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N2888BSR
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par Christian Lopez, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise
le 15 Juin 2011
La Chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la troisième chambre de la cour d'appel de Rennes en date du 10 juin 2006, en ses seules dispositions ayant relaxé les prévenus du chef d'escroquerie à la TVA.
Selon la cour d'appel, les remboursements de crédits de TVA avaient été effectués sur la seule présentation des déclarations mensuelles et des demandes de remboursement. Or, le caractère sciemment erroné constituait un simple mensonge dépourvu de toute manoeuvre frauduleuse. En effet, les écritures comptables d'opérations diverses et l'édition de fausses factures, qui étaient postérieures au remboursement des sommes litigieuses, n'avaient pas pu constituer le caractère de manoeuvres, mais n'avaient eu d'autre utilité que de dissimuler le caractère mensonger des déclarations de TVA. Ainsi, selon les juges d'appel, le délit d'escroquerie ne pouvait être constitué en raison de l'absence de manoeuvres frauduleuses antérieures ou concomitantes aux remboursements indus de TVA.
Le problème soulevé dans le cadre de cette affaire repose essentiellement sur l'appréciation de l'élément matériel de l'infraction, et notamment sur la détermination des manoeuvres frauduleuses, lorsque celles-ci semblent intervenir postérieurement au remboursement d'une demande de crédit de TVA. En l'espèce, des manipulations comptables avaient permis de faire établir, postérieurement au remboursement de la TVA, de fausses factures pour justifier en comptabilité du montant de la TVA récupérable.
La seule présentation des déclarations mensuelles de TVA ayant entraîné des demandes de remboursement trimestrielles dont le caractère sciemment erroné n'est pas contesté, est-elle constitutive de manoeuvres frauduleuses visées par l'article 313-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2012AMH) ?
Pour pouvoir répondre à cette question, il convient d'analyser le mécanisme de la TVA au regard de l'infraction d'escroquerie avant de cerner l'élément matériel.
Impôt sur la consommation, la TVA n'est pas payée directement au Trésor par le consommateur final (redevable réel), mais par les entreprises de toute nature (redevables légaux). Tout se passe comme si le bien n'était taxé qu'une seule fois, au stade de la consommation finale. Le système des paiements fractionnés permet au Trésor d'encaisser en plusieurs fois la taxe relative au produit ou à un service consommé. Ces paiements interviennent à chaque stade du circuit de production ou de distribution, où, par le jeu des déductions, chaque intermédiaire se retrouve, soit à acquitter la TVA sur le supplément de valeur qu'il ajoute au produit, soit à bénéficier d'un crédit d'impôt. Bénéficiant de la mise en place d'un remboursement du crédit de taxe lorsque la TVA déductible est supérieure à la TVA collectée, certains assujettis commerçants obtenant indûment des remboursements de crédit de TVA ont été appelés les "détaxeurs". Les entreprises de façade qui délivraient les factures de complaisance sur lesquelles était mentionnée la TVA, se sont faites appeler les "taxeurs" ou les "taxis" ; quant aux sociétés intermédiaires s'intercalant entre les "détaxeurs" et les "taxis", elles ont été appelées les "relais" ou "écran" (lire Jean Cosson, Les industriels de la fraude, Seuil, 1974 ; La fraude par opérations fictives, Gaz. Pal., 1969, 1, doct., p. 81). Cette fraude, issue de la mise en place de la technique du paiement fractionné, ne pouvait pas être réprimée par l'ancien article 1835 (N° Lexbase : L4651HM9), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959 (N° Lexbase : L3443IP9) (aujourd'hui CGI, art. 1741 N° Lexbase : L1670IPK). En effet, l'assujetti au paiement de la TVA ne s'était pas soustrait à l'établissement ou au paiement de l'impôt mais il avait fait payer l'impôt par l'Etat. Par conséquent, la seule possibilité de réprimer de tels agissements résidait dans l'article 405 ancien du Code pénal (N° Lexbase : L4788DGG), lequel visait "quiconque, soit en faisant usage de faux noms, ou de fausses qualités, soit en employant des manoeuvres frauduleuses pour persuader de l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer, ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer, des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges, et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, et d'une amende de 3 600 francs [environ 549 euros] au moins et de 2 500 000 francs [381 123 euros] au plus".
La nouvelle rédaction ne fait que modifier de manière formelle la définition de l'escroquerie, sans en modifier les éléments constitutifs, permettant de laisser à la jurisprudence établie sous l'ancien texte toute sa force. Notons que l'article 313-3 du Code pénal réprime également la tentative d'escroquerie lorsque sont remplies les conditions énoncées par l'article 121-5 du Code pénal (N° Lexbase : L2132AMW), c'est-à-dire qu'il y ait commencement d'exécution et qu'elle ait échoué par suite de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur. Concernant les manoeuvres frauduleuses énumérées ci-dessous, elles constituent de simples actes préparatoires, insuffisants pour caractériser un commencement d'exécution du délit, elles doivent, dès lors, être suivies d'un acte tendant à obtenir la remise des fonds.
