La lettre juridique n°444 du 16 juin 2011 : Urbanisme

[Doctrine] Chronique de droit de l'urbanisme - Juin 2011

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N4339BSI

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par Arnaud Le Gall, avocat au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen

le 20 Octobre 2011

Le premier arrêt étudié dans cette chronique énonce que le refus d'autorisation n'est pas un acte d'application des documents d'urbanisme et que l'illégalité du document d'urbanisme emporte normalement l'illégalité du refus d'autorisation (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 324967, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt commenté opère une clarification entre les règles relatives aux recours gracieux et contentieux et les règles relatives au retrait des permis de construire (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2011, n° 336893, publié au recueil Lebon). Enfin, le troisième arrêt de la présente chronique voit la Haute juridiction confirmer l'annulation d'un projet d'aménagement touristique et portuaire implanté dans un espace remarquable (CE 1° et 6° s-s-r., 20 mai 2011, n° 325552, publié au recueil Lebon).
  • Précisions relatives aux conséquences de l'illégalité d'un POS sur une autorisation d'urbanisme (CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 324967, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0311HSC)

Les conséquences de l'illégalité d'un document d'urbanisme ont toujours constitué un problème délicat. Un arrêt récent en date du 16 mai 2011 apporte, cependant, des précisions importantes quant aux conséquences de l'illégalité d'un POS sur une autorisation d'urbanisme.

En l'espèce, la société X avait déposé une déclaration de travaux portant sur la réalisation d'une dalle en béton armé destinée au stockage temporaire de matériaux, la société exerçant une activité de tri et de transit de matériaux de chantier. Le maire de la commune s'est opposé à cette déclaration, le projet étant localisé sur un emplacement réservé prévu par le POS. Une délibération du conseil municipal avait, à l'occasion d'une révision du plan, classé le secteur en emplacement réservé pour permettre la réalisation de la déviation d'une route nationale. La société pétitionnaire a engagé un recours contre cette opposition en invoquant une exception d'illégalité à l'encontre de ce classement du terrain en emplacement réservé. Le tribunal administratif a rejeté le recours (1).

Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation, censure le jugement mais confirme le rejet de l'opposition. Ayant écarté l'exception d'illégalité invoquée par la société, le Conseil constate que l'autorisation de travaux refusée porte des constructions non précaires. L'opération ne pouvait donc être légalement réalisée, l'article L. 423-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4673H9X) n'autorisant que les constructions précaires sur les emplacements réservés. Il en profite pour apporter une nouvelle pierre à l'édifice du droit de l'urbanisme.

1 - Le refus d'autorisation n'est pas un acte d'application des documents d'urbanisme

Le permis de construire ou l'autorisation tacite de travaux ne constituent jamais des actes d'application des documents d'urbanisme. Il en va de même pour une autorisation de lotir (2). Si l'autorisation d'urbanisme doit respecter la réglementation en vigueur, elle ne constitue pas un acte qui serait nécessaire à la mise en oeuvre de cette réglementation : un PLU est d'applicabilité immédiate et ne nécessite aucun document d'un rang inférieur qui viendrait préciser certaines de ses dispositions.

L'arrêt du 16 mai 2011 vient clarifier la nature des refus d'autorisation en affirmant que la "décision d'opposition à travaux ne constitue pas un acte d'application des documents d'urbanisme en vigueur". Rien ne s'oppose à ce que cette solution soit valable pour les refus de permis de construire. Bien qu'il s'agisse de deux régimes juridiques différents, la distinction repose exclusivement sur des considérations matérielles liées au volume et à l'ampleur des travaux projetés par le pétitionnaire.

