Réf. : Cass. civ. 3, 13 septembre 2018, n° 17-19.525, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3611X4I)
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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l’Université d’Aix-Marseille Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l’Institut de droit des affaires (IDA), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés
le 10 Octobre 2018
Clause d'indexation / Distorsion ne résultant de la clause / Distorsion résultant du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu et la date prévue pour l'indexation annuelle du loyer / Validité de la clause (oui)
1. C’est un arrêt essentiel que vient de rendre la Cour de cassation. Essentiel car il concerne, une nouvelle fois, les clauses d’indexation en matière de bail commercial. Essentiel également et surtout car la Haute juridiction autorise une clause sensible qui aurait peut-être été sanctionnée par le passé, mais qui aujourd’hui est validée, délivrant ainsi un message assez fort sur ce sujet traditionnellement délicat.
2. Les faits étaient assez simples. Le 29 décembre 1993, une SCI donne à bail, à une société, des locaux commerciaux à compter du 1er janvier 1994. Après avoir refusé de renouveler le bail, la SCI exerce son droit de repentir et offre à la société locataire le renouvellement du bail au 1er février 2006. Puis elle l’assigne en fixation du montant du loyer révisé. La société locataire demande alors que la clause d’indexation prévue au bail soit réputée non-écrite et ce, sur le fondement de l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM).
3. Les juges du fond [1] accueillent la demande du preneur. Selon eux en effet, l’application de la clause d’indexation insérée au bail renouvelé engendre une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire (2ème trimestre 2005 – 2ème trimestre 2006 : 12 mois) et la durée écoulée entre les deux révisions (1er février 2006 au 1er janvier 2007 : 11 mois), si bien que cette distorsion opère mécaniquement un effet amplificateur lors des indexations suivantes pendant toute la durée du bail, en conséquence de quoi cette clause doit être réputée non-écrite. Mais la Cour de cassation censure cette décision, au visa de l’article précité, pour violation de la loi, dans la mesure où la distorsion retenue ne résulte pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu le 1er février 2006 et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer fixée au 1er janvier 2006. Autrement dit, la clause d’indexation était valable.
4. Cet arrêt, «sage» selon Jean-Pierre Blatter [2], paraît mettre un coup d’arrêt au contentieux relatif aux clauses d’échelle mobile qui a pris naissance depuis environ une dizaine d’années maintenant (I). Pour autant, il n’est pas sans poser de réelles difficultés qui feront réagir la pratique à n’en pas douter (II).
I - La fin du contentieux de la distorsion ?
5. Pour bien comprendre la portée de l’arrêt du 13 septembre 2018 [3], il faut rappeler le contexte (A) et la mettre en perspective avec deux arrêts rendus le 17 mai dernier (B).
A - Rappel du contexte
6. Il y a une dizaine d’années maintenant, certains auteurs, au premier rang desquels Philippe-Hubert Brault et Joël Monéger, ont mis en exergue un texte que les spécialistes des baux commerciaux ne connaissaient pas nécessairement, à savoir l’alinéa 2 de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier. En vertu de ce texte, «est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision». La loi oblige ainsi les clauses d’échelle mobile à prévoir des périodes de variation indiciaire exactement de même durée que celle s’écoulant entre deux révisions contractuelles, le plus souvent d’une année. Si par exemple la clause a une périodicité annuelle, la durée s’écoulant entre les deux indices comparés doit également être d’une année, au plus. A défaut, la clause sera réputée non-écrite car créant une distorsion et pourra entraîner la restitution d’une partie des loyers considérée comme indue, l’une des très grandes difficultés étant de savoir sur combien d’années il est possible de «remonter» [4].
