La lettre juridique n°809 du 16 janvier 2020 : Famille et personnes

[Textes] Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales

Réf. : Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille (N° Lexbase : L2114LUT)

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par Isabelle Corpart, Maître de conférences à l’Université de Haute Alsace, Membre du Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes

le 14 Février 2020

Mots clés : famille • couple • violences conjugales • Grenelle • enfant • autorité parentale • ordonnance de protection • bracelet anti-rapprochement • téléphone grand-danger

Le législateur n’a pas tardé à réagir après le «Grenelle des violences conjugales» [1] pour tenter d’éradiquer un fléau [2] dont les textes qui y sont consacrés peinent à venir à bout. Il a notamment utilisé la procédure accélérée (engagée le 16 septembre 2019 par le Premier ministre) afin que la proposition de loi n° 2201, déposée à l’Assemblée nationale le 28 août 2019 puisse rapidement parfaire le dispositif législatif de lutte contre ces violences qui se perpétuent dans un cadre familial, le plus souvent dans l’intimité des couples.

L’ambition de cette nouvelle réforme est grande, comme en témoigne le changement de nom de la proposition de loi (initialement «visant à agir contre les violences faites aux femmes» ; modification faite par un amendement lors de sa première lecture [3]). Elle ne saurait se limiter à organiser la protection des femmes, victimes de violences dans le cercle familial car, d’une part, si ces dernières sont les principales victimes, des hommes sont parfois agressés par leurs épouses ou compagnes [4] et d’autre part, les enfants des couples sont tout autant impactés par les démonstrations de violence. Surtout, il faut se garder de toute ambiguïté et ne pas réserver les mesures de sauvegarde, d’accompagnement et les sanctions aux conjoints, ce qui exclurait les couples non mariés.

Tel était historiquement le problème car les dispositions de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB), qui ont créé le référé-violence, remplacé ensuite par l’ordonnance de protection, étaient précisément insérées dans l’article 220-1 du Code civil (N° Lexbase : L7169IMH), lequel permet au juge de prescrire des mesures «si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille». Elle visait donc exclusivement les couples encore mariés [5], ce que la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR) s’est efforcée de corriger [6]. Depuis cette date, il est clairement acté que les mesures prises tendent à la protection des conjoints, mais également à celle des partenaires de PACS ou des concubins ou encore des anciens époux, partenaires ou concubins (C. civ., art. 515-9 N° Lexbase : L7175IMP) [7]. Dans tous ces cas, s’il y a danger, le juge peut délivrer en urgence à la victime une ordonnance de protection (C. pr. civ., art. 1136-3 N° Lexbase : L9357LTQ). Un titre visant les violences faites aux femmes n’était pas, dès lors, souhaitable, raison pour laquelle l’accent a été mis, dans le libellé de la loi nouvelle, sur les violences au sein de la famille.

A notre sens, si l’intention est louable, le résultat est perfectible car, en l’état actuel du droit, il est difficile de considérer que tous ces couples bénéficient de liens familiaux, seuls le mariage et la naissance d’un enfant permettant de fonder une famille, au sens juridique. Dès lors, viser seulement les violences faites en famille est réducteur, les couples mariés sans enfant semblant exclus. Néanmoins, il s’agit simplement d’une maladresse rédactionnelle dans la mesure où le législateur entend précisément éradiquer toutes formes de violences perpétrées dans l’ensemble des foyers et faire en sorte que les relations familiales soient apaisées et bienveillantes, que la famille soit un havre de paix où chacun puisse s’épanouir sans crainte.

Comme pour les violences éducatives ordinaires, la domination du sexe masculin dans le huis-clos des foyers repose sur des modes comportementaux qui s’inscrivent dans le temps, liés aux attributs du paterfamilias. Il faudra patienter encore pour que toute violence soit éradiquée dans les relations familiales et que, tant les habitudes que les mentalités, changent [8].

