La lettre juridique n°781 du 25 avril 2019 : Responsabilité administrative

[Conclusions] Critères de distinction entre dommages accidentels et dommages permanents causés par le fonctionnement d'un ouvrage public – conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 10 avril 2019, n° 411961, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8877Y8B)

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par Gilles Pellissier, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 24 Avril 2019

Dans un arrêt rendu le 10 avril 2019, la Haute juridiction indique que des dommages causés par EDF perturbant le fonctionnement d'une usine hydroélectrique ne présentent pas de caractère de dommage permanent de travaux publics en l’absence de lien avec le fonctionnement ou l'entretien normal de l’ouvrage.  Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Gilles Pellissier.

L'affaire qui vient d'être appelée pose de manière exemplaire l'intéressante question du ou des critères de distinction entre les dommages accidentels et les dommages permanents causés par le fonctionnement d'un ouvrage public. Bien que ces régimes de responsabilité soient anciens, ils n'ont jamais été clairement établis. Peut-être d’ailleurs ne peuvent-ils l’être qu’à travers leur application aux différents cas d’espèce, qui sont tous particuliers.

 

Les faits sont simples. Au cours des derniers jours du mois de mai et des premiers du mois de juin 2008, la société EDF a procédé à des opérations dites de chasse sur six aménagements hydroélectriques qu'elle exploite sur l'Isère. Ces opérations, qui ont pour objet d'évacuer les sédiments des ouvrages, consistent à lâcher subitement, en période de montée de crue de la rivière, un important flux d'eau qui emporte les sédiments en aval. L'Isère se jetant, comme vous savez, dans le Rhône, elle y a déversé les sédiments ainsi libérés qui ont provoqué l'envasement d'usines hydrauliques et d'écluses exploitées sur ce fleuve par la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Le volume de ces sédiments était en effet particulièrement important, 3,7 millions de tonnes, les dernières opérations de chasse sur ces ouvrages remontant à plus de quatre ans. Il ressort assez logiquement des chiffres fournis par la CNR que le volume des sédiments reçus en aval est d'autant plus important que les chasses sont espacées, et la période précédant celle en litige était la plus longue sans chasse depuis 1990. La CNR soutient également qu'EDF, qui le conteste fermement, aurait procédé à ces opérations alors que le Rhône n'avait pas atteint un débit suffisant, en méconnaissance d'une consigne de la DRIRE.

 

Estimant avoir subi de ce fait un préjudice qu'elle évalue à plus de 3 700 000 euros, la CHR en a réclamé en vain l'indemnisation à la société EDF, avant de saisir de cette demande le tribunal administratif de Grenoble, qui y a partiellement fait droit. Il a retenu la responsabilité sans faute d'EDF dans la survenance d'un dommage qu'il a qualifié d'accidentel mais ne l'a condamnée à verser à la Cie nationale du Rhône qu'une somme d'un peu plus de 740 000 euros. Sur l'appel principal de la société EDF, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement et rejeté la demande. Contrairement au tribunal, elle a considéré que le dommage trouvant "son origine dans le fonctionnement des installations hydro-électriques exploitées par EDF sur l'Isère, lequel implique qu'il soit procédé périodiquement à des opérations de ‘chasse’ sur les retenues de ses ouvrages", il présentait un caractère permanent et non accidentel et que le préjudice subi par la Cie nationale du Rhône de ce fait n'étant pas anormal, elle ne pouvait prétendre à son indemnisation.

           

La compétence de la juridiction administrative pour connaître d'un litige relatif à un dommage provoqué par le fonctionnement d'un ouvrage public ne fait aucun doute, alors même qu'il tend à la mise en cause de la responsabilité de la personne privée qui l'exploite (T. conf., 12 avril 2010, n° 3718 N° Lexbase : A7846EWI, au Rec. ; CE Ass, avis, 29 avril 2010, n° 323179 N° Lexbase : A1274EXH, p. 126).

 

Rappelons brièvement, car ils sont bien connus, même s'ils donnent encore lieu à discussions, les traits caractéristiques des deux régimes de responsabilité dont le choix est l'enjeu du présent litige.