7. Dans ce contexte, ce sont d’abord les clauses à indice fixe qui ont été fustigées, la Cour de cassation jugeant toutefois raisonnablement qu’en elles-mêmes ces clauses n’étaient pas illégales [5]. D’ailleurs, en pratique, peu de clauses ont été considérées comme illégales [6]. Certaines l’ont cependant été [7]. La Cour de cassation a tenté de mettre fin aux oppositions doctrinales [8], en suggérant une interprétation très stricte de l’alinéa 2 de l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier [9]. Ce sont ensuite les clauses faisant varier le loyer uniquement à la hausse qui ont été sanctionnées au regard de l’ordre public monétaire et financier [10], au regard en réalité d’un principe jurisprudentiel dont la constitutionnalité n’a pu être remise en cause [11].
8. Quoi qu’il en soit, le contentieux des clauses d’échelle mobile étant toujours très nourri sur le terrain de la distorsion au regard de l’ordre public monétaire et financier [12], la présente décision du 13 septembre 2018 doit être analysée avec minutie, tout en la mettant en perspective avec deux arrêts du 17 mai 2018.
B - L’absence de distorsion
9. Au cas d’espèce, le bail avait commencé à courir le 1er janvier 1994 et l’indexation devait intervenir à cette date ; le renouvellement était intervenu en fin de compte sur le droit de repentir du bailleur à la date du 1er février 2016. Les conséquences sur l’indexation étaient la suivante : il y avait un décalage entre l’intervalle de variation indiciaire (du deuxième trimestre 2005 au deuxième trimestre 2006 : douze mois) et la durée écoulée entre deux révisions (du 1er février 2006 au 1er janvier 2007 : onze mois). D’où l’invocation de la réputation du non-écrit par le preneur, cette distorsion opérant mécaniquement, selon ce dernier, un effet amplificateur lors des indexations suivantes pendant toute la durée du bail.
10. La SCI bailleresse forme un pourvoi. Elle y développe deux moyens. Selon le premier, la clause d’indexation ne comportait pas en elle-même une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée écoulée entre deux indexations, ce qui exclut qu’elle soit réputée non-écrite. Selon le second moyen, la distorsion prohibée n’a pas été intentionnellement recherchée par les parties, mais provient uniquement de la date de renouvellement du bail. La Cour de cassation ne suit que partiellement ce raisonnement. Elle casse l’arrêt au visa de l’article L. 112-1, alinéa 2, du code monétaire et financier. La clause ne doit pas être réputée non-écrite puisque «la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail […] et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer».
11. En somme, l’application de la clause crée une distorsion. Néanmoins, cette distorsion n’est pas liée à la clause elle-même mais au décalage qui résulte de la date de renouvellement. Autrement dit, c’est la date de renouvellement qui peut aboutir à créer la distorsion, pas la clause elle-même. D’où sa validation.
12. Il est intéressant de relever que quelques mois plus tôt, dans un arrêt du 17 mai 2018, alors que des juges du fond avaient relevé une légère distorsion, ils n’avaient pas sanctionné pareille clause. La Cour de cassation s’était montrée pour sa part moins clémente en considérant que dès lors que les juges du fond constatent qu’une clause d’indexation crée une distorsion, ils n’ont aucun pouvoir d’appréciation au regard de la gravité de la distorsion engendrée par la clause : ils doivent déclarer cette clause non-écrite. Dans cette affaire, par application de la clause d’indexation, la première indexation avait eu lieu le 1er janvier 2000, quatre mois après la prise d’effet du bail, sur la base de l’indice du 2e trimestre 1998 comparé à celui du 2e trimestre 1999, soit une variation indiciaire d’un an, voire de moins d’un an puisque la première indexation avait eu lieu le 1er janvier 2000 alors que le loyer n’était entré en vigueur que le 1er septembre 1999, le bailleur tentant de soutenir qu’il s’agissait d’une actualisation de loyer et non d’une indexation. Malgré cette distorsion, légère il est vrai, la cour d’appel