La lettre juridique n°778 du 4 avril 2019 : Éditorial

Sérotonine, Michel Houellebecq et le droit

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Sérotonine, Michel Houellebecq et le droit. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/50769093-serotoninemichelhouellebecqetledroit
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 04 Avril 2019

(Synopsis de l'émission Il était une fois, le Droit, sa vie, son oeuvre, diffusée le 19 mars 2019 à 17h30 - à écouter ici).

 

1 - « Il n'y a certainement aucun secteur de l'activité humaine qui dégage un ennui aussi total que le droit » sentence Michel Houellebecq à la 147ème page de son dernier roman, paru chez Flammarion, en janvier 2019 : Sérotonine, après avoir évoqué le rôle du héros/narrateur dans la défense des AOC.

A priori, la messe est dite : Houellebecq et le droit ne font pas bon ménage ; pis encore, on pourrait croire que le premier dès lors ignore le second ; alors que la chronique judiciaire nous apprend que la réciproque est fausse.

 

En effet, en 1998, l'auteur des Particules élémentaires s'est vu, par une décision de justice, contraint de changer la localisation et le nom d'un camping échangiste, après que ses responsables eurent menacé l'auteur d'empêcher la diffusion de son livre. Plus grave : en septembre 2001, ses déclarations sur l'islam, qualifié, dans la revue Lire, de « religion la plus con », provoquèrent une vigoureuse polémique. Attaqué en justice par la Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale, dont la cause était défendue par l'avocat Jean-Marc Varaut, Houellebecq dut se justifier devant la 17ème chambre correctionnelle de Paris, le 17 septembre 2002. Soutenu par une kyrielle d'écrivains, dont Fernando Arrabal, Dominique Noguez et Philippe Sollers, l'écrivain fut relaxé le 22 octobre 2002. Le tribunal estima que ses propos, aussi critiques et violents fussent-ils, ne constituaient pas une « injure à l'endroit des musulmans ». Voilà ce que relatait Paul-François Paoli, dans le Figaro.

 

Alors, après Rémy Cabrillac, signant un singulier éditorial du vénéré Recueil Dalloz daté du 7 février 2019, et portant l’estocade fatale « non, le droit n’est pas une activité : la finesse du raisonnement et de l'analyse juridique ou la pratique de la disputatio […] font du droit un art et une science plus qu'un secteur d'activité » et montrant comment l’auteur de Sérotonine truffe son roman d’assertions ou de concepts juridiques  ; mais plus encore après Nicolas Dissaux, l’estimable fondateur de la revue Droit et Littérature, qui dans Houellebecq un monde de solitudes, paru aux éditions L’Herne en début d’année, développe la thèse d’un Houellebecq contre l’individu des droits de l’Homme en ce que ces droits divisent désormais les hommes, et celle d’un Houellebecq contre la mort évoquant tour à tour la cryogénisation, le clonage, mais aussi l’essor religieux et la mémoire de l’auteur,

 

Que diable suis-je aller faire dans cette galère ?

C’est que, voyez-vous, comme l’analyse juridique chez Sade nous réserve certaines surprises, notamment quant à son empire sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, a contrario c’est bien parce que Sade a gagné que Houellebecq se méfie, pour ne pas dire plus, des droits de l’Homme ; c’est bien parce que le droit est devenu une technique normative que Houellebecq en fait l’apanage d’un capitalisme broyeur triomphant. Lui l’auteur éthique.

 

Alors, si je vous invite à écouter l’émission consacrée par La plume dans la balance sur Michel Houellebecq, l’individu et le droit, retransmise le 22 février 2019 sur Amicus radio, je vous propose donc une approche singulière autant sur les rapports pas si distants que cela entre Michel Houellebecq et le droit et plus précisément sur les manifestations et l’appréhension juridiques de son dernier roman : Sérotonine. L’idée est donc bien de dépasser l’approche littéraire, la dénonciation du capitalisme et de la misère sexuelle chère à l’auteur pour simplement montrer que de manière volontiers contrariée celui qui scande que le droit est d’un ennui total, parle de droit tout au long de son dernier roman bien conscient que l’on ne pourrait être un écrivain pythie de la société contemporaine en faisant totalement abstraction de cet art ou de cette science, c’est selon, qui structure et innerve de plus en plus cette même société.