Cette loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille [9] n’est pas une réforme de plus [10], avec ses 19 articles, mais un texte qui ambitionne de proposer des mesures concrètes et qui apporte sa pierre à l’édifice de la lutte contre les violences conjugales, laquelle se construit pas à pas depuis de nombreuses années, mettant davantage que par le passé l’accent sur les enfants (I). La reconnaissance du statut de victimes pour les enfants a tardé mais, désormais, il sera tenu compte de l’attitude de leur parent, père ou mère, pour réfléchir à la pertinence de maintenir des relations familiales. Ils ne sont pas de simples témoins mais bien des victimes, même lorsque le parent violent ne les vise pas spécialement. C’est toute leur enfance qui est menacée. Il est important que le législateur ait pris la pleine mesure de leur statut de victimes, victimes indirectes s’ils ne sont pas maltraités, afin qu’une protection adaptée soit recherchée.

La protection des victimes directes est, quant à elle, revue et améliorée (II). Des mesures opérationnelles déjà depuis quelques années ont montré leur utilité mais sont mal exploitées (telle que l’ordonnance de protection), d’autres sont à rendre plus performantes (bracelet anti-rapprochement, téléphone grand-danger) pour véritablement permettre aux victimes de retrouver leur autonomie (accès au logement). Bien protéger, c’est aussi faire en sorte que les moyens de lutte soient dissuasifs et efficaces.

Il faudra toutefois du temps pour savoir si cette loi, qui sera suivie d’autres [11], a atteint ses objectifs et sécurise suffisamment les relations familiales, de sorte que nul n’ait plus peur de vivre en famille ou tout simplement en couple.

I - Des mesures nouvelles pour les enfants, victimes indirectes

Après le «Grenelle des violences conjugales», il est encourageant que les réflexions aient permis de bien cerner la situation des enfants.

Si l’exercice de l’autorité parentale doit être remis en question quand l’un des parents adopte un comportement anormal, la filiation quant à elle est maintenue, aussi les obligations parentales, notamment financières, doivent-elles perdurer.

Dans les deux cas, il s’agit de sauvegarder l’enfant, de le préserver en évitant des rencontres avec le parent violent, mais aussi d’assurer financièrement son entretien.

A - La remise en cause des liens parentaux

Que l’enfant soit une victime directe ou indirecte des violences conjugales, il mérite protection et doit être préservé des agissements violents de son parent, au mieux de ses intérêts.

Lorsqu’il est visé lui-même, son sort est assuré de longue date car les coups qui lui sont portés ou les menaces qu’il subit, permettent de mettre fin aux relations parentales. Dans les cas les plus graves, des mesures d’assistance éducative avec placement hors du foyer peuvent être ordonnées mais il est aussi admis de priver le parent de l’exercice de l’autorité parentale ou de lui retirer l’autorité parentale.

Désormais, tout enfant pourra bénéficier de ces mesures de sauvegarde car il est admis que, même sans souffrir directement des violences, l’enfant est bien plus qu’un simple témoin. Il faut désormais admettre que tout parent représente un danger pour son enfant quand celui-ci est témoin de pressions ou de violences à caractère physique ou psychologique exercées par son père sur sa mère ou inversement.

L’enfant est pleinement reconnu en tant que victime et le législateur insiste sur deux types de mesures qui, à terme, pourront éviter qu’il ne demeure en contact avec ce parent. Il s’agit de mettre fin à la coparentalité toutes les fois où l’un des parents exerce sur l’autre et a fortiori sur les mineurs, des violences physiques ou psychologiques. L’idée n’est pas nouvelle [12], mais avec la loi, un véritable dispositif protecteur des mineurs est mis en place.

Depuis la loi du 9 juillet 2010, la situation de l’enfant est bien prise en compte lorsque le juge aux affaires familiales prononce une ordonnance de protection. Il doit effectivement se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, qu’il s’agisse d’une résidence alternée ou d’une résidence habituelle fixée chez l’un des parents, et sur la prise en charge financière des enfants.

La loi du 28 décembre 2019 ajoute que le juge doit également tenir compte des droits de visite et d’hébergement, sachant «la décision de ne pas ordonner l'exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d'un tiers de confiance est spécialement motivée» (C. civ., art. 515-11, 5° N° Lexbase : L5377LTC).

Il peut décider que même les rencontres médiatisées ne sont pas souhaitables mais il doit s’en justifier. Il est en effet possible de priver le parent violent des droits de visite et d’hébergement pour que l’enfant puisse pleinement se reconstruire et s’épanouir. Les rencontres en lieu médiatisé ne semblent pas toujours suffisamment protectrices et l’on veut éviter de faire violence à l’enfant en l’obligeant à rencontrer un parent dont il a peur.

