Réf. : CE référé, 4 mai 2011, n° 348778 (N° Lexbase : A0989HQP)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 16 Juin 2011
L'arrêt est relatif à des jumelles nées en Inde de mère indienne et de père français pour lesquelles leur père avait sollicité, auprès du consulat général de France à Bombay, la transcription de leur acte de naissance sur les registres d'état civil français et la délivrance d'un passeport. Le consul général a saisi le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Nantes d'une suspicion de naissances obtenues au terme d'une procédure de gestation pour autrui et a refusé la délivrance des passeports.
Le père des enfants a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT) en vertu duquel "saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures".
Dans l'arrêt du 4 mai 2011, le Conseil d'Etat approuve le juge des référés lyonnais d'avoir admis que l'atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant commise par une administration fondait sa compétence au titre de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, ce qui constitue une solution inédite et ouvre sans aucun doute la voie à une mise en oeuvre élargie de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL).
En rejetant le recours du ministre des Affaires étrangères contre la décision du juge administratif, saisi en référé, d'ordonner la délivrance d'un document de voyage au bénéfice des enfants en cause, le Conseil d'Etat choisit clairement de faire primer une conception concrète de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui s'oppose à celle de la Cour de cassation à propos de la situation des enfants nés d'une convention de mère porteuse (I). Cette approche s'explique cependant sans doute par la portée limitée de la mesure ordonnée par le juge administratif (II).
I - La primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant envisagé in concreto
Double approche de l'intérêt supérieur de l'enfant. La mise en oeuvre du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant dans toute décision le concernant, consacré par l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'applicabilité n'est plus sujette à discussion, n'est pas aussi simple qu'elle pourrait paraître au premier abord. Il faut, en effet, s'interroger sur la question de savoir quelle conception de l'intérêt supérieur de l'enfant il convient de faire prévaloir. Cette notion peut être entendue de manière abstraite, c'est-à-dire sous forme de règle générale, valable pour tout enfant, ou de manière concrète c'est-à-dire sous forme de solution concrète et applicable à un enfant donné dans une situation donnée.
Appréciation abstraite de l'intérêt supérieur de l'enfant né d'une mère porteuse. En ce qui concerne les enfants nés dans le cadre de l'exécution d'une convention gestation pour autrui, la conception abstraite de l'intérêt supérieur de l'enfant aboutit à considérer que l'intérêt supérieur d'un enfant n'est pas de naître d'une mère porteuse et conduit à rejeter tout effet de cette convention. Selon un auteur en effet, "lorsqu'un enfant est l'objet d'une telle convention, ce n'est nullement son intérêt supérieur qui compte aux yeux du couple qui l'a commandé, car cet intérêt s'oppose justement à ce qu'il puisse être l'objet d'une telle convention pour éviter notamment qu'il soit l'objet d'un conflit de filiations" (2). C'est cette conception que la Cour de cassation a fait primer dans les arrêts du 6 avril 2011, pour refuser toute transcription sur les registres d'Etat civil français de l'acte de naissance des enfants nés au terme d'une procédure de gestation pour autrui. L'un de ses arrêts était relatif à l'affaire "Menesson" dans laquelle l'avocat général avait, dans son avis, conclu en faveur de la transcription des actes de naissance américain en se fondant, justement, sur l'intérêt supérieur de l'enfant apprécié de façon concrète.
Appréciation concrète de l'intérêt supérieur de l'enfant né d'une mère porteuse. Cette approche in concreto de l'intérêt supérieur de l'enfant, parfois dénoncée comme autorisant "toutes les variations, d'un cas à l'autre et aussi toutes les dérives" (3), consiste selon les termes mêmes de Monsieur l'avocat général Domingo à "privilégier l'aspect individuel des situations concrètes en cause, en s'attachant aux conséquences réelles sur la condition des enfants, des décisions ou mesures à prendre". Appliquée à la situation d'un enfant né d'une mère porteuse, cette conception de l'intérêt supérieur de l'enfant aboutit à se fonder sur la situation de l'enfant concerné par la décision et notamment à s'interroger sur la nécessité de lui donner les éléments d'identité nécessaire à son intégration dans sa famille et plus généralement dans le contexte dans lequel il est appelé à vivre. C'est bien cette conception que le Conseil d'Etat fait prévaloir dans l'ordonnance du 4 mai 2011 en se fondant sur la réalité de la filiation paternelle des enfants en cause -établie par leur acte d'état civil et un texte ADN- et sur la situation de leur mère qui n'est pas socialement en mesure d'assumer leur prise en charge et a accepté de déléguer ses droits au père.
Mise en oeuvre du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le choix d'une conception abstraite ou concrète de l'intérêt supérieur de l'enfant n'est évidemment pas sans influence sur les résultats de la mise en oeuvre du principe de primauté de cet intérêt supérieur dans toutes les décisions concernant un enfant. Concernant la reconnaissance de la filiation d'un enfant né dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui, adopter une conception abstraite de l'intérêt supérieur de l'enfant permet d'affirmer comme l'a fait la Cour de cassation dans les arrêts du 6 avril 2011, que le refus de faire produire tout effet à cette filiation n'est pas contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. Alors que si, à l'inverse, on adopte une conception concrète de cet intérêt supérieur, il est incontestable que le refus de reconnaître l'état civil de l'enfant dans le pays dans lequel il vit ou devrait vivre est contraire à son intérêt supérieur.