Il faut, ensuite, souligner que le Conseil d'Etat n'avait jamais tranché de manière explicite cette question. Si le cas des autorisations était réglé depuis longtemps, en revanche, les formulations adoptées pour les refus d'autorisation n'étaient pas explicites. L'arrêt "Commune de Courbevoie" énonçait, en effet, "que, si un permis de construire ne constitue pas un acte d'application de la réglementation d'urbanisme en vigueur et si, par suite, un requérant demandant son annulation ne saurait utilement se borner à soutenir, pour l'obtenir, qu'il a été délivré sous l'empire d'un document d'urbanisme illégal, mais doit faire valoir, en outre, que ce permis méconnaît les dispositions d'urbanisme pertinentes remises en vigueur en application de l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2933DZN), cette règle ne s'applique pas au refus de permis de construire, lorsqu'il trouve son fondement dans un document d'urbanisme" (3). Si la règle évoquée est bien celle qui s'applique à l'exception d'illégalité, en revanche, la dernière condition semblait établir un lien étroit entre le refus de permis et le document d'urbanisme. La question est désormais réglée : quel que soit le fondement du refus de l'autorisation d'urbanisme, celui-ci ne constitue pas un acte d'application du document d'urbanisme.

2 - L'illégalité du document d'urbanisme emporte normalement l'illégalité du refus d'autorisation

L'illégalité du document d'urbanisme n'entraîne pas automatiquement l'illégalité du permis de construire délivré sur sa base. L'article L. 128-1 du Code de l'urbanisme énonce, en effet, que la déclaration d'illégalité ou l'annulation d'un document d'urbanisme remet en vigueur le document immédiatement antérieur. La légalité du permis de construire doit donc être appréciée au regard du document d'urbanisme antérieur qui est, ainsi, remis en vigueur. Invoquer une exception d'illégalité à l'égard d'un PLU ou d'un POS n'est pas suffisant pour obtenir l'annulation du permis de construire. Ce dernier doit, également, contrevenir aux dispositions du précédent document d'urbanisme (4).

Le Conseil d'Etat a adopté une solution différente pour les refus d'autorisation : la solution dégagée pour la décision accordant un permis ne s'applique pas au refus de permis de construire, lorsque ce dernier trouve son fondement dans un document d'urbanisme. Dans ce cas, l'annulation ou l'illégalité de ce document d'urbanisme entraîne donc l'annulation du refus de permis de construire pris sur son fondement. L'arrêt réserve uniquement l'hypothèse d'une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun (5).

La solution est, ainsi, plus favorable pour le pétitionnaire victime d'un refus d'autorisation qu'elle ne l'est pour le requérant dans le cas de l'octroi du permis. Le destinataire d'un refus de permis de construire ou d'une opposition à déclaration de travaux pourra en obtenir l'annulation en excipant seulement de l'illégalité du document d'urbanisme sur le fondement duquel il a été pris. Pour sa part, le requérant qui conteste un permis devra, après avoir démontré l'exception d'illégalité à l'encontre du document en vigueur, démontrer que le permis est incompatible avec le document antérieur.

L'arrêt du 16 mai 2011 réaffirme donc, sur ce point, la solution antérieure en reprenant la réserve de la substitution de motifs : l'illégalité du document d'urbanisme provoque l'illégalité du refus d'autorisation "sauf au juge à procéder, le cas échéant, à une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun". Le juge administratif peut, en effet, procéder à une substitution de motifs. Celle-ci peut être invoquée par l'autorité qui a pris la décision contestée à tout moment de l'instance, y compris pour la première fois en appel (6). Elle peut, également, être réalisée par le juge sur le fondement d'un moyen d'ordre public.

En revanche, cette substitution de motif ne peut être présentée pour la première fois en cassation dès lors qu'elle repose sur des considérations de fait qui échappent au contrôle du juge de cassation. La commune soutenait, à l'appui d'une substitution de motifs, que la délibération procédant au classement du terrain en emplacement réservé n'était pas devenue illégale à la suite d'un changement dans les circonstances de fait. Sans surprise, le Conseil d'Etat rejette le moyen qui impose d'apprécier des circonstances de fait relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond.

