Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 8 novembre 2019, n° 425177, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4278ZUY)
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par Romain Victor, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, Rapporteur public à la section du contentieux
le 20 Novembre 2019
Dans un arrêt rendu le 8 novembre 2019, la Haute juridiction a dit pour droit que, lorsque le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU), ordonne l’expulsion de personnes physiques occupant sans droit ni titre un immeuble appartenant à l’Etat, la commune sur le territoire de laquelle l’immeuble est implanté n’est pas recevable à former un recours en cassation contre cette ordonnance, dès lors que l’expulsion ne préjudicie pas à ses droits, alors même qu’elle se serait vu reconnaître à tort la qualité de partie par le juge des référés. Lexbase Hebdo – édition publique vous propose de lire les conclusions sur cette affaire de Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d’Etat.
1.- La commune de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) compte plusieurs foyers de travailleurs migrants sur son territoire, notamment le foyer «Bara» : il s’agit d’un immeuble de trois étages reconstruit en 1968, situé à l’angle des rues Bara et Robespierre, d’une capacité théorique de 68 chambres collectives pour 410 lits, accueillant des travailleurs d’Afrique subsaharienne, essentiellement d’origine malienne. Le bien est la propriété de la société anonyme d’HLM Antin Résidences, qui en a confié la gestion à l’association Coallia.
L’état de délabrement prononcé du foyer a contraint le propriétaire et le gestionnaire, en lien avec les pouvoirs publics, à envisager une opération de démolition et reconstruction, impliquant de trouver une solution de relogement temporaire des résidents du foyer. Un protocole d’accord a été conclu en février 2013 entre l’Etat, la commune de Montreuil, la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées, Action Logement, Antin Résidences et Coallia, pour arrêter une «stratégie de traitement» du foyer Bara, prévoyant une démolition au plus tard fin 2016 et le relogement des occupants dans cinq résidences sociales devant être construites sur le territoire de la commune de Montreuil.
Ces résidences n’ont toutefois pas été construites dans les délais et le foyer, bien qu’en partie muré, a continué à être habité. En considération de l’état sanitaire et de risques d’effondrement et d’incendie mis en évidence par des inspections réalisées par les services de la commune, le maire de Montreuil a interdit l’accès au foyer par un arrêté du 21 septembre 2018. Puis, par un arrêté du 26 septembre, faisant usage des pouvoirs de police qu’il tient de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0892I78), il a réquisitionné, en vue que les occupants du foyer Bara y soient hébergés, des locaux vacants situés 13, place du général de Gaulle, ayant constitué jusqu’en 2015 le campus de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (l’AFPA). Les lieux ont été investis dans la foulée, et occupés, à la suite de cet arrêté.
Il se trouve que cet ensemble immobilier, composé de six bâtiments totalisant une surface de plancher de 20 000 m², est la propriété de l’Etat qui, en vertu d’une décision du Premier ministre, l’a mis en septembre 2017 à la disposition du Conseil d’Etat, à raison de sa mission de gestion de la juridiction administrative, en vue qu’y soient relocalisés, à l’horizon 2024, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et le tribunal administratif de Montreuil, compte tenu de l’importance des loyers et des difficultés de gestion des bâtiments qu’ils occupent actuellement à Montreuil.
Dès avant l’occupation par les résidents du foyer Bara, les clés du site avaient été remises au Conseil d’Etat qui est désormais chargé d’en assurer le gardiennage et qui a conclu, en juillet 2018, une convention de mandat avec l’agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) par laquelle elle lui a délégué la maîtrise d’ouvrage des études opérationnelles et des travaux.
C’est dans ce contexte original -qui voit donc un processus de relogement de travailleurs migrants percuter un projet de relocalisation d’une juridiction de l’asile- que le préfet de la Seine-Saint-Denis a saisi le tribunal administratif de Montreuil, par une requête du 10 octobre 2018 opportunément dépaysée à Paris par ordonnance du président de la Section du contentieux, de conclusions tendant à ce que le juge des référés ordonne, sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, l’expulsion des occupants sans droit ni titre des locaux situés 13, place du général de Gaulle.
Par une ordonnance du 19 octobre 2018, le juge des référés a fait droit à sa demande et enjoint à tous les occupants présents sur le site d’évacuer les locaux, d’enlever les matériels entreposés et de remettre les lieux en l’état dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision.
