La lettre juridique n°765 du 13 décembre 2018 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Immeuble vacant, déductibilité des dépenses engagées, diligences nécessaires en vue de la location

Réf. : CAA Marseille, 7 novembre 2018, n° 17MA03659 (N° Lexbase : A1162YLM)

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[Jurisprudence] Immeuble vacant, déductibilité des dépenses engagées, diligences nécessaires en vue de la location. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/48942311-jurisprudence-immeuble-vacant-deductibilite-des-depenses-engagees-diligences-necessaires-en-vue-de-l
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 12 Décembre 2018

La mise en location effective constitue une condition essentielle de déduction des charges foncières des revenus fonciers. Telle est la solution d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 7 novembre 2018.

L'administration fiscale tend aisément à remettre en cause -lorsqu'un bien immeuble est vacant- le caractère déductible des revenus fonciers des dépenses engagées aux fins de réparer/entretenir/améliorer ledit  bien.

 

Le Code général des impôts pose en principe que les charges afférentes au logement dont le propriétaire se réserve la jouissance ne peuvent pas venir en déduction pour la détermination du revenu foncier (compris dans le revenu global soumis à l’impôt sur le revenu). Dès lors que le logement est vacant, que le propriétaire entend procéder à la déduction des charges subies, il lui revient de prouver son intention locative ; il lui revient de prouver qu'il n'avait point l'intention de s'en réserver la jouissance. Reste à savoir si le propriétaire a accompli les diligences nécessaires en la matière, prouvant ainsi sa réelle intention de louer le bien. Cette interrogation renvoie à la question de la preuve,  de la preuve des diligences accomplies...ou non. S'il est réputé avoir accompli les diligences nécessaires pour louer le bien, le propriétaire aura montré sa volonté réelle de ne pas s'en réserver la jouissance ; il pourra alors déduire -des revenus fonciers- les dépenses engagées.

 

Tel est l'enjeu qui est au cœur de la décision de la cour administrative d’appel de Marseille. Les requérants déduisent des dépenses de travaux de leurs revenus fonciers ; l'administration fiscale remet en cause le caractère déductible de telles dépenses, au titre des années 2012 et 2013. Saisi, le tribunal de grande instance de Montpellier ne fait pas droit à leur requête ; est rejetée leur demande visant à la décharge -en droits et pénalités- des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales auxquels ils sont assujettis (pour les années mentionnées en amont). Appel est interjeté devant la cour administrative d’appel de Marseille qui confirme le jugement.

 

Quant aux dispositions applicables, mentionnons :

- l'article 15 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1055HLN) : «Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu»),

- l'article 28 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1065HLZ) : «Le revenu net foncier est égal à la différence entre le montant du revenu brut et le total des charges de la propriété»,

- l'article 31 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3907IAX) : «I. Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : 1° Pour les propriétés urbaines : a) Les dépenses de réparation et d'entretien effectivement supportées par le propriétaire...b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement ...».

 

L'appartement dont les requérants sont propriétaires est vacant durant les années 2012 et 2013. La cour administrative d’appel de Marseille rejette leur requête au motif qu'ils «ne justifient pas de leur volonté réelle de louer cet appartement». Ils ne sont pas regardés comme ayant oeuvré suffisamment en leurs démarches, à savoir entreprendre les diligences nécessaires pour louer le bien. Ils sont réputés avoir conservé la jouissance de l'appartement durant ces années. Quid des diligences à accomplir pour éviter toute (mauvaise) surprise ? Sont fournies par les requérants trois attestations de personnes ayant visité l'appartement en juin 2013 et septembre 2014, à une date non précisée.

 

L'appréciation de la cour administrative d’appel de Marseille est aussi rapide que tranchante : «les affirmations contenues dans ces attestations, rédigées dans le cadre de l'instance, ne sont ni précisées, ni corroborées par des éléments complémentaires». Rejet ; requérants déboutés. Dans le cas présent, il est vrai que leur dossier est peu étayé : attestations émanant de simples particuliers, attestations réalisées dans le cadre du contentieux et non antérieurement, contexte temporel peu précis, non intervention d'une agence immobilière...

 

L'affaire soumise à l'appréciation de la cour administrative d’appel de Marseille apparaît relativement simple eu égard au manque de substance des arguments en défense. Si la cause des requérants n'est guère aisée à plaider, reste que la question de la dévolution de la charge de la preuve n'est pas sans poser quelque souci. Les  exigences probatoires -tant de l'administration fiscale que du juge fiscal- ne sont pas de peu.