avait refusé d’écarter la clause car les effets de la distorsion ainsi créés étaient minimes. L’article L. 112-1 du Code monétaire et financier étant d’ordre public, la Cour de cassation casse cette solution. Dans cette affaire également, une indexation avait été pratiquée à la suite du renouvellement du bail au 1er avril 2012. Le bail avait été renouvelé à effet du 1er avril 2012 et une indexation avait eu lieu le 1er janvier 2013. A la lecture des motifs de l’arrêt d’appel, on comprend que contractuellement, l’indexation intervenait le 1er janvier suivant la date d’effet du bail, puis tous les ans à la même date, et que le taux de variation était calculé en tenant compte de l’indice fixe du deuxième trimestre 1998. En l’espèce, le preneur faisait valoir que lors de l’indexation au 1er janvier 2013, il s’était écoulé quatorze ans de variation indiciaire, alors que le nouveau loyer n’était en vigueur que depuis neuf mois. La cour d’appel avait effectivement relevé une distorsion prohibée et déclaré la clause réputée non écrite. Toutefois elle avait donné raison au bailleur qui avait sollicité du juge une substitution de l’indice, le bailleur invoquant une disposition du bail prévoyant une substitution à l’indice de base fixe «si une raison empêchait le recours à cet indice». La Cour de cassation ne se prononce pas sur cette question mais elle ne valide pas pour autant la position des juges d’appel qui avaient accepté de substituer un indice à l’autre. On retiendra donc qu’une référence à un indice de base fixe n’est pas en elle-même illégale mais que si une distorsion effective est constatée, aussi infime soit-elle, elle doit être prohibée, ce qui en pratique signifie que le bailleur va devoir rembourser au preneur une partie du loyer indexé [13].
13. Dans l’arrêt du 13 septembre 2018, la distorsion était également minime. A l’inverse de l’arrêt du 17 mai 2018, la clause a été considérée comme valable. La différence entre ces deux affaires est que la distorsion dans l’arrêt du 17 mai était liée à l’application de clause elle-même, et non au décalage induit par la date d’effet du renouvellement.
14. Si donc la distorsion a pour cause l’application de la clause dans le cadre d’un renouvellement, la clause doit-elle être sanctionnée ? A lire l’arrêt sous commentaire, la réponse est négative. Il faut alors évoquer un autre arrêt en date du 17 mai 2018 [14].
15. Dans cette autre affaire, il s’agissait d’un bail qui avait prévu un indice fixe qui était l’ICC du quatrième trimestre de l’année 2013 pour un contrat prenant effet au 1er juillet 2014, l’indice de comparaison devant être celui du quatrième trimestre de l’année civile précédant le jour anniversaire de la révision. Par exemple, pour la première révision au 1er juillet 1995, il était fait référence à l’indice du 4ème trimestre 1994. Il y avait donc une parfaite adéquation entre la période de variation de l’indice et la durée s’écoulant entre chaque révision, conforme aux exigences de l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier. La régularité initiale de la clause d’indexation en elle-même n’était pas contestée. Toutefois, à raison d’une variation de plus de 25 % du loyer du fait de la clause d’échelle mobile, le bailleur avait, sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5037I3X), sollicité la révision du loyer pour voir appliquer le retour à la valeur locative, selon lui supérieure au montant atteint par cette variation. Cette demande de révision fut signifiée le 23 décembre 2009. La société locataire avait alors soutenu devant la cour d’appel que c’était la révision à la date du 23 décembre 2009 qui provoquait cette distorsion prohibée. En effet, la date retenue dans le contrat de bail était le 1er juillet de chaque année. Le preneur avait alors considéré que la révision avait entraîné une modification de l’intervalle de révision convenu initialement et avait induit nécessairement une distorsion prohibée rendant la clause d’indexation illicite puisque la nouvelle période de révision du nouveau loyer n’est plus en concordance avec l’intervalle de variation indiciaire.