C’est contre cette ordonnance que la commune de Montreuil se pourvoit en cassation sous le numéro appelé.
Précisons que le préfet a parallèlement déféré à la juridiction administrative, en assortissant ses conclusions à fin d’annulation de demandes de suspension, les arrêtés du maire de Montreuil portant respectivement interdiction de l’accès au foyer Bara et réquisition des locaux de l’AFPA. L’exécution de l’arrêté de réquisition a été suspendue par ordonnance du 19 octobre 2018, confirmée en appel par le juge des référés de la cour de Paris [1], dont la décision est devenue définitive après refus d’admission du pourvoi en cassation [2], tandis que la demande de suspension de l’arrêté interdisant l’accès au foyer Bara a été rejetée.
2.- Dans le litige d’expulsion, dont il vous appartient de connaître aujourd’hui, quatre questions sont susceptibles de se poser à vous.
- la première consiste à rechercher s’il y a encore lieu de statuer sur le pourvoi de la commune de Montreuil ;
- la deuxième est celle de la recevabilité de ce pourvoi ;
- la troisième est relative à l’ordre d’examen des deux premières questions ;
- la quatrième enfin, dont l’examen est subordonné à l’absence d’irrecevabilité ou de non-lieu, consiste à déterminer si, eu égard au statut domanial des dépendances occupées, le juge administratif des référés pouvait estimer qu’il n’était pas manifestement incompétent pour connaître de la demande d’expulsion.
2.1.- Sur le non-lieu à statuer d’abord. Par un mémoire en défense produit le 3 janvier 2019, le ministre de l’intérieur soutient que le litige a perdu son objet en se prévalant de sa propre décision de renoncer au bénéfice de l’ordonnance d’expulsion rendue sur sa demande. Il explique que, par un avenant du 21 décembre 2018 au protocole d’accord du 18 février 2013, l’Etat s’est engagé les anciens locaux de l’AFPA à mettre à disposition des anciens résidents du foyer Bara, à titre gratuit et jusqu’à la fin de la trêve hivernale.
En excès de pouvoir, dans la logique de ce recours objectif et d’intérêt général, la renonciation au bénéfice de la chose jugée est sans influence sur la décision juridictionnelle d’annulation prononcée par le juge (CE Sect., 13 juil. 1967, n° 70777 N° Lexbase : A9455B7C, Rec. p. 339 ; CE, 2 février 1972, n° 82408 N° Lexbase : A1507B7X, Rec. p. 106 ; CE, 27 septembre 1989, n° 79502 N° Lexbase : A2114AQD, T. p. 857). En plein contentieux, en revanche, il est jugé qu’il n’y a plus lieu de statuer sur un appel quand l’intimé renonce au bénéfice du jugement : voyez, en matière de pensions de retraite, une décision «Min. c/ Hanriot-Colin» du 7 octobre 1970 (CE n° 78496 [LXB= A5226B7P]) (Rec. p. 556) [3]. Cette solution a été étendue à la cassation, puisque vous décidez que le pourvoi perd son objet lorsque la partie qui bénéficie de la décision contestée renonce au bénéfice de celle-ci : voyez, pour des arrêts rendus en plein contentieux fiscal : CE 3° et 8° s-s-r., 26 mars 2008, n° 293505 (N° Lexbase : A5951D7K), inédit, concl. L. Olléon et CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 323176 (N° Lexbase : A5423HTZ) (T. pp. 872-1087).
Il n’y a pas de précédent dans le cas d’un pourvoi contre une ordonnance de référé L. 521-3, mais la procédure de référé d’urgence conduit le juge, comme en plein contentieux, à s’intéresser à la réalité des choses à la date à laquelle il statue et le litige, qui tendait à obtenir un titre pour expulser, paraît perdre son objet lorsque la personne publique qui a sollicité cette «mesure utile» vous dit elle-même que l’expulsion n’est plus utile et qu’elle renonce à se prévaloir de la décision juridictionnelle. Enfin, il serait étrange que, dans une situation où l’Etat propriétaire vous explique que, dans le cadre d’un règlement d’ensemble et quasi-transactionnel d’une affaire sensible, il s’accommode pour quelques temps encore des occupants sans droit ni titre dont il souhaitait initialement (et a obtenu) l’expulsion, le juge de cassation fasse comme si de rien n’était et persiste à statuer sur le pourvoi.
