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par La Rédaction
le 06 Avril 2020
Mots-clefs : Interview • Avocat • Crise sanitaire • Covid-19
Audrey Chemouli co-dirige le département droit des affaires du cabinet In Extenso Avocats, en Ile-de-France. Présidente de la Commission « Structures d’Exercice » du syndicat des Avocats Conseils d’Entreprises à Paris, elle est également membre élue du Conseil National des Barreaux et dirige en son sein la commission « Statut professionnel de l’avocat ».
Elle a accepté, pour Lexbase Avocats, de répondre à nos questions sur les mesures prévues pour aider les avocats à traverser cette période de baisse d’activité liée à la crise sanitaire du Covid-19 mais, également, sur les conséquences de cette crise pour la profession.
La Rédaction : Quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour aider les indépendants et particulièrement les avocats en cette période de crise ?
Malheureusement, les mesures de chômage partiel ne sont pas applicables aux collaborateurs libéraux, cela a été demandé par la présidente du Conseil National des Barreaux avec force. Il semblerait que la Garde des Sceaux ait confirmé lors de son dernier entretien avec les instances de la profession que nous ne serons pas éligibles au dispositif s’agissant des collaborateurs libéraux, il est néanmoins ouvert aux salariés.
La Rédaction : Certains avocats s’inquiètent de ne pas pouvoir payer leurs salariés et leurs collaborateurs. Pourront-ils bénéficier du dispositif de chômage partiel ?
La crise est importante et profonde, elle touche tous les avocats et après la grève qui a affecté la profession, il est d’autant plus nécessaire de restructurer nos cabinets. Le sujet des collaborateurs et salariés de nos entreprises est primordial. Ils sont les forces vives de nos cabinets, c’est notre moyen de créer de la valeur. En ces temps difficiles, conserver et protéger nos collaborateurs est essentiel.
Il est, à mon sens, nécessaire de travailler pour l’après crise, c’est-à-dire réactualiser les modèles du cabinet, écrire des articles, préparer des formations… autant de chose qui sont nécessaires et utiles et pour lesquelles nos collaborateurs et personnel salarié peuvent aider.
Ce qui ressortira de cette crise c’est aussi la nécessité de conserver sa trésorerie, beaucoup de cabinets pâtissent d’une gestion sans calcul de coût, de point mort, de business plan. C’est le cas de nombreux d’entre nous.
Malheureusement, les mesures de chômage partiel ne sont pas encore applicables aux collaborateurs, cela a été demandé par la présidente du Conseil National des Barreaux avec force, nous n’avons pas encore reçu de réponse à ma connaissance. Il est, néanmoins, ouvert aux salariés.
Il faut donc distinguer les collaborateurs libéraux, des collaborateurs salariés qui suivront le même régime que le personnel salarié. Pour les collaborateurs libéraux, il faut rappeler que la modification du contrat de collaboration est soumise à des règles strictes d’accord des parties. Il a été rappelé par de nombreux barreaux et le Conseil National que les mesures de confinement décidées par le Gouvernement ne sauraient justifier qu’une partie impose unilatéralement la modification du contrat de collaboration libérale à temps plein - en temps partiel, ni la prise de congés par les collaborateurs durant cette période.
La seule circonstance de la crise sanitaire du Covid-19, ne peut pas justifier la suspension du contrat de collaboration libérale, suspension qui n’est d’ailleurs pas prévue dans notre Règlement Intérieur National.
L’article 14.4 du RIN prévoit que « Sous réserve des dispositions relatives à la rupture du contrat en cas de parentalité et sauf meilleur accord des parties, chaque cocontractant peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant l'autre au moins trois mois à l'avance. Ce délai est augmenté d'un mois par année au-delà de trois ans de présence révolus, sans qu'il puisse excéder six mois. Ces délais n'ont pas à être observés en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles ».
Pour les collaborateurs salariés et le personnel salarié des cabinets, à mon sens le dispositif de chômage partiel devrait trouver à s’appliquer, même s’il est vrai que nous avons reçu des avis divergents selon les DIRECCTE.
