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par Vincent Téchené, Redacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 30 Novembre 2011
Voilà le tableau dressé !
Et, pour nous éclairer sur cet important arrêt et sur ses conséquences directes, notamment en France, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré un spécialiste en droit du sport, Maître Jean-Jacques Bertrand, avocat associé, SCPA Bertrand & Associé, inscrit au Barreau de Paris et d'Arizona (Etats-Unis) en qualité de Foreign Legal Consultant, arbitre international (2002-2010) au Tribunal Arbitral du Sport (TAS), membre de la Chambre arbitrale du sport du CNOSF et membre du Comité Directeur de Sports Lawyers Association aux Etats-Unis (1).
Lexbase : Quelles sont les règles communautaires encadrant la retransmission des matchs de football et plus généralement les manifestations sportives ?
Jean-Jacques Bertrand : En matière de retransmission des évènements sportifs, le droit communautaire se manifeste sur deux grands thèmes : le droit à l'information et la vente centralisée des droits.
Les textes communautaires ont instauré, en premier lieu, un droit à l'information. Il a été mis en place par la Convention du Conseil de l'Europe sur la télévision transfrontalière du 5 mai 1989 signée par la France, le 12 février 1991 et publiée par décret du 14 avril 1995 (décret n° 95-438 du 14 avril 1995 N° Lexbase : L2622IRK, JO du 23 avril 1995). Un second texte est venu préciser cette notion : la Directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 (dite Directive "télévision sans frontières" N° Lexbase : L9919AUW, publiée au JOCE du 17 octobre 1989).
Le droit à l'information doit être respecté, notamment en ce qui concerne la retransmission des évènements d'importance majeure. Une récente Directive (Directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 N° Lexbase : L9705IGK, publiée au JOUE du 15 avril 2011) a repris l'ancienne Directive "télévision sans frontières" de 1989 afin de définir cette notion (article 14, 1). Ainsi, selon son article 14, 1 :
"Chaque Etat membre peut prendre des mesures, conformément au droit de l'Union, pour garantir que les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence ne retransmettent pas d'une manière exclusive des événements que cet Etat juge d'une importance majeure pour la société d'une façon qui prive une partie importante du public dudit Etat membre de la possibilité de suivre ces événements en direct ou en différé sur une télévision à accès libre. Dans ce contexte, l'Etat membre concerné établit une liste dans laquelle sont désignés les événements, nationaux ou non, qu'il juge d'une importance majeure pour la société. Il établit cette liste selon une procédure claire et transparente, en temps opportun. Ce faisant, l'Etat membre concerné détermine également si ces événements doivent être diffusés intégralement ou partiellement en direct ou, si nécessaire ou approprié pour des raisons objectives d'intérêt général, diffusés intégralement ou partiellement en différé".
Chaque Etat membre doit fixer la liste des évènements qu'il considère d'importance majeure. En France, cette liste relève d'un décret (décret n° 2004-1392 du 22 décembre 2004, art. 4 N° Lexbase : L5064GU4, publié au JORF du 24 décembre 2004). Il contient notamment les Jeux Olympiques, les demi-finales et finales des coupes du Monde de rugby et football, le Tour de France, la Formule 1, les finales du championnat d'Europe de hand-ball et basket-ball si la France y participe, etc..
Le 19 octobre 2007, la Commission est venue préciser les critères auxquels doivent répondre les évènements pour figurer dans les listes fixées par les Etats (Commission européenne, décision n° 2007/730/CE, publiée au JOUE du 14 novembre 2007),. Ces évènements doivent répondre à au moins deux de ces critères :
- ils trouvent un échos particulier dans l'Etat membre concerné et intéressent d'autres personnes que celles qui suivent généralement la discipline sportive en question ;
- ils présentent une importance culturelle spécifique largement reconnue pour la population de l'Etat membre concerné et constituent notamment un élément d'identité culturelle ;
- ils impliquent l'équipe nationale dans le contexte d'une compétition d'importance nationale ;
- l'évènement a toujours été retransmis sur des chaînes de télévision gratuites et a attiré de nombreux spectateurs.