 

2 - Pour commencer, il peut paraître nécessaire que je revienne sur la trame du roman, l’histoire de Sérotonine.

Voilà ce que nous en dit Cécile Dutheil sur En attendant Nadeau, Attention, spoiler !

 

"Sérotonine est une histoire banale et plate comme la terre avant Galilée. C’est l’histoire d’un mec, dirait Coluche, avec qui Michel H. n’est pas sans points communs. Il s’appelle Florent-Claude Labrouste, il a fait l’Agro (dont notre romancier est ancien élève), il quitte Monsanto pour rejoindre la task force de la Direction générale de l’agriculture et de la forêt de Basse-Normandie dont le but est de promouvoir le fromage normand dans les pays émergents. Son histoire sentimentale commence alors qu’il achève une liaison avec une Japonaise absente et pornographe ; elle se poursuit avec le souvenir de Claire, actrice ratée devenu alcoolique ; elle éclot en apparence avec Camille, jeune stagiaire que notre anti-héros a accueillie à la gare et dont il est tombé instantanément -et joliment, calmement- amoureux.

Le romancier serpente dans la vie de son faux-nez en profitant de la moindre occasion pour livrer un de ces concentrés satiriques dont il est maître : saillie sur l’Espagne de Franco, inventeur du tourisme de masse ; sur les indignadas, « femelles » des indignados ; sur les catholiques identitaires ; sur les adeptes du bio, puisque rien ne prouve la nocivité des OGM ; sur les théâtreux qui lisent les critiques du Monde et de Libération… La liste est infinie de tous les travers et les modes de la pensée actuelle sur lesquelles l’écrivain décoche une flèche trop bien vue pour être perfide. Fidèle à cette veine de caricaturiste, il balise son roman de noms de marques (« Zadig et Voltaire » devient « Blaise et Pascal »), de supermarchés synonymes d’uniformisation, de personnalités qui dominent, sinon les esprits, du moins le spectacle : Catherine Millet, Alain Finkielkraut et Christine Angot sont là, simplement imprimés, comme des stickers, amis ou ennemis de l’écrivain, qu’importe".

 

Sérotonine est donc le septième roman de Michel Houellebecq, par ailleurs Poète. On rappellera que l’auteur a obtenu le prix Goncourt en 2010 pour La Carte et le Territoire.

 

La sérotonine, c’est est aussi une monoamine de la famille des indolamines ; un neurotransmetteur dans le système nerveux central et dans les plexus intramuraux du tube digestif, ainsi qu'un autacoïde (hormone locale) libéré par les cellules entérochromaffines et les thrombocytes.

 

Elle est notamment impliquée dans la gestion des humeurs et est associée à l'état de bonheur lorsqu'elle est à un taux équilibré, réduisant la prise de risque et en poussant ainsi l'individu à maintenir une situation qui lui est favorable. Elle est donc indispensable à la survie des mammifères dont l'Homme, et a un effet antagoniste à celui de la dopamine qui favorise, au contraire, la prise de risque et l'enclenchement du système de récompense.

 

Pour Florent-Claude Labrouste, cela se résume, si je puis dire, à un petit comprimé blanc, ovale et sécable, ingéré tout au long du roman par notre héros, dépressif, sous l’appellation de Captorix.

 

3 - Alors, quelle mouche a bien piqué Michel Houellebecq pour qu’il témoigne d’une détestation apparente, sinon d’un mépris de surface pour le droit, et la matière juridique. Rémy Cabrillac a tôt fait de rappeler que, lorsque Flaubert écrivait « je ne vois rien de plus bête que le droit, si ce n'est l'étude du droit », au moins la pique émanait d’un écrivain qui a fait des études de droit. Houellebecq a une formation d’agronome et il est passé par la case Assemblée nationale en tant qu’adjoint administratif au service informatique… rien ne l’autorise dès lors à s’ériger en censeur de la matière juridique et à trouver le droit barbant ! Mais, cela explique, selon Nicolas Dissaut, et à la suite de Bernard Maris, que son œuvre ait un « parfum d’économie » beaucoup plus qu’une « odeur de greffe ».