16. Néanmoins, la cour d’appel avait jugé que s’agissant de la révision à venir, à supposer que le juge de la révision fixe le loyer révisé à une date distincte de celle prévue par la clause d’indexation (ce qui était le cas en l’occurrence), il lui appartiendra également d’adapter le jeu de la clause d’échelle mobile à la valeur locative par application de l’article R. 145-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L0052HZX), de sorte que la révision du loyer ne peut elle-même organiser la distorsion prohibée. En effet, en présence d’une clause d’échelle mobile, régulière, prévoyant que le loyer sera indexé chaque année au 1er juillet, la demande de révision du loyer formée par le bailleur le 23 décembre 2009 sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L5037I3X) n’entraîne pas une distorsion interdite par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, «le juge devant adapter le jeu de la clause d’échelle mobile à la valeur locative». Du fait de la distorsion mécanique liée à la révision sur le fondement d’une variation de plus de 25 %, il est nécessaire qu’un correctif puisse être apporté. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation ajoute que les juges du fond peuvent adapter la clause d’indexation en fonction de la nouvelle échéance légale. S’il est vrai que l’article R. 145-22, alinéa 1er, du Code de commerce selon lequel «le juge adapte le jeu de l’échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande» ne vise expressément que l’adaptation de la clause d’indexation au regard de la valeur locative, on ne saurait se fonder exclusivement sur la lettre du texte pour considérer que le juge est privé de tout pouvoir d’adaptation l’empêchant de corriger la distorsion mécanique liée à son pouvoir de révision : le juge doit donc pouvoir remettre en concordance la clause d’indexation lorsque la distorsion résulte de sa seule intervention.
17. Ce dernier exemple montre que la distorsion peut découler de la situation elle-même, non pas directement de la clause. C’est ainsi que la distorsion peut résulter de la date d’effet du bail lors du renouvellement, comme dans l’arrêt commenté, ou encore de l’application par le juge de la variation de plus du quart de l’article L. 145-39 du Code de commerce. Il nous semble que dès lors que ces distorsions ne sont pas volontaires, mais sont imposées par la situation en cours du contrat de bail commercial, la clause d’indexation ne doit pas être invalidée [15]. Telle est la voie dans laquelle la Cour paraît s’être engagée à propos des clauses d’échelle mobile.
18. La solution est heureuse, sans conteste. Mais elle n’est pas sans conséquences car valider une clause dont la mise en œuvre aboutit à créer une distorsion oblige à reprendre la plume.
II - Les conséquences de la validation de la clause
19. La clause d’échelle mobile est validée car la distorsion qu’elle engendre n’est pas liée à sa rédaction mais à son application induite par la situation, en l’occurrence le décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu au 1er février 2006 et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer fixée au 1erjanvier 2006. Certes. Mais comment alors procéder ?
20. Jean-Pierre Blatter estime que «[…] dans tous les cas où il est possible de faire signer un bail renouvelé plutôt que de se satisfaire, en vertu de l’article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4), de la décision de justice qui vaut bail, il est évident que le rédacteur devra veiller ou devra avoir prévu dès le bail initial que la clause d’indexation sera ‘recalée’ pour éviter d’ouvrir la voie à des procédures de ce type. De même la signature d’un avenant sera l’occasion de ‘recaler’ la date de l’indexation et l’indice de référence». On voit ainsi qu’il est nécessaire de reprendre la plume voire de prévoir dans le contrat la possibilité de reprendre la plume -peut-être sur le fondement du nouvel article 1195 du Code civil (N° Lexbase : L0909KZP) voire sur celui du déséquilibre significatif ?- afin d’adapter/actualiser la clause d’échelle mobile en modifiant les dates anniversaires que sont la date d’indexation et le trimestre de l’indice de référence.
