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N7768BSI
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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
le 20 Octobre 2011
Le Conseil d'Etat vient, une nouvelle fois, de préciser les conditions de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, dont bénéficient les agents publics lorsqu'ils sont victimes de menaces ou injures (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droit et obligations des fonctionnaires, art. 11 N° Lexbase : L5204AH9). Fidèle à sa ligne jurisprudentielle extensive (1), le Conseil estime, dans cette affaire, que le fait générateur de l'obligation de la collectivité employeur doit être fixé à la date à laquelle l'agent est mis en cause. Comme son nom l'indique, la protection est "fonctionnelle", ce qui signifie qu'elle vient garantir l'agent au titre de l'exercice de ses fonctions, quand bien même il aurait quitté celles-ci. Dans la circulaire DGAFP (B8 n° 2158) du 5 mai 2008, relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l'Etat (N° Lexbase : L8932H39), le ministère de la Fonction publique indique, en ce sens, que les fonctionnaires retraités ont droit à la protection. De même, l'article 71 de la n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), dispose que la collectivité débitrice de l'obligation est celle qui emploie l'agent à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire à celui-ci.
Dans l'affaire qu'il a eu à juger, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur le cas d'un praticien hospitalier contractuel. L'engagement de l'agent a cessé fin 2007 et ce n'est qu'un mois plus tard qu'il a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle. Les agents non-titulaires disposant de ce droit (2), il est parfaitement logique que l'obligation de la collectivité ne cesse pas avec leur départ du service, dans la mesure où les faits sont antérieurs à ce départ. Il aurait été excessivement sévère d'exiger de l'agent qu'il fasse sa demande de prise en charge des frais de défense avant son départ du service, et ce, d'autant plus que le contrat à durée déterminée de la requérante avait fait l'objet d'une décision de non-renouvellement. Poussant le raisonnement jusqu'à son terme, l'arrêt va même plus loin en indiquant que la circonstance que la personne qui demande le bénéfice de cette protection a perdu la qualité d'agent public à la date de la décision statuant sur cette demande est sans incidence sur l'obligation de protection.
La censure du jugement du tribunal administratif, pour erreur de droit ne va pas, pour autant, permettre à la requérante d'obtenir gain de cause. En effet, le rejet d'une demande de protection fonctionnelle peut être fondé lorsque l'agent se plaint de menaces, outrages ou injures (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droit et obligations des fonctionnaires, art. 11, al. 3), par un motif d'intérêt général (3). L'arrêt commenté s'inscrit sur ce point dans une évolution qui tend à renforcer les pouvoirs de l'administration. Dans le sillage de l'arrêt "Teitgen" (4) du 15 février 1975, les affaires "Deleuze" (5) et "Vincent" (6) avaient permis de juger que le souci d'apaisement d'une situation conflictuelle n'était pas de nature à caractériser un motif d'intérêt général autorisant le refus de la protection fonctionnelle. Cependant, dans l'arrêt "Bertrand" (7) du 20 avril 2011, le Conseil d'Etat a jugé que relève de l'intérêt général un refus fondé sur le fait que "l'Etat ne saurait couvrir de son autorité les agissements d'un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l'intimité de la vie privée de ces personnes".
Eu égard aux circonstances très particulières de cette dernière affaire, ainsi qu'à ses aspects politiques, la solution a été présentée comme une décision d'espèce (8). Si l'on admet cette hypothèse, il faut, également, reconnaître que l'arrêt rendu le 26 juillet 2011 illustre, quant à lui, un infléchissement de la jurisprudence traditionnelle. Le refus -implicite- opposé par le centre hospitalier se trouve justifié par l'existence d'un climat gravement et durablement conflictuel au sein du service, qui résultait, au moins pour partie, du comportement de l'intéressé, que la poursuite de l'action en diffamation engagée par celle-ci ne pouvait qu'aggraver, et qui était susceptible d'avoir une incidence sur la qualité des soins assurés dans l'établissement. La volonté d'apaisement l'a donc cette fois-ci emporté. Le fait que l'agent ne fasse plus partie du service y a certainement été pour quelque chose. L'orientation prise par le Conseil d'Etat frappe d'autant plus que le refus de faire bénéficier l'agent de la protection fonctionnelle était né du silence gardé par l'administration. Ainsi, c'est en l'absence de toute justification de la part de l'établissement public employeur que le juge administratif a estimé qu'il ressortait des pièces du dossier que l'intérêt général excluait le droit à protection. Dans une précédente affaire, le silence de l'administration avait joué en sa défaveur (9). Dans une matière où, jusqu'à une date récente, la jurisprudence se refusait à déceler un motif d'intérêt général propre à faire échapper l'administration à son obligation (10), le revirement est important.