Ainsi, la tentative peut résulter de la souscription d'une demande de remboursement de crédit de TVA, mais ne peut être constituée en cas d'imputation, car elle se confondrait avec l'escroquerie même. Bien qu'entrée dans la phase active du commencement d'exécution, la tentative ne serait pas légalement établie si elle se trouvait suspendue par une renonciation volontaire de l'auteur à consommer le délit. Mais elle est caractérisée si ce sont des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur qui ne lui permettent pas d'aboutir, comme une demande de remboursement de crédit de TVA rejetée à la suite d'un contrôle ayant révélé la fraude.
En l'espèce, le dépôt de la demande de remboursement de crédit de TVA n'est nullement contesté, et constitue donc, en lui-même, l'infraction d'escroquerie, et cela indépendamment des manoeuvres supplémentaires intervenues postérieurement. En effet, les manipulations comptables par l'intermédiaire du compte des opérations diverses (OD), ainsi que l'établissement des factures de complaisance lors du contrôle fiscal ultérieur à la demande de remboursement ne sont que des éléments supplémentaires susceptibles, en eux-mêmes, de constituer des infractions spécifiques.
L'auteur principal de l'escroquerie est l'assujetti destinataire ou non de la facture. Il devient auteur principal de l'infraction du fait même de l'imputation de la TVA litigieuse, avec ou sans facture. L'émission de factures de complaisance n'apporte pas d'éléments indispensables à la constitution de l'escroquerie à la TVA, constituée du fait des dépôts des déclarations de TVA. Les manipulations comptables et les factures de complaisance ne font que contribuer à donner une apparence de réalité à des manoeuvres frauduleuses constituées.
Une circulaire du ministère de la Justice, en date du 16 septembre 1998, relative à la fraude fiscale et à l'escroquerie à la TVA (circ. crim. 98/8/G du 16 septembre 1998), distingue les possibilités de fraude résultant du mécanisme de la TVA. La fraude peut se faire par dissimulation du chiffre d'affaires réalisé, que les opérations aient été effectuées "hors taxe" ou que la taxe ait été réclamée au client et conservée par le commerçant. Cela entraîne une diminution de la TVA brute et, par voie de conséquence, de la TVA nette à payer au Trésor. Cette fraude se rencontre habituellement dans les opérations sans facture ou, en tout cas, non comptabilisées et réglées en espèces. Elle peut être mise en place également par augmentation de la TVA nette à payer au Trésor, et peut même faire ressortir un crédit de taxe susceptible de remboursement. Cette fraude s'opère fréquemment par fausse facture.
Dans le cadre du délit d'escroquerie de l'article 313-1 du Code pénal, il convient de prouver une machination, une ruse ou une combinaison d'actes, c'est-à-dire la réalisation de manoeuvres frauduleuses extérieures aux déclarations inexactes qui ne peuvent, en elles-mêmes, constituer cette preuve. Pour que l'allégation mensongère constitue une manoeuvre frauduleuse, elle doit être accompagnée d'un fait extérieur, d'un acte matériel susceptible de la rendre plausible. Ainsi en est-il d'un mensonge soutenu par la production de documents vrais ou faux, ou d'une mise en scène donnant l'apparence de sincérité aux allégations mensongères.
La récupération de la TVA résultant d'une facturation fictive qui a permis d'éviter le paiement de la TVA due constitue une manoeuvre frauduleuse au préjudice du Trésor, alors même que le montage utilisé et la facturation effectuée n'étaient pas, initialement, destinés à tromper le fisc. La facturation entre les deux sociétés avait été considérée comme fictive car elle ne correspondait pas aux flux monétaires intervenus entre elles. La Cour de cassation a considéré que cette manoeuvre a eu pour effet d'éteindre, par compensation, une dette de TVA, constituant ainsi le délit d'escroquerie (Cass. crim., 16 janvier 1996, n° 95-80.772 N° Lexbase : A8785AGH).
Il a déjà été jugé que les demandes de paiement de crédits indus de TVA, justifiées par des déclarations mensuelles de chiffre d'affaires indiquant un montant fictif de taxe déductible sous le couvert d'une comptabilité inexacte, dissimulant le montant de la taxe effectivement décaissée, constituent une mise en scène, et non pas de simples mensonges écrits. Elles caractérisent les manoeuvres frauduleuses visées par l'article 313-1 du Code pénal (Cass. crim., 14 novembre 2007, n° 07-83.208, F-P+F N° Lexbase : A0500D3W). Dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation énonce que toute demande de remboursement d'un crédit fictif de TVA constitue une mise en scène, caractérisant les manoeuvres frauduleuses du délit d'escroquerie commis au préjudice de l'Etat français. En effet, une telle demande ne peut s'appuyer que sur des déclarations mensongères de chiffre d'affaires -mensuelles, trimestrielles ou annuelles-, elles-mêmes justifiées par des écritures inexactes ou fictives. En l'espèce, une société s'était constituée un crédit fictif de taxe en comptabilisant au taux normal de 19,60 % des opérations de travail à façon réalisées à son profit et soumises au taux réduit de 5,5 %, le montant de cette taxe déductible indue étant dissimulé par l'absence de comptabilisation des factures des prestataires et la production ultérieure de factures fictives mentionnant le taux normal.