3 - L'exception d'illégalité

Le troisième apport de l'arrêt du 16 mai 2011 réside dans une précision relative à l'origine de l'illégalité du document d'urbanisme. Dans les décisions précédentes, le Conseil d'Etat s'était limité à autoriser le juge à procéder à une substitution de motifs sans apporter de précisions sur l'origine de cette illégalité. L'arrêt ici commenté comble cette lacune : l'illégalité du document d'urbanisme entraîne donc l'annulation de la décision d'opposition à travaux, "que le document d'urbanisme ait été illégal dès son adoption, ou que cette illégalité résulte d'un changement de dans les circonstances de droit ou de fait postérieures à cette adoption".

L'on fait, ainsi, application du principe dégagé par l'arrêt "Alitalia" qui impose à l'administration d'abroger les règlements illégaux (7). Cette obligation concerne les règlements devenus illégaux à la suite d'une modification des circonstances de fait ou de droit et s'étend aux règlements illégaux à la date de leur signature. Elle est, en revanche, subordonnée à une demande expresse de la part d'une personne intéressée.

Le Conseil d'Etat adapte, cependant, ce principe au droit de l'urbanisme. L'exception d'illégalité fondée sur un changement des circonstances de fait ou de droit peut être accueillie, alors même que le pétitionnaire n'aurait pas demandé à la collectivité d'abroger les dispositions litigieuses du document en question. Le tribunal administratif avait, pour sa part, fait une application rigoureuse de l'arrêt "Alitalia" : constatant que la société n'avait pas demandé à la commune de modifier le classement litigieux, les premiers juges ont rejeté, sans les examiner, les motifs avancés à l'appui de l'exception de l'illégalité. Le Conseil d'Etat censure cette démarche un peu trop rigoriste.

L'on ne peut qu'approuver cette solution, ne serait-ce que pour des raisons pratiques. Il serait, en effet, incongru de demander au pétitionnaire destinataire d'un refus d'autorisation de saisir la juridiction d'un recours dirigé contre ce refus et, simultanément, s'il entend exciper de l'illégalité du règlement d'urbanisme, de saisir la collectivité d'une demande d'abrogation des dispositions litigieuses de ce règlement. Cette démarche serait contraire au mécanisme même de l'exception d'illégalité qui demeure perpétuelle à l'encontre des règlements. La solution imposée par le tribunal administratif revenait à imposer au pétitionnaire de présumer du refus d'autorisation et privait le principe même de l'exception d'illégalité de toute efficacité.

En l'occurrence, l'exception d'illégalité reposait sur deux circonstances de fait postérieures à la délibération en question : d'une part, le conseil général avait opté pour un nouveau tracé de la déviation ; d'autre part, la commune aurait renoncé à son projet. En réglant l'affaire au fond, le Conseil n'a pas examiné cette dernière circonstance qui ne devait manifestement pas être suffisamment étayée. En revanche, il a examiné la première, mais pour la rejeter, confirmant, ainsi, une tendance jurisprudentielle lourde qui vise à garantir aux collectivités une marge de manoeuvre importante en matière d'urbanisme.

Le Conseil a considéré que la circonstance que le département ait, à la date de la décision d'opposition à travaux, sollicité l'ouverture des enquêtes publiques préalables à la déclaration d'utilité publique et parcellaire pour la réalisation d'un autre projet d'aménagement routier destiné à remédier aux mêmes difficultés de circulation que le projet de déviation de la route nationale, ne rendait pas illégal le classement du terrain en emplacement réservé. Le rejet de l'exception d'illégalité invoquée n'est pas surprenant : le seul fait de demander l'ouverture des enquêtes publiques pour la réalisation d'un autre projet routier ne constitue pas un abandon ferme et définitif du premier projet de déviation. Il faut rappeler, en effet, que la collectivité n'est jamais dans l'obligation de réaliser l'opération qui fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.