 

Normal, toujours, selon Nicolas Dissaut : « contrairement à Balzac héritier de la France du Code civil, Houellebecq est l’héritier de mai 68, pour lequel l’homo festivus succède à l’homo juridicus. Pire : Houellebecq écrit à la veille d’une révolution conduisant à la décadence de la société, une décadence qu’aucune codification ne saurait endiguer ! ».

 

A contrario, pulvérisation des structures affectives, fragmentations des rapports amoureux, désagrégations des corps intermédiaires, invasion de la logique contractuelle, ébullition du désir, fermentation du nombrilisme, prolifération des droits de l’Homme, explosion du sado-masochisme, marchandisation du corps, invention du bricolage religieux, corrosion de la laïcité, érosions des valeurs : autant de tendances qui minent le droit aussi profondément que le reste ; relativise Nicolas Dissaut dans Houllebecq un monde de solitudes.

 

C’est donc toute l’ambiguïté de cet auteur, qui fustigeant le droit comme empêcheur de tourner en rond, a la présence d’esprit de s’en servir pour étayer sa thèse d’une civilisation technocrate décadente. Ce à quoi Rémy Cabrillac rétorquait à juste titre selon nous : Il est parfois des cas, pour paraphraser Lacordaire, où c'est la liberté qui menace et la loi qui protège.

 

Je vous propose dès lors de décliner l’incursion juridique de Michel Houellebecq dans Sérotonine pour bien comprendre que l’agronome (l’auteur comme le narrateur) écrit noir, mais pense gris.

 

4 - Houellebecq, le droit des personnes et les libertés individuelles

 

« Changer de prénom n'est pas difficile, enfin je ne veux pas dire d'un point de vue administratif, presque rien n'est possible d'un point de vue administratif, l'administration a pour objectif de réduire vos possibilités de vie au maximum quand elle ne parvient pas tout simplement à les détruire », écrit-il page 11.

 

Page 59 on peut lire : « Tous les articles en ligne sur internet insistaient, ceci dit, sur un point déjà bien mis e avant pas le documentaire : en France, toute personne majeure était lire ‘d’aller et de venir’, … l’abandon de famille, en France, ne constitue pas un délit même si à la même page l’auteur se plaint que nous vivions « dans un pays où les libertés individuelles ont tendance à se restreindre ».

 

Page 81 : plus sensible, le héros du roman évoque le suicide collectif de ses parents, encensant la démarche libertaire.

 

Page 252 : Houellebecq consacre un chapitre au droit de manifester, au sujet des confédérations paysannes menées par Aymeric l’ami chatelain agriculteur de Florent-Claude ; comme prémonitoire au mouvement des gilets jaunes.

 

Ainsi, le droit chez Houellebecq n’est pas source uniquement de contrainte. Le droit à la vie et son corollaire issu des droits fondamentaux que constitue le droit à une mort digne ou encore la liberté d’exprimer ses revendications marquent une nette évolution de l’auteur dont on aurait pu craindre qu’il fût plus en faveur des devoirs de l’individu que des droits et qu’il ne comprendrait rien au concept de dignité. D’extension du domaine de la lutte à Sérotonine, l’évolution est remarquable ; encore que globalement le droit soit bien cloué au pilori, en matière commerciale.

 

 5 – Houellebecq et le droit commercial

 

Page 29 : on ne peut pas dire que Houellebecq défendre la protection des AOP sur les abricots du Roussillon avec une grande conviction… dans son esprit, tout cela est inutile ; la concurrence mondiale ravagera l’agriculture française…

 

Page 147 : sur les AOC, le héros confit que « ces questions d’un formalisme juridique exaspérant occupaient une part croissante de mon temps de travail, il fallait sans arrêt 'être dans les clous', par rapport à quoi je ne l’ai jamais vraiment su…. ».

 

Page 325 : notre héros est contraint de quitter l’hôtel où il réside car l’interdiction du fumer est désormais généralisée et obligatoire dans toute la chaîne Mercure. C’est évidemment un écho à la page 38 où le narrateur se consolait par le fait que jadis « l'oppression légale était moins parfaite alors, il y avait encore quelques trous dans les mailles du filet, mais aussi j'étais plus jeune, j'espérais pouvoir demeurer dans les limites de la légalité, je croyais encore en la justice de mon pays, j'avais confiance dans le caractère globalement bénéfique de ses lois ». L’oppression légale, l’interdiction de fumer donc, a rattrapé notre héros, contraint par une norme dont il ne cessera de fustiger l’absurdité, une norme proprement liberticide. Houellebecq refuse que l’on fasse du bien à l’individu malgré lui !