Le Conseil d'Etat vient d'apporter une précision quant à la mise en oeuvre du régime de la suspension conservatoire de leurs fonctions dont les agents titulaires peuvent faire l'objet, en application de l'article 30 du titre I du Statut général de la fonction publique (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droit et obligations des fonctionnaires, art. 30 N° Lexbase : L2682E3Q). Selon ce texte, "en cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline". D'une durée de quatre mois maximum lorsqu'elle est la conséquence d'une faute disciplinaire, la suspension est à durée indéterminée si l'agent se voit reprocher une infraction pénale. Au plan financier, le fonctionnaire conserve son traitement pendant quatre mois et est, ensuite, placé à mi-traitement.
En l'espèce, un agent occupant un poste de chargé de mission auprès du Préfet de police de Paris a été suspendu de ces fonctions, en 2008, après avoir été mis en cause dans une affaire pénale. Ayant bénéficié d'un non-lieu, en 2010, cet agent a sollicité l'abrogation de l'arrêté le suspendant et son affectation dans un emploi correspondant à son grade. Le Conseil d'Etat rejette la requête au motif que "le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension est maintenu en position d'activité, a droit en cette qualité à des congés de maladie ou de longue maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions qu'il exercerait s'il n'était pas suspendu et bénéficie du régime de rémunération afférent à ces congés".
La solution permet de rappeler que la suspension n'est que la conséquence du maintien de l'agent en position d'activité. Il ne s'agit que d'une mesure à caractère provisoire, qui n'est pas de nature disciplinaire, et qui n'a donc pas pour conséquence de modifier la condition statutaire de l'agent ; celui-ci étant empêché d'exercice ses fonctions afin de ne pas perturber le bon fonctionnement du service. Dans un arrêt du 22 février 2006 (11), le Conseil d'Etat a déjà jugé que la suspension conservatoire ne fait pas disparaître le droit de l'agent à bénéficier d'un congé de maladie. Dans cette précédente affaire, l'agent demandait à être placé en congé, ce qui ne pouvait lui être refusé du seul fait qu'il se trouvait suspendu. Dans l'arrêt du 26 juillet 2011, la question posée était différente. Il s'agissait de tirer les conséquences juridiques du placement en congé de maladie du fonctionnaire suspendu, vis-à-vis de l'arrêté prononçant cette suspension. Dans la mesure où l'agent est et demeure en position d'activité, le placement en congé implique nécessairement que la mesure de suspension soit considérée comme implicitement abrogée. En effet, elle ne saurait perdurer, puisqu'elle est incompatible avec la mise en congé, notamment en terme financier (12). Le droit à congé l'emporte donc sur la prérogative de suspension. C'est la conséquence du maintien du lien statutaire entre l'agent et son administration. Cependant, le congé ne peut constituer qu'une parenthèse puisque la collectivité publique peut décider à nouveau, à l'issue du congé, de suspendre l'agent si les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeurent remplies.
Au plan contentieux, l'abrogation implicite de l'arrêté portant suspension induit que l'agent mis en congé ne peut plus le contester. S'agissant de conclusions d'annulation du refus de confier à l'agent un emploi, elles sont rejetées de manière en quelque sorte "temporaire", puisque, si le Conseil d'Etat ne peut que constater que le fonctionnaire n'est pas en mesure -en raison du congé de longue maladie- d'occuper un emploi, il prend soin de préciser qu'il appartiendra au ministre, si l'agent est reconnu apte à l'issue de son congé de longue maladie, de l'affecter dans un emploi correspondant à son grade.