Si nous hésitons cependant à dire que le litige a définitivement perdu son objet, c’est que rien ne s’oppose à ce que le ministre, dont nous avons vu que la position avait évolué dans cette affaire, se ravise et mette à exécution l’ordonnance d’expulsion avant la lecture de votre décision. Ce risque existe : si la renonciation à la chose ordonnée par le JRTA est exprimée en des termes clairs, le ministre de l’Intérieur écrivant que l’ordonnance «ne sera pas mise à exécution», compte tenu de la «transaction» conclue et que «le présent pourvoi en cassation a perdu tout son objet», le mémoire du 3 janvier 2019 fait état de ce que l’autorisation d’occupation a été donnée jusqu’à la fin de la trêve hivernale, laquelle s’est achevée le 31 mars 2019. En outre, si l’Etat a pu consentir au relogement des «résidents» du foyer Bara dans les locaux de l’AFPA (c’est-à-dire ceux qui y étaient régulièrement logés, par l’effet de décisions d’attribution de places en logement-foyer prises par Coallia), il n’est pas certain qu’il entende traiter sur le même plan ceux qui ne sont que des «occupants», faute de disposer d’un titre de même nature. Enfin, à la date à laquelle vous statuez, aucun élément au dossier ne permet d’établir que l’Etat aurait maintenu son accord pour une occupation temporaire des locaux de l’AFPA pour la totalité des occupants sans droit ni titre et il nous semble en définitive plus prudent de vous inviter à rejeter les conclusions aux fins de non-lieu, en considération du caractère équivoque de la renonciation par l’Etat au bénéfice de la chose ordonnée.
2.2.- Nous en venons à la question de la recevabilité du pourvoi que votre 8ème chambre a communiquée d’office aux parties.
Il ressort des pièces du dossier qui vous est soumis que la commune de Montreuil a été traitée comme une partie par le juge des référés qui lui a communiqué la requête du préfet pour production d’écritures en défense. Celle-ci a désigné, pour la représenter, un avocat à la Cour qui a produit un mémoire en défense reçu le 16 octobre 2018. Elle a eu accès aux pièces de la procédure et la fiche Sagace du tribunal administratif de Paris l’identifie en tant que «défendeur».
Sans conteste, la commune a joué un rôle de premier plan dans l’occupation du campus de l’AFPA. Elle en est à l’origine juridiquement, via l’arrêté de réquisition pris par son maire et politiquement, via le soutien apporté aux «Bara» relogés dans les murs de l’Etat. Mais la commune ne pouvait de toute évidence être regardée comme une partie à une procédure de référé tendant à l’expulsion de personnes physiques. Qu’elle le veuille ou non, la commune ne vient pas aux droits des personnes expulsables, par rapport auxquelles elle a la qualité de tiers (v. CE 8° s-s., 19 avril 2013, n° 357928 N° Lexbase : A4182KCU, inédit). Elle aurait pu, à la rigueur, avoir la qualité d’intervenant. Il n’est en effet pas impossible d’admettre qu’elle justifiait, au sens de votre décision «OFPRA c/ Edosa Felix» (CE Sect., 25 juillet 2013, n° 350661 N° Lexbase : A1209KKY, Rec. p. 224), d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige pour déposer un mémoire en intervention, car il n’est pas de son intérêt de voir 250 travailleurs migrants se retrouver sur les trottoirs de la ville sans solution de relogement et au risque qu’ils réintègrent le foyer Bara. Mais parce qu’elle est accessoire, l’intervention n’aurait pas été recevable, faute que les occupants du site AFPA aient produit un mémoire en défense (v. CE 2° et 6° s-s-r., 5 février 1988, n° 76595 N° Lexbase : A7999APX, T. p. 960 ; CE 2° et 6° s-s-r., 26 mars 1996, n° 157678 N° Lexbase : A8293ANH, T. p. 1096). Il s’agissait donc de simples observations.