 

Le principe d’une responsabilité sans faute du fait des dommages causés aux tiers par des travaux publics ou un ouvrage public est ancien (CE, 7 novembre 1952, Grau, p. 503 ; CE, 4 octobre 1957, Min des travaux publics c/ Beaufils, p. 510). La précision selon laquelle elle pèse sur la personne publique qui en a la garde est plus récente. Selon la formulation de vos dernières décisions concernant les ouvrages publics, «le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure» (CE, 3 mai 2006, n° 261956 N° Lexbase : A2334DP7 ; CE, 10 février 2014, n° 361280 N° Lexbase : A3819ME8, au Rec.) [1]. Les tiers par rapport à l’ouvrage public -telle est bien la situation de la CNR au regard des ouvrages exploités par EDF- n’ont donc qu’à établir l’existence d’un lien de causalité entre l’existence ou le fonctionnement de l’ouvrage et leur préjudice, sans avoir à démontrer que le fait générateur de ce dernier procéderait d’une faute dans l’implantation ou le fonctionnement de l’ouvrage.

 

Mais ce droit à indemnisation est limité aux dommages présentant un caractère grave [2] et spécial lorsqu'ils sont dits permanents, c'est à dire inhérents à la réalisation des travaux ou à l'existence ou au fonctionnement de l'ouvrage (CE Sect., 24 juillet 1931, Cne de Vic-Fezensac, p. 860), alors que cette condition n'est pas exigée lorsque le dommage présente un caractère accidentel. L'affirmation la plus nette de cette différence figure dans votre décision du 7 août 2008, «SA de gestion des eaux de Paris» (SAGEP) (aux Tables sur un autre point), par laquelle vous avez indiqué "qu’en jugeant que le département du Val-de-Marne, qui avait la qualité de tiers par rapport aux travaux litigieux, pouvait demander que la responsabilité sans faute de la SAGEP soit engagée à raison du préjudice qu’avaient occasionné pour lui les dommages accidentels de travaux publics en cause, alors même qu’il ne démontrait pas lui-même le caractère anormal et spécial de ce préjudice, la cour n’a pas commis d’erreur de droit".

 

La différence entre ces deux régimes juridiques repose donc sur la nature du lien entre le fait générateur du préjudice et l’activité publique qui l’a provoqué, travaux ou ouvrage. Le dommage permanent est celui qui est inhérent à cette activité, qu’elle cause nécessairement pour être menée à bien ou dont la réalisation est prévisible et qui est assumée par la personne publique. Ce n’est pas tant sa durée qui le caractérise [3], comme l’adjectif permanent pourrait le laisser croire, mais le fait qu’il constitue un effet normal, naturel, ordinaire, de l’exécution de cette activité ou de la présence ou du fonctionnement de cet ouvrage. Il en est la contrepartie, de même que le risque de dommage est inhérent à l’ouvrage dangereux qu’il faut tout de même bien implanter quelque part.

 

Les exemples ne manquent pas dans votre jurisprudence : Les feuilles des platanes d’une place publique tombent à l’automne et peuvent endommager le toit d’une maison riveraine («Cne de Vic-Fezensac», préc.) ; les travaux de construction d’un parking vont perturber l’accès aux commerces riverains pendant le temps de leur exécution (CE, 6 mai 1977, n° 92269 N° Lexbase : A4259B7U, aux Tables) ; l’implantation d’une ligne de TGV fait perdre de la valeur aux propriétés riveraines (CE, 31 mars 2008, SNCF, n° 296991 N° Lexbase : A9498D7W, aux Tables sur ce point) ; la prolifération des lapins de garenne dans les remblais des voies ferrées créé un dommage permanent pour les cultures maraîchères voisines (CE, 27 juillet 2005, n° 268861 N° Lexbase : A1376DK8, aux Tables sur ce point) ; etc..

