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par Aurélie Cappello, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne Franche-Comté
le 24 Décembre 2019
Mots-clés : loi de programmation • peine • détention à domicile sous surveillance électronique • DDSE • mesure d’aménagement de la peine • peine de substitution
La récente loi n° 2019-222, du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) a créé une peine, présentée à la fois comme «nouvelle» et «autonome» [1] : la détention à domicile sous surveillance électronique, qui entrera en vigueur un an après la publication de la loi. Elle consiste pour le condamné en «l’obligation de demeurer dans son domicile ou tout autre lieu désigné par la juridiction ou le juge de l’application des peines» et au «port d’un dispositif intégrant un émetteur» ou bracelet électronique, sans pouvoir s’absenter en dehors des périodes déterminées par ces autorités ni au-delà «du temps nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle, au suivi d’un enseignement, d’un stage, d’une formation ou d’un traitement médical, à la recherche d’un emploi, à la participation à la vie de famille ou à tout projet d’insertion ou de réinsertion» [2].
A la lecture de cette définition, la détention à domicile semble n’avoir rien de véritablement nouveau ni rien de véritablement autonome [3]. Dans sa nature, tout d’abord, la nouveauté est douteuse. Cette peine correspond, en effet, à la surveillance électronique qui existe depuis longtemps dans notre Code pénal et notre Code de procédure pénale, à titre d’aménagement de la peine d’emprisonnement pouvant être prononcé par la juridiction de jugement (C. pén., art., 132-26-1 N° Lexbase : L9404IEZ à 132-26-3) ou par le juge de l’application des peines (C. pr. pén., art. 723-7 N° Lexbase : L9155LPR à 723-13-1). Dans son régime, ensuite, l’autonomie n’est pas évidente. La peine de détention à domicile a vocation à intégrer la liste des peines applicables aux personnes physiques en matière correctionnelle (C. pén., art. 131-3 N° Lexbase : L9870I3X) comprenant les peines principales (emprisonnement et amende) et les peines de substitution susceptibles d’être prononcées à la place des premières (notamment le travail d’intérêt général ou le stage). Elle fera donc bien partie des peines autonomes correctionnelles. Au sein de cette liste, elle prendra d’ailleurs la place de la contrainte pénale qui sera supprimée [4].
Pour autant, elle semble davantage constituer une modalité d’exécution de la peine privative de liberté au même titre que la semi-liberté et le placement à l’extérieur avec lesquels elle sera traitée dans des dispositions communes, ou à l’image de la surveillance électronique dont elle prendra la place. L’inscription de la détention à domicile dans la liste des peines correctionnelles de l’article 131-3 semble bien superficielle et symbolique. L’objectif poursuivi n’est d’ailleurs pas caché. Selon l’exposé des motifs de la nouvelle loi, «en instituant la surveillance électronique comme peine autonome, et non plus uniquement comme modalité d’aménagement d’une peine d’emprisonnement, ces dispositions favoriseront son prononcé par les juridictions». La détention à domicile a donc ceci de surprenant qu’elle peut être appréhendée à la fois comme une peine de substitution qui prend la place de la contrainte pénale -elle-même absorbée par le sursis probatoire- et comme une mesure d’aménagement de la peine à l’image de la surveillance électronique. Aussi, pour être plus juste, il est préférable de la qualifier de «mesure» plutôt que de «peine».
Mais la lecture des nouvelles dispositions relatives à la détention à domicile sous surveillance électronique révèle une autre surprise. A l’image de cette mode culinaire qui se développe actuellement dans des émissions de télévision ou sur les cartes de certains restaurants proposant des mets qui semblent, en apparence, être des desserts tout en étant, en réalité, des plats, et inversement, la détention à domicile est une mesure en trompe-l’œil : en apparence clémente (I) mais en réalité sévère (II).
I - Une mesure en apparence clémente
La clémence de cette nouvelle mesure ressort d’abord de son intitulé. Les termes de «détention à domicile» laissent moins transparaître l’aspect négatif, punitif, contraignant de la peine, que ceux de «contrainte pénale». Au-delà de cet a priori, qui mérite d’être relevé, les apparences étant parfois essentielles, mais qui met trop facilement de côté les termes de «surveillance électronique», plusieurs éléments du régime mis en place confirment cette clémence et trois, en particulier, attirent l’attention.
Tout d’abord, dans le cadre de la détention à domicile, et contrairement à la contrainte pénale, non seulement le juge n’a pas à prononcer une peine d’emprisonnement supplémentaire, mais encore l’inobservation de ses obligations fait encourir, au moins en théorie, un risque moins grand au condamné. En vertu de l’actuel article 131-4-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9918I3Q), lorsque le juge prononce une contrainte pénale, il doit également prononcer une peine d’emprisonnement d’une durée maximum de deux ans, à laquelle le prévenu pourrait être condamné s’il ne respecte pas les obligations et les interdictions auxquelles il est soumis [5]. On ne retrouve rien de tel avec la détention à domicile. En cas d’inobservation de ses obligations, le condamné sera, au pire, contraint de subir un emprisonnement pour la durée de la peine restant à exécuter, soit nécessairement au maximum six mois, puisque la détention à domicile ne peut être prononcée que pour une durée comprise entre quinze jours et six mois. Il faut, à ce titre, préciser que la durée de la contrainte pénale est plus longue, minimum six mois et maximum cinq ans.
