La lettre juridique n°454 du 22 septembre 2011 : Éditorial

De la transgénèse de nos assiettes

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N7735BSB

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De la transgénèse de nos assiettes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4783407-de-la-transgenese-de-nos-assiettes
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Si l'argument de la liberté de commerce dame le pion au principe de précaution, ou inversement, dans le coeur des juges nationaux ou communautaires, il est bien difficile de départager pro et anti-OGM, dans la lutte contentieuse à laquelle ils se livrent depuis 40 ans. Dernier opus en date, et non des moindres, le 8 septembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne renvoyait au juge français le soin d'évaluer l'urgence sanitaire qu'il y a à suspendre, voire interdire, la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea mays L. lignée "MON 810", étant entendu que, lorsqu'un Etat membre entend adopter des mesures de suspension ou d'interdiction d'urgence sur le fondement du Règlement du 22 septembre 2003, il doit respecter tant les conditions de fond prévues par celui-ci que celles de procédure prévues par le Règlement du 28 janvier 2002. En clair, en l'absence d'étude scientifique démontrant un risque quelconque obligeant sa mise à l'Index, au titre du principe de précaution, la France ne peut ni suspendre, ni interdire la mise en culture d'un OGM sur un fondement subjectif, sous-entendu la peur des populations consommatrices face au concept même de transgénèse et le génie génétique dans son ensemble, surtout lorsqu'il est question d'agro-alimentaire. Deux jours auparavant, la même Cour rappelait, en revanche -et bien que cela ne soit pas contradictoire- que du miel contenant du pollen issu d'un OGM ne pouvait être commercialisé sans autorisation préalable. Un attitude prudente donc, principe de précaution oblige, mais des intérêts commerciaux également bien compris... C'est que l'Organisation mondiale du commerce veille au grain et ne manque pas de rappeler à l'ordre une Union européenne frileuse à l'égard des OGM, qu'elle considèrerait par trop comme l'ivraie.

Ce qu'il y a d'étrange, dans cette lutte acharnée entre pro et anti, par le truchement de contentieux interminables -faut-il souligner qu'à la suite de l'arrêt communautaire du 8 septembre, le ministre de l'Ecologie a indiqué que la France prendrait une nouvelle clause de sauvegarde si la remise en cause de cette suspension était définitivement annulée par le Conseil d'Etat devant lequel la procédure est toujours en cours-, sur fond de campagne d'arrachages et d'arrestations musclées des faucheurs délinquants, c'est que le problème d'appréhension des OGM, par les sociétés occidentales, n'est pas nouveau. Laissons de côté la question de la sélection issue de la mutation génétique spontanée des suites des habitudes et préférences agricoles des hommes depuis 10 000 ans -le maïs naturel d'aujourd'hui n'ayant rien de comparable avec celui que connaissaient nos aïeux de la révolution agricole- et celle de l'hybridation constituée par croisement de deux individus de deux variétés, sous-espèces, espèces ou genres différents : le résultat de ces mutations génétiques figurent, certes, au nombre des OGM, tels que les définissent les Etats-Unis, mais l'Union européenne opère bien une distinction entre la sélection, l'hybridation et la transgénèse. Si les premières supplantent le principe de précaution en ce qu'elles officient depuis des siècles dans l'assiette des hommes, les dernières, bien que quarantenaire, subissent toujours les affres de la suspicion. Faute d'analyses et de rapports incontestables sur l'inoffensivité de chaque OGM breveté, commercialisé ou mis en culture, le principe de précaution a beau jeu de retarder le développement des OGM en Europe.

Et, il est à craindre que la solution ne soit ni dans la multiplication des moratoires -le premier ayant été imposé dès 1977 devant la crainte des scientifiques eux-mêmes face à leur nouveau "pouvoir génétique"-, ni dans celle des contentieux, ni encore moins dans un diktat communautaire qui aurait tôt fait d'accentuer le sentiment de rejet général des populations envers l'idée d'une alimentation génétiquement modifiée. On omettra d'évoquer l'insuline produite par la bactérie escherichia coli, traitant la majorité des diabètes dans le monde, et l'on passera sur le fait que 95 % des cultures américaines (du nord comme du sud), de l'Inde et de la Chine est issue des OGM, sans que l'on constate un fléau ou une mise en danger des populations concernées. Encore rétorquerons nous que le manque de recul sur les effets néfastes d'une telle transgénèse sont loin d'être recensés, la commercialisation et le développement des terres cultivées sur la base d'OGM ne datant que des années 90.

Le conflit entre pro et anti-OGM n'est donc pas plus scientifique qu'il n'est juridique ; et l'invocation du progrès comme du principe de précaution confine volontiers à l'éristique. Ce conflit est assurément culturel et l'isolationnisme de l'Union européenne, et plus particulièrement de la France, est le signe d'un attachement profond et légitime à son terroir, à sa culture agricole, à son organisation agraire. Il y est, dès lors, question de souveraineté agricole et alimentaire face à la mondialisation alimentaire engendrée extrinsèquement par le développement des OGM. D'abord, la brevetabilité du vivant hérisse naturellement les partisans d'un environnement commun partagé et au service de tous ; ensuite, il est un fait que les OGM, qui sont pour la plupart des organismes modifiés afin de résister à un pesticide, à une bactérie ou à un insecte en particulier, supplanteront, à terme, les organismes naturellement plus faibles, sélection naturelle oblige, sauf que la main de l'homme biaise largement cette sélection qui s'opérait par la grâce de Dieu, du moins voulai- on bien le croire. Si bien qu'entre l'appropriation du patrimoine génétique des principaux produits agricoles de base de l'alimentation humaine par quelques firmes internationales et l'extinction de la biodiversité par une uniformisation des produits et cultures agricoles ne pouvaient que subir les fourches caudines d'un scepticisme gaulois, proche du gallicanisme en la matière, tant Paris semble vouloir se démarquer et recouvrer sa souveraineté face Rome (le Traité s'entend) en la matière.

Mais, cela sera sans compter sur une OMC vigilante qui rappelle, sans cesse, à l'ordre l'Union, comme en 2008, face à son obstruction dans la commercialisation des OGM produits par les firmes, notamment, américaines. Le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique, signé en 2000, semble de faible poids face aux mesures de sanction et de rétorsion que peuvent prendre les Etats-Unis et les pays émergents grands producteurs et utilisateurs d'OGM, dans le cadre de leur production agro-alimentaire à l'exportation.

A terme, l'on sent bien que le village gaulois n'aura plus guère d'arme juridique à son crédit pour contrer la prolifération des OGM sur son territoire et dans ses assiettes ; restera alors la traçabilité des composants alimentaires, comme on a pu le constater dans l'arrêt du 6 septembre sur le miel, bien que la loi permette, là encore, de taire la présence d'un composant génétiquement modifié, représentant moins de 0,9 % des composants totaux du produit commercialisé. On peut gager, dès lors, de longues files devant les rayons alimentaires des supermarchés, les ménagères s'attachant à décrypter les étiquettes de leurs produits préférés pour savoir si oui, ou non, elles soumettront leurs enfants à la loi de la transgénèse et de l'hégémonie alimentaire, la street et la junk food ayant, quant à elles, d'ores et déjà remporté la bataille des habitudes alimentaires...

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