Prenant acte des effets des violences conjugales sur les tentatives de médiation familiale, il est prévu que le juge aux affaires familiales ne pourra ni proposer aux parents de mesure de médiation ni les enjoindre de rencontrer un médiateur familial, en cas de violences non plus uniquement «commises» par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, mais même, dorénavant, seulement «alléguées».

Pour bien protéger l’enfant, le législateur utilise encore les techniques de la délégation et du retrait d’autorité parentale.

D’abord, une délégation de l’exercice de l’autorité parentale peut être réclamée au juge par le particulier, l’établissement ou le service de l’ASE ayant recueilli l’enfant quand un parent est poursuivi ou condamné pour un crime commis sur l’autre parent qui a succombé aux coups (C. civ., art. 377, al. 2 N° Lexbase : L0254K7K) [13]. En pareil cas, l’enfant a perdu son parent protecteur et il se retrouverait à devoir vivre avec son autre parent ou, pour le moins, à devoir le rencontrer. Pour y mettre fin, et mieux prendre en compte le drame des enfants orphelins qui subissent le deuil de leur parent, victime des violences conjugales, le législateur offre une réorganisation des liens parentaux.

Ensuite, de nouvelles mesures de retrait, retrait de l’exercice de l’autorité parentale, peuvent être décidées, cette précision étant apportée dans plusieurs textes (C. civ., art. 378 N° Lexbase : L7192IMC, art. 379-1 N° Lexbase : L2931AB8 et art. 380 N° Lexbase : L2932AB9 ; C. pén., art. 221-5-5 N° Lexbase : L0256K7M, art. 222-48-2 N° Lexbase : L0255K7L, art. 222-31-2 N° Lexbase : L0263K7U et art. 227-27-3 N° Lexbase : L0262K7T).

Face au drame des enfants victimes, même indirectes de violences conjugales, le législateur prévoit aussi la suspension de l’exercice de l’autorité parentale en cas de crime commis sur l’autre parent (C. civ., art. 378-2, nouveau) : suspension de six mois, à charge pour le procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) dans les huit jours. Les praticiens pourront se référer à ce texte qui prévoit une suspension de plein droit en cas de crime ou de poursuites pour crime d’un parent sur l’autre parent de son enfant.

Etre parent, à savoir avoir un lien de filiation paternelle ou maternelle, ne rend pas le parent tout puissant et le juge doit avant tout tenir compte de l’intérêt de l’enfant.

B - Les conséquences du maintien des liens filiaux

Si être parent n’offre pas tous les droits et si, un parent ne peut pas exiger de vivre avec son enfant ou, à tout le moins de conserver des liens étroits avec lui, le lien de filiation n’est pas, quant à lui, remis en cause dans le processus de lutte contre les violences conjugales.

L’enfant héritera un jour de son parent (et inversement, son père pourrait hériter à sa mort, sous réserve du jeu de l’indignité successorale, C. civ., art. 727 N° Lexbase : L3334AB4) mais, en attendant, il peut lui réclamer des aliments, ce dernier devant continuer à participer à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, même s’il ne vit plus avec lui et n’a plus de ses nouvelles.

Quelles que soient les circonstances et, que le parent soit seulement privé de droit de visite et d’hébergement ou de l’exercice de l’autorité parentale ou, encore, fasse l’objet d’une mesure de retrait, l’obligation d’entretien perdure, ce que précise le législateur en modifiant l’article 371-2 du Code civil (N° Lexbase : L2895ABT).  Dès lors, même sanctionné, même emprisonné dans les cas les plus graves, l’auteur des violences conjugales devra continuer à verser des aliments à son enfant mineur, voire majeur si ce dernier est dans le besoin, sans pouvoir se retrancher derrière un retrait de l’autorité parentale.

Il n’y est toutefois tenu que dans les limites de ses ressources, ce qui pose problème, en particulier s’il est condamné à des peines de prison. Pour qu’il soit mis fin au versement de la pension alimentaire, il reviendra, toutefois, au demandeur de rapporter la preuve de sa situation financière.