Refus de délivrance de passeport contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. En adoptant une conception concrète de l'intérêt supérieur de l'enfant le Conseil d'Etat ne pouvait qu'aboutir à la conclusion que le refus de délivrer les documents nécessaires pour que les enfants puissent suivre leur père en France était contraire à leur intérêt supérieur et partant portait atteinte à une liberté fondamentale. Le Conseil d'Etat affirme très clairement que "la circonstance que la conception de ces enfants par M. A. et Mme C. aurait pour origine un contrat entaché de nullité au regard de l'ordre public français, serait, à la supposer établie, sans incidence, sur l'obligation, faite à l'administration par les stipulations de l'article 3-1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, d'accorder une atteinte primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes décisions les concernant". C'est une façon de dire que face à l'ordre public, l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer... et donc d'adopter une position pour le moins très différente de celle prise par la Cour de cassation en avril 2011 !
Toutefois, le Conseil d'Etat prend soin de limiter la portée de sa décision, prise dans le cadre d'une procédure particulière et dont la portée reste celle d'une mesure provisoire.
II - La portée limitée de la mesure ordonnée par le juge administratif
Documents de voyage. En saisissant le juge des référés, le père des jumelles avait pour objectif d'obtenir une mesure "nécessaire à la sauvegarde" de la liberté fondamentale qu'est l'intérêt supérieur de l'enfant. L'atteinte que le Conseil d'Etat qualifie de grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur des enfants résultait du refus de leur délivrer les documents nécessaires pour qu'elles puissent suivre leur père en France où il réside. La mesure sollicitée consistait donc à ordonner que soient délivrés aux enfants les documents nécessaires à leur entrée en France. Le Conseil d'Etat approuve le juge de première instance d'avoir seulement ordonné la délivrance d'un document de voyage permettant aux enfants d'entrer sur le territoire national et dont il précise qu'il peut prendre la forme du laissez passer prévu par le décret n° 2004-1543 du 30 décembre 2004, relatif aux attributions des chefs de poste consulaire en matière de titre de voyage (N° Lexbase : L5265GUK).
Compétence de l'autorité judiciaire. Le Conseil d'Etat insiste sur la portée limitée de la mesure ordonnée. Cette mesure est tout d'abord provisoire. Surtout, comme le précise le Conseil d'Etat, elle n'empiète pas sur les compétences réservées par la loi à l'autorité judiciaire. Seule celle-ci est en effet compétente pour trancher la question des effets de l'acte de naissance étranger en France. Le juge administratif ne saurait se prononcer sur la validité de la transcription de cet acte sur les registres français d'état civil, ni sur les conséquences de la reconnaissance en France de la filiation ainsi établie. Il ne saurait donc ordonner aucune mesure qui impliquerait que cette reconnaissance soit admise. C'est la raison pour laquelle le juge administratif se contente d'ordonner que soit délivré un document de voyage et non pas un passeport qui impliquerait que soit tranchée la contestation portant sur le droit de ces enfants à bénéficier des dispositions de l'article 18 du Code civil (N° Lexbase : L8904G9N), aux termes duquel est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.
Précarité de la situation des enfants en France. La confrontation de cette décision du Conseil d'Etat avec le refus catégorique exprimé par la Cour de cassation dans les arrêts du 6 avril 2011 de faire produire un quelconque effet aux actes de naissance étrangers des enfants issus de mère porteuse, aboutit à une impasse. Les enfants concernés vont certes être autorisés à entrer en France avec celui qui est considéré en Inde comme leur père, mais pour être placés dans une situation juridique plus que précaire. Leur père génétique, dont la paternité est reconnue en Inde ne sera pas reconnu comme tel en France. Les précisions du Conseil d'Etat quant à la portée limitée de la mesure ordonnée en référé montrent à quel point la situation de ces enfants va être difficile : elles ne pourront pas obtenir un passeport parce qu'elles ne se verront pas reconnaître la nationalité française puisque elles ne seront pas, en France, les filles de celui qui les élève ; ce qui signifie qu'elles ne pourront pas voyager à l'étranger, ni bénéficier de l'ensemble des droits qui découlent de leur filiation. On en vient presque à se demander si finalement, il était vraiment de leur intérêt de venir en France !
La nécessaire primauté de l'intérêt de l'enfant apprécié in concreto. Une telle situation ne doit pas perdurer. Dès lors que les enfants ont été conçus, même si c'est dans des circonstances éminemment critiquables, par un Français, qui est prêt à en assumer la charge, on ne peut admettre que l'intérêt des enfants est de vivre dans un orphelinat indien, au prétexte que le processus qui a abouti à leur naissance est contraire à l'ordre public français et qu'en théorie l'intérêt d'un enfant n'est pas de naître d'une mère porteuse ! Le problème doit être résolu par une coopération internationale renforcée en matière de droit des personnes et de la famille et non pas en sacrifiant les droits de l'enfant...
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