En outre, la détention à domicile sera, dans certains cas, obligatoire. La clémence est alors évidente : plutôt que de subir un emprisonnement ferme dont les inconvénients ne sont pas à démontrer ou avec sursis ce qui emporte le risque d’une révocation en cas de nouvelle infraction dans le délai de cinq ans, certains condamnés seront automatiquement soumis à la détention à domicile. En vertu du futur article 132-25 du Code pénal (N° Lexbase : L9410IEA), la juridiction de jugement qui prononce une peine inférieure ou égale à six mois d’emprisonnement ou un emprisonnement partiellement assorti du sursis et que la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à six mois, ou une peine pour laquelle la durée de l’emprisonnement restant à exécuter à la suite d’une détention provisoire est inférieure ou égale à six mois, doit décider que la peine sera exécutée en totalité sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur. Le prononcé de la détention à domicile devient donc obligatoire dans certains cas, sauf à ce que la semi-liberté ou le placement à l’extérieur la remplace. Or, actuellement, aucune disposition légale n’oblige le juge à prononcer une contrainte pénale, à la place de l’emprisonnement, ou une surveillance électronique, comme modalité d’exécution de l’emprisonnement.
Enfin, le prononcé d’une détention à domicile est plus aisé que celui d’une surveillance électronique. En effet, l’actuel article 132-26-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9404IEZ) permet à la juridiction de jugement de décider qu’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans sera exécutée sous le régime du placement sous surveillance électronique, mais c’est à la condition que le condamné justifie d’une raison sérieuse pouvant tenir soit à son activité professionnelle, soit à sa participation essentielle à la vie de famille, soit à la nécessité de suivre un traitement médical, soit à «l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale». Une telle condition ne se retrouve pas dans le futur article 131-4-1 au sujet de la détention à domicile. Le prononcé de cette mesure, lorsqu’il n’est pas imposé, mais seulement permis, devra, certes, être motivé au regard des critères de l’individualisation des peines [6], puisque toutes les peines sont désormais soumises à l’exigence de motivation [7], mais il ne sera pas nécessaire de démontrer l’existence d’une raison particulière rendant indispensable le bracelet électronique.
La détention à domicile sous surveillance électronique paraît donc bien plus clémente que la contrainte pénale ou la surveillance électronique. Non seulement son prononcé ne s’accompagne pas d’une peine d’emprisonnement et ne repose pas sur une justification spéciale, mais en outre elle s’impose au juge dans certains cas, ce qui apporte au prévenu l’assurance de ne pas être condamné à une peine privative de liberté mais simplement à une peine restrictive de liberté. Ces éléments ne doivent pourtant pas faire douter de la véritable nature de cette mesure.
II - Une mesure en réalité sévère
L’un des objectifs de la loi de programmation et de réforme pour la justice est d’apporter une solution à l’état des prisons et, en particulier, au problème de surpopulation carcérale, ce que favorisera la détention à domicile puisque son prononcé est imposé dans le cas des courtes peines. Mais il ne faut pas se laisser tenter par une équation trop simpliste qui consiste à considérer que la détention à domicile est nécessairement clémente puisqu’elle n’est pas un emprisonnement. C’est en comparaison avec ce qu’elle remplace -la contrainte pénale et la surveillance électronique- qu’elle doit être étudiée. Dans ce cadre, deux éléments en particulier doivent être relevés.
D’une part, la détention à domicile se révèle, dans son objet, bien plus «contraignante» que la contrainte pénale. Celle-ci est conçue comme une mesure «d’accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu» et «emporte pour le condamné l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines […] à des mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société» [8]. Accompagnement, contrôle, assistance, insertion ou réinsertion… Les termes employés montrent bien ce qu’est la contrainte pénale : un «suivi socio-éducatif renforcé» [9] du condamné pour le contrôler et l’accompagner vers la réinsertion. Aucun de ces termes ne se retrouve dans le nouvel article 131-4-1 relatif à la détention à domicile. Il s’agit pour le condamné de porter un bracelet électronique et de demeurer dans le lieu et pendant la période de temps fixés par le juge. La détention à domicile revêt une dimension punitive bien plus importante et est plus restrictive de liberté que la contrainte pénale. Il faut tout de même préciser que le prononcé de la détention à domicile pourra s’accompagner des «mesures d’aide» prévues à l’article 132-46 du Code pénal (N° Lexbase : L7639LPM) et ayant pour objet de «seconder» le condamné dans «ses efforts en vue de son reclassement social». Mais, d’une part, ces mesures d’aide peuvent déjà être prononcées dans le cadre de la contrainte pénale, et, d’autre part, elles ne changent pas la nature profonde de la détention à domicile au sein de laquelle elles ne sont qu’une option. Le retrait d’une peine consistant en un suivi du condamné de la liste des peines autonomes correctionnelles est un symbole fort à l’heure où la réinsertion du condamné semblait être une préoccupation majeure du droit pénal. Est-ce à dire que l’idée d’un suivi renforcé du condamné a été abandonnée avec la réforme ? La réponse est négative, mais il faut désormais se référer au nouveau sursis probatoire [10] qui peut consister en «un suivi renforcé, pluridisciplinaire et évolutif» du condamné mais qui obéit au régime strict du sursis (délai au cours duquel une nouvelle infraction ne doit pas être commise pour que la suspension de l’exécution de la peine soit définitive, rejet du sursis dans certains cas de récidive légale…).
