Le Quotidien du 25 octobre 2018 : Pénal

[Brèves] Naufrage du Joola : le bénéfice de l’immunité de juridiction déterminé par la nature de l’acte accompli au nom de l’Etat concerné

Réf. : Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 16-84.436, FS-P+B (N° Lexbase : A9883YG7)

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N6137BXL

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par June Perot

le 24 Octobre 2018

► Des actes consistant à confier le commandement et l’encadrement de l’équipage d’un navire à des officiers de la marine nationale sénégalaise, ainsi que sa gestion, au ministère des forces armées, afin d’assurer la continuité territoriale du pays, dont une partie est sous la menace des révoltes armées, dès lors qu’ils sont accomplis par des représentants de l’Etat (chefs d’état-major, directeur de la marine marchande, ministre des transports…) dans l’exercice de l’autorité étatique, sont des actes relevant de la souveraineté de l’Etat permettant de bénéficier de l’immunité de juridiction ;

 

► Par ailleurs, si l’article 96 de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay ([LXB=L5889LM3]), doit être interprété en ce sens que l’interdiction absolue, qu’il prévoit, qu’un Etat exerce sa juridiction en haute mer sur un navire ne battant pas son pavillon ne fait pas obstacle aux poursuites engagées devant une juridiction française, dans les conditions prévues aux articles 113-7 (N° Lexbase : L2307AME) et suivants du Code pénal, à l’encontre de personnes susceptibles d’être reconnues coupables d’infractions commises sur ou au moyen dudit navire et ayant fait des victimes de nationalité française, le grief est inopérant dès lors que la chambre de l’instruction a retenu l’immunité des personnes mises en cause.

 

Telles sont les solutions retenues par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 octobre 2018 (Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 16-84.436, FS-P+B N° Lexbase : A9883YG7 ; v. également dans cette même affaire : Cass. crim., 19 janvier 2010, n° 09-84.818, F-P+F N° Lexbase : A4845EQI dans lequel la Chambre criminelle a approuvé la décision de la chambre de l’instruction d’annuler les mandats d’arrêt délivrés à l’encontre du premier ministre et du ministre des forces armées en fonction au moment des faits, au motif que le navire ayant fait naufrage avait été mis en service pour permettre le désenclavement d’une région de cet Etat, qu’il assurait une mission de service public non commercial, qu’il était armé par un équipage militaire et avait le statut de navire militaire).

 

Dans cette affaire, à la suite du naufrage survenu le 26 septembre 2002, du navire «Le Joola», battant pavillon sénégalais, ayant fait au moins 1 863 victimes, parmi lesquelles plusieurs ressortissants français, une information a été ouverte par le procureur des chefs d’homicides et blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence et défaut d’assistance à personne en péril. Les juges d’instruction ont constaté que, s’il existait des charges suffisantes contre les personnes mises en examen, une immunité de juridiction faisait obstacle à tout acte de poursuite. Dès lors, ils ont prononcé un non-lieu à suivre. Les parties civiles ont interjeté appel de cette décision.

 

La chambre de l’instruction a confirmé cette ordonnance, pour les mêmes motifs. Les juges ont par ailleurs retenu que la coutume internationale, qui s'oppose à la poursuite des Etats devant les juridictions pénales d'un Etat étranger, s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'Etat ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes relevant de la souveraineté de l'Etat concerné (v. aussi, dans l’affaire du naufrage de l’Erika : Cass. crim., 23 novembre 2004, n° 04-84.265, FS-P+F N° Lexbase : A1384DEY). Selon la chambre, le fait de décider d'assurer une liaison maritime entre Ziguinchor et Dakar, dans le but de désenclaver la région Casamance, de confier cette liaison au ministère des forces armées, malgré la demande du ministère des transports et de l'équipement, et de faire protéger cette liaison par des forces militaires en raison des révoltes armées existantes constitue un acte de puissance publique et non pas un acte de gestion, quand bien même la prestation de transport des personnes et des marchandises était une prestation payante et le navire avait les caractéristiques physiques d'un navire marchand.

 

Les juges en ont déduit que l’Etat sénégalais assurait ainsi une mission de service public non commercial qui n’aurait pu exister sans son intervention et ne réalisait donc pas en assurant cette liaison des actes de commerce au même titre qu'un simple particulier. En conséquence, le fait que de nombreuses et graves violations tant des règles internationales sur la navigation et la sécurité en mer que du code sénégalais de la marine marchande, qui ont été relevées par les experts, n'est pas de nature à priver d'effet l'immunité de juridiction.

 

Saisie de la question, et énonçant les solutions susvisées, la Haute juridiction rejette le pourvoi des parties civiles. Elle en déduit par ailleurs qu’en l’Etat du droit international, les infractions pour lesquelles étaient poursuivis les différents représentants de l’Etat sénégalais, quelle qu’en soit la gravité, ne relèvent pas des exceptions au principe de l’immunité de ses représentants dans l’expression de sa souveraineté.

 

Pour mémoire, l’immunité de juridiction est un privilège de juridiction qui a pour effet de faire échapper un Etat ou l’un de ses organes à la compétence des tribunaux d’un Etat étranger. La jurisprudence considère que sont couverts par cette immunité les actes s’analysant en actes de souveraineté et non en actes de gestion (v. par ex. Cass. civ. 1, 17 janvier 1973, n° 71-11.793 N° Lexbase : A8038CH8 ; Cass. civ. 1, 2 mai 1990, n° 88-14.363 N° Lexbase : A3722AHC ; Cass. soc., 2 avril 1996, n° 94-40.199 N° Lexbase : A2565ABM ; Cass. mixte, 20 juin 2003, n° 00-45.629 N° Lexbase : A8752C8N ; cf. l’Ouvrage «Droit pénal général», Les infractions commises hors du territoire de la République contre des Français N° Lexbase : E1442GAN).

 

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