu exigible à compter du 12 mars 2020 que met en place le législateur.

4. Raisons de la neutralisation du passif exigible depuis le 12 mars 2020. Pourquoi avoir instauré cette neutralisation du passif exigible depuis le 12 mars 2020 ? Le législateur ne le dit pas ; mais la ratio legis est évidente.

Cette neutralisation a d’abord et avant tout pour objectif de répondre à la problématique des ouvertures de procédures collectives. S’il n’est pas procédé à cette neutralisation du passif devenant exigible pendant cette période extrêmement difficile que traversent et vont traverser les entreprises en France, de très nombreuses vont se retrouver en état de cessation des paiements et n’avoir guère d’autres choix que de demander l’ouverture d’un redressement judiciaire, s’il est encore temps, une liquidation judiciaire ou un rétablissement professionnel dans les autres cas.

Lorsque l’on connaît le faible taux de réussite des redressements judiciaires, on a de bonnes raisons d’avoir peur. Il faut donc les éviter à tout prix. Or le redressement judiciaire peut être évité si les chefs d’entreprise, grâce au gel de leur passif exigible à la date du 12 mars 2020, dans l’appréciation de leur état de cessation des paiements, utilisent les mesures de prévention. Il faut donc prendre le gel du passif exigible comme une invitation à utiliser le mandat ad hoc et la conciliation, voire la sauvegarde, tant qu’il est encore temps.

Notons accessoirement que la neutralisation du passif exigible intéresse aussi la question des conversions de sauvegarde en redressement judiciaire pour apparition de l’état de cessation des paiements en cours de période d’observation.

Elle intéresse également la question de la résolution des plans sur caractérisation de l’état de cessation des paiements. En ne prenant pas en compte le passif exigible pendant la période de la crise sanitaire, cela permet d’éviter de très nombreuses résolutions de plans, et par conséquent leur cortège de liquidations judiciaires.

5. Maintien de la possibilité de reporter la date de cessation des paiements. Bien que l’appréciation du passif exigible soit gelée à la date du 12 mars 2020, cela n’interdira pas de faire remonter la date de cessation des paiements antérieurement, ce que signifie l’expression « sans préjudice des dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article L. 631-8 du Code de commerce ».

6. Possibilité d’ouvertures de procédures justifiant l’état de cessation des paiements. Le fait que le passif exigible soit ainsi figé n’interdit cependant pas, précise cette disposition « la possibilité pour le débiteur de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou le bénéfice d'un rétablissement professionnel ». Cela veut donc dire que le débiteur pourra ainsi solliciter une telle procédure, alors même que, au regard de l’ordonnance, il ne serait pas encore en état de cessation des paiements.

7. Réserve de la fraude. L’ordonnance réserve cependant le cas de la fraude, et la possibilité de fixer, en pareil cas, une date de cessation de paiements postérieure. 

8. Mesures visant à éviter le ralentissement du paiement des créances salariales. L’ordonnance (art. 1, I, 2°) prévoit que, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, c’est-à-dire jusqu’au 24 août 2020, « les relevés des créances résultant d'un contrat de travail sont transmis sans délai par le mandataire aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8479LQ4). Les dispositions du premier alinéa de l'article L. 625-1 (N° Lexbase : L3315ICR) et de l'article L. 625-2 (N° Lexbase : L3383ICB) du Code de commerce s'appliquent sans avoir pour effet l'allongement du délai de cette transmission ». 

Cette disposition [1] vise à assouplir les modalités de vérification du passif social avant transmission des relevés de créances à l’AGS, afin que les salariés n’aient pas à subir les ralentissements naturellement induits par la situation sanitaire. 

L’obtention du visa du juge-commissaire et la signature du représentant des salariés s'avèrent compliquées pendant la période de crise sanitaire. Ainsi, si l’ordonnance n’écarte ni la signature du représentant des salariés, ni le visa du juge-commissaire, elle permet, sans attendre leur intervention, une transmission des relevés à l’AGS par le mandataire judiciaire. 

Les relevés de créances qui seraient transmis à l’AGS sans ces signatures devront être régularisés ultérieurement.

9. Prolongation de la durée de la conciliation. L’article L. 611-6, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L8621LQD) prévoit que la mission du conciliateur n’excède pas quatre mois, cette durée pouvant être portée, par décision motivée à cinq mois.

L’article 1, II, alinéa 1er de l’ordonnance indique que « La période mentionnée à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 611-6 du Code de commerce est prolongée de plein droit d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I ».