 

A l’inverse, comme son appellation l’indique cette fois mieux, le dommage accidentel est celui qui ne découle pas nécessairement de la réalisation des travaux ou de l’existence ou du fonctionnement de l’ouvrage. Il n’était pas censé se produire, il n’était ni prévisible ni nécessaire à l’exécution des travaux ou à l’existence ou au fonctionnement de l’ouvrage. Tel est par exemple le cas de l’incendie provoqué par une entreprise effectuant des travaux de débroussaillage en vue du passage d’une ligne électrique (CE, 23 mai 1980, n° 10896 N° Lexbase : A7971AI3, aux Tables sur ce point) ou d’une explosion de gaz dans un collège (CE, 26 février 2001, n° 196759 N° Lexbase : A0775ATU, aux Tables).

           

La limitation aux préjudices graves et spéciaux du droit à indemnisation des seuls dommages permanents découle de ce qui distingue ces deux catégories de dommages. Le préjudice anormal et spécial est traditionnellement défini comme celui qui excède ce que tout un chacun doit supporter du fait de l'activité administrative, dans l'intérêt général qu'elle poursuit.

 

S'agissant des dommages permanents, et plus particulièrement de ceux liés à un ouvrage public, cette condition traduit, dans la logique de l'équilibre qui fonde l'existence d'un droit administratif, la spécificité du régime de voisinage avec un ouvrage établi dans l'intérêt général. Les inconvénients inhérents à l'existence même de l'ouvrage ou à son fonctionnement n'ouvrent en principe pas droit à indemnisation, sauf pour ceux qui subissent de ce fait des dommages particulièrement importants, car ils se trouvent alors supporter seuls une part plus lourde de l'intérêt général auquel contribue l’ouvrage, que le principe d'égalité commande de compenser.

 

En revanche, les tiers à un ouvrage public ou à un travail public n'ont aucune raison de supporter des dommages qui ne sont pas inhérents à la réalisation du travail, à l'existence ou au fonctionnement de l'ouvrage, mais qui résultent le plus souvent d'une mauvaise exécution du travail ou d'un mauvais entretien ou usage de l'ouvrage, même si, comme nous l’avons dit, la victime n’a pas à en faire la démonstration. La cause du dommage accidentel ne réside pas dans l'intérêt général, qui justifiait qu'il puisse être supporté dans une certaine mesure par tout un chacun ; elle ne réside pas non plus dans la réalisation d'un risque inhérent à un ouvrage dangereux, qui répond au même régime de responsabilité, pour les mêmes raisons, que les dommages permanents (CE, 28 mars 1919, n° 62273 N° Lexbase : A8937B8I, p. 329). C'est pourquoi le dommage accidentel est indemnisé quelles que soient l'importance et la généralité du préjudice qu'il cause.

                       

La question de la qualification du caractère permanent ou accidentel du dommage peut se poser à propos de travaux publics et, comme en l'espèce, du fonctionnement d'ouvrages publics. En revanche, les dommages liés à l'existence même d'ouvrages publics ou aux risques auxquels ils exposent les tiers lorsqu'ils sont dangereux sont toujours des dommages permanents.

           

Nous conclurons cette présentation de ces régimes juridiques en vous invitant à contrôler en cassation cette qualification du dommage, dont dépend le régime de responsabilité applicable à la demande. Vous contrôlez d'ailleurs la qualification opérée par les juges du fond sur le caractère anormal et spécial du préjudice (CE, 10 mars 1997, n° 150861 N° Lexbase : A8879AD9, au Rec.), qui est plus factuel et subséquent à la détermination du régime de responsabilité. Tel est le terrain sur lequel se place le premier moyen du pourvoi.

 

Si votre jurisprudence comporte de nombreuses illustrations de ces deux régimes de responsabilité, la particularité de la présente affaire et ce qui lui donne tout son intérêt est que le dommage trouve sa cause dans la réalisation d'une opération qui fait partie du fonctionnement ordinaire de l'ouvrage mais dont les conditions dans lesquelles elle a été réalisé a entraîné des conséquences dommageables exceptionnellement importantes, pour des raisons tenant, comme nous l'avons dit, à la fois à la masse de sédiments qui s'étaient accumulés pendant une assez longue période sans chasses et peut-être à un débit insuffisant du Rhône. Le dommage se situe ainsi sur la ligne de partage entre les deux régimes de responsabilité, ce qui conduit à s'interroger plus que dans d'autres affaires où sa qualification est plus évidente sur les critères de celle-ci.

