La lettre juridique n°783 du 16 mai 2019 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] A propos de la lecture restrictive des dispositions de l’article 150 U du CGI (1° bis du II), ou de la réclamation

Réf. : CAA de Douai, 23 avril 2019, n° 17DA01449 (N° Lexbase : A3012ZB8)

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[Jurisprudence] A propos de la lecture restrictive des dispositions de l’article 150 U du CGI (1° bis du II), ou de la réclamation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/51243771-jurisprudence-a-propos-de-la-lecture-restrictive-des-dispositions-de-larticle-150-u-du-cgi-1-bis-du-
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 15 Mai 2019

Quand un contribuable entend bénéficier de l’exonération prévue par le 1° bis du II de l’article 150 U du Code général des impôts (N° Lexbase : L9069LN9), il doit l’indiquer -dès la date de la cession- par une mention portée dans l’acte notarié. Doivent alors être précisés son identité, ses droits sur le prix de cession, la fraction du prix de cession correspondant à ses droits destinée au réemploi, le montant de la plus-value exonérée. A défaut, il ne pourra jouir des bienfaits fiscaux du 1° bis du II de l’article 150 U du Code général des impôts,  quand bien même il en fait demande ultérieure par le truchement d’une réclamation. 

 

En d’autres termes, son oubli formel génère impossibilité -selon le juge- de régulariser sa situation… alors même il satisfait à «l’ensemble des autres conditions requises» pour bénéficier de l’exonération instituée par le législateur. Le juge adopte ici une logique herméneutique temporelle et une littéralité formelle jurant avec l’esprit des dispositions mentionnées en amont. Telle est la solution retenue par la cour administrative d'appel de Douai dans un arrêt du 23 avril 2019.

 

Les faits : les contribuables cèdent en 2012 un immeuble à usage d’habitation dans une ville du Nord de la France ; ledit immeuble ne constitue pas leur résidence principale et n’est pas détenu par eux depuis plus de 30 années ; la cession est donc assujettie au régime des plus-values immobilières au sens de l’article 150 U du Code général des impôts. Rien que de très classique. Ultérieurement, ces contribuables estiment que la cession aurait dû bénéficier de l’exonération prévue au 1° bis du II de l’article 150 U du Code général des impôts. Ils forment réclamation auprès de l’administration fiscale qui rejette leur demande au motif que les conditions requises pour prétendre à un tel régime n’étaient pas remplies (non-indication des éléments exigés dans l’acte constatant la cession).

 

Saisine du tribunal administratif de Lille -auquel il est demandé de bien vouloir prononcer la décharge de la cotisation primitive d’impôt sur le revenu à raison de la plus-value réalisée- il y a ; ce dernier rejette leur requête par un jugement en date du 18 mai 2017. Appel est interjeté devant la cour administrative d’appel de Douai qui rend la décision présentement commentée.

 

Quid des textes ? Les dispositions du I de l’article 150 U du Code général des impôts (entrent dans le cadre de l’impôt sur le revenu les plus-values réalisées par des personnes physiques dans les conditions prévues aux articles 150 V N° Lexbase : L1883HN3 à 150 VH N° Lexbase : L0458IHG) peuvent ne pas recevoir application. Tel est le cas en présence d’une première cession de logement autre que la résidence principale, et d’un cédant non-propriétaire de sa résidence principale au cours des 4 années antérieures à la cession. Quant à l’exonération, elle est applicable à la fraction du prix de cession tel que défini à l’article 150 VA (N° Lexbase : L2407HLQ), fraction que le cédant réemploie (dans un délai de 24 mois à compter de la cession) à l’acquisition ou la construction d’un logement qu’il affecte dès son achèvement (ou son acquisition si elle est postérieure à son habitation principale).

 

Si l’une des conditions ainsi exigées fait défaut, il y a remise en cause de l’exonération au titre de l’année du manquement. Il convient de réaliser lecture combinée du II des articles 150 U et 150 UA (N° Lexbase : L9065LN3) avec l’article 150 VG (N° Lexbase : L2566IYP). Ce dernier précise de prime abord qu’aucune déclaration ne doit être déposée pour bénéficier du régime exonératoire évoqué. Mais il est aussi indiqué une obligation : préciser, dans l’acte de cession soumis à la formalité fusionnée ou présentée à l’enregistrement, la nature et le fondement de cette exonération «sous peine de refus de dépôt ou de formalité d’enregistrement». En outre, il doit être fait mention -toujours dans l’acte constatant la cession à titre onéreux du logement- de différents éléments : identité du bénéficiaire de l’exonération, droits du bénéficiaire sur le prix de cession, fraction du prix de cession correspondant à ses droits (et que le bénéficiaire destine au réemploi à l’acquisition ou à la construction d’un logement affecté à sa résidence principale), montant de la plus-value exonérée.