Vous jugez classiquement qu’en vertu des règles générales de procédure (puisque l’article L. 821-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3297ALP est muet sur ce point), la voie du recours en cassation n’est ouverte qu’aux personnes ayant eu la qualité de «parties» dans l’instance ayant donné lieu à la décision attaquée (CE Sect., 6 février 1931, n° 99352 N° Lexbase : A9804AIX, Rec. p. 154 [4]), motif que vous complétez par deux précisions :
i) une personne qui n’a été ni appelée ni représentée à l'instance peut former tierce-opposition devant la juridiction qui a rendu la décision si celle-ci préjudicie à ses droits (CE Sect., 21 juin 1949, SA Entreprise Aichinger, Rec. p. 305 ; CE 5° et 7° s-s-r., 3 juillet 2000, n° 196259 N° Lexbase : A2365B7Q, T. p. 1194 ; CE 5° et 4° s-s-r., 16 mars 2016, n° 378675 N° Lexbase : A2183Q8D, Rec. p. 74) ;
ii) doit être regardée comme une partie à l’instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l’avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond (CE 9° et 10° ch.-r., 9 octobre 2019, n° 430538 N° Lexbase : A8990ZQZ).
La question, qui n’est pas clairement tranchée par votre jurisprudence, bien qu’elle ne soit pas inédite (v. CE 2° et 7° ch.-r., 23 févier. 2017, n° 393282 N° Lexbase : A2364TPA, inédite, concl. B. Bourgeois-Machureau), est de savoir si vos mains sont liées par la qualification de «partie», ici de partie en défense, retenue par la juridiction ayant statué en dernier ressort ou s’il vous est loisible de restituer à l’auteur du pourvoi sa véritable qualité, qui était ici, nous vous l’avons dit, celle d’observateur.
Notre proposition est de ne pas s’en tenir à la qualification retenue par la juridiction dont la décision est frappée du pourvoi.
Soulignons d’emblée qu’étant en cassation directe d’une ordonnance d’un JRTA, vous n’avez pas en face de vous un appelant qui serait recevable à se pourvoir en cassation contre l’arrêt rejetant son appel quand bien même il n’aurait pas eu qualité pour interjeter appel (CE 10° et 9° s-s-r., 4 février 2013, n° 335589 N° Lexbase : A3259I7T, T. p. 804 [5]).
Nous observons ensuite que vous n’accordez pas d’importance aux termes dans lesquels les juges du fond ont appelé une personne à produire des observations. Dans un litige dans lequel était en cause un permis de construire délivré au nom de l’Etat, vous avez constaté l’irrecevabilité du pourvoi d’une commune en relevant que celle-ci, qui n’avait été présente en première instance qu’en qualité d’intervenante, n’avait pu être appelée devant la cour, «en dépit des termes de la lettre que lui a adressée le greffe […], que pour présenter de simples observations» (CE 4° et 5° s-s-r., 10 février 2010, n° 313870 N° Lexbase : A7557ERC, inédite).
Cette solution a été reprise dans une décision de vos chambres réunies pour déclarer irrecevable le pourvoi du ministre de l’agriculture contre un arrêt ayant statué dans un litige opposant un agent à l’établissement public local d’enseignement agricole qui l’emploie (3ème et 8ème ssr, 10 févr. 2014, Min. c/ Carnet, n° 350758 N° Lexbase : A7557ERC, T. pp. 694-828) ; dans ses conclusions, Vincent Daumas avait indiqué que le ministre n’était pas présent en première instance avant de relever que la communication de la requête d’appel au ministre ne lui avait pas conféré la qualité de partie à l’instance, «quels que soient les termes employés dans les correspondances qui ont pu lui être adressées par la cour».
Cette solution se justifie d’autant plus qu’en pratique, la qualification de « partie » peut résulter d’actes qui n’émanent pas du juge chargé de la mise en état de l’affaire mais du greffe.
Plus fondamentalement, nous observons que votre jurisprudence se refuse toujours à déduire la qualité de partie du seul constat qu’une personne a été mise en cause dans l’instance, ou qu’elle y était présente ou représentée (CE Sect., 3 octobre 2008, n° 291928 N° Lexbase : A5967EAA, Rec. p. 339 ; CE 4° et 6° s-s-r., 20 décembre 2000, n° 209329 N° Lexbase : A0623AQ7, T. p. 1194).
2.3.- Si vous nous suivez pour constater l’irrecevabilité du pourvoi, il vous appartiendra, puisque vous êtes saisis de conclusions aux fins de non-lieu, de vous déterminer quant à l’ordre d’examen de ces deux questions préalables par le juge de cassation.
Traditionnellement, on enseigne que le non-lieu précède l’irrecevabilité mais suit l’incompétence, qui elle-même suit le désistement. C’est le fameux DINI. Mais cette règle, qui vaut en premier ressort, s’applique-t-elle dans les mêmes termes en cassation ?