Il faut donc comprendre que la conciliation peut durer quatre mois, prorogeable par décision motivée jusqu’à 5 mois, prorogeable encore pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire (du 24 mars 2020 au 24 mai 2020), et en plus d’une durée de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré, soit jusqu’au 24 août 2020. La mesure va ainsi permettre d’allonger sensiblement la durée de la recherche de l’accord, non seulement pour les procédures de conciliation ouvertes à compter du 12 mars 2020, mais encore pour les conciliations dont la durée n’était pas expirée à cette même date. La solution résulte de l’article 5, I selon lequel « La présente ordonnance s'applique aux procédures en cours ».

L’ordonnance s’emploie ensuite à aménager la situation si l’accord de conciliation n’est pas trouvé dans le délai légal.

L’alinéa 2 de l’article L. 611-6 du Code de commerce prévoit que la conciliation prend fin de plein droit à l'expiration du délai de 4 mois, sauf prorogation d’un mois, si un accord n’a pas été trouvé. Cette même disposition interdit l’ouverture d’une autre conciliation moins de trois mois avant la fin de la précédente.

L’article 1, II, alinéa 2 de l’ordonnance dispose que « Jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, et sans préjudice des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 611-7 du même code (N° Lexbase : L1071KZP), la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 611-6 n'est pas applicable ».

Il faut comprendre que la conciliation ne prend fin de plein droit, faute d’accord, qu’à l’expiration de la durée classique de la conciliation (4 mois prorogeable jusqu’à 5 mois), cette durée étant elle-même prolongée pendant l’état d’urgence sanitaire et du délai de trois mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré.

Le législateur précise toutefois que la solution posée vaut « sans préjudice des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 611-7 du même code », ce qui signifie que si le conciliateur est convaincu, avant l’expiration du délai prolongé, qu’un accord ne sera pas trouvé, il doit présenter sans délai un rapport au président du tribunal.

10. Succession possible de deux conciliations sans délai d’attente. En écartant la totalité de la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 611-6, il faut aussi comprendre que, par exception, il sera possible, une fois expiré le délai prolongé, d’enchaîner immédiatement sur une seconde conciliation, sans attendre trois mois.

11. Mesures relatives à la durée des plans de sauvegarde et de redressement. La durée des plans de sauvegarde et de redressement, à l’exception de ceux intéressant les exploitations agricoles exploitées sous formes individuelles ou sociétales, est de 10 ans, à moins que ces plans ne soient adoptés après vote des comités de créanciers.

Les délais de paiement imposés aux créanciers ne peuvent être supérieurs à cette même durée.

L’article 1, III de l’ordonnance dispose que, s'agissant des plans arrêtés par le tribunal en application des dispositions de l'article L. 626-12 (N° Lexbase : L8804LQ7) ou de l'article L. 631-19 (N° Lexbase : L8856I3E) du Code de commerce, « 1° Jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, le président du tribunal, statuant sur requête du commissaire à l'exécution du plan, peut prolonger ces plans dans la limite d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I. Sur requête du ministère public, la prolongation peut toutefois être prononcée pour une durée maximale d'un an ».

Cette prorogation n’intervient pas de plein droit.

Il faut comprendre que la durée du plan, fixée par le tribunal, dans la limite de 10 ans, peut être prolongée d’une durée de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, fixée au 24 mai 2020, ce qui amène au 24 août 2020. Il conviendra de saisir une juridiction avant l’expiration du délai de trois mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Pour tenir compte des contraintes liées à l’urgence sanitaire, il n’y aura pas lieu de saisir le tribunal, mais seulement, par requête, le président du tribunal. Cette saisine devra être l’œuvre du commissaire à l’exécution du plan.

Il faut aussi comprendre que la durée du plan, fixée par le tribunal, dans la limite de 10 ans, peut être prononcée pour une durée maximale d'un an. La saisine, non du tribunal, mais de son président, devra ici encore intervenir avant l’expiration du délai de trois mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Elle prendra la forme d’une requête et émanera du ministère public. La solution rappelle le renouvellement exceptionnel de la période d’observation.
Le législateur a aussi prévu l’hypothèse d’un plan expirant plus de trois mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit après le 24 août 2020. En ce cas, l’article 1, III, de l’ordonnance dispose que « 2° Après l'expiration du délai prévu au I, et pendant un délai de six mois, sur requête du ministère public ou du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal peut prolonger la durée du plan pour une durée maximale d'un an ».

La prolongation du délai du plan pourra être sollicitée pendant un délai de six mois faisant suite à l’expiration du délai de trois mois courant à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire. La prorogation de la durée du plan sera possible pour une année au maximum. Cette prorogation sera demandée, par requête, par le commissaire à l’exécution du plan ou par le ministère public.

