La lettre juridique n°441 du 26 mai 2011 : Filiation

[Jurisprudence] La tierce opposition des héritiers contre l'adoption de la concubine

Réf. : Cass. civ. 1, 4 mai 2011, n° 10-13.996, F-P+B+I (N° Lexbase : A7126HPM)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 26 Mai 2011

L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 4 mai 2011 est le terme d'une très longue histoire opposant les neveux et nièces d'une vieille dame richissime à la concubine de cette dernière. Six ans, et deux arrêts de la Cour de cassation (le premier a été rendu le 6 février 2008 (1)) après le décès de leur tante, les consorts P. obtiennent, enfin, gain de cause. Les donations des parts sociales détenues par Jeanine X, dont ils avaient bénéficié en 2001, étaient en effet menacées de révocation depuis le décès de celle-ci, à la demande de Mme Y qui avait été adoptée par la donatrice en 2002. Cette dernière, qui était en réalité la concubine de la défunte, prétendait que les donations avaient été de plein droit révoquées par le jugement d'adoption et avait engagé une action en ce sens en 2004. Le seul moyen pour les consorts X d'échapper à la révocation des donations consistait à remettre en cause le lien de filiation adoptive. Conformément à l'article 353-2 du Code civil (N° Lexbase : L2871ABX), ils ont formé une tierce opposition à l'encontre du jugement d'adoption en se fondant sur les liens entretenus par les deux femmes.

Mais le seul lien de concubinage s'est révélé insuffisant pour permettre la remise en cause de l'adoption à l'initiative des neveux et nièces de l'adoptante ; encore fallait-il établir la fraude qui subordonne la recevabilité de la tierce opposition à l'encontre d'un jugement d'adoption. Dans l'arrêt du 4 mai 2001, et contrairement à ce qu'elle avait jugé en 2008, la Cour de cassation admet enfin la recevabilité de la tierce opposition des héritiers (I) avant d'en reconnaître le bien fondé (II).

I - La recevabilité de la tierce opposition à l'encontre du jugement d'adoption

Confusion entre la recevabilité et le bien fondé de la tierce opposition. L'arrêt du 4 mai 2011 n'est pas seulement un arrêt venant affirmer la prohibition de l'adoption entre personnes ayant entretenu des relations de couple (cf. infra), c'est surtout un arrêt venant préciser la condition de fraude qui subordonne la recevabilité d'une tierce opposition à l'encontre d'un jugement d'adoption. Plus exactement, il rappelle, surtout lorsqu'on le confronte au précédent arrêt du 6 février 2008 de la Cour de cassation dans cette affaire, que la recevabilité de la tierce opposition au jugement d'adoption ne doit pas être confondue avec le bien fondé de la demande en adoption. Le premier arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, rendu le 5 septembre 2006 (2) avait, en effet, considéré que les liens entre l'adoptante et l'adopté constituaient la fraude permettant de déclarer recevable la tierce opposition des consorts X à l'encontre du jugement d'adoption. Or, ces liens, s'ils caractérisent à l'évidence le détournement de l'adoption (cf. infra) et son absence de bien fondé, ne suffisent pas à caractériser la fraude à laquelle est subordonnée le recours des tiers contre le jugement d'adoption. Pour garantir la sécurité juridique, les tiers ne sauraient en effet se voir ouvrir une voie de recours trop large contre une décision qui ne les concernent qu'indirectement.

Caractérisation de la fraude. Il était donc logique que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 5 septembre 2006, selon lequel "la fraude est constituée lorsque l'adoption est détournée de son but qui est de créer un lien de filiation" soit cassé par la Cour de cassation pour défaut de base légale. Sur renvoi après cassation, la même cour d'appel, autrement constituée, a revu sa motivation. Dans son arrêt du 25 novembre 2009, elle a, cette fois, pris soin de caractériser la fraude, autrement que par le seul détournement de l'adoption. C'est le fait que l'adoptante a gardé le silence sur la nature véritable de ses relations avec l'adopté lors de la procédure d'adoption qui caractérise, selon ce deuxième arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la fraude, et rend la tierce opposition recevable.

Cette motivation a reçu, dans l'arrêt du 4 mars 2011, l'aval de la Cour de cassation selon laquelle la cour d'appel a, "par une appréciation souveraine", estimé que l'adoptante avait "commis une omission dolosive constitutive d'une fraude de nature à influer de façon déterminante sur la décision d'adoption et rendant recevable la tiers opposition". Comme le fait remarquer un auteur en effet, "l'existence d'un dol ou d'une fraude relève du pouvoir souverain des juge du fond, mais la qualification de dol ou de fraude est contrôlée par la Cour de cassation" (3).

Cette fois, la cour d'appel a bien distingué l'existence même des relations entre l'adoptante et l'adopté, qui fonde le bien fondé de la tierce opposition, et le fait que ces relations aient été dissimulées par l'adoptante au juge compétent pour prononcer l'adoption, qui permet d'établir la recevabilité de la tierce opposition. La fraude consiste, en effet, "à travestir la réalité par de véritables maquillages ou de simples silences, pour obtenir du juge la décision souhaitée" (4), ce qui était à l'évidence le cas en l'espèce.