           

Deux approches nous semblent envisageables.

 

La plus simple est celle de la cour, qui s'est bornée à constater que le dommage trouvait son origine dans une opération relevant du fonctionnement normal de l’ouvrage -l’évacuation périodique des sédiments par chasse est inhérente au fonctionnement d’un ouvrage hydraulique-, sans s’interroger sur la manière dont elle avait été exécutée – fréquence, moment, modalités. Selon cette approche, la distinction entre dommage permanent et dommage accidentel réside dans l'origine du fait générateur du dommage : s'il se rattache à un usage normal de l'ouvrage, il s'agit d'un dommage permanent, quelle que soit la manière dont il en a été fait usage lors de la survenance du dommage. Ne seront accidentels que les dommages survenus à l’occasion du fonctionnement de l’ouvrage mais qui ne trouvent pas leur cause dans le fonctionnement de l’ouvrage.

 

L'autre approche est plus subtile puisqu'elle ne s’arrête pas au constat que le dommage trouve sa cause dans le fonctionnement de l'ouvrage mais tient compte des conditions dans lesquelles ce fonctionnement a eu lieu, ce qui conduit à qualifier d'accidentel le dommage causé par un fonctionnement anormal de l'ouvrage.

           

La première approche présente à nos yeux le double avantage de la simplicité et de ne pas réintroduire dans un régime de responsabilité sans faute une recherche du caractère plus ou moins normal du fonctionnement de l'ouvrage, qui conduit inéluctablement à une appréciation qualitative du comportement du maître de l'ouvrage au regard de ses obligations de bon usage et de bon entretien de l'ouvrage. Elle évite également la tentation de mesurer l'anormalité du fonctionnement de l'ouvrage à l'aune de la gravité du dommage. Elle semble enfin être celle que vous avez implicitement suivie dans votre décision précitée «Courson», où vous avez qualifié de dommage permanent le préjudice causé par la prolifération de lapins de garenne sur les remblais de la SNCF sans rechercher si ce phénomène était inhérent aux remblais ou avait atteint une situation critique du fait de l’inaction du maître de l’ouvrage à réguler la reproduction de ses hôtes. Vous avez au contraire explicitement rattaché aux dommages permanents imputables à l’ouvrage ceux résultant non seulement de son implantation mais aussi de son fonctionnement ou de son entretien (affirmation reprise dans CE, 31 mars 2008, n° 296053 N° Lexbase : A7562D79, aux Tables).

 

Mais elle a l'inconvénient de son avantage. Elle manque de finesse et risque de faire bénéficier d'un régime de responsabilité limité aux préjudices les plus graves des dommages qui, parce qu'ils relèvent en fait de la mauvaise gestion ou du mauvais entretien de l'ouvrage, ne contribuent pas à l'intérêt général qui justifie que les tiers en supportent, dans une certaine mesure, les conséquences. Or, comme l’illustre une de vos très récentes décisions, la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public du fait des dommages permanents qu’il peut causer aux tiers n’exclut pas la reconnaissance des fautes qu’il peut commettre dans la gestion de cet ouvrage, fautes dont le tiers victime peut se prévaloir pour demander au juge de lui enjoindre de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets (CE, 18 mars 2019, n° 411462 N° Lexbase : A1774Y4H, aux Tables, qui prolonge et précise, dans la champ de la responsabilité sans faute, la décision du CE, 27 juillet 2015, n° 367484 N° Lexbase : A0742NNS, p. 285). Le pouvoir d’injonction est ainsi limité à ce qui est nécessaire pour mettre fin aux seuls dommages causés par un comportement fautif du propriétaire de l’ouvrage parce que si la victime a droit à l’indemnisation des préjudices graves et spéciaux inhérents à l’existence ou au fonctionnement normal de l’ouvrage, elle est tenu de les supporter, contrairement aux conséquences de fautes dans la gestion de l’ouvrage, qui relèvent d’un fonctionnement anormal et présentent de ce fait un caractère accidentel. Il serait logique que lorsque cette faute est la cause exclusive du dommage, sa réparation elle-même ne soit pas limitée au préjudice grave et spécial. Vous ne l’avez certes pas précisé dans votre récente décision, qui s’en tient pour l’indemnisation au dommage grave et spécial, mais la question ne vous était pas posée.