Sur les mesures de chômage partiel, le Conseil National des Barreaux a réalisé des fiches que chacun peut consulter.
La Rédaction : Les représentants de la profession ont adressé une lettre au ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et au ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin à propos du projet de décret relatif au fonds de solidarité. Ils soulignent le caractère particulièrement inadapté des mesures prévues pour les avocats. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Pour de nombreuses raisons ! Le décret a été publié ce 30 mars et on peut se féliciter que les avocats fassent parti du dispositif, on doit cette victoire à nos représentants. Cela étant les mesures prévues ne correspondent pas toujours à la vie des cabinets. La période de référence tout d’abord, le texte prévoit que le dispositif est soumis à la condition que les entreprises aient « subi(es) une perte de chiffre d'affaires d'au moins 70 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ».
Or le confinement est effectif depuis le 16 mars, par conséquent, pendant toute une partie du mois de mars, les cabinets ont fonctionnés normalement. On peut aussi penser que pendant la première semaine du confinement, c’est également le cas. La problématique de la perte de chiffre se pose depuis la fin mars et surtout sur le mois d’avril et éventuellement les mois suivants.
Par ailleurs et comme précédemment évoqué, les cabinets continuent de payer leurs collaborateurs libéraux qui ne bénéficient pas des mesures de chômage partiel. Leur chiffre d’affaires est donc maintenu nonobstant la perte d’activité du cabinet, obérant ainsi la trésorerie des structures en affichant facialement un maintien d’activité pour eux.
Mais également, on se situe au niveau des cabinets alors que les rémunérations des avocats sont calculées en fonction de leur chiffre d’affaires respectifs au sein desdits cabinets. 1 500 euros au niveau du cabinet, ce n’est pas la même chose que 1 500 euros au niveau de chaque associé ! Nous aurons donc une distorsion entre ceux qui exercent à titre individuel et les autres.
Enfin, ce dispositif, tel que présenté, ne prend pas en compte les différences en matière de comptabilité de caisse ou d’engagement. Il est possible de considérer qu’il y aura des différences qui seront notables en cette matière entre les cabinets.
Quid des AARPI qui sont tellement développées dans certain barreaux, ces structures n’ont pas la personnalité morale, il se peut que leur associés l’ait ou pas…
S’agissant de la deuxième condition relative au bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l’activité exercée, qui ne devrait excéder pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos.
Ce critère présenté comme cela n’est pas adapté, en l’espèce, puisque dans nos structures il n’y a pas véritablement de dirigeant (même si facialement il y a évidemment des mandataires sociaux) mais les avocats qui exercent en qualités d’associés de la structure ne sont pas rémunérés au titre de leur mandat social, mais au titre de leur activité.
La condition d’impossibilité de paiement des charges au 31 mars 2020 pose également une difficulté. La trésorerie des cabinets sera peut-être encore suffisante à la fin de ce mois, mais qu’en est-il des mois suivants ? Là encore il y a un sujet sur la période, il aurait très certainement fallu englober toute la période de confinement !
Sur la condition de refus d’une demande de prêt de trésorerie d’un « montant raisonnable » : cette condition ajoute à la confusion car il est délicat de se positionner sur le caractère raisonnable du prêt. Mais encore est-il nécessaire de rappeler qu’un prêt est très différent d’une aide et qu’il est difficile d’assimiler les deux ou de faire dépendre l’un de l’autre.
Ces inadéquations ont été dénoncées par la présidente du Conseil National des Barreaux, la présidente de la Conférence des Bâtonniers et le Bâtonnier de Paris dans la lettre ouverte à Messieurs les ministres de l’Economie et des Finances et de l’Action et des Comptes publics.
La Rédaction : Le CNB et les Ordres vont-ils eux aussi pouvoir aider les avocats ? Certains avocats réclament, par exemple, une exonération de leurs cotisations CNB pour 2020, est-ce que cela serait envisageable ?
Cette question du règlement des cotisations est éminemment politique et il appartient à chaque Ordre de se positionner en fonction des possibilités qui sont les siennes. Mais les barreaux et le CNB sont bien entendu mobilisés et entendent, comme pour ce qui s’est fait pour le régime des retraites, défendre la profession.