21. Cela n’est pas sans inconvénient car il faut que les parties soient d’accord, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans toutes les hypothèses. Et si les parties sont d’accord pour que le rédacteur du contrat reprenne la plume, encore faut-il qu’elles soient d’accord également sur la forme de la modification : soit une modification directe du contrat, soit une modification par avenant. En fonction de la situation, parfois, seule une modification par avenant sera possible. On peut ici citer un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence un peu surprenant, ayant jugé que «la clause résolutoire ne peut valablement être mise en œuvre par le bailleur que pour les seules obligations du preneur clairement et expressément mentionnées dans le contrat de bail commercial en cause. Il ne peut être procédé dans le nouveau bail par référence aux clauses figurant dans le précédent bail liant les parties. Le bailleur ne peut donc invoquer à la suite de la délivrance de son commandement contemporain du nouveau bail des manquements du preneur à des obligations qui ne figurent pas dans le bail en cours pour constater la résiliation de plein droit du bail. La référence de ce bail à certaines clauses du précédent bail commercial est sans valeur. Il convient en conséquence dans cette hypothèse de rejeter la demande du bailleur tendant à la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire» [16]. La modification par avenant n’est pas toujours susceptible de procéder aux actualisations du contrat que les parties désirent.
22. Serait-il possible alors de faire peser sur le juge cette obligation d’actualiser le contrat ? Cela paraît plus qu’hasardeux. Il n’est en effet pas certain du tout que les juges acceptent pareille mission. D’ailleurs, aucun fondement juridique ne saurait les contraindre en ce sens. Certes, si la distorsion résulte de l’application de la clause par le juge, on peut imaginer, mais uniquement et exclusivement dans ce cas-là, comme dans l’un des arrêts du 17 mai 2018, qu’entre dans l’office du juge la possibilité (et non l’obligation) d’adapter le jeu de la clause, encore qu’en vertu de l’article R 145-22 alinéa 1er du Code de commerce «le juge adapte le jeu de l’échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande». Mais, hormis ce cas-là, on ne voit pas bien dans quelle situation le juge pourrait être contraint de refaire le contrat à propos de la clause d’échelle mobile [17].
23. Si donc les parties n’acceptent pas que le rédacteur du contrat modifie la clause d’échelle mobile pour actualiser les dates anniversaires en matière d’indexation, et si le juge lui-même ne peut être contraint d’y procéder, la question se pose inévitablement du calcul auquel il faut procéder pour obtenir la bonne indexation. Certainement alors que l’expert, comme il le ferait sur d’autres sujets, pourrait suggérer telle ou telle valeur et telles ou telles dates de référence.
24. Faudrait-il par conséquent prévoir une clause, comme aujourd’hui en matière de loyer binaire [18], de recours au juge des loyers commerciaux, afin que celui-ci fixe non pas le minimum garanti à la valeur locative, mais qu’en présence d’une clause d’échelle mobile aboutissant à une distorsion non pas du fait de sa rédaction mais du fait de son application en raison de la situation au cas d’espèce, les parties seraient contraintes sur sollicitation du juge de modifier leur contrat de bail commercial ? Nous ne le pensons pas car ce serait aller trop loin dans l’atteinte à la liberté contractuelle.
25. La décision du 13 septembre 2018 est un appel à cesser le contentieux de la distorsion. Mais elle n’explique pas comment il faut alors procéder pour le calcul, pour la modification du contrat, etc.. La source de ce contentieux de la distorsion, qui puise son fondement dans un texte plus qu’aride voire «hors sol» voire encore dans un principe jurisprudentiel, n’est certainement pas prête de se tarir !
[1] CA Versailles, 25 avril 2017, n° 16/04214 (N° Lexbase : A5320WAB).
[2] J.-P. Blatter, Lettre d’actualité du bail commercial octobre 2018, www.blatter.fr.
[3] Sur lequel V., J.-P. Blatter, Lettre d’actualité du bail commercial - octobre 2018, préc. ; Dalloz Actualité, 8 octobre 2018, obs. M. Ghiglino ; Navis, Actualités droit des affaires, 4 octobre 2018 ; J. Prigent, Lexbase, éd aff., 2018, n° 565 (N° Lexbase : N5586BX8).
