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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 17 Juin 2011
Ludovic Fontaine : Au lieu d'être l'année de la maturité et du développement, 2010 restera comme l'année des bouleversements juridiques et économiques pour le secteur de l'énergie solaire photovoltaïque. Le 12 janvier 2010, date à laquelle ont été pris les arrêtés fixant les nouveaux tarifs d'achat d'énergie solaire (N° Lexbase : L2375IPN et N° Lexbase : L2376IPP), marquait donc la première étape du changement tarifaire annoncé par le ministre de l'Ecologie le 9 septembre 2009 lors de sa conférence de presse. Toutefois, malgré ce changement tarifaire, les demandes de raccordements n'ont cessé d'augmenter eu égard à la baisse prononcée, dans le même temps, du prix des panneaux photovoltaïques. Le Gouvernement a donc été contraint de procéder de nouveau à un changement tarifaire. L'arrêté du 31 août 2010, fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil (N° Lexbase : L0613IQR) est donc le deuxième arrêté tarifaire en moins de six mois.
Malgré ces baisses successives, le Gouvernement n'a pu stopper l'envolée du nombre de demandes de raccordement. Il a donc été contraint de prendre une mesure radicale afin de s'accorder le temps nécessaire de la réflexion pour établir un nouveau cadre juridique entourant les conditions tarifaires d'achat de l'électricité. L'élément principal ayant poussé le Gouvernement à instaurer un nouveau cadre réglementaire au secteur est l'émergence d'une bulle spéculative qui aurait commencé autour du mois de novembre 2009, et contre laquelle il a tenté de lutter afin de garantir la stabilité de la contribution au service public de l'électricité (CSPE).
Derrière cette notion de bulle spéculative, trois autres éléments ont guidé le Gouvernement :
- l'impact des demandes sur la CSPE, caractérisé par une hausse de la charge relative au photovoltaïque, représentant une hausse d'environ 2 à 3 % sur la facture d'électricité du consommateur, alors que la production d'électricité photovoltaïque correspondante est de l'ordre de 0,5 % de la consommation totale d'électricité ;
- un développement très largement supérieur aux prévisions, l'objectif fixé par le Grenelle de l'environnement était de 5 400 mégawatts à la fin 2020, alors que les prévisions pour 2012 annonçaient déjà 1 100 mégawatts ;
- l'encombrement des demandes de raccordement et l'allongement des délais d'attente.
Lexbase : Quelles modifications concrètes implique la mise en place de ces arrêtés ? Comment les entreprises du secteur doivent-elles s'organiser ?
Ludovic Fontaine : Le nouveau cadre réglementaire résultant de la combinaison de l'arrêté du 4 mars 2011 (N° Lexbase : L4356IQE), fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 (N° Lexbase : L1400IEL) et du décret n° 2011-240 du 4 mars 2011 (N° Lexbase : L4939IPM), modifiant le décret n° 2001-410, relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat (N° Lexbase : L6531A4N), a modifié le régime antérieur.
- plafonnement du tarif d'achat à 100 kilowatts : le Gouvernement ayant décidé de différencier les régimes juridiques en fonction de la puissance de l'installation photovoltaïque. En effet, en deçà de 100 kilowatts, une baisse de tarif est appliquée en fonction de la puissance de l'installation et de sa destination. Au-delà de 100 kilowatts, les installations sont soumises à appels d'offres, dont le Gouvernement vient seulement de communiquer le projet de décret, et pour lesquels il faudra encore attendre le cahier des charges ;
- les garanties financières : une garantie bancaire est demandée pour les installations de plus de 9 kilowatts lors de la demande de raccordement ;
- recyclage des panneaux : les projets devront répondre à une obligation de recyclage, notamment, les projets soumis à appels d'offres ;
- tarifs autoajustables : dégressivité trimestrielle du tarif d'achat en fonction du nombre de demandes complètes de raccordement au réseau effectuées durant les précédents trimestres.
Afin de répondre à ces modifications, les entreprises ont dû, dans un premier temps, évaluer les conséquences de l'arrêté et du décret de mars 2011 sur leurs activités et leurs projets en cours, et réfléchir à l'éventuelle adaptation de leur offre en énergie solaire.
La seconde étape consiste à réaliser et finaliser l'ensemble des projets en cours qui relèvent du régime transitoire, et pour lesquels la mise en service doit intervenir avant le mois de septembre 2011. Certains ont fait le choix de la spécialisation, notamment comme développeurs et intégrateurs de solutions BIPV (Building Integrated Photovoltaics), d'autres ont préféré diversifier leurs activités et s'orienter vers d'autres énergies renouvelables comme la cogénération ou la biomasse. Enfin, nombre d'entreprises se sont regroupées à la fois sous forme d'association ou de groupement d'intérêt économique (GIE) pour, d'une part, partager leur savoir-faire, leur expérience, et, d'autre part, disposer d'une taille suffisante pour répondre aux appels d'offres afin de constituer une offre solide face aux grandes entreprises du secteur. Il appartient donc, aujourd'hui, aux entreprises de s'organiser au mieux pour assurer le développement économique de ce secteur et peser de tout leur poids sur les négociations avec le Gouvernement afin d'ajuster au mieux ce système lorsque le temps de l'évaluation sera venu.
Lexbase : Mise à part la question des tarifs d'achat, quels sont les autres leviers de développement de l'énergie solaire dont disposent les pouvoirs publics ?
Ludovic Fontaine : Il existe de nombreux leviers susceptibles d'accompagner le développement du photovoltaïque ; toutefois, le tarif d'achat est de loin le plus efficace, le plus vertueux et le moins cher surtout pour une filière émergente, au point que la plupart des pays a adopté ce système.