  • Clarification entre les règles relatives aux recours gracieux et contentieux et les règles relatives au retrait des permis de construire (CE 9° et 10° s-s-r., 5 mai 2011, n° 336893, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0957HQI)

L'arrêt du 5 mai 2011 opère une clarification entre les règles relatives aux recours gracieux et contentieux et les règles relatives au retrait des permis de construire. Il s'agit là d'un domaine assez délicat dans lequel cette clarification est la bienvenue.

Le thème de l'arrêt est on ne peut plus classique : un sous-préfet avait adressé au maire d'une commune un recours gracieux visant un arrêté de permis de construire. Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cet arrêté mais l'ordonnance de première instance a été réformée par la cour administrative d'appel. Celle-ci a estimé, en effet, que le recours gracieux préfectoral ne pouvait être accueilli puisqu'il avait été présenté plus de trois mois après l'édiction du permis de construire contesté. La cour faisait, ainsi, une application exclusive des dispositions du Code de l'urbanisme relative au retrait des permis de construire.

Avant d'apprécier la solution dégagée par le Conseil d'Etat, il convient de rappeler successivement les dispositions applicables.

1 - Les règles en jeu

L'article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8661AAZ) précise que le préfet dispose d'un délai de deux mois pour déférer au tribunal administratif les actes des collectivités locales : "Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés l'article L. 2131-1 [du même code] (N° Lexbase : L2000GUM) qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission".

L'article R. 421-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3022ALI) fixe le régime des délais qui courent contre les décisions implicites de rejet. Le délai de recours est de deux mois mais l'intervention d'une décision explicite ouvre à nouveau ce délai : "Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. Les intéressés disposent, pour se pourvoir contre cette décision implicite, d'un délai de deux mois à compter du jour de l'expiration de la période mentionnée au premier alinéa. Néanmoins, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient dans ce délai de deux mois, elle fait à nouveau courir le délai du pourvoi".

Le Code de l'urbanisme organise un régime dérogatoire au retrait des actes individuels créateurs de droit. Depuis l'arrêt "Ternon", ceux-ci ne peuvent être retirés par leur auteur que pour cause d'illégalité et dans un délai de quatre mois à compter de leur édiction (8). Ils peuvent, également, être retirés à toute époque sur demande de leur bénéficiaire. L'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3443HZK) réduit le délai de retrait des permis de construire : "Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire".

2 - Le cumul des règles de retrait et du régime du déféré

Les règles de retrait et le régime du déféré sont distinctes et doivent être interprétées à la lumière des principes fondamentaux du droit administratif. En l'espèce, le Conseil d'Etat invoque le principe dégagé par l'arrêt "Centre médico-pédagogique de Beaulieu" (9) et appliqué au déféré préfectoral (10) : hors les cas explicitement prévus par des dispositions législatives ou réglementaires particulières, toute décision administrative peut faire l'objet d'un recours administratif.

Après avoir rappelé ce principe, le Conseil d'Etat constate que les dispositions de l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme n'ont ni pour effet, ni pour objet d'y apporter une dérogation. Cet article déroge, en effet, exclusivement au régime général du retrait des actes individuels créateurs de droit. Il ne prévoit, en aucun cas, une quelconque limitation au principe du droit à exercer un recours gracieux. La Cour s'est appuyée sur le contenu de la demande du recours gracieux du préfet : ce recours ayant pour objet d'obtenir le retrait du permis contesté, elle ne l'a envisagé que sous l'angle du régime du retrait de permis. Elle a, ainsi, fait prévaloir un critère matériel en écartant les règles qui s'appliquent aux recours contentieux et gracieux, et qui relèvent d'un critère formel.