[4] Si les auteurs s’entendent sur l’imprescriptibilité de l’action en réputée non écrite de la clause d’indexation créant une distorsion, les auteurs conviennent également qu’une prescription s’applique ensuite afin de déterminer la date jusqu’à laquelle il est possible de «remonter» pour obtenir les remboursements des trop-perçus. Il faudra que tôt ou tard que la Cour de cassation tranche ce point de droit qui continue de diviser les auteurs et qui surtout ne permet pas de savoir avec exactitude jusqu’à quelle date il est possible de «remonter» dans le temps pour réclamer la restitution de l’indu. Si l’imprescriptibilité de l’action en réputée non écrite de ladite clause n’est pas si évidente, la date jusqu’à laquelle il est possible de «remonter» dans le temps pour régulariser les loyers n’est pas plus évidente. Certains auteurs invoquent la prescription quinquennale de droit commun.
[5] Cass. civ. 3, 16 octobre 2013, n° 12-16.335, FS-P+B (N° Lexbase : A0870KNK) ; Bull. civ. III, n° 129 ; JCP éd. E, 2014, 1108, note H. Kenfack ; D., 2013, p. 2464, obs. Y. Rouquet ; D., 2014, p. 1000, obs. A. Pic ; RJDA, 2014, n° 12 ; AJDI, 2014, p. 36, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; AJDI, 2014, p. 1, point de vue J.-P. Blatter ; Gaz. Pal., 24-26 novembre 2013, n° 328-330, p. 23, note J.-D. Barbier ; Administrer, décembre 2013, p. 40, obs. Sainturat ; Rev. Loyers, 2013, p. 491, obs. M.-O. Vaissié et H. Chaoui ; Loyers et copro., 2014, comm. 39, obs. B. Vial-Pedroletti ; Ann. Loyers, 2013, p. 1996, nos obs. ; Cass. civ. 3, 11 décembre 2013, n° 12-22.616, FS-P+B (N° Lexbase : A3495KRU) ; Bull. civ. III, n° 159 ; JCP éd. E, 2014, 1108, note H. Kenfack ; Loyers et copro., 2014, repère 1, J. Monéger ; Rev. Loyers, 2014, p. 8, obs. M.-O. Chaoui et H. Vaissié ; D., 2014, actu. p. 6, obs. Y. Rouquet ; D., 2014, p. 1003, obs. A. Pic ; D., 2014, p. 1659, spéc. p. 1665, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI, 2014, p. 1, point de vue J.-P. Blatter ; AJDI, 2014, p. 136, note F. Planckeel et A. Antoniutti ; BRDA, n° 1/14, inf. n° 20 et 22 ; Administrer, février 2014, p. 31, obs. J.-D. Barbier ; Gaz. Pal., 2014, p. 1107, obs. D. Houtcieff ; Gaz. Pal., 2014, p. 1157, obs. Ph.-H. Brault ; J. Prigent, in Chron., Lexbase, éd. aff., 2013, n° 363 (N° Lexbase : N9990BT8) ; D., 2014, p. 344, nos obs. ; Cass. civ. 3, 27 janvier 2015, n° 13-25.576, F-D (N° Lexbase : A7056NAL), JCP éd. E 2015, 1170, nos obs. ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Hebdo éd. aff., 2015, n° 411 (N° Lexbase : N5847BU4) ; D. 2015, p. 1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
[6] Cass. civ. 3, 25 février 2016, n° 14-28.165, FS-P+B (N° Lexbase : A4429QDE), Loyers et copro., 2016, comm. 96, note S. Regnault ; Rev. Loyers, 2016, p. 188, note H. Chaoui ; Administrer, mai 2016, p. 25, note J.-D. Barbier ; D., 2016, p. 1028, obs. A.-L. Collomp ; JCP éd. E, 2016, 1228, nos obs. ; Cass. civ. 3, 7 mai 2014, n° 12-22.637, FS-D (N° Lexbase : A9341MK8) ; Loyers et copro. 2014, comm. 212, obs. Ph.-H. Brault ; AJDI 2014, p. 783, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Hebdo éd. aff., 2014, n° 381 (N° Lexbase : N2179BUA). V. également, CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 26 juin 2013, n° 11/15966 (N° Lexbase : A0242KIS), J. Prigent, Lexbase, éd. aff., 2013, n° 350 (N° Lexbase : N8495BTS).