Même si les dispositions visant les enfants étaient fort attendues, l’essentiel de la loi concerne les relations entre les victimes directes et les auteurs des violences conjugales.

II - Des mesures complémentaires pour les victimes directes

Dans l’idéal, il s’agit d’éviter que le pire ne survienne, aussi s’efforce-t-on d’agir en amont, en protégeant les conjoints et en leur permettant d’obtenir le soutien des forces de police à temps, mais il faut aussi mieux assurer la protection des victimes [14]. Tels sont les objectifs poursuivis par la loi. Avec cette nouvelle série de mesures, le législateur concrétise effectivement la volonté gouvernementale de lutter plus efficacement contre les violences conjugales et d’améliorer la performance des dispositifs existants. Le nombre des homicides conjugaux montre bien que, malheureusement, les réformes mises en place ces dernières années n’ont pas suffi à éradiquer ces graves cas de violence [15]. De nouvelles pistes préventives sont insérées dans la loi qui s’attache également à rendre plus efficaces les aides apportées aux victimes.

A - Pour mieux anticiper les drames

Avant que des mesures ne soient déjà décidées, notamment qu’une ordonnance de protection soit prise ou que l’un des conjoints n’ait plus le droit de se rapprocher de l’autre, la protection peut déjà s’organiser.

Les personnes qui vivent dans la crainte des réactions de leur conjoint seront sécurisées de pouvoir détenir un moyen d’appeler rapidement les secours. Sur ce point, la loi améliore l’utilisation du téléphone «grave danger» (TGD) [16] dont l’attribution peut être sollicitée par tous moyens (C. pr. pén., art. 41-3-1 N° Lexbase : L9163I3R).

Le législateur élargit effectivement les conditions d’attribution du TGD, le procureur de la République pouvant l’attribuer à une victime si l’auteur est en fuite. Il peut, en effet, en faire bénéficier la victime «en cas de danger avéré et imminent, lorsque l'auteur des violences est en fuite ou n'a pas encore pu être interpellé ou lorsque l'interdiction judiciaire d'entrer en contact avec la victime […] n'a pas encore été prononcée». Il n’est donc plus nécessaire d’attendre qu’une décision de justice soit rendue.

De plus, ce moyen de secours peut être proposé lorsque le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande d’ordonnance de protection en vue de mettre en place une interdiction judiciaire d'entrer en contact avec la victime dans le cadre d'une ordonnance de protection, mais également quand l’auteur des violences a fait l’objet «d'une alternative aux poursuites, d'une composition pénale, d'un contrôle judiciaire, d'une assignation à résidence sous surveillance électronique, d'une condamnation, d'un aménagement de peine ou d'une mesure de sûreté».

Lorsque le conjoint est condamné à demeurer éloigné du domicile familial, il peut tenter d’y passer outre ou chercher à entrer en contact avec sa victime en dehors de la sphère familiale. Dans tous ces cas, le bracelet anti-rapprochement permet de rassurer les victimes en imposant son port à l’auteur des violences en cas de placement sous contrôle judiciaire, d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve et d’aménagement de peine (C. pén., art. 131-4-1 N° Lexbase : L9918I3Q, art. 132-45 N° Lexbase : L2522LBZ, art. 132-45-1 N° Lexbase : L8958HZS ; C. pr. pén., art. 138, 17° bis N° Lexbase : L9762LPA, art. 138-3). La mise en œuvre de ce dispositif doit, toutefois, garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne et ne doit pas entraver son insertion sociale [17].

On pourra dorénavant y recourir même en amont, avant tout jugement pénal, dans le cadre d'un contrôle judiciaire et, de même, en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d'une ordonnance de protection [18].

En effet, en cas d’interdiction faite à l’auteur des violences de se rapprocher de certaines personnes spécialement désignées par le juge (C. civ., art. 515-11, 1° N° Lexbase : L5377LTC), après avoir recueilli le consentement des deux parties, le juge peut ordonner le port par chacune d'elles d'un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse se trouve à moins d'une certaine distance de la partie demanderesse, fixée par l'ordonnance (C. civ., art. 515-11-1) [19].