Le préfet peut donc toujours introduire un déféré ou un recours gracieux préalable, indépendamment du délai de trois mois prévu à l'article L. 424-5 du Code de l'urbanisme. Deux hypothèses se présentent. Si le préfet demeure inactif, l'article L. 424-5 prévaut : le permis ne peut être retiré que pour illégalité dans un délai de trois mois, ou sur demande du pétitionnaire sans condition de délai. Si le préfet exerce un recours gracieux, les règles du Code général des collectivités territoriales et du Code de justice administrative viennent se cumuler avec celles du Code de l'urbanisme. Si le délai de trois mois n'a pas encore expiré, le maire peut retirer le permis en s'inclinant devant les moyens soulevés par le préfet. Si le délai de trois mois a expiré, le maire ne peut que rejeter la demande mais, ainsi que le précise le Conseil d'Etat, le recours gracieux conserve alors une certaine utilité. Il peut permettre au maire de justifier de la légalité du permis : ce sera alors au préfet, éventuellement, d'admettre la légalité du permis et le caractère infondé de sa démarche. Le recours gracieux, qui ne manquera pas d'être porté à la connaissance du pétitionnaire, pourra, également, inciter ce dernier, s'il réalise le caractère illégal de son permis, d'en demander le retrait -décision possible à tout moment sur la demande du pétitionnaire- afin de solliciter une nouvelle autorisation, légale cette fois-ci.

Cette dernière possibilité ne doit pas être sous-estimée : tous les moyens de légalité soulevés à l'encontre d'un permis de construire et susceptibles d'en provoquer l'annulation juridictionnelle ne sont pas rédhibitoires pour le projet. Il peut suffire de modifier certaines caractéristiques du projet pour rendre le permis légal. Bien entendu, si le moyen est tiré, par exemple, du caractère incompatible de l'occupation permise par le projet avec les dispositions du PLU ou du POS, le pétitionnaire ne pourra qu'abandonner intégralement celui-ci.

La solution dégagée par le Conseil d'Etat aboutit à un résultat on ne peut plus classique. En l'espère, en effet, le recours gracieux a été déposé dans les deux mois de la transmission du permis en préfecture : il était donc recevable. Le maire n'a pas répondu et une décision implicite de rejet a été formée le 6 juin 2009. Toutefois, le 13 juin 2009, le maire a rejeté explicitement le recours gracieux. Conformément aux dispositions de l'article L. 421-2 du Code de justice administrative, ce courrier a fait de nouveau courir le délai de recours puisqu'il s'agissait d'une décision purement confirmative. Le Conseil d'Etat peut, ainsi, juger que le déféré, enregistré le 11 août 2009, n'avait pas été introduit tardivement. L'on rappellera utilement qu'un recours gracieux fait naître normalement une décision supplémentaire. Dans le cas présent, où un rejet explicite fait suite à un premier rejet implicite, ce sont finalement trois décisions qui devront être déférées à la censure du juge administratif : le permis initial, ainsi que les deux décisions nées du recours gracieux.

  • Annulation d'un projet d'aménagement touristique et portuaire implanté dans un espace remarquable (CE 1° et 6° s-s-r., 20 mai 2011, n° 325552, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0315HSH)

Le Conseil d'Etat aurait-il médité l'inoubliable "Ô temps, suspends ton vol" avant de statuer sur l'affaire portée devant lui par la communauté d'agglomération du lac du Bourget ? Il semble, en tous cas, avoir voulu préserver autant qu'il est possible le lac du Bourget sur les rives duquel Lamartine écrivit ses vers immortels. La collectivité, bien peu respectueuse des "riants coteaux" chantés par le poète, avait obtenu une autorisation d'installations et travaux divers, ainsi qu'une déclaration d'utilité publique portant sur un projet d'aménagement touristique et portuaire sur un lieu-dit : 16 000 m² d'aires de jeux et de loisir, un bassin de 4 500 m² d'une capacité de 60 bateaux de plaisance, le tout accompagné de la création d'aires de stationnement et de la construction d'un pavillon à usage de capitainerie et de bloc sanitaire. En somme, un bel exemple de ces réalisations du tourisme moderne qui ravissent les élus, justifient une belle cérémonie d'inauguration avec discours et petits fours et détruisent définitivement ce qui peut rester d'authenticité à un site, mais qui donnent la bonne conscience d'avoir contribué au "développement économique".