D’autre part, le régime de la future détention à domicile réduit considérablement la part d’aménagement de la peine relevant de la juridiction de jugement. En effet, selon le futur article 132-25 du Code pénal, la juridiction devra prononcer la détention à domicile (ou la semi-liberté ou le placement à l’extérieur) pour les condamnations à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à six mois (restant à exécuter éventuellement après déduction du sursis et de la détention provisoire) et pourra la prononcer pour les condamnations à une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et un an (restant à exécuter également). Or, actuellement, les aménagements de peine que sont la surveillance électronique, la semi-liberté et le placement à l’extérieur peuvent être prononcés par la juridiction pour les condamnations dont la durée est inférieure ou égale à deux ans. Ainsi, à l’avenir, au-delà d’un an, la peine d’emprisonnement ferme impliquera l’incarcération du condamné [11]. Certes, la loi met fin aux très courtes peines d’emprisonnement avec l’obligation de prononcer la détention à domicile pour les condamnations inférieures ou égales à six mois, à laquelle il faut ajouter l’interdiction de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois [12]. Mais elle renforce dans le même temps l’effectivité des peines d’emprisonnement dont la durée est comprise entre un an et deux ans. Dans ce cas, l’aménagement ne sera pas impossible mais relèvera uniquement du juge de l’application des peines [13]. Dans ce cadre, si l’on peut admettre sans trop de difficultés que les courtes peines d’emprisonnement présentent plus d’inconvénients que d’avantages et que l’aménagement individualisé de la peine est mieux assuré par le juge de l’application des peines sur la base des rapports du service pénitentiaire d’insertion et de probation que par la juridiction de jugement, le législateur semble avoir poussé cette logique trop loin avec la création de la détention à domicile sous surveillance électronique.
[1] Voir l’exposé des motifs de la loi.
[2] Article 71 de la loi et futur article 131-4-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7587LPP).
[3] Jérémy Bourgais, Une nouvelle peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique, Droit Pénal, 2018, n° 11, page 17.
[4] La contrainte pénale est, en effet, supprimée, mais elle est remplacée par le sursis probatoire (voir infra).
[5] Cette condamnation n’est qu’une possibilité puisque le juge de l’application des peines peut soit modifier ou compléter les obligations et interdictions auxquelles le condamné est astreint, soit saisir le président du tribunal de grande instance pour que la peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction de jugement soit mise à exécution en tout ou partie (C. pr. pén., art. 713-47 N° Lexbase : L9818I3Z).
[6] C. pén., art. 132-1 (N° Lexbase : L9834I3M).
[7] Article 365-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0982LKL) pour les peines criminelles et futur article 485-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7241LPU) pour les peines délictuelles.
[8] Les mesures de contrôle de la contrainte pénale sont celles de l’article 132-44 du Code pénal (N° Lexbase : L9856I3G) et consistent, pour l’essentiel, à rester à la disposition des autorités en répondant aux convocations, en informant celles-ci des changements que connaît la vie du condamné (résidence, déplacements, emploi), ceux-ci pouvant être soumis à autorisation. Les obligations et interdictions susceptibles d’être prononcées dans le cadre de la contrainte pénale sont énumérées à l’article 131-4-1 (N° Lexbase : L9918I3Q) et, parmi elles, figurent, par exemple, celles de l’article 132-45 du Code pénal (N° Lexbase : L2522LBZ) (exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation, établir sa résidence en un lieu déterminé, se soumettre à des examens ou traitements médicaux, réparer les dommages causés par l’infraction, s’abstenir de conduire certains véhicules, ne pas fréquenter certains lieux ou certaines personnes, accomplir un stage…).
[9] Clément Margaine, La loi du 15 août 2014 et le milieu ouvert : vers un accroissement du contrôle des personnes condamnées, AJ Pénal, 2014, n° 10, page 453.
[10] Loi du 23 mars 2019, art. 80 (N° Lexbase : L6740LPC).
[11] Julien Goldszlagier, La révolution des peines n’aura pas lieu, AJ Pénal, 2018, n° 5, page 234.
[12] Futur article 132-19, alinéa 1, du Code pénal (N° Lexbase : L7614LPP).
[13] Le juge de l’application des peines conservera le pouvoir de décider que les peines privatives de liberté inférieures ou égales à deux ans (restant à subir) s’exécuteront sous le régime de la surveillance électronique. Voir les articles 723-7 (N° Lexbase : L9155LPR) et suivants du Code de procédure pénale.
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