 

La seconde approche, en permettant de n’opposer l’exigence de gravité et de spécialité du préjudice qu’aux préjudices trouvant leur cause dans un dommage permanent, inhérent à la présence ou au fonctionnement normal de l’ouvrage, apparaît ainsi plus en accord avec les principes fondateurs de ces régimes de responsabilité.

 

On le voit, chacune de ces deux approches comporte des avantages et des inconvénients entre lesquels nous avons avouons avoir beaucoup hésité. Nous en sommes arrivé à la conclusion que la bonne approche devait éviter de tracer une ligne de partage trop rigoureuse qui ne permettrait pas de trouver des solutions adaptées à la diversité des situations.

 

Pour le dire autrement, l’approche substantielle de la cour nous paraît devoir être posée en principe, tout en réservant le cas où le fait générateur du dommage, bien que trouvant sa cause dans le fonctionnement de l’ouvrage, est dû à un usage tellement éloigné du fonctionnement normal et prévu qu’il apparaît comme détachable de celui-ci et donc accidentel, selon un raisonnement qui ne serait pas sans rappeler celui que vous suivez pour qualifier la faute personnelle de l’agent public détachable du service. Ce même dommage qui, s’il était continu, conduirait le juge à enjoindre au maître d’ouvrage d’y mettre fin, car il procède d’une faute dans la maîtrise de l’ouvrage, rien ne justifie d’en faire supporter une part à la victime.

                       

La cour n’a pas complètement suivi cette grille d’analyse puisqu’elle a qualifié le dommage de permanent en se bornant à constater qu’il trouvait sa cause dans l’exécution d’une opération inhérente au fonctionnement normal de l’ouvrage, sans rechercher si les modalités de son exécution ne devaient conduire à la regarder comme détachable de ce fonctionnement normal. Mais cette erreur de droit ne lui est pas reprochée.

 

En revanche, il lui est reproché d’avoir inexactement qualifié les faits et vous pourrez, si vous nous suivez, répondre à ce moyen dans le cadre de la grille d’analyse que nous avons décrite.

 

Il nous paraît fondé. Les chasses relèvent du fonctionnement normal de l’ouvrage lorsqu’elles ont lieu de manière régulière et dans certaines conditions de crue du fleuve. En n’y procédant pas pendant quatre ans puis en exécutant cette opération alors que le Rhône n’avait semble t-il pas atteint un débit suffisant, EDF a libéré une quantité exceptionnellement importante de sédiments dans des circonstances ne permettant pas leur évacuation normale. Les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette opération traduisent donc à notre avis, contrairement à ce qu’a jugé la cour, un fonctionnement anormal et donc fautif de l’ouvrage provoquant un dommage accidentel dont la victime peut demander réparation alors même que son préjudice ne présenterait pas un caractère grave et spécial.

 

Et par ces motifs nous concluons :

 

- à l’annulation de l’arrêt attaqué et au renvoi de l’affaire à la cour administrative d’appel de Lyon ;

 

- à ce que vous mettiez à la charge d’EDF le versement à la société CNR d’une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés.

           

 

[1] Comme l’explique le président Braibant dans ses conclusions sur la décision «ctrs Arbez-Gindre» (13 juillet 1965, p. 442) : «le  régime de responsabilité applicable aux ouvrages publics est la contrepartie des privilèges qui  leur sont attachés ; la collectivité bénéficie de privilèges pour les implanter, les construire et  les protéger ; il est normal qu’elle répare les dommages que, même sans faute de sa part, leur  existence ou leur fonctionnement ont causés». 

[2] Le terme «grave» a remplacé le terme «anormal» à partir d’une décision CE, 1er février 2012, n° 347205 (N° Lexbase : A6878IBD), au rec.

[3] Cf. CE, 23 février 1968, n° 68976 (N° Lexbase : A5755B8N), au Rec.

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