Grâce au déclenchement d'un signal, ce bracelet permet de géo-localiser les conjoints ou ex-conjoints violents et, surtout, de les maintenir à distance. Désormais, sous réserve du consentement du conjoint violent [20], le bracelet anti-rapprochement pourra être mis en place à titre de peine (travail d’intérêt général, sursis probatoire, détention à domicile sous surveillance électronique).

L’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte doit rendre la victime attentive au fait qu’elle peut demander à bénéficier de ce dispositif électronique mobile anti-rapprochement (à la fois oralement et par la remise d’un document, C. pr. pén., art. 15-3-2).

B - Pour mieux répondre aux situations de violences conjugales

Une fois les constats faits, il est indispensable de mieux accompagner les victimes, de les aider à se reconstruire, mais aussi de les sécuriser.

L’un des objectifs de la loi est, d’abord, de rendre plus efficaces les ordonnances de protection.

Le référé-violence qui a donné lieu, ensuite, à cette ordonnance de protection a été créé par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce (N° Lexbase : L2150DYB), introduit dans l’alinéa 3 de l’article 220-1 du Code civil (N° Lexbase : L7169IMH). Il prévoyait que «lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal». Le recours à la force publique était toutefois difficile à obtenir, mais ce texte constituait une avancée par rapport au droit antérieur qui permettait seulement aux époux de se référer à l’article 257 du Code civil (N° Lexbase : L7170IMI), lequel autorise le juge à prendre des mesures d’urgence et, notamment, à autoriser le demandeur à résider séparément, le cas échéant avec ses enfants, dans le cadre d’une procédure de divorce ou de séparation de corps [21]. Certes une protection était obtenue, mais ce n’était pas l’époux victime qui continuait de bénéficier du logement familial et le texte ne semblait pas suffisamment performant [22].

C’est la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (N° Lexbase : L7042IMR) [23] qui a créé de nouveaux articles dans le Code civil (art. 515-9 et s. N° Lexbase : L7175IMP) pour permettre au juge de délivrer en urgence une ordonnance de protection de la victime et de ses enfants, le cas échéant, le juge pouvant prendre des mesures civiles et pénales.

Cette ordonnance de protection permet au juge d’attester de la réalité des violences subies et de mettre en place des mesures d’urgence, telles que l’éviction du conjoint violent, le relogement de la victime en cas de départ du domicile conjugal pour être hors de portée du conjoint ou l’interdiction pour le conjoint violent de porter une arme [24], avant même que la victime se décide à déposer plainte [25].

La loi du 28 décembre 2019 fixe, désormais, à six jours son délai de délivrance et le juge aux affaires familiales n’a plus le loisir de statuer «dans les meilleurs délais» (C. civ., art. 515-11, al. 1er N° Lexbase : L5377LTC) [26]. Cela devrait mettre fin à des pratiques disparates sur l’ensemble du territoire car certains juges refusaient de la délivrer, arguant du fait que la victime n’avait pas porté plainte, ce qui, désormais, n’est plus du tout une condition préalable (C. civ., art. 515-10 N° Lexbase : L7174IMN).

Pour mieux entendre les victimes, il est prévu aussi que leurs auditions se tiennent séparément de leurs conjoints ou compagnons (C. civ., art. 515-10, al. 2).

Le nouveau texte apporte, également, une autre précision car, si la loi de 2010 avait spécialement visé les couples non mariés et les ex-conjoints, le libellé de l’article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L7175IMP) est clarifié, mentionnant que la mesure peut être ordonnée pour les époux, «y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation» et pour les concubins, «y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation».

Pour donner encore de meilleurs atouts à l’ordonnance de protection, le législateur élargit également le champ de compétences du juge, lui permettant d’«interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse» (C. civ., art. 515-11, insertion d’un 1° bis), sachant que si, dans ce cas, une décision de ne pas interdire la détention ou le port d’arme est prise, elle doit être spécialement motivée, et de «proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République» (C. civ., art. 515-11, insertion d’un 2° bis).

La loi ajoute que toutes les mesures ne peuvent être prises par le juge qu’après le recueil des observations des parties (C. civ., art. 515-11, deuxième phrase du premier alinéa).