Les autres leviers doivent être classés selon la recherche d'un développement à long ou à court terme de la filière.
- leviers à court terme : ce sont ceux mis en oeuvre à la fois par le Gouvernement et par les collectivités territoriales, à savoir les subventions directes, les aides fiscales (crédit d'impôt), les appels à projet. L'ensemble de ces mesures permet d'accompagner l'émergence d'une filière et la transition entre le marché de niche et le marché mature.
- leviers à long terme : ils s'appliquent, notamment, lorsque le marché est mature afin de le structurer et de lui permettre un développement de type industriel. Cela passe par la structuration de la filière dans le choix de technologie adaptée et aussi par une volonté politique d'appuyer et de soutenir le développement d'une véritable filière industrielle française dédiée au photovoltaïque.
La France disposait de l'ensemble des éléments permettant un développement pérenne d'une véritable industrie française de l'énergie solaire mais on ne lui a pas laissé le temps de se structurer.
Lexbase : La nouvelle réglementation prévoit "des exigences accrues sur la qualité environnementale et industrielle des projets" ? Existe-t-il selon vous des moyens concrets d'y parvenir ?
Ludovic Fontaine : Effectivement, l'article 1er du décret du 4 mars 2011 introduit un nouvel alinéa visant à imposer des exigences sur la faisabilité économique du projet, ainsi que sur l'impact environnemental. A la lecture de cet article, il n'y a pas a priori juridiquement de difficultés de mise en oeuvre de ces exigences à la fois économiques et environnementales, excepté le fait que ce sont des considérations vagues qui méritent d'être précisées.
En l'espèce, la difficulté réside principalement dans la fourniture d'éléments attestant de l'impact environnemental du projet, et à la lecture des déclarations de la ministre de l'Ecologie, plus particulièrement de l'obligation de recyclage des panneaux photovoltaïques. En effet, le cadre réglementaire entourant le recyclage des panneaux reste encore à préciser en France. Toutefois, à l'échelle européenne, les entreprises du secteur photovoltaïque se sont déjà structurées en association dénommée "PV CYCLE" afin d'assumer les responsabilités les concernant d'un bout à l'autre de la chaîne de production.
En outre, ce critère environnemental risque de poser des difficultés en particulier au regard de l'impact du projet en termes d'émission carbone. En effet, il s'agit là d'un critère qui pose juridiquement énormément de problèmes au regard des conditions de mesure du bilan carbone, à l'instar des diagnostics de performance énergétique. Par ailleurs, il risque de retarder la mise en place des appels d'offres, mais, également, de poser des difficultés en terme de contrôle.
Lexbase : Certains industriels hostiles à cette nouvelle réglementation estiment que le Gouvernement aurait dû baisser les prix plus tôt afin d'éviter une chute brutale. Qu'en pensez-vous ?
Ludovic Fontaine : Il est toujours plus facile de réécrire l'histoire une fois qu'elle est survenue et qu'on peut, après analyse, constater des erreurs. Toutefois, il est vrai que le Gouvernement aurait pu mieux anticiper les conséquences d'une baisse des panneaux photovoltaïques au regard de la demande mondiale et des intentions de production, notamment en Allemagne et en Chine. Force est de constater que la concertation instaurée par le décret du 9 décembre 2010 aurait dû intervenir plus tôt, notamment dès septembre 2009 lorsque le ministre de l'Ecologie a annoncé la première baisse de tarif. Enfin, c'est surtout le manque de vision pour cette filière et d'anticipation des besoins qui peut être reproché au Gouvernement, et, plus précisément, de n'avoir considéré le photovoltaïque que comme une donnée de la CSPE, et non comme une énergie de demain. D'autres diront que le Gouvernement n'a pas souhaité faire les efforts économiques et stratégiques nécessaires pour le photovoltaïque, là où précédemment il l'avait fait pour le nucléaire.
Lexbase : Quelle politique faut-il mener à l'avenir pour garantir le développement d'une filière française solaire ?
Ludovic Fontaine : Pour garantir un véritable avenir à la filière photovoltaïque, il faudrait mettre à plat l'ensemble de la stratégie énergétique du pays, cela pose donc la question de savoir quel système énergétique nous souhaitons pour l'avenir de la France. Cette question s'avère aujourd'hui primordiale compte tenu, d'une part, de la forte pression pesant sur le prix du pétrole et, d'autre part, de la hausse du prix de l'électricité, inévitable après 2015. Or, ce débat est aujourd'hui très délicat à mener, car il doit être déconnecté de toutes idéologies ou dogmatismes pro ou anti-nucléaire, afin de privilégier l'intérêt général.
En définitive, pour garantir le développement d'une filière française solaire, il faut instaurer une véritable politique d'économie d'énergie, passant par l'éducation et l'incitation des français à faire attention à leur consommation d'électricité. Cette question surgira rapidement dans la mesure où le prix de l'électricité en France devrait connaître une hausse compte tenu, d'une part, des effets de l'ouverture d'un quart de la production d'électricité nucléaire à la concurrence instaurée par la loi "NOME" (1), et, d'autre part, du coût du démantèlement des centrales nucléaires. Il faudra, également, structurer la filière par une volonté politique visant à faire émerger des entreprises de tailles européennes dans le but d'asseoir une industrie de l'énergie solaire en France.
(1) Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 4696933, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "LOI n\u00b0 2010-1488 du 7 d\u00e9cembre 2010 portant nouvelle organisation du march\u00e9 de l'\u00e9lectricit\u00e9 (1)", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L8570INQ"}}).
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