 

Pour la cour administrative d’appel de Douai, de telles dispositions sont réputées «comme faisant obstacle à ce qu’un particulier, qui n’a pas fait valoir son droit à l’exonération de la plus-value de cession lors de la vente et n’a donc pas fait mentionner dans l’acte de cession par le notaire ces informations demande, dans le délai de réclamation, la restitution de l’impôt dont il s’est acquitté sur la plus-value de cession, quand bien même il justifierait satisfaire aux autres conditions requises pour y prétendre».

 

A l’aune d’un tel raisonnement, il s‘ensuit que la demande des contribuables insatisfaits est rejetée. Le juge fait montre d’un rigorisme formel qu’il est loisible de ne pas partager. Annihiler toute restitution de l’impôt sur le fondement de la non-mention des obligations formelles requises dans le délai de réclamation apparaît un raisonnement -quand vient le temps de la pesée des intérêts en présence- disproportionné. Un oubli d’éléments formels (pouvant parfois découler du silence notarial) ne devrait pas représenter le socle de la décision contentieuse, alors même que le juge constate la présence objective d’éléments substantiels.

 

La décision apparaît d’autant plus rigoriste que le juge constate que les requérants satisfont l’ensemble des autres conditions exigées pour bénéficier du régime d’exonération. Il est fait application littérale -par le juge- des dispositions du Code général des impôts. La décision de la cour administrative d’appel décontenance au regard d'un autre point : rejet de la demande il y a alors même que les requérants peuvent «se prévaloir à bon droit, sur le fondement de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L6958LLB, de l’extrait de doctrine qu’ils invoquent». La neutralisation de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales[1] n’est pas de peu dans la mesure où cette disposition est la norme ayant vocation à protéger les contribuables des interprétations parfois audacieuses et capricieuses de l’administration qui s’octroie un authentique pouvoir normatif ; une fois éludée les circonvolutions pharisiennes, le processus d’interprétation emporte création, parfois au détriment de la volonté du législateur (et on l’oublie souvent du juge lui-même).

 

A partir du moment où l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales est «un mécanisme de garantie au profit du redevable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir, à condition d’en respecter les termes, de l’interprétation de la loi formellement admise par l’administration, même lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit» (CE Contentieux, 8 mars 2013, n° 353782, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3210I9R), le principe de sécurité juridique doit recevoir application (au profit des contribuables) et ne pas passer sous les fourches caudines d’un raisonnement procédural formel/temporel.

 

La décision de la cour administrative d’appel de Douai surprend dans la mesure où un autre raisonnement -récusant le critère temporel/formel- a été tenu par un autre juge, le tribunal administratif de Lyon (TA de Lyon, 22 mars 2016, n° 1410083 N° Lexbase : A9068SN8). Dans cette espèce, les contribuables demandent la restitution de l’imposition acquittée sur la plus-value réalisée ; ils ont en effet remployé le prix de cession (dans un délai de 24 mois) à l’acquisition de leur résidence principale. Telles qu’interprétées par le tribunal administratif de Lyon, les dispositions du Code général des impôts «ne font pas obstacle à ce qu’un particulier, qui n’a pas fait valoir son droit à exonération de la plus-value de cession de la vente […] demande, dans le délai de réclamation, la restitution de l’impôt dont il s’est acquitté sur la plus-value de cession». Qu’importe -en terre lyonnaise- si les contribuables en question n’ont pas fait mentionner dans l’acte de cession les informations exigées par le Code général des impôts. Ils peuvent demander, à bon droit, la restitution de l’imposition sur la plus-value acquittée lors de la cession. Tribunal administratif de Lyon ? Cour administrative d’appel de Douai ? Le principe de sécurité juridique -évoqué en amont et décliné ici en la sphère juridictionnelle- s‘avère quelque peu malmené par ce hiatus au sein des juridictions administratives.

 

 

 

 

 

[1]«Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales».

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