Cette prolongation des plans doit s’entendre, pour donner un véritable sens au texte, tout à la fois de la durée des plans, mais encore et surtout de la durée de remboursement des dividendes. Seule cette interprétation semble possible, compte tenu du contexte dans lequel l’ordonnance a été prise. Il s’agit de soulager financièrement le débiteur, qui, sans cela se retrouverait ipso facto en cessation des paiements au moment de payer la dernière échéance du plan. La question intéresse spécialement la dernière échéance du plan, qui pourra ainsi se trouver reportée dans les limites prévues aux textes.

12. Prorogation des délais imposés aux organes de la procédure collective. Le législateur tient ici compte des difficultés de fonctionnement des études de mandataires de justice.

En ce sens, l’article 1, IV de l’ordonnance précise que « Jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, le président du tribunal, statuant sur requête de l'administrateur judiciaire, du mandataire judiciaire, du liquidateur ou du commissaire à l'exécution du plan, peut prolonger les délais qui sont imposés à ces derniers d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I ».

Cet allongement n’est pas de droit. Il doit être demandé avant l’expiration du délai de trois mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit avant le 24 août 2020.

L’allongement peut être d’au maximum 5 mois, c’est-à-dire le délai de l’état d’urgence du 24 mars 2020 au 24 mai 2020, plus trois mois.

La demande prend la forme d’une requête adressée au président du tribunal. La demande émanera de l’intéressé, administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, liquidateur ou commissaire à l'exécution du plan.

Cela permettra, par exemple, à un liquidateur de disposer de délais plus longs pour réaliser les actifs, de commencer cette réalisation, ou encore à un mandataire judiciaire ou à un liquidateur, de disposer d’un délai plus long pour vérifier le passif.

II - L’article 2 de l’ordonnance

13. Suppression temporaire du rapport aux fins de poursuite de l’activité en redressement judiciaire. L’article 2, I de l’ordonnance prévoit que « jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire : 1° Le I de l'article L. 631-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L3398ICT) n'est pas applicable ».

L’article L. 631-15, I, alinéa 1er, du Code de commerce pose en règle qu’« au plus tard au terme d’un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d’observation s’il lui apparaît que l’entreprise dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes. Toutefois, lorsque le débiteur exerce une activité agricole, ce délai peut être modifié en fonction de l’année culturale en cours et des usages spécifiques aux productions de cette exploitation ». L’alinéa 2 ajoute que « le tribunal se prononce au vu d’un rapport, établi par l’administrateur ou, lorsqu’il n’en a pas été désigné, par le débiteur ». Ce rapport, qui n’est obligatoire que dans le redressement judiciaire et non dans la sauvegarde, est destiné à permettre à la juridiction de se prononcer, en connaissance de cause sur la poursuite de l’activité en période d’observation.

L’ordonnance précise que ce rapport n’a pas lieu d’être jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 juin 2020. Le renouvellement de la période d’observation pourra ainsi intervenir sans ce rapport. La solution s’explique sans doute par la volonté du Gouvernement d’alléger au maximum la tâche des juridictions et également par le fait que ce rapport, en une telle période de crise, n’a guère de sens pour l’essentiel des entreprises qui, faute d’activé, n’ont plus de rentrées d’argent et ne peuvent donc payer, grâce à leur trésorerie, leurs dettes d’exploitation.

14. Simplification de la saisine de la juridiction par le débiteur. L’article 2, I, 2° de l’ordonnance prévoit que « Les actes par lesquels le débiteur saisit la juridiction sont remis au greffe par tout moyen. Le débiteur peut y insérer une demande d'autorisation à formuler par écrit ses prétentions et ses moyens, en application du second alinéa de l'article 446-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1138INH). Lorsque la procédure relève de sa compétence, le président du tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen ».

Les formes de procédés avec le greffe sont assouplies. La plupart des actes par lesquels le débiteur doit saisir la juridiction suppose, en effet, une requête.  Cette forme ne s’imposera pas, pas plus qu’une autre telle que la déclaration au greffe, technique dangereuse par ces temps de confinement.

En outre, le caractère oral de la procédure devant la juridiction de l’entreprise en difficulté n’a pas à être respecté, ce qui évite le déplacement à une audience, qu’il faut au plus tenir. Le confinement oblige à l’assouplissement des règles de la procédure civile.

15. Communication simplifiée entre le greffe et les organes et entre les organes eux-mêmes.  L’article 2, I, 3° de l’ordonnance prévoit que « les communications entre le greffe du tribunal, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire ainsi qu'entre les organes de la procédure se font par tout moyen ».