Deux associations de défense de l'environnement et un particulier avaient obtenu l'annulation des deux actes en première instance et en appel (11). Présentant les mêmes questions à juger, les pourvois ont fait l'objet d'une jonction. La collectivité n'avait évidemment pas attendu l'issue de la procédure pour réaliser son projet. Le Conseil d'Etat a donc été contraint de se prononcer sur deux questions distinctes : la légalité des actes attaqués, d'une part, et la remise en état du site, d'autre part. Il donne raison aux associations sur les deux points.

1 - Le lac du Bourget est un site remarquable

Les articles L. 146-6 (N° Lexbase : L8034IMI) et R. 146-1 (N° Lexbase : L1345IN7) du Code de l'urbanisme imposent la préservation des sites ou paysages remarquables lorsqu'ils sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques, ou lorsqu'ils présentent un intérêt écologique. Ne peuvent y être implantés, après enquête publique, que des aménagements légers nécessaires à leur gestion ou à leur mise en valeur (chemins, objets mobiliers).

La première question qui se pose est celle de la qualification juridique des faits, dans des termes quasi identiques à ceux de l'arrêt de principe (12). En l'espèce, le site en question ne pouvait qu'être qualifié de site remarquable : situé dans une zone de protection des monuments naturels et des sites, il s'agit d'un secteur non urbanisé, inscrit, de surcroît dans le périmètre d'une ZNIEFF (zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique) et d'une zone importante pour la conservation des oiseaux. Au vu du cumul de ces critères objectifs, le Conseil d'Etat écarte ici toute erreur de qualification juridique des faits.

Il en va de même, et de manière encore plus objective, de la question de la qualification des installations. Etant donné leur ampleur, il aurait été inconcevable de les qualifier d'aménagements légers aux sens des articles précités.

L'erreur de droit invoquée par la communauté de communes est, également, rejetée. Celle-ci reprochait à l'arrêt de n'avoir pas procédé à un contrôle total du bilan de l'utilité publique du projet. L'arrêt du Conseil d'Etat vient utilement rappeler que la légalité d'une déclaration d'utilité publique ne s'apprécie pas exclusivement au regard de la théorie du bilan. Celle-ci ne constitue, en effet, qu'une modalité particulière du contrôle de la qualification juridique des faits. Avant d'apprécier la motivation propre de l'utilité publique d'un projet dans son ensemble, le juge apprécie toujours les autres moyens de légalité, l'appréciation de l'utilité publique n'intervenant qu'en dernier. Dès lors, il suffit que des moyens de légalité interne à justifient l'annulation de la déclaration d'utilité publique pour que le juge puisse légalement se dispenser d'appliquer intégralement la théorie du bilan, ce moyen étant alors surabondant. C'est précisément ce que rappelle l'arrêt du 20 mai 2011 : la déclaration d'utilité publique était illégale du fait de la qualification du site et des installations.

De même, le Conseil écarte-t-il très logiquement le moyen dirigé contre l'arrêt statuant sur le contentieux de l'autorisation tiré du manque de contrôle de l'utilité publique du projet. L'arrêt souligne justement que la légalité intrinsèque de l'autorisation n'est pas subordonnée à l'utilité publique du projet. Il s'agit, en effet, de deux actes liés mais distincts dont la légalité doit être appréciée de manière séparée. Les deux actes sont nécessaires à la réalisation de l'opération mais la légalité de l'autorisation de travaux n'est pas subordonnée à la déclaration d'utilité publique.

2 - La remise en état du site ne porte pas atteinte à l'intérêt public

Depuis plusieurs années, la règle traditionnelle de l'intangibilité de l'ouvrage public subit un recul sensible. L'arrêt "Denard" (13) y a ouvert une brèche et l'arrêt "Commune de Clans" (14) a définitivement abolit le principe de l'intangibilité, en attribuant au juge le soin d'apprécier si l'ouvrage public illégalement implanté doit être détruit ou conservé. L'arrêt du 20 mai 2011 reprend le considérant de principe de l'arrêt de 2003 qui donne au juge le pouvoir de décider des conséquences concrètes de sa décision sur le fondement de l'article L. 911-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3329ALU).