Il revient aussi au juge de statuer sur la résidence séparée du couple en donnant une priorité à la victime, ce qui est à saluer dans la loi. Deux paragraphes sont modifiés, l’un concernant les couples mariés, «à la demande du conjoint qui n'est pas l'auteur des violences, la jouissance du logement conjugal lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée, et même s'il a bénéficié d'un hébergement d'urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent» (C. civ., art. 515-11, 3°) et l’autre les couples non mariés, «se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de concubins. A la demande du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin qui n'est pas l'auteur des violences, la jouissance du logement commun lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée[27], et même s'il a bénéficié d'un hébergement d'urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent» (C. civ., art. 515-11, 4°).

Il est, également, intéressant de noter que des frais peuvent être mis à la charge de l’auteur des violences.

Espérons que cette mesure de protection devienne plus familière aux praticiens et que la loi nouvelle ne demeure pas lettre morte [28].

Un autre volet essentiel de la loi touche à l’accès au logement pour les victimes de violences conjugales. Assurer un toit aux victimes est primordial afin de leur permettre de se reconstruire après un drame, mais aussi, en échappant à l’auteur des violences, d’éviter d’être durement touchées par les attaques de leur conjoint [29]. Tout est fait pour apaiser la victime qui peut, si elle le souhaite, obtenir de conserver son domicile.

Pendant les trois ans suivant l’entrée en vigueur de la loi, deux dispositifs sont mis en place à titre expérimental pour améliorer le sort des victimes. Il est d’abord prévu que les organismes HLM soient autorisés à louer, meublés ou non, des logements à des organismes déclarés qui pourront, à leur tour, les sous-louer à titre temporaire à des personnes victimes de violences attestées par une ordonnance de protection ; les sous-locataires, assimilés à des locataires, pourront aussi bénéficier des aides au logement (CCH, art. L. 442-8 N° Lexbase : L5858IDC).

Ensuite, la loi institue, sous conditions de ressources, un accompagnement financier aux victimes qui ont quitté le logement conjugal ou commun, même si elles ont pris elles-mêmes cette décision, dès lors qu’elles bénéficient d’une ordonnance de protection. Ainsi, si la victime préfère déménager pour échapper à l’auteur des violences, elle peut bénéficier d’une aide financière pour son relogement (notamment prise en charge de la caution, de la garantie locative et avance des premiers mois de loyers…) [30].

Enfin, l'article 16 de la loi vise à permettre de donner accès au parc locatif social à des femmes qui ont fui le logement qu'elles partageaient avec l'auteur des violences, sans que la propriété de ce logement, dont elles n'ont plus la jouissance, puisse leur être opposée (CCH, nouv. art. L. 441-2-2).

L’attitude du conjoint est aussi mieux sanctionnée par le législateur qui s’attache au volet pénal de la lutte contre les violences conjugales, mais qui met aussi en place quelques intéressantes dispositions.

Ainsi, lorsque la victime a péri sous les coups de son époux, il est désormais relevé que la pension de réversion ne peut pas être perçue (CSS, art. L. 342-1-1 et L. 353-1-1 ; C. rur., art. L. 732-41-1 et L. 732-62) lorsque le conjoint survivant est ou a été condamné pour avoir commis à l'encontre de l'époux assuré un crime ou un délit [31].

«Continuons le combat» serait une formule trop violente mais il faut continuer d’être vigilant et d’offrir aux victimes des protections adaptées à chacune et, ce, de manière efficace.

C’est l’intérêt de cette nouvelle loi que de porter à la connaissance de tous, la prise en compte globale des violences, assortie d’une meilleure prise en charge des victimes [32].

Il restera aux acteurs du droit de s’assurer que ces dispositions seront véritablement appliquées pour que ce nouveau texte ait un effet dissuasif et qu’il débouche sur le recul des violences faites en famille.

Il faudrait encore améliorer le repérage des victimes, mieux analyser la dangerosité des situations et s’attacher davantage au suivi des auteurs de violence [33]. Tout doit être fait pour sécuriser suffisamment les victimes afin qu’elles entament des procédures judiciaires ou, au moins, se fassent connaître.

Pour autant, il faut se féliciter d’une réforme qui répond à une urgence vitale, l’actualité faisant malheureusement état constamment de nouvelles victimes qui meurent sous les coups de leurs proches et de drames familiaux.