Est-ce dès lors le droit que l’auteur condamne ? on dirait plus volontiers la norme, la société normative que d’aucuns qualifieraient de technocratique que l’auteur réprouve comme « attentatrice » inutilement aux libertés fondamentales.

 

Pourtant, page 197, le droit peut s’avérer une solution lorsque le narrateur évoque la location de bungalows sur la propriété d’Aymeric, alors que les revenus agricoles sont insuffisants pour faire vivre l’exploitation et la famille du châtelain pas plus que le régime des monuments historiques ne sauve le château d’un délabrement.

 

6 - Houellebecq et le droit pénal : l’ultime garde-fou ?

 

Pages 36 et 37 : le narrateur encense les autoroutes espagnoles sur lesquelles on peut rouler à 150 : 160 km au lieu des 120 « parce que la coordination des bureaucraties européennes était de toutes façons moins parfaitement réalisée, d'où un laxisme général à l'égard des infractions mineures réalisées par des étrangers »…. Le droit comparé s’invite dans Sérotonine ; l’argument est populiste : il n’empêche que pouvoir rouler plus vite en France pour se retrouver en tête à tête avec sa compagne Yuzu dans son appartement parisien n’offre pas plus une perspective réjouissante au narrateur.

 

Page 55 : c’est la référence juridique la plus explicite du roman puisque Houellebecq évoque l’article 324 du Code pénal de 1810 ! « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ou par celle-ci sur son époux n’est pas excusable () néanmoins , dans le cas d’adultère, prévu à l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable ». Qu’est-ce qui empêche le héros du roman d’assassiner sa compagne ? Les conséquences pénales ? La difficile caractérisation du flagrant adultère ? L’impossible caractérisation de l’excuse bien que Yuzu soit libertine, et s’adonna même à la zoophilie ? La lâcheté du narrateur ? Une certaine éthique malgré tout plus vraisemblablement.

 

Etrangement, commettre un meurtre sur un enfant, celui de son amour de toujours Camille, après avoir envisagé de l’adopter (là encore une diatribe sur les difficultés de l’adoption), n’emporterait aucune violation des principes de notre héros. D’où un passage digne des Experts, page 299, « pour l’ADN, je ne savais pas exactement ce qui permettait de prélever l’ADN : sang, sperme, cheveux, salive ? J’avais prévu d’amener un sac plastique où je déversais au fur et à mesure les mégots que j’avais tenus entre les dents… » Le héros abandonne son funeste projet, la main tremblante sur la gâchette… L’homme n’avait plus rien à perdre for l’honneur, aurait dit François 1er… là encore, on pressent que l’éthique accompagne la vie en perdition de ce héros dépressif privé de tout.

 

Page 230 : Houellebecq évoque implicitement la question du port d’arme.

 

Page 286 : le héros entre illégalement et occupation sans titre le bar « Au duc Normand » pour espionner, son amour obsessionnel.

 

On constatera que Houellebecq fait le départ entre les crimes et les délits… les seconds s’apparentent bien à des contraintes sociétales inutiles….

 

6 – Houellebecq et le droit du travail

 

C’est sans doute l’incursion la moins prégnante dans Sérotonine : page 60, notre héros qui cherche à disparaître et à couper tout lien avec son ancienne vie confesse ; « restait la question de mon travail. J’avais un statut de contractuel au ministère de l’Agriculture et mon contrat était renouvelé annuellement, début août ».

 

Sérotonine n’est pas un roman d’entreprise, c’était le synopsis d’extension du domaine de la lutte comme le clonage et la bioéthique est celui de plateforme.

 

7 - A la lecture de ce septième roman, et dans la continuité de ce que défend Nicolas Dissaux, « Michel Houellebecq s’inscrit non seulement contre l’individu libéral mais aussi contre l’individu amoral ; il y a bien une certaine éthique conservatrice chez notre auteur. Cette éthique ne peut se confondre intrinsèquement avec les droits fondamentaux, mais Houellebecq sait que la liberté a pour prix la morale appliquée par chaque individu ». Le meurtre est impossible dans Sérotonine, le suicide est toléré pour autant qu’il assure une dignité à l’individu (les parents du héros ou Aymeric sur le barrage) dans la mort.