Dans son discours, prononcé à Nantes le 19 septembre 2007, Nicolas Sarkozy affichait son intention d'ouvrir le chantier de la réforme des rémunérations des fonctionnaires. En mai 2009, le député Michel Diefenbacher rendait au Premier ministre un rapport sur l'intéressement collectif dans la fonction publique. Fort de ces prémisses, le décret n° 2011-1038 du 29 août 2011, publié au Journal officiel du 1er septembre 2011, vient fixer le cadre général de cette forme de récompense du mérite professionnel dans la fonction publique de l'Etat. Le même jour, une circulaire est venue expliciter le régime juridique de cette nouvelle prime. Le Gouvernement souhaite que ce mécanisme soit opérationnel dès 2012, afin que les premières primes soient versées en 2013.
1) Les contours de la prime d'intéressement
La prime d'intéressement vient récompenser la performance collective dans les services de l'Etat ou de ses établissements publics. Toutefois, il convient d'emblée de préciser que le décret du 29 août 2011 ne constitue qu'un texte-cadre. Sa mise en oeuvre effective va nécessiter des décrets, qui établiront la liste des ministères ou établissements publics concernés, ainsi que des arrêtés ministériels (ou arrêtés du Premier ministre pour les direction interministérielles) dont l'objet sera, d'une part, de déterminer la liste des services susceptibles d'induire le versement de la prime, et, d'autre part, de fixer les critères d'évaluation de la performance desdits services. La circulaire du 29 août précise que c'est au sein de chaque ministère que le niveau pertinent d'éligibilité de la prime doit être retenu (administration centrale, services déconcentrés ou service des établissements publics). Ces arrêts seront pris après avis des comités techniques paritaires.
Si la prime d'intéressement est censée couvrir un spectre large (administrations publiques de l'Etat, mais, également, établissement public à caractère industriel et commercial employant des fonctionnaires en position d'activité, voir infra), l'article 2 du décret prévoit, néanmoins, la possibilité de maintenir certains services en dehors du champ de l'intéressement collectif. Cette exclusion est conditionnée "à la nature ou aux conditions d'exercice de leur mission", sans que l'on en sache plus à ce stade.
Le dispositif d'intéressement repose sur une exigence de performance des services publics. Le but est de valoriser les efforts réalisés collectivement. Comme le note la circulaire du 29 août, "l'intéressement collectif dans la fonction publique de l'Etat doit être le mécanisme privilégié d'articulation entre les objectifs assignés collectivement aux administrations et les objectifs professionnels des agents". Par suite, l'article 2 du décret suppose la détermination, par le ministre compétent, des objectifs, des indicateurs et des résultats à atteindre sur une période de douze mois consécutifs, ainsi que des modalités de certification des résultats obtenus sur cette période. Sur ce point, la circulaire propose quatre types d'objectifs qui pourraient être déclinés de manière pertinente et vérifiable :
- indicateurs relatifs à la conduite des politiques publiques et à la qualité du service rendu ;
- indicateurs relatifs à la maîtrise des coûts et à l'efficience des services ;
- indicateurs relatifs à la gestion des ressources humaines ;
- indicateurs relatifs au développement durable.
Quant à la certification, elle doit être confiée à des organes présentant une certaine extériorité vis-à-vis des services en charge de la gestion des politiques ministérielles, tels que les inspections générales ou les corps de contrôle. Si les objectifs fixés sont atteints, c'est l'ensemble du service concerné qui bénéficiera de la prime. Cela implique que celle-ci a un caractère forfaitaire pour l'ensemble des agents éligibles (voir infra), sous réserve du fractionnement applicable aux personnels à temps partiel et des dispositions du décret n° 2010-997 du 26 août 2010, relatif au régime de maintien primes et indemnités des agents publics de l'Etat et des magistrats de l'ordre judiciaire dans certaines situations de congés (N° Lexbase : L9767IMP). Dans la circulaire, le Gouvernement souhaite que les montants en jeu soient significatifs, afin d'être mobilisateurs pour les agents. Cependant, la prime ne saurait dépasser le montant maximal déterminé chaque année par arrêté conjoint du ministre intéressé et des ministres en charge respectivement du Budget et de la Fonction publique (article 5 du décret). Cet aspect réducteur est atténué par le fait que la prime peut être cumulée avec toute autre indemnité, à l'exception des indemnités (article 7 du décret).
