La lettre juridique n°444 du 16 juin 2011 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Rentrée solennelle sous le signe du jeune barreau - Questions à Jean-Luc Médina, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Grenoble

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[Questions à...] Rentrée solennelle sous le signe du jeune barreau - Questions à Jean-Luc Médina, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Grenoble. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4722690-questions-a-rentree-solennelle-sous-le-signe-du-jeune-barreau-questions-a-b-jeanluc-medina-batonnier
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

le 02 Septembre 2016

Le jeudi 26 mai 2011 s'est tenue la rentrée solennelle du barreau de Grenoble et de la Conférence du jeune barreau. Ayant lieu tous les deux ans, elle est l'occasion de présenter l'arrivée des deux dernières promotions d'avocats. Placée sous le signe de la liberté, cette rentrée solennelle a permis de mêler sérieux et légèreté tenant aux qualités de ses différents intervenants, du Bâtonnier de Tunisie, à l'humoriste Sophia Aram, en passant par maître Alain Jakubowicz. Pour mieux appréhender cette thématique Lexbase Hebdo - éditions professions a rencontré Jean-Luc Médina, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Grenoble quelques heures avant l'ouverture de cette rentrée. Lexbase : Vous organisez votre première et seule rentrée en tant que Bâtonnier ; comment se sont déroulés les préparatifs ? Quelle est la programmation attendue ?

Jean-Luc Médina : Tout d'abord, j'ai souhaité que cette rentrée se fasse avant l'élection du dauphin, prévue le 27 juin prochain, afin qu'elle soit vraiment celle de cette mandature. Et le thème de la liberté me tenait à coeur. La robe d'avocats que nous portons est un peu un bouclier dans cette société. La liberté est importante sous tous ses aspects.

Lorsque j'ai réfléchi à l'organisation de cette rentrée solennelle, la question s'est posée de savoir ce qui était pour moi la spécificité de ma profession. Et, il y a deux réponses : la liberté et l'insoumission.

Et puis lorsqu'on parle de liberté, on ne peut pas ne pas évoquer aussi la liberté d'expression. Il fallait, plutôt que de rester sur une tonalité très solennelle dans les discours, donner une touche d'humour pour montrer que l'on peut se dépasser et que la liberté c'est aller au-delà de ce que l'on attend. C'est pour cela que cette rentrée a été organisée ainsi ; elle sort de l'ordinaire par rapport aux rentrées du barreau de Grenoble.

Pour la première fois, ce sont les jeunes avocats qui ont choisi leur thème sans validation, ni par le Bâtonnier, ni par le conseil de l'Ordre à la différence des précédentes rentrées. Le thème sur la liberté est très décalé, un peu dans une approche "Revue du Palais". Il va nous faire sortir, pendant ces deux heures que nous allons passer ensemble au Palais de justice, un peu des chemins traditionnels à Grenoble !

C'est donc la commission du jeune barreau qui, pour cette rentrée, a choisi une phrase de Pierre Dac : "l'accusé est-il cuit lorsque l'avocat n'est pas cru ?". Ce choix, tant de la citation que de son auteur, est un peu du second degré humoristique, rendant l'exercice d'autant plus périlleux pour nos jeunes lauréats de la Conférence, Rodolphe Piret et Olivia Gast !

Après leurs interventions, nous aurons un moment assez émouvant. En effet, la liberté pour les avocats se retrouve dans l'actualité récente : c'est ce qu'il s'est passé en Tunisie. Le barreau a été le fer de lance de la révolution et il a fait tomber l'ancien régime. Et il se trouve que le Bâtonnier de Tunisie, Maître Abderrazak Kilani, est un ancien étudiant grenoblois qui était là lors du bicentenaire de notre Ordre en décembre 2010, où l'on fêtait un peu la liberté aussi. Et c'est très symbolique qu'il soit là aujourd'hui : car non seulement le barreau de Grenoble va l'honorer, mais il va recevoir la plus haute distinction de la ville de Grenoble : la remise de la médaille d'or de la ville. Par ce geste, c'est la cité qui se tourne vers le barreau au nom de tous les citoyens grenoblois.

Ensuite, suivra une intervention d'Alain Jakubowicz, président de la Licra. Vous me demanderez pourquoi la Licra ? Et bien, il s'agit de la touche personnelle du Bâtonnier ! Le combat contre le racisme et l'antisémitisme est le combat de ma vie personnelle. Et donc j'ai énormément de respect et d'admiration pour Alain Jakubowicz, président de la Licra et qui se trouve être avocat également.

Son intervention nous amène aux limites de la liberté. Pourquoi interdire ? Alors qu'aux Etats-Unis la liberté d'expression prime sur tout, pourquoi dans notre pays avons-nous ce type de contraintes ? Sommes-nous dans une société bloquée parce qu'il ne faut pas vexer les uns et les autres, selon leur religion, leur handicap, leur couleur de peau ? Le président de la Licra sera là pour soulever ces questions dans une intervention nécessairement plus sérieuse que les précédentes.