[7] Cass. civ. 3, 3 déc. 2014, n° 13-25.034, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0655M7E) ; D., 2015, p. 1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; D. Actualité, 10 décembre 2014, obs. Y. Rouquet ; AJDI, 2015, p. 283, note F. Planckeel et A. Antoniutti ; Administrer, janvier 2015, p. 47, note J.-D. Barbier ; Loyers et copro., 2015, comm. 13, obs. E. Chavance ; Gaz. Pal., 12 avril 2015, n° 102-104, p. 20, note Ch.-E. Brault ; Rev. Loyers, 2015, p. 32, note B. de Lacger ; AJDI, 2015, p. 283, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; Opérations immobilières, janvier 2015, p. 34, note H. Chaoui ; JCP éd. E, 2015, 1006, nos obs.. Sur renvoi : CA Versailles, 20 octobre 2015, n° 15/00545 (N° Lexbase : A6871NTN) ; puis Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 15-28.691, FS-P+B (N° Lexbase : A1981TCD), Dalloz Actualité, 14 mars 2017, obs. A. Cayol ; D., 2017. 405 ; AJDI, 2017, 430, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; JCP éd. E, 2017, 1173, nos obs. ; J. Prigent, in Chron., Lexbase, éd. aff. 2017, n° 501 (N° Lexbase : N7067BWN).
[8] J. Monéger, La périodicité dans la clause d'indexation du loyer et l'ordre public monétaire, Loyers et copro., 2011, étude 9 ; JCP éd. E, 2011, 1723 ; Ph.-H. Brault, Bail commercial et indexation du loyer : questions posées et réponses récentes, Loyers et copr. 2013, étude 8 ; JCP éd. E 2013, 1455 ; A. Confino, Les loyers progressifs et les règles statutaires et monétaires, AJDI, 2013, p. 403 ; A. Jacquin, Clauses d'indexation : variations autour de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier, Gaz. Pal., 3 août 2013, n° 215, p. 19 A. Jacquin Interprétation de l'art. L. 112-1 : quand l'esprit l'emporte sur la lettre, Gaz. Pal. 2012, p. 2620 ; S. Legrix de la Salle, Bail commercial et loyer : la consécration judiciaire de la validité des clauses d'indexation ayant recours à un indice de base fixe, JCP éd. E, 2012, 1503. L. Auriac, Loyer : clauses de révision, d'indexation et d'échelle mobile. Première partie : généralités, AJDI, 2013, p. 667 ; ibid., Seconde partie, AJDI, 2013, p. 747 ; BRDA, n° 21/12, comm. 25 ; E. Chavance, Le nouveau régime des clauses d'indexation : Loyers et copr., 2014, étude 2. Nos obs., Le loyer du bail commercial et la question de la périodicité de la clause d'indexation, Ann. loyers 2012, p. 975. - Du même auteur, Validité de la clause d'échelle mobile comportant un indice de base fixe, Ann. Loyers, 2012, p. 2299.
[9] Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 15-28.691, préc..