2) Les agents bénéficiaires
Le décret rend, a priori, éligibles les agents des administrations de l'Etat, de ses établissements publics, ainsi que des juridictions. Plus précisément, sont concernés, dans les services relevant de l'Etat et les EPA, les fonctionnaires, les magistrats et les agents non titulaires d'un même service ou groupe de services. Cela englobe donc les agents publics civils, titulaires ou non, ainsi que les ouvriers de l'Etat, magistrats mais, également, les salariés de droit privé. Dans les EPIC, seuls sont visés les fonctionnaires d'un même service ou groupe de services affectés en position d'activité dans l'établissement. La prime sera versée aux agents en position d'activité, de même qu'à ceux (titulaires ou contractuels) mis à disposition par leur administration d'origine.
L'article 3 du décret subordonne le bénéfice de la prime à une condition de présence effective dans le service d'une durée minimale d'au moins six mois. Ces six mois de présence sont appréciés sur la période de douze mois consécutifs qui constitue la période de référence du dispositif d'intéressement. Ce texte fait preuve d'une grande compréhension de ce qu'il faut entendre par présence effective. Il indique que sont regardées comme périodes de présence effective les durées des congés annuels, des congés de maladie ordinaires, des congés liés à la réduction du temps de travail, des congés pris au titre du compte épargne temps, des congés de maternité ou pour adoption, des congés de paternité, des congés pour accident de service ou maladie contractée dans l'exercice des fonctions, des congés pour formation syndicale et des autorisations d'absence ou décharges de service pour l'exercice d'un mandat syndical, ainsi que les durées des périodes de formation professionnelle, à l'exception de la durée du congé pour formation professionnelle. Par ailleurs, l'article 3-2° du décret dispose que les services accomplis à temps partiel sont pris en compte comme des services accomplis à temps plein.
Bien qu'accueillant, le dispositif connaît des limites. Un agent pourra être exclu du bénéfice de la prime d'intéressement à la performance collective en cas d'insuffisance caractérisée dans la manière de servir (article 4 du décret). La circulaire indique que le pouvoir d'exclusion appartient au chef de service. L'exclusion ne pourra être prononcée que de manière annuelle et au vu des insuffisances de l'agent au titre de cette année-là. Elle devra être justifiée par des manquements répétés dans la manière de servir de l'agent et reposer sur des éléments caractérisant cette insuffisance, en particulier sur les résultats de la procédure d'évaluation ou d'entretien professionnel.
Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
(1) CE, Sect., 8 juin 2011, n° 312700, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5418HTT).
(2) CE, 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, concl. J. Chardeau, confirmé par l'article 50-II de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire (N° Lexbase : L1809ASS).
(3) CE, 25 juillet 2001, n° 210797, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5032AUW) ; CE référé, 8 mars 2010, n° 335543, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1669ETY) ; CE 4° s-s., 5 mai 2010, n° 326551, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1167EXI) ; CE 4° s-s., 4 avril 2011, n° 334402, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8931HMQ).
(4) CE, S., 14 février 1975, n° 87730, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9972B7H).
(5) CE, S., 24 juin 1977, n° 93480, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6733B8U).
(6) CE 1° et 4° s-s-r., 16 décembre 1977, n° 04344, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1478B8A).
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1029HPS), AJDA, 2011, p. 1141, note Lagrange.
(8) Note Lagrange, préc..
(9) CE 4° et 6° s-s-r., 28 mai 2003, n° 245069, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2335C9D), AJDA, 2004, p. 245, note Petit ; CE 9° et 10° s-s-r., 14 décembre 2007, n° 307950, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0915D3B).
(10) Voir, C. Maugüé et L. Touvet, AJDA, 1994, p. 374.
(11) CE 3° et 8° s-s-r., 22 février 2006, n° 279756, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2002DNH).
(12) Sur l'abrogation implicite découlant d'une incompatibilité entre deux normes successives, voir CE Avis, S., 23 avril 1997, n° 183689, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9653ADU).
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