 

« Alors Je me résume. Les droits de l’Homme, la dignité humaine, les fondements de la politique, tout ça je laisse tomber. Je n’ai aucune munition théorique, rien qui puisse me permette de valider de telles exigences. Demeure l’éthique, et là oui, il y a quelque chose. Une seule chose en vérité, lumineusement identifié par Schopenhauer, qui est la compassion. A bon droit exaltée par Schopenhauer, à bon droit vilipendée par Nietzsche comme source de toute morale. Cela me permet nullement de fonder une morale sexuelle – mais ça, ce serait plutôt un soulagement. Cela permet par contre de fonder la justice et le droit » (dans, Lettre écrite le 26 avril 2008 entretien avec Bernard Henri Lévy in Ennemis publics, Flammarion, Grasset, 2008, p. 178-179).

 

C’est le paradoxe d’un auteur qui pour s’approcher de la philosophie sadienne n’en garde pas moins ses distances quant à l’aversion que ce dernier peut avoir pour Hobbes.

L’être sadien, selon Dominique Demange, est par essence complet, « il trouve sa propre satisfaction en lui-même, il est sans autre. Si la logique sadienne s’emploie constamment à inverser les opposés, à confondre les contraires, jusqu’à prêter son nom à cette figure de l’ambiguïté par excellence qu’est le sadomasochisme, c’est parce qu’elle vise à nier le moment symbolique de la différence sexuelle, par lequel s’établit le discours et se tisse la relation entre les êtres ».

 

Les conséquences d’une telle logique dans la sphère éthique et juridique sont radicales. Tout d’abord, l’isolisme conduit à un renversement complet de l’axiome de la Critique de la raison pratique d’Emmanuel Kant, philosophe chrétien par excellence : « Autrui ne sera jamais pour moi qu’un moyen de jouissance personnelle, et jamais ne pourra devenir en lui-même une fin. Toute liberté est illusoire, l’être humain est le jouet des lois aveugles de la nature ; la liberté de jugement est elle-même purement déterminée par la physique du corps (« toutes nos idées doivent leur origine à des causes physiques et matérielles qui nous entraînent malgré nous ») ; aucune instance ne peut donc venir détourner une créature du but que la nature a fixé en elle, à savoir la jouissance. Deuxièmement, une telle logique diabolique aboutit à la négation de toute loi universelle et de tout contrat social. Pour Sade, il n’est de loi que privilège, et de droit que droit d’exception. Une loi ne consacre jamais qu’un point de vue particulier à l’encontre d’un autre point de vue particulier, ce dont atteste son extrême variabilité dans le temps et l’espace ».

 

Si Houellebecq se méfie des lois universelles comme des droits fondamentaux, il n’en demeure pas moins que son crédo, pour paraphraser Bernard Edelman, dans Sade, le désir le droit, en 2014, « sa ‘morale‘, ce n’est pas, à l’inverse de Sade, l’égoïsme intégral : Houellebecq ne peut envisager la norme pour la norme ; au-delà de l’ennui que confère la norme, il reste convaincu que seule la loi du marché prévaut que ce soit dans l’entreprise comme en matière sexuelle, non chacun ne doit pas faire ce qui lui plait, chacun n’a pas d’autre loi que son plaisir et autrui n’est pas là pour le satisfaire comme il doit satisfaire autrui ! ».

 

D’ailleurs, si l’hédonisme était le crédo des héros Houellebecquiens, l’auteur ne pourrait plus dénoncer cette décadence civilisationnelle dont il fustige les effets sur les hommes qui errent sans trop savoir vers quelle fin, si ce n’est purement et simplement, consumériste, notre société veut nous conduire. La différence fondamentale entre Houellebecq et Sade, c’est que Sade propose une liberté sans limite de jouir d’autrui, tandis que chez Houellebecq, un Léviathan économique (le capitalisme) jouit infiniment de chaque individu sans même que ce dernier ne puisse espérer lui rendre la pareille.

 

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