La Rédaction : Quels sont les autres mesures qui peuvent être mise en place par les cabinets pour faire face aux difficultés financières ?
Pour faire face à la crise, les avocats doivent se saisir de tous les mécanismes mis en place par les pouvoirs publics faute d’en avoir qui soient spécifiquement dédiés à la profession.
On peut citer le prêt de trésorerie mis en place afin de soutenir l’économie et aider les entreprises de moins de 5 000 salariés à surmonter les difficultés engendrées par la crise sanitaire liée au coronavirus Covid-19 (loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020 N° Lexbase : L5505LWS). L’Etat a décidé de garantir à hauteur 300 milliards d’euros, les prêts de trésorerie consentis par les banques françaises.
Peuvent bénéficier de ce dispositif les entreprises de toute taille et de toute forme juridique (sociétés, commerçants, exploitants agricoles, professions libérales, micro-entrepreneurs, associations et fondations ayant une activité économique) à l’exclusion des sociétés civiles immobilières, des établissements de crédit et des sociétés de financement (v., la page d’information du CNB).
Il faut également citer l’aide du fonds de solidarité mis en place par l’Etat (1 500 euros) et les régions (2 000 euros).
Chacun doit également veiller à solliciter un moratoire sur ses échéances de prêts, décaler ses échéances de règlement URSAFF, son impôt personnel... Un guide pratique sera mis en ligne très prochainement par le CNB.
La Rédaction : Les avocats souscrivent à des prévoyances, mais quid du délai de carence ?
A mon sens, aujourd’hui, nous sommes encore soumis aux 30 jours de carence en cas de maladie et nous ne savons pas si nous bénéficierons du régime dérogatoire en cas d’infection au COVID-19. Si nous en bénéficions, il faudra mobiliser nos mutuelles pour qu’elles soutiennent les avocats placés dans cette situation. Il est impensable que nous ne soyons pas soutenu par nos partenaires.
La Rédaction : Certains avocats doivent aussi garder leurs enfants pendant cette période de confinement, peuvent-ils bénéficier des indemnités journalières versées par l’Urssaf ?
Pour l’instant ma compréhension est que les avocates et les avocats qui en ont fait la demande se sont vu refuser la possibilité d’avoir recours au dispositif, ce qui est inacceptable. Nous avons, néanmoins, reçu un communiqué le 25 mars de la CNBF indiquant que « l’indemnité journalière prévue à ce titre pour les salariés pourra être versé aux avocates et avocats concernés dans les mêmes conditions, selon les mêmes critères, mais sur la base d’un forfait journalier. Ordonnances et décrets seront publiés dans les prochains jours, fixant notamment le montant du forfait ».
A date, c’est pour l’instant la seule information dont je dispose.
La Rédaction : Après des semaines de grève contre la réforme des retraites, ces mesures de crise seront-elles suffisantes pour aider les avocats déjà éprouvés à faire face à la baisse d’activité ?
Ces mesures sont loin d’être suffisantes et il est dommage de constater que les avocats mais plus généralement les libéraux, sont encore exclus des dispositifs d’aides. Il a été opposé à nombreux de nos confrères, par exemple dans le cas des indemnités journalières pour garde d’enfants, que nous n’étions pas des indépendants mais des libéraux ! C’est inacceptable.
La Rédaction : Peut-on d’ores et déjà évaluer les conséquences de cette crise sur l’économie de la profession ? Et en tirer des conclusions ?
Pour notre cabinet comme pour beaucoup d’autres, je suppose qu’il faut se poser la question de la restructuration et de la modernisation. Il est certain que chacun d’entre nous en parle, mais peu on fait leur « mutation ». Cette crise accélèrera certainement les choses, mais après la grève, c’est un vrai coup dur pour notre profession qui n’en avait pas besoin. En disant cela j’ai conscience que c’est le cas pour beaucoup d’autres alors en attendant, j’applaudis à ma fenêtre à 20 heures…
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