Lecture: 5 min
N4325BSY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Voilà, en peu de vers, toute la perspicacité du fabuliste appliquée aux suspicieuses relations qui animent les Etats, les grandes entreprises et les collectivités territoriales face au diktat de la notation des agences, et plus particulièrement des "Big Three" (Moody's, Standard & Poor's et Fitch Ratings). Car le destin financier, et donc économique, du monde repose sur un seul concept : l'indépendance, et par suite la crédibilité, des agences de notation financière, dont l'image est, depuis quelques années et "l'affaire Enron", bien écornée. Il est assez révélateur à cet égard que ces agences doivent remplir comme critères d'agrément (cf. "Bâle II"), celui de l'objectivité -les méthodes de notation doivent être rigoureuses, systématiques et pertinentes- ; celui de l'indépendance -les agences de notation ne doivent pas être des institutions publiques, ni compter des banques dans leur actionnariat- ; celui de la transparence -les notes doivent être accessibles à tous- ; celui de l'information du public -de pair avec le devoir de transparence- ; celui du niveau de ressources suffisant -les agences doivent disposer des ressources financières et humaines propres pour mener à bien leurs missions- ; celui, enfin, de la crédibilité -résultat du respect de tous les critères précédents-. En clair, tout le business model des agences de notation repose sur la confiance des tiers, confiance qui, en la matière et c'est là où le bât blesse, s'insère dans un circuit économique et marchand, donc monnayable.
Et, l'on aura beau reconsidérer la méthodologie de la notation, pour la rendre toujours plus objective -encore qu'il soit sans doute utopique d'aborder de la même manière la notation d'un pays occidental bénéficiant du sésame "triple A" et celle d'un Etat du tiers monde abonné au "D", dont la dette est en perpétuelle restructuration-, on n'empêchera pas, ou difficilement, une entité commerciale, dont certes la crédibilité constitue le fonds de commerce, d'accorder la meilleure note à des produits structurés assis sur des emprunts immobiliers types subprimes, parce que les émetteurs de tels produits complexes représentent 42,32 % de son chiffre d'affaires (cf. Moody's, Rapport Annuel du 20 février 2008)...
Toute tentative, même tardive, de réglementation n'est pas inutile, et le Règlement (UE) n° 513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011, qui renforce la supervision européenne des agences de notation de crédit, en instaurant un contrôle direct de ces agences par l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), est, pour sûr, essentiel dans le regain de confiance nécessaire au système de notation. Mais, tant que le système "émetteur-payeur", selon lequel l'agence est rémunérée par l'acteur du marché qui souhaite être noté, prévaudra, la suspicion aura toujours cours : suspicion d'une note positive afin d'assurer le financement de l'acteur en question ; suspicion d'une note négative afin d'assurer la spéculation contre l'acteur affligé d'une note exécrable (trafic d'influence étant, d'autant que certaines agences s'enorgueilleraient d'affliger de mauvaises notations à leurs clients afin d'asseoir leur crédibilité). Au point que d'aucuns affirment que, si les agences de notation ne sont pas responsables de la crise, elles l'auraient aggravée, en rendant plus difficile la capacité de refinancement des entités économiques et Etats souverains touchés de plein fouet par la crise financière puis économique.
Et, finalement, cette régulation de l'activité de notation est, non seulement, essentielle, mais surtout la seule voie possible, les autorités publiques n'arrivant pas à statuer sur un système alternatif. Le système "investisseur-payeur", s'il limite le risque de conflit d'intérêt, obère la mise à disposition du public de la notation, réservée à la connaissance des seuls investisseurs. Et, l'instauration d'une agence de notation publique, même à un échelon supranational (à la suite de Jean-Claude Juncker, Guido Westerwelle et Michel Barnier, le Parlement européen a réclamé, le 8 juin 2011, la création d'une agence européenne de notation financière, pour faire contrepoids aux trois grandes agences mondiales), compromet l'intérêt même de la notation dont l'efficacité repose, notamment, sur une méthodologie unique applicable partout dans le monde et dont l'interprétation est simple et directe -par les professionnels du secteur s'entend- que l'on soit un investisseur américain, thaïlandais ou saoudien... Reste l'interposition d'un tiers indépendant, comme l'AMF en France ou la SEC aux Etats-Unis, et désormais l'AEMF au niveau européen, chargé de surveiller les agences de notation elles-mêmes et de s'assurer de leur indépendance tout en respectant le principe de non-interférence avec le contenu des notations ou des méthodes utilisées.
Mais quel que soit le système retenu, là encore, c'est l'exigence de la notation qui commande aux entreprises et, même, aux Etats dits "souverains", qui pose question. "Souverains" les Etats le sont-ils encore lorsque leurs politiques économiques et monétaires sont dictées non plus par leurs Parlements, ni même par les banques centrales, mais par les agences de notation. Que dire de l'abnégation de l'exécutif américain, lorsqu'il affirme que la mise en garde des Etats-Unis contre la perte de leur notation AAA, par Fitch, le 9 juin 2011, montre qu'il n'y a "pas d'alternative à un relèvement du plafond de la dette" ; l'agence de notation commandant au calendrier de vote du Congrès et, au final, à l'administration même du pays... Pour sûr, si les mêmes agences confirment le "tripe A" de la France, c'est en mettant en garde, aussitôt, nos politiques contre un dérapage possible des comptes à l'approche des élections de 2012, et sous réserve, encore, d'une rigueur budgétaire accrue dans les prochaines années... Plaire aux agences de notation pour obtenir un sursis de déclassement de notation, et gagner le pari du refinancement de la dette, voilà le credo des Etats dits "souverains", dont battre monnaie n'est plus, et depuis longtemps, une prérogative régalienne.
Reste la théorie du risque. A quoi sert ce système de notation tant décrié et dont on ne peut finalement pas se passer ? A limiter le risque des investissements des détenteurs de capitaux dont le rendement et la sécurité du recouvrement sont l'alpha et l'omega. Les "capitaux-risqueurs" n'existent plus : plus qu'un rendement à deux chiffres, c'est une notation à trois lettres qui est demandée pour bénéficier de la manne nécessaire au renflouement ou au développement de l'économie mondiale. Prêter à un taux trois fois supérieur au coût réel de l'argent, pour un risque nul : voilà le business model idéal de la finance mondiale qui, aux dernières nouvelles, se porte... comme un charme.
La mondialisation de l'économie et de son financement nécessite des indicateurs de confiance objectifs pour pallier l'absence de connaissance même des prêteurs de deniers, des marchés sur lesquels ils entendent investir ; et aucun système ne permet, actuellement, d'enrayer la machine à acculer les entreprises, comme les Etats, à se conformer aux prescriptions budgétaires des agences de notation. "La confiance n'exclut pas le contrôle" disait Lénine... Elle l'y oblige même, dans le cas présent.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:424325