Votre compétence en tant que juge de cassation pour connaître d’une ordonnance de référé prise sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative ne fait pas de doute. L’article L. 523-1 de ce code (N° Lexbase : L3066AL7) énonce que les décisions prises sur le fondement de l’article L. 521-3 sont rendues en dernier ressort et l’article L. 331-1 (N° Lexbase : L2982ALZ) énonce que le Conseil d’Etat est seul compétent pour statuer sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions administratives.
La question de l’éventuelle incompétence de la juridiction administrative pour connaître de la demande d’expulsion ne constitue pas, dans ce contexte, une «question préalable». Elle n’a vocation à être abordée par le juge de cassation, le cas échéant, qu’après que celui-ci aura constaté qu’aucune cause tenant au désistement de l’auteur du pourvoi, à la perte d’objet du litige ou à l’irrecevabilité du pourvoi n’y fait obstacle.
A première vue, on pourrait soutenir que la question de l’éventuel non-lieu à statuer ne se pose qu’à la condition que le pourvoi émane d’une personne recevable à saisir le juge de cassation. Mais faut-il que celui-ci examine la recevabilité du pourvoi, lorsqu’il est évident que le litige a perdu son objet ?
Dans ce paradoxe de l’œuf et de la poule, nous sommes tentés de dire que le non-lieu prime l’irrecevabilité du pourvoi.
Si l’on s’intéresse au dispositif de l’arrêt, lorsque le juge de cassation constate l’irrecevabilité du pourvoi, il le «rejette» (ce qui est une manière d’y statuer), alors que, lorsqu’il «constate» le non-lieu, il ne statue pas sur le pourvoi mais se place en amont, comme lorsqu’il donne acte d’un désistement.
Ce n’est guère étonnant, si l’on considère que le non-lieu et le désistement «traduisent en réalité les limites de l’office du juge qui ne saurait statuer au-delà de l’objet du litige dont il est saisi (non ultra petita)» [6].
A cela s’ajoute une circonstance, qui est propre à l’espèce, tenant à la cause du non-lieu, qui s’apparente à un désistement du demandeur de première instance intervenant après la décision lui ayant donné gain de cause : il s’agit moins de constater la disparition objective de l’objet du litige ayant donné naissance au pourvoi que de tirer les conséquences de l’expression par le requérant initial de sa volonté d’abandonner ses prétentions ; or le désistement est tout en haut, le cas échéant avant même la compétence, dans l’ordre d’examen des questions (CE, 19 juin 1957, Mielle, n° 38300, Rec. p. 404).
Nous pensons donc qu’il vous faut :
1°) écarter les conclusions à fins de non-lieu, et
2°) constater l’irrecevabilité du pourvoi.
Si vous nous suivez, vous n’aurez donc pas à vous prononcer sur le statut domanial et l’éventuelle erreur de droit commise par le JRTA à s’être reconnu compétent pour statuer sur la demande d’expulsion.
Et par ces motifs nous concluons au rejet du pourvoi.
[1] CAA Paris, 5 mars 2019, n° 18PA03480.
[2] Décision de non-admission de la 10ème chambre du 24 avril 2019, n° 428996.
[3] V également, en matière de PMI : CSPC, 5 juillet 1996, n° 37357 (Rec. p. 531) ou, dans des litiges indemnitaires : CE, 22 juin 1963, n° 59048, Rec. p. 394 ; CE, 3 décembre 1980, n° 14530 (N° Lexbase : A6062AID), inédit.
[4] Ce qui explique que les membres de la juridiction dont la décision est frappée du pourvoi en cassation ne sont pas recevables à former un pourvoi : CE, 4 mai 1917, Mauguin, n° 55778, Rec. p. 349.
[5] A propos d’une commune ayant formé un appel contre un jugement rendu dans un litige relatif à la contestation d’un permis de construire délivré au nom de l’Etat. Décision qui nous parait revenir sur CE 3° et 8° s-s-r., 10 octobre 2003, n° 238035 (N° Lexbase : A8432C98), T. p. 959, affaire dans laquelle, bien que la commune était appelante, il avait été jugé que son pourvoi était irrecevable. V. aussi CE, 29 mars 1993, n° 115987 (N° Lexbase : A8992AMY), T. p. 984.
[6] M. Guyomar et B. Seiller, Contentieux administratif, Dalloz, Hypercours, 5ème éd., p. 260 n° 533.
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