La position stricte de la Cour de cassation quant à la recevabilité de la tierce opposition s'explique par la nécessité de ne pas permettre aux tiers de remettre en cause le bien fondé de l'adoption admis par un juge. Dans l'hypothèse, certes peu probable, dans laquelle l'adoption aurait été admise alors que le juge était informé de la nature véritable des liens entre l'adoptante et l'adoptée, la tierce opposition n'aurait pas été recevable. Une telle solution est toutefois clairement exclue par la Cour de cassation dans l'arrêt du 4 mai 2011.

II - Le bien fondé de la tierce opposition à l'encontre du jugement d'adoption

Détournement de l'adoption. Le second moyen du pourvoi portait sur le bien fondé de la tierce opposition. La cour d'appel avait, en effet, accueilli la tierce opposition au fond en affirmant que "l'adoption simple a pour objet non de renforcer des liens d'affection ou d'amitié entre deux personnes, ayant des relations sexuelles, mais de consacrer un rapport filiation". Ayant constaté, notamment à partir d'un rapport de police établi lors du décès de l'adoptante, que cette dernière vivait en concubinage avec l'adopté depuis 1990, les juges du fond ont, selon la Cour de cassation, "souverainement apprécié leur demande au regard de la finalité de l'institution et constaté son détournement".

Révocation des donations pour survenance d'enfant. Il est, en outre, précisé dans l'arrêt du 4 mars 2011 que l'adoption simple permettait de contourner les règles civiles régissant les donations entre vifs. En établissant un lien de filiation, l'adoptante créait en effet, artificiellement, les conditions de la révocation pour survenance d'enfant des donations qu'elle avait consenties précédemment au bénéfice de ses neveux et nièces. Ainsi, l'adoption prononcée constituait, semble-t-il, un double détournement d'adoption, d'une part, parce qu'elle visait à établir un lien de filiation entre les membres d'un couple, d'autre part, parce que son principal objectif était de bénéficier d'un effet en principe secondaire de l'établissement d'un lien de filiation, c'est-à-dire la remise en cause de donations antérieures.

Exclusion de l'adoption entre concubins. Dans l'arrêt du 4 mai 2011, la Cour de cassation approuve clairement la cour d'appel d'avoir rejeté la possibilité d'une adoption simple entre personnes ayant entretenu des relations sexuelles. Une telle solution, si elle avait été plusieurs fois affirmée par des juges du fond (5), n'avait finalement jamais fait l'objet d'une affirmation aussi nette par la Cour de cassation. Certains auteurs avaient même déduit de certaines décisions de la Haute Cour une certaine tolérance de sa part vis-à-vis d'une telle hypothèse (6). L'arrêt du 4 mars 2011 possède le grand mérite de clarifier la jurisprudence : l'adoption ne saurait être admise dans un couple de concubins.

Exclusion de l'adoption d'un ex-époux. Cette décision doit être rapprochée de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 juin 2010 (7), selon lequel "la cour d'appel a retenu, à bon droit, que l'institution de l'adoption n'avait pas vocation à créer un lien de filiation entre deux ex-époux". Ainsi, quel que soit le mode de conjugalité -la solution est applicable dans le cadre du PACS-, il est exclusif d'une adoption d'un membre du couple par l'autre, et ce que ce soit pendant la vie commune ou après la rupture.

Finalité de l'adoption. La position de la Cour de cassation repose sur la finalité de l'adoption qui consiste à établir un lien de filiation dans l'intérêt d'un enfant. Une telle finalité exclut à l'évidence que l'adoption puisse être admise dans le cadre d'un couple ou d'un ex-couple puisqu'elle aboutirait à la création d'un inceste juridique.

L'arrêt du 4 mars 2011 met définitivement fin, s'il en était encore besoin, aux velléités de certains couples, notamment homosexuels, de détourner l'institution de l'adoption dans un but de transmission patrimoniale. Il constitue également un mode d'emploi pour les héritiers susceptibles de vouloir remettre en cause une telle adoption : avant d'invoquer le détournement, ceux-ci doivent impérativement prouver la fraude, et plus précisément le fait que le demandeur à l'adoption avait caché au juge la nature exacte de ses relations avec l'adopté ; en effet, il est désormais certain qu'aucun juge ne devrait prononcer une adoption s'il a connaissance de l'existence de relations de couples entre le demandeur à l'adoption et l'adopté.


(1) Cass. civ. 1, 6 février 2008, n° 06-20.054, FS-P+B (N° Lexbase : A9211D4W), Dr. Fam., 2008, comm.n° 159, obs. P. Murat.
(2) Dr. fam., 2007, comm. n° 54, obs. A. Gabriel.
(3) P. Chuvin, Chronique de la Cour de cassation, première chambre civile, D., 2008, p. 643.
(4) P. Murat, art. préc..
(5) CA Versailles, 4 novembre 1999, Dr. Fam., 2000, n° 141, obs. P. Murat ; CA Riom, 9 juillet 1981, JCP éd. G, 1982, II, 19799.
(6) Pierre Murat (art. préc.) évoque le doute suscité par l'arrêt de la première chambre civile du 8 juin 1999 (Cass. civ. 1, 8 juin 1999, n° 96-18.908 N° Lexbase : A6216CGC) ; dans le même sens, J. Hauser, obs. ss Cass. civ. 1, 8 juin 1999, RTDCiv., 1999, p. 610.
(7) Dr. Fam. 2010, comm. 150, obs. P. Murat

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