Second secteur d'intervention : la vente centralisée des droits des compétitions. La Commission européenne a en effet autorisé la politique de l'UEFA en matière de vente de droits médiatiques sur la Ligue des Champions (communiqué de presse IP/03/1105 du 24 juillet 2003) : les accords restrictifs qui contribuent à améliorer la production et la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte sont autorisés.
C'est justement sur une des conséquences des ventes centralisées des droits que la CJUE s'est prononcée dans son arrêt du 4 octobre 2011.
Lexbase : Quel est le sens de la décision rendue par la CJUE le 4 octobre 2011 concernant d'abord les accords exclusifs ?
Jean-Jacques Bertrand : Comme nous venons de le voir, l'Union européenne autorise les ventes centralisées des droits. Ce qui est l'objet de l'arrêt du 4 octobre 2011 est la vente exclusive de ces droits à un opérateur donné pour un territoire donné.
La Cour a considéré qu'un système de licences pour la retransmission des rencontres de football, qui accorde aux diffuseurs une exclusivité territoriale par Etat membre et qui interdit aux téléspectateurs de regarder ces émissions avec une carte de décodeur provenant d'un autre Etat membre, est contraire au droit de l'Union, notamment au droit de la concurrence.
Bien que le droit de la concurrence de l'UE ne s'oppose pas à ce qu'un titulaire de droits puisse concéder à un licencié unique le droit exclusif de diffuser, pendant une période déterminée, un évènement sportif à partir d'un seul Etat membre d'émission ou à partir de plusieurs Etats membres d'émission, les contrats de licences ne doivent pas interdire aux licenciés toute prestation transfrontalière de services, relative aux rencontres sportives.
L'arrêt du 4 octobre 2011 a en réalité amoindri la notion d'exclusivité, en remettant en cause les contrats qui permettent d'accorder à un diffuseur une exclusivité territoriale absolue dans la zone couverte par sa licence, éliminant ainsi toute concurrence entre diffuseurs et cloisonnant de la sorte les marchés nationaux selon les frontières nationales.
Or, l'UE doit demeurer un espace de libre prestation de services. A ce titre, la Cour précise également qu'un tel contrat d'exclusivité ne peut se justifier "ni au regard de l'objectif de protection des droits de la propriété intellectuelle ni par l'objectif d'encourager la présence du public dans les stades de football".
Lexbase : Cette position de la CJUE a-t-elle un impact direct sur la retransmission des matchs de football en France ?
Jean-Jacques Bertrand : Il est difficile de répondre à cette question sans avoir étudié les contrats signés par la Ligue de Football Professionnel avec ses diffuseurs. De plus, la LFP n'a pas réagi, à notre connaissance, à cette jurisprudence de la CJUE. En l'état, les droits audiovisuels ont été concédés dernièrement pour la période 2012-2016. Si il y a un impact de cette jurisprudence (baisse des revenus,...), celui-ci ne devrait pas apparaître avant le prochain appel d'offres en 2015.
Lexbase : Surtout, la CJUE considère que les rencontres de football professionnel ne sont pas des oeuvres au sens du droit d'auteur. Pouvez-vous nous expliquer le fondement de cette décision qui rompt avec la jurisprudence du TPICE qui avait reconnu en 1997 un droit d'auteur aux sociétés de courses organisatrices de courses hippiques (TPICE, 12 juin 1997, aff. T-504/93 N° Lexbase : A3173AWG) ?
Jean-Jacques Bertrand : Nous avons déjà évoqué ce point. Pour la Cour seuls, la séquence vidéo d'ouverture, l'hymne de la Premier League, les films préenregistrés montrant les moments les plus marquants des rencontres récentes de Premier League et certains graphismes peuvent être considérés comme "oeuvres" et être ainsi protégés par le droit d'auteur.