Le Conseil confirme que la régularisation de l'ouvrage est impossible : l'opération doit en, effet, être appréhendée dans son ensemble, même si certains aménagements sont de petite dimension. On ne peut qu'approuver une telle position : les aménagements ayant fait l'objet d'une seule autorisation portant sur l'ensemble de l'opération, la régularisation ne peut qu'être appréciée dans son ensemble. En effet, l'aménagement constitue une opération globale qui ne se limite pas à la somme des éléments qui la constituent.

L'arrêt rejette ensuite le moyen tiré du zonage "Natura 2000" et de la Convention de Ramsar du 2 février 1971, relative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats de la sauvagine (N° Lexbase : L4395IQT). Le moyen avait un caractère tautologique un peu curieux et le Conseil relève justement que ces modifications de zonage sont le résultat de la réalisation des travaux. Il rappelle, en outre, que ces zonages sont dépourvus de valeur réglementaire ou d'effets juridiques directs et confirme que le caractère remarquable du site provient de ses caractéristiques intrinsèques.

Enfin, la suppression des installations ne porte pas une atteinte excessive, malgré le coût de construction, à l'intérêt général. En particulier, le fait que la construction du port de plaisance n'a pas répondu à un véritable intérêt général puisque les bateaux peuvent être remisés à sec et que l'amarrage irrégulier le long du canal de Savières n'a pas pris fin. Cette dernière considération est importante car des ouvrages sont souvent justifiés par la nécessité de remédier à des inconvénients alors qu'une étude objective des circonstances de l'espèce permettrait de constater que le nouvel aménagement ne mettra pas fin à ces situations. C'est ainsi que de nombreux projets routiers, censés fluidifier la circulation, ne font qu'accroître le trafic sans véritablement apporter un remède aux difficultés rencontrées. L'on déplace le problème ou l'on en change la nature sans avoir apporter de solutions.

Le site devra donc être remis en état. Lamartine doit s'en féliciter.

Arnaud Le Gall, avocat au barreau de Caen et Maître de conférences à l'Université de Caen


(1) TA Melun, 13 novembre 2008, n° 0505204 (N° Lexbase : A5774EX7).
(2) CE, Sect., 8 juin 1990, n° 93191 et n° 93193, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5623AQC).
(3) CE, Sect., 7 février 2008, n° 297227, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7166D48), BJDU 5/99, concl. Courrèges, p. 382.
(4) CE, Sect., 7 février 2008, n° 297227, précité ; CE 1° et 6° s-s-r., 31 mars 2010, n° 313762, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4177EUA).
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 319942, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0419EQL).
(6) CE, Sect., 6 février 2004, n° 240560, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3388DB4).
(7) CE, Ass., 3 février 1989, n° 74052, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0651AQ8), Recueil, p. 44.
(8) CE, Ass., 26 octobre 2001, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1913AX7), Recueil, p. 497.
(9) CE, Sect., 10 juillet 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n° 60408, Recueil, p. 399.
(10) CE 3° et 5° s-s-r., 16 mai 1984, n° 19816, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5978ALY), Recueil, p. 182.
(11) CAA Lyon, 1ère ch., 18 décembre 2008, n° 07LY01589 (N° Lexbase : A7547ECI).
(12) CE, 4 avril 1914, n° 55125, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2800B7T), Recueil, p. 488.
(13) CE, Sect, 19 avril 1991, n° 78275, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9908AQZ), Recueil, p. 148.
(14) CE, Sect, 29 janvier 2003, n° 245239 (N° Lexbase : A0493A7E), RFDA, 2003, p. 477.

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