Enfin, la rentrée s'achèvera par une intervention de Sophia Aram, chroniqueuse et humoriste, qui vient du théâtre d'improvisation et qui improvisera sur le thème de la liberté : celle qu'on s'octroie à nous même, celle qui nous met un peu en danger. Par son intervention, il y aura une ouverture vers l'extérieur sur le monde des médias qui est celui de la liberté absolue.

Voilà comment j'ai souhaité organiser cette rentrée solennelle.

Lexbase : En parlant de liberté, on se doit d'évoquer la réforme de la garde à vue. Comment s'est-elle mise en place dans votre barreau ?

Jean-Luc Médina : Tout s'est très bien passé pour nous puisque nous sommes un barreau important avec 490 avocats. Et pour avoir des volontaires 24h/24h renouvelés sur 48h, il faut être nombreux ! Nous avons pu avoir 90 volontaires, soit environ 1/5ème du barreau.

Maintenant dans nos rapports avec les enquêteurs, les gendarmes et les policiers, nous sommes en train de nous découvrir mutuellement. Il y a peut être des préjugés communs qui existent et qui sont fortement ancrés. Il faut apprendre à aller au-delà. Nous avons un groupe de travail qui a été mis en place par Madame le Procureur général et qui fonctionne bien pour justement apprendre à se connaître, apprendre à dialoguer ensemble.

L'enjeu étant tellement important que, quelles que soient les questions de financement, le barreau se devait d'y aller. Le groupe s'est constitué très vite en se déconnectant de ces questions de rémunérations et en mettant en avant des valeurs et des principes.

Ensuite, sur le fond, les systèmes proposés paupérisent, à mon sens, la profession d'avocat. Et même si toutes les revendications financières proposées par le CNB étaient admises nous serions encore dans une situation de paupérisation de la profession. Le forfait proposé ne revient même pas au Smic horaire pour les avocats. Donc cela dévalorise la prestation. De plus, ce sont encore les mêmes avocats qui vont prendre une charge supplémentaire et "courir" pour avoir une rémunération indigne de celle qu'ils devraient percevoir.

A notre assemblée générale sur ce sujet, il nous a été demandé à l'unanimité de "désigner des volontaires" parmi leur ancienneté également de façon à ce que tout le monde participe et pas seulement les jeunes avocats. Ce qui veut bien dire que nos jeunes avocats ont pris conscience que c'était une charge et qu'il n'y a pas de raison qu'elle ne soit pas partagée entre tous.

Mais, selon moi, il faut aller plus loin. Il faut que la solidarité nationale entre en jeu. Le financement de l'aide légale n'est pas que le problème des avocats. C'est aussi celui de tout le monde. Il faut trouver des solutions alternatives ; et l'une d'elle est de faire une vraie réforme du système de l'aide légale. Pour les 100 millions d'euros que l'Etat a "sorti de son chapeau" pour payer les avocats de la garde à vue, l'idée était de financer cette somme en instaurant un timbre de 35 euros sur certaines procédures. Allons plus loin ! Cassons le système actuel et instaurons un timbre sur l'ensemble des actes juridiques et judiciaires pour financer le système de l'aide légale. Il faut faire participer toutes les professions du droit directement ou indirectement à ce service d'accès à la justice pour les plus démunis.

Tout le monde doit participer à la défense des plus démunis. En l'état actuel, ce système est un système d'appauvrissement collectif de la profession d'avocats qui se sacrifient sur l'autel des beaux principes.

Lexbase : De nouveaux outils sont à disposition des avocats tels l'acte contresigné ou la procédure participative. Comment appréhendez-vous ces nouvelles opportunités ?

Jean-Luc Médina : Je tiens à féliciter le CNB puisque c'est grâce à lui que nous avons ces nouveaux outils. Alors que le Conseil national des barreaux a présenté le fonctionnement pour l'acte d'avocat le 5 mai, dès le 10 mai, le barreau de Grenoble était le premier barreau de province à faire une conférence sur ce thème sous la houlette du Bâtonnier Michel Bénichou (grenoblois !). De même j'ai tenu à ce que la convention préparatoire à la Convention nationale, qui se déroule ce jour, se fasse sur le thème de la procédure participative. Ce sont les deux nouvelles clés que l'on vient de nous donner et j'en suis très reconnaissant au CNB. Maintenant la grande question, le grand défi, est de savoir si les avocats vont comprendre que leur intérêt est d'apprivoiser immédiatement ces outils ou s'il va falloir attendre vingt ans qu'une génération passe et que la transformation mentale se fasse. C'est maintenant qu'il faut y aller ! L'Europe nous a imposé de changer notre régime de la garde à vue ; le législateur nous donne un plus grand terrain avec l'acte d'avocat ; et la procédure participative c'est la manière pour nous de démontrer que nous sommes capables de régler les problèmes en dehors des tribunaux. C'est l'enjeu de demain !

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