 

Un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 28 juin 2018, n° 17PA02070 N° Lexbase : A5882XUE) l'illustre, traçant des linéaments  identiques à ceux de l'arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille. Dans l'espèce parisienne de juin 2018, les requérants ont entrepris d'importants  travaux en raison de l'état «particulièrement défraîchi» de l'immeuble (toit, salle de bains, radiateurs, cheminée) ; de tels travaux s'imposaient pour que le bien soit ensuite proposé à la location. Nonobstant la production de factures, les requérants ne sont pas réputés apporter la preuve de leur volonté réelle de location ; ils sont réputés avoir conservé la jouissance du bien et ne peuvent dès lors déduire de leurs revenus fonciers les dépenses effectuées aux fins de réhabiliter le bien. Pour la cour administrative d’appel de Paris, ils ne prouvent pas que «l'état de l'immeuble litigieux ne permettait pas sa mise en location avant l'année 2012». Il convenait de démontrer que l'appartement était à ce point délabré qu'il ne pouvait,  décemment, être mis sur le marché et proposé à la location. Il importe ainsi -dans l'hypothèse où des propriétaires sont susceptibles de connaître une situation similaire- de conserver les documents révélant combien le bien est impropre à la location. Mais un bien impropre à la location peut être un bien que le propriétaire est susceptible d'habiter, un bien dont le propriétaire se réserve la jouissance. En effet, les exigences ne sont pas identiques et comparables : un bien peut ne pas être proposé à la location s'il souffre de diverses insuffisances, insuffisances qui peuvent ne pas empêcher le propriétaire de s'en réserver la jouissance. Bref, il est loisible de se réserver la jouissance d'un bien lorsqu'on est propriétaire alors même que ce bien risquerait de ne pas trouver de locataire en raison des travaux à effectuer. Revenons à la question de la charge de la preuve et poussons le raisonnement du juge à son acmé : le propriétaire doit impérativement démontrer que l'appartement est à ce point dégradé qu'il est impensable de le proposer à la location. Il faut alors prouver cet état lamentable, de nature à empêcher la location. Le plus simple -pour le propriétaire inquiet d'une éventuelle remise en cause de la déductibilité des travaux par lui effectués- est l'obtention d'un document d'un organisme attestant la nécessité de substantiels travaux. Une telle attestation est, en principe, de nature à rassurer et l'administration et le juge quant à «l'état de l'immeuble litigieux» (et quant à la non faisabilité d'une opération locative). D'autres éléments -plus classiquement pertinents- conduisent la cour administrative d’appel de Paris à rejeter la demande des requérants. Ces derniers ont produit -comme cela est souvent le cas dans ce type de contentieux, cf. mutatis mutandis l'arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille- divers documents peu probants. Il en va ainsi des factures non établies au nom de la SCI concernée, des factures indiquant une adresse différente de celle au cœur du litige, des factures imprécises, ou encore des factures ne mentionnant pas l'adresse à laquelle les travaux ont été réalisés.

 

Un troisième et ultime arrêt mérite attention en ce qu'il permet -lui aussi- de compléter celui de la cour administrative d’appel de Marseille : il s'agit d'un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 17 novembre 2015, n° 14LY02617 N° Lexbase : A6144NXT). Il est intéressant car le propriétaire a eu recours -ici- à un opérateur institutionnel ; il espère ainsi éviter la remise en cause de la déductibilité des dépenses engagées en mettant en avant l'intercession d'une agence immobilière. On ne saurait -dit le requérant- retenir l'argument de l'administration car les diligences nécessaires ont été entreprises en vue de mettre le bien en location, via l'agence immobilière. Est ainsi produite une copie d'une première puis d'une seconde proposition de mandat de location (la même agence étant concernée). Pour autant, il ne suffit pas -dit le juge d'appel lyonnais- de faire mention de telles propositions de mandat : nous sommes (seulement) en présence de «simples propositions unilatérales de contrat». Et ces  propositions unilatérales de contrat «ne sauraient être regardées comme constituant la preuve que le propriétaire aurait accompli des diligences en vue de louer ce bien». Une proposition unilatérale de contrat ne  forme pas -impossible de récuser ce constat en forme de truisme- contrat ; un tel document ne possède aucune force probatoire significative pour le juge.

 

Imaginons un hypothétique propriétaire (au comportement contestable, à décourager absolument). Il réaliserait d'importants travaux, signerait un contrat de location avec une agence immobilière, proposerait (en accord avec l'agence) un loyer trop élevé au regard des (faibles) qualités du bien. Il déduirait alors les dépenses inhérentes aux travaux entrepris, tout en se réservant de fait la jouissance du bien (ce dernier ne trouvant pas de locataire en raison du hiatus entre loyer exigé et prestations proposées). Impensable, donc inacceptable.

 

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