En revanche, les rencontres elles-mêmes ne sont pas des oeuvres pouvant bénéficier d'une telle protection. La CJUE soutient que ces rencontres sont "encadrées par des règles de jeu, qui ne laissent pas de place pour une liberté créative au sens du droit d'auteur".
La jurisprudence du TPICE avait été rendue avant que la Directive sur le droit d'auteur (Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L8089AU7) ne soit mise en place au niveau communautaire. Ceci peut expliquer ce "revirement".
Néanmoins, les juges décident que la retransmission des émissions contenant ces oeuvres protégeables (visées ci-dessus) constitue une "communication au public" au sens de la Directive sur le droit d'auteur, pour laquelle l'autorisation de l'auteur des oeuvres est nécessaire.
Lexbase : La CJUE admet qu'une législation nationale puisse tenir compte du "caractère unique, et dans cette mesure, original" des rencontres sportives pour les protéger au titre de la propriété intellectuelle en mettant en place une législation nationale spécifique. Qu'en est-il en France ? La compétition sportive est-elle une oeuvre objet d'un droit d'auteur ?
Jean-Jacques Bertrand : La CJUE admet en effet qu'une législation nationale puisse tenir compte du "caractère unique, et dans cette mesure, original" des rencontres sportives pour les protéger au titre de la propriété intellectuelle en mettant en place une législation nationale spécifique.
Cependant, une telle législation ne saurait justifier une restriction à la libre circulation des services que si celle-ci est proportionnée. Or, toujours d'après le juge communautaire, tel n'est pas le cas d'un mécanisme de supplément de prix fondé sur une exclusivité territoriale destinée à conférer au titulaire de l'oeuvre la rémunération la plus élevée possible. Car, pour être proportionné, le régime prévu doit uniquement assurer une rémunération raisonnable par rapport au nombre réel ou potentiel de destinataires.
En France, il n'existe pas de législation conférant la qualité d'oeuvre protégée par un droit d'auteur à la compétition sportive. La législation reconnaît cependant à l'organisateur un droit d'exploitation concernant l'exploitation audiovisuelle de sa compétition et, depuis peu, le droit de consentir à l'organisation de paris sur celle-ci.
Lexbase : Ne pourrait-on pas, dès lors, imaginer, pour contourner cette jurisprudence, de protéger les images de retransmission par le droit des marques, notamment, en multipliant les logos ?
Jean-Jacques Bertrand : On peut toujours l'imaginer. Mais encore faut-il que la retransmission d'un évènement sportif garde son sens.
Lexbase : Un mot de conclusion sur cet important arrêt et ses conséquences directes...
Jean-Jacques Bertrand : Il faut attendre de voir quelle sera la réaction des diffuseurs ou des cessionnaires des droits pour savoir si cet arrêt aura un réel impact.
L'exclusivité territoriale existe de fait. En effet, un téléspectateur français ira-t-il acheter un abonnement auprès d'un diffuseur étranger pour suivre les retransmissions du championnat de France, alors même que les commentaires seraient en langue étrangère ? Même si le tarif serait financièrement plus attractif, il est peu probable que cela ait un impact fort.
En revanche, cela peut avoir une incidence sur les prix des licences concédées. En effet, les diffuseurs financeront-ils autant le sport si leur exclusivité territoriale est remise en cause ? A l'inverse, les ligues pourraient compenser leur éventuelle perte de profit de l'exploitation territoriale à titre exclusif de leurs droits, par une négociation plus avantageuse de ces droits auprès de tous les autres diffuseurs de l'Union européenne.
Nous pourrions donc aboutir à une exploitation des droits audiovisuels globalement identique, mais avec un toilettage des contrats et une multiplication des négociations. C'est peut-être pourquoi l'UEFA et la Fédération anglaise ont déjà fait savoir que cela ne devrait pas radicalement changer la distribution de leurs droits. Mais que doit-on entendre par radicalement ?
(1) Cf. le site internet du Cabinet Bertrand & Associé.
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