Ces violences conjugales ne sont pas des fatalités. On doit pouvoir les éviter si l’on s’en donne les bons moyens et en faisant évoluer les mentalités, ce à quoi contribue chaque nouvelle réforme.


[1] I. Corpart, Après le Grenelle des violences conjugales, suppression de la coparentalité ? Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019, RJPF 2019-12/22.

[2] Ou scandale : C. Guesnier, Le scandale des violences conjugales, L’Harmattan, 2017 et aussi, problème sociétal : F. Vasseur-Lambry, Penser les violences conjugales comme un problème de société, PU Artois, 2018.

[3] TA AN, n° 2201, 2019-2020, amendement CL128.

[4] Sans oublier que la communauté LGBT est tout autant affectée !

[5] I. Corpart, Inapplicabilité de l’article 220-1 du Code civil : les lacunes du dispositif de protection civile des concubines subissant des violences «conjugales», note sous TGI Lille 21 février 2006, Dr. fam. juillet-août 2006, comm. n° 141.

[6] I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, Dr. fam. 2010, étude 27.

[7] I. Corpart, Conjugalité et violence, les liaisons dangereuses, LPA 2017, n° 207, p. 6.

[8] Pour faire évoluer les mentalités, rappelons que le président de la République a fait de l’égalité entre les hommes et les femmes la grande cause de son quinquennat.

[9] JO du 29 décembre 2019.

[10] Voir déjà, loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8) : I. Corpart, Haro sur les violences conjugales, RLDC 2007/35, n° 2403 ; loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 : I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, préc. ; N. Fricero, La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes : nouvelles armes juridiques, RJPF 2010-9, p. 8 ; E. Mulon et J. Casey, La loi du 9 juillet 2010 et le décret du 29 septembre 2010 sur les violences conjugales : aspects de droit civil et pénal, Gaz. Pal. 2010, n° 315, p. 6 ; loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (N° Lexbase : L9079I3N) : J. Alix, Le dispositif français de protection des victimes de violences conjugales, AJ pénal 2014. 208 ; A. Bourrat-Guégen, Le renforcement de la protection des personnes victimes de violences au sein du couple dans le cadre de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, LPA 2015, n° 31, 7 ; A.-M. Leroyer, Egalité hommes et femmes. Luttes contre les violences, RTDCiv., 2014. 947. Adde, M. Couturier, Les évolutions du droit français face aux violences conjugales. De la préservation de l’institution familiale à la protection des membres de la famille, Dialogue 2011/1 (n° 191), p. 67 ; M.-J. Grihom, M. Grollier, Femmes victimes de violences conjugales, Presses universitaires de Rennes, 2013 ; E. Herman, Lutter contre les violences conjugales, Presses universitaires de Rennes, 2016 ; M. Jaspard, Les violences contre les femmes, La Découverte, coll. Repères, 2005 ; M. Juston, Violences conjugales et affaires familiales, AJ famille 2014.489 ; C. Metz et A. Thevenot (dir.), Lutter contre les violences conjugales, Presses universitaires de Strasbourg, à paraître ; M. Pichard et C. Viennot (dir.), Le traitement juridique et judiciaire des violences conjugales, Mare & Martin, 2016.

[11] Proposition de loi n° 2478 visant à protéger les victimes de violences conjugales http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion2478.asp, déposée à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019 qui contient, notamment, une disposition intéressante visant à décharger de son obligation de secret, le professionnel de santé qui dénoncerait au procureur, sans l’accord de la victime, des violences conjugales «lorsqu’il a l’intime conviction que la victime majeure est en danger immédiat et qu’elle se trouve sous l’emprise de leur auteur» et, suite à des condamnations pour violence, à décharger les enfants de leur obligation alimentaire.

[12] R. Cario, L'enfant exposé aux violences familiales : contextualisation, in R. Cario (dir.), L'enfant exposé aux violences familiales. Vers un statut spécifique ?, L'Harmattan, coll. Controverses, 2012, p. 11 ; E. Durand, Violences conjugales et parentalité. Protéger la mère, c’est protéger l’enfant, L’Harmattan, 2013 ; A. Dionisi-Peyrusse et M. Pichard, La prise en compte des violences conjugales en matière d’autorité parentale, AJ famille 2018, p. 34 ; C. Gatto, L’enfant face aux violences conjugales, AJ famille 2013, p. 271 ; A. Gouttenoire, La prise en compte des violences dans le cadre de l'autorité parentale, AJ fam. 2010. 518 ; K. Sadlier (dir.), Violences conjugales : un défi pour la parentalité, Dunod, 2015.