16. Prolongation de plein droit de la période d’observation. L’article 2, II de l’ordonnance dispose que « sont prolongés, jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I :
1° Les durées relatives à la période d'observation
 ».

Le I prévoit : « Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ».

La combinaison des deux textes fait donc apparaître que jusqu’au 24 août 2020 [sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire], la période d’observation qui aurait pris à compter du 24 mars 2020 est prolongée d’une durée équivalente à la période comprise entre le 24 mars 2020 et le 24 aout 2020, soit cinq mois.

Le pluriel utilisé par le législateur « les durées relatives à la période d'observation » permet de considérer que la période initiale, la période normalement renouvelée et même la période exceptionnellement renouvelée à la demande du Procureur de la République sont toutes prolongées de plein droit.

Une solution identique est posée pour la durée prévue par l'article L. 661-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L4175HBA).

Selon l’alinéa 1er de cet article, un nouveau délai de période d’observation peut être accordé par la cour d’appel en cas d’infirmation du jugement d’ouverture et de renvoi de l’affaire devant le tribunal. Cette période ne peut excéder 3 mois. Il ne s’agit pas d’une prolongation de la période d’observation déjà écoulée, mais bien d’un délai nouveau

En outre, selon l’alinéa 2 du même article, la durée de la période d’observation est prolongée jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel, en cas d’arrêt de l’exécution provisoire à la suite d’un appel du jugement de liquidation sur conversion, du jugement arrêtant ou rejetant le plan de sauvegarde et de redressement. Dans ces deux hypothèses, la durée de la période d’observation ne sera prolongée que si le premier président de la cour d’appel, saisi d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire, y fait droit.

Dans ces deux cas, la durée de la période d’observation prorogée ou nouvelle sera prolongée dans les mêmes conditions que ce qui a été précisé ci-dessus.

17. Les délais relatifs au maintien de l'activité. L’article L. 641-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L7330IZI) énonce que « si la cession totale ou partielle de l’entreprise est envisageable, ou si l’intérêt public ou celui des créanciers l’exige, le maintien de l’activité peut être autorisé par le tribunal pour une durée maximale fixée par décret en Conseil d’Etat ». Cette durée est de trois mois, renouvelable une fois.

L’article 2, II, 1° de l’ordonnance dispose que sont prolongés, jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I, 2°, les délais relatifs au maintien de l'activité.

Le I prévoit : « Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ».

La combinaison des deux textes fait donc apparaître que du 24 mars 2020 au 24 août 2020 [sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire], les délais de maintien provisoire de l'activité en liquidation judiciaire peuvent être prolongés d’une durée de 5 mois.

Ici encore, l’expression est assez imprécise. Il ne semble pas que le législateur s’intéresse ici à la durée de l’activité en période d’observation, puisque la période d’observation est par hypothèse une période de poursuite de l’activité. Or la question de la durée de la période d’observation, et par conséquent de la poursuite d’activité, est déjà traitée par le législateur.

Il faut donc plutôt comprendre, nous semble-t-il, que le législateur a ici voulu viser la poursuite exceptionnelle de l’activité en liquidation judiciaire. La lettre de l’ordonnance semble être en ce sens, lorsqu’elle évoque, après les durées relatives à la période d'observation et au plan, les durées relatives au maintien de l'activité, et à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée. Ces trois dernières questions intéressent toutes la liquidation judiciaire, alors que les deux premières ne peuvent la concerner.

18. Les délais relatifs à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée. . La durée de la procédure de liquidation judiciaire, toujours obligatoire depuis la loi « PACTE » du 22 mai 2019 (loi n° 2019-486 N° Lexbase : L3415LQK), est variable, suivant le nombre de salariés et le chiffre d’affaires du débiteur. Si le débiteur emploie au plus un salarié et réalise au plus 300 000 euros de chiffre d’affaires hors taxes, la durée de la liquidation judiciaire est fixée à six mois. Si un des seuils est atteint, la durée de la liquidation judiciaire simplifiée est d’un an.

L’article 2, II, 1° de l’ordonnance dispose que sont prolongés, jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I, 2°, les délais relatifs à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée.

Le I prévoit : « Jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire ».

La combinaison des deux textes fait donc apparaître que du 24 mars au 24 août 2020 [sauf prorogation de l’état d’urgence sanitaire], les délais relatifs à la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée sont prolongés d’une durée de 5 mois.

Il s’agit ici d’un allongement de durée de plein droit.