[10] Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B (N° Lexbase : A9444N38), P. Dumont-Lefrand ; AJDI, 2016, p. 365, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 157, point de vue J.-P. Dumur ; RTDCom., 2016. 56, obs. J. Monéger ; JCP éd. E, 2016, 1132, nos obs. ; Cass. civ. 3, 30 mars 2017, n° 16-13.914, FS-P+B (N° Lexbase : A1081UT9), Dalloz Actualité, 6 avril 2017, note Y. Rouquet ; D., 2017, p. 814 ; ibid. p. 1572, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI, 2017, p. 588, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. p. 473, point de vue J.-P. Dumur ; CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 20 janvier 2016, n° 13/21626 (N° Lexbase : A2179N4H), AJDI, 2016, p. 360, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; CA Versailles, 10 mars 2015, n° 13/08116 (N° Lexbase : A0193NDI) ; JCP éd. E, 2015. 1231, obs. B. Brignon ; Loyers et copro., 2015, comm. n° 225, obs. P.-H. Brault ; CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 20 janvier 2016, n° 13/17680 (N° Lexbase : A2330N43) ; JCP éd. E 2016, 1165. Adde CA Paris, 24 janvier 2018, Pôle 5, 3ème ch., n° 16/09460 (N° Lexbase : A5444XBA qui considère également que c’est toute la clause qui doit tomber compte tenu de son caractère indivisible). Quant aux clauses «capées», certains juges du fond commencent à les sanctionner : CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 7 février 2018, n° 16/07034 (N° Lexbase : A9487XCD). Adde Ch. Denizot et G. Trautmann, Le sort des clauses d'indexation ne jouant qu'à la hausse dans les baux commerciaux, JCP éd. N, 2016, 1120, note sous Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B (N° Lexbase : A9444N38) : «Mais attendu, d'une part, qu'ayant exactement relevé que lorsqu'il répute non écrite une clause de répartition de charges, le juge doit procéder à une nouvelle répartition, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la décision de réputer non écrite une telle clause ne peut valoir que pour l'avenir et ne peut prendre effet qu'à compter de la date où la décision a acquis l'autorité de la chose jugée». Cf. également, Cass. civ. 3, 10 juillet 2013, n° 12-14.569, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8711KIH) ; JCP éd. N, 2013, act. 828 ; Cass. civ. 3, 21 janvier 2014, n° 12-26.689, F-D (N° Lexbase : A0016MDX) ; Loyers et copr. 2014, comm. 91, note G. Vigneron.
[11] Cass. QPC, 15 février 2018, n° 17-40.069, FS-D (N° Lexbase : A8333XDY).
[12] A. Antoniutti, Baux commerciaux et ordre public monétaire et financier : le cas des clauses d'échelle mobile, Loyers et copro., 2017, dossier 11.
[13] Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 17-11.635, FS-D (N° Lexbase : A4508XNB) ; J-.P. Blatter, Lettre d’actualité du bail commercial - juin 2018, www.blatter.fr ; Loyers et copro., 2018, comm. 175, note E. Chavance.
[14] Cass. civ. 3, 17mai 2018, n° 17-15146, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9691XMU), Dalloz Actualité, 13 juin 2018, note M. Ghiglino ; J. Prigent, Lexbase, éd. aff., 2018, n° 556 (N° Lexbase : N4555BXY).
[15] Même si les juges ont déjà eu l’occasion de sanctionner des clauses d’indexation aboutissant à des distorsions involontaires, du fait par exemple de l’application d’un avenant.
[16] CA Aix-en-Provence, 19 avril 2018, n° 2018/200 (N° Lexbase : A2510XUI).
[17] La Cour de cassation a par exemple indiqué, dans son avis du 9 mars 2018, qu’il n’entrait pas dans l’office du juge d’arrêter l’échéancier dans le cadre du lissage à 10 % en matière de loyer sur renouvellement (Cass. avis, 9 mars 2018, n° 15004 N° Lexbase : A6836XGB).
[18] Sur lequel v., CA Lyon, 28 juin 2018, n° 16/09607 (N° Lexbase : A2064XUY), Loyers et copro., 2018, comm. 200, note Ph.-H. Brault.
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