[13] Les deux parents doivent toutefois être appelés à l’instance et, si l’enfant a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative, la délégation ne peut intervenir qu’après avis du juge des enfants (C. civ., art. 377, al. 4 N° Lexbase : L0254K7K).

[14] Voir déjà l’instauration d’une «culture de la protection des victimes» : Circulaire du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2019/05/cir_44706.pdf, Journal des accidents et des catastrophes, n° 188, juin 2019. Dans le même esprit, la loi de 2019 modifie l’article L. 114-3 du Code du service national (N° Lexbase : L3014LU8) : «une information consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple est dispensée».

[15] Depuis janvier 2019, plus de 70 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint, chiffres cités par C. Duparc, Les homicides conjugaux sous l’angle judiciaire. A propos du rapport de l’Inspection générale de la justice, JCP éd. G, 2019, 16 déc. 2019. 1320. Le rapport rendu public le 17 novembre 2019 a révélé de nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge des dossiers.

[16] Appareil, muni d'une seule touche, ce qui permet aux victimes d'appeler plus facilement les secours.

[17] Un décret en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés en précisera les modalités d’application (art. 10 et 11 de la loi).

[18] Vu le succès de ce dispositif, un millier de bracelets supplémentaires devraient être mis à disposition au cours de l’année.

[19] «Ce dispositif fait l'objet d'un traitement de données à caractère personnel, dont les conditions et les modalités de mise en œuvre sont définies par décret en Conseil d'Etat» : C. civ., art. 515-11-1, II.

[20] Si le conjoint refuse le port du bracelet anti-rapprochement, il viole les obligations qui lui incombent et l’on peut en tenir compte. Cela peut pourra donner lieu à la révocation de la mesure dont il bénéficie et conduire à son incarcération.

[21] A l’occasion d’une procédure de divorce, il est possible également d’invoquer le devoir de respect introduit dans l’article 212 du Code civil par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006.

[22] Abrogé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 22.

[23] Complétée par la loi n° 2004-873 du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

[24] L’interdiction du port d’arme, une fois l’ordonnance de protection prononcée (C. civ., art. 515-11, 2°), est renforcée par la loi du 28 décembre 2019 qui complète le Code de la sécurité intérieure, interdisant notamment toute acquisition d’armes (C. séc. int., art. L. 312-3-2, art. L. 312-16, al. 4).

[25] Pour ses insuffisances : M. Doucet, Le combat contre les violences conjugales doit passer par une reformulation de l’article 515-9 du Code civil, Gaz. Pal. 24 sept. 2019, n° 359, p. 14.

[26] La formule était critiquée car sujette à interprétations divergentes.

[27] On notera qu’à plusieurs reprises, le législateur exige que la décision du juge soit spécialement motivée, renforçant ainsi les obligations du juge.

[28] Le Gouvernement devra rendre au Parlement, dans les trois ans, un rapport relatif à l’application de ce dispositif (art. 7 et 18 de la loi).

[29] I. Corpart, Assurer un toit aux victimes de violences conjugales, premier jalon d’une protection efficace et pérenne, Journal des accidents et des catastrophes, n° 167, mai 2017.

[30] Mesures qui doivent entrer en vigueur le 28 juin 2020.

[31] Cette mesure fait suite à un amendement du Sénat, sachant que les sénateurs auraient également souhaité étendre à l’auteur des violences conjugales l’indignité successorale mais qu’ils n’ont pas été entendus.

[32] Une application mobile permettant aux victimes de violences d'obtenir toutes les informations utiles sur les démarches à accomplir, les professionnels du droit et de la santé installés à proximité du domicile, les associations et services susceptibles d'aider les victimes doit être mise en place également, pour mieux les accompagner. Il est demandé au Gouvernement de présenter au Parlement, à la fin mars, un rapport sur les perspectives de cette application venant en aide aux victimes.

[33] Voir en ce sens les recommandations faites par l’Inspection générale de la justice dans le rapport précité du 17 novembre 2019.

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