19.  Les délais de couverture par l’AGS de certaines sommes dues en liquidation judiciaire. L’article 2, II de l’ordonnance précise que « Sont prolongés, jusqu'à l'expiration du délai prévu au I, d'une durée équivalente à celle de la période prévue au I :
2° Les délais mentionnés aux b, c et d du 2° de l'article L. 3253-8 du Code du travail
 (N° Lexbase : L7959LGU) ».

L’article L. 3253-8, 5° du Code du travail fait bénéficier de la garantie de l’AGS, dans la limite maximale correspondant à un mois et demi de travail, lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire :

a) les sommes dues au salarié au cours de la période d’observation ;
b) les sommes dues au salarié dans le mois suivant le jugement arrêtant le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) les sommes dues au salarié dans les 15 jours ou 21 si un PSE est élaboré, suivant le jugement de liquidation judiciaire ;
d) les sommes dues au salarié dans les 15 jours ou 21 si un PSE est élaboré, suivant la fin de la poursuite provisoire de l’activité en liquidation judiciaire.

Seuls les délais prévus au b, c et d de l’article L. 3253-8, 5° du Code du travail sont prolongés, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu’au 24 août 2020.

Mais attention : la limite fixée par l’article L. 3253-8, 5° du Code du travail reste d’actualité.

III - L’article 3 de l’ordonnance

20. Désignation du conciliateur du règlement amiable agricole en dépit de l’état de cessation des paiements. L’article 3 de l’ordonnance prévoit que « Pour l'application des articles L. 351-1 (N° Lexbase : L3911AEL) à L. 351-7 du Code rural et de la pêche maritime, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire :
1° Le juge ne peut refuser de désigner un conciliateur au motif que la situation du débiteur s'est aggravée postérieurement au 12 mars 2020
 ».

L’ouverture du règlement amiable agricole suppose que le débiteur soit confronté à des difficultés financières qui viennent d’apparaître ou qui sont prévisibles (C. rur., art. L. 351-1, al. 1er). Le règlement amiable agricole ne pourra être ouvert que si le débiteur n’est pas en état de cessation des paiements.

Le dispositif mis en place par l’article 3 de l’ordonnance autorise au contraire la nomination du conciliateur agricole même si le débiteur est en état de cessation des paiements, dès lors que cet état est apparu postérieurement au 12 mars 2020, et cela jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

21. Possibilité du constat ou de l’homologation de l’accord de règlement amiable agricole en dépit de la subsistance de l’état de cessation des paiements. L’article 3 de l’ordonnance prévoit également que « Pour l'application des articles L. 351-1 à L. 351-7 du Code rural et de la pêche maritime, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire : […] 
2° Lorsque l'accord ne met pas fin à l'état de cessation des paiements, ce dernier est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 ».

Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 351-6 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L2736LBX), « le président du tribunal, si le débiteur ne se trouve pas en cessation des paiements ou si l'accord y met fin, constate l'accord conclu en présence du conciliateur ou, sur son rapport, met fin à sa mission. A la demande du débiteur, le président du tribunal peut homologuer l'accord ».

L’accord de règlement amiable agricole, qu’il soit constaté ou homologué, suppose donc l’absence de cessation des paiements, soit que l’état de cessation des paiements n’ait jamais existé, soit que, le plus souvent, l’accord y mette fin.

On comprend donc la dérogation de premier plan introduite par l’article 3 de l’ordonnance : l’accord pourra être constaté ou homologué même s’il ne met pas fin à la cessation des paiements, pendant la période comprise entre le 24 mars 2020 et l’expiration d’un délai de trois mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 août 2020.

Mais il n’en sera ainsi que pour autant que l’état de cessation des paiements soit apparu après le 12 mars 2020, raison pour laquelle l’article 3 de l’ordonnance précise que l’état de cessation des paiements sera alors apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020.

Le débiteur agriculteur exécutera ensuite l’accord dans ses termes, les poursuites individuelles et mesures d’exécution étant suspendues.

Le législateur espère que la situation s’améliorera pendant l’exécution de l’accord. Si tel n’est pas le cas, il faudra passer à l’étape suivante, celle du traitement judiciaire des difficultés de l’agriculteur.

***

Aux termes de cette présentation de l’ordonnance, on comprend que l’heure est à la protection des plus faibles. Ne doit-on pas garder jusqu’à une amélioration sensible de la situation économique, la dimension protectrice de notre droit des entreprises en difficulté, instantanément primordiale, avant de penser à instaurer les classes de créanciers, et, dans une vision européenne très libérale, à réformer le droit des sûretés ?

 

[1] Explications recueillies auprès de Léa Vechionni-Ben Cheikh, auteure d’une thèse sur « les avances de l’AGS », Nice 2019.

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