L'escroc ayant, dans un premier temps, persuadé l'administration de l'existence à son profit d'un crédit de TVA imaginaire, va ensuite obtenir la remise des fonds, soit par remboursement direct sur demande en restitution, soit par imputation sur le montant de la TVA due. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le délit se trouve établi en cas de majoration du crédit de TVA déductible au moyen de facture fictive, la déclaration de chiffre d'affaires ayant la valeur d'un titre de créance contre l'Etat pour le montant des sommes prétendument déductibles (Cass. crim., 25 janvier 1967, n° 66-92.968, publié au Bulletin N° Lexbase : A8925CIE, Bull. crim., n° 39, Gaz. Pal., 1967, 1, jur., p. 229, note Jean Cosson, DH 1967, p. 400 ; Cass. crim., 17 octobre 1967, n° 66-92.187, publié au Bulletin N° Lexbase : A8946CHS Bull. crim., n° 252, Gaz. Pal., 1968, 1, jur., p. 148 ; Cass. crim., 6 février 1969, n° 66-91.594, publié au Bulletin N° Lexbase : A2774CGT Bull. crim., n° 65, JCP éd. G, 1969, II, n° 16116, note Guérin H. ; Cass. crim., 10 décembre 1969, n° 67-91.046, publié au Bulletin N° Lexbase : A9691CGZ, Bull. crim., n° 335 ; Cass. crim., 13 octobre 1971, n° 70-92.124 N° Lexbase : A8799AYK, Bull. crim., n° 261).
De même, en soulignant qu'il avait été vérifié que, dans toutes les affaires où ont été utilisées les fausses factures établies par le "taxi" et se rapportant à des fournitures fictives, les sommes mentionnées sur les factures comme ayant été payées au titre de la TVA avaient été reprises sous forme de crédit de taxes par les bénéficiaires de ces factures, et déduites par eux des montants dont ils étaient redevables, afin d'en obtenir frauduleusement décharge par voie d'imputation scripturale, alors qu'en réalité ces sommes n'avaient pas été reversées au Trésor, les juges ont caractérisé le délit d'escroquerie commis par les prévenus (Cass. crim., 19 décembre 1973, n° 73-90.224 N° Lexbase : A7820AXW, Bull. crim., n° 480 ; voir également, Cass. crim., 20 janvier 1976, n° 75-91.685, RJF, n° IV, p. 221 ; Cass. crim., 19 juin 1978, n° 73-92.860, publié au Bulletin N° Lexbase : A3315CKY, Bull. crim., n° 201 ; Cass. crim., 19 octobre 1987, n° 85-94.605, publié au Bulletin N° Lexbase : A1809CIT, Bull. crim., n° 353).
A ce stade, il est intéressant de noter les évolutions de l'escroquerie en matière de TVA et notamment de la fraude dite "carrousel". La Cour de cassation a reconnu qu'en l'absence de remise matérielle des fonds, comme en l'absence de délivrance effective d'une quittance ou d'une décharge, la déclaration de chiffre d'affaires vaut titre de créance à l'encontre du Trésor public pour le montant des taxes déclarées comme déductibles, étant précisé que la circonstance que le titre qui constate l'extinction par déduction de la créance du Trésor public, créé par l'assujetti, ne fait disparaître aucun des éléments matériels du délit d'escroquerie. Il en est de même en l'absence de remise de fonds, dès lors que le paiement effectué par voie scripturale vaut remise d'espèces. Le délit d'escroquerie se trouve alors consommé par l'acceptation par l'administration de la déclaration de chiffre d'affaires.
La circulaire précitée du 16 septembre 1998 (circ. crim. 98/8/G du 16 septembre 1998) rappelle, d'ailleurs, qu'il est parfaitement établi aujourd'hui que la déclaration du chiffre d'affaires vaut titre de créance à l'encontre du Trésor public pour le montant des taxes déclarées comme déductibles et que la circonstance que le titre constatant l'extinction par déduction de la créance au Trésor public ait été créé par l'assujetti, ne fait disparaître aucun des éléments matériels du délit d'escroquerie. La circulaire rajoute même que le délit d'escroquerie se trouve consommé par l'acceptation par l'administration de la déclaration de chiffre d'affaires, sans qu'il soit nécessaire qu'elle soit accompagnée d'une demande de remboursement et encore moins que ce remboursement soit effectivement intervenu.
C'est la raison pour laquelle la Chambre criminelle casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, en ses dispositions ayant relaxé le prévenu du chef d'escroquerie, au motif que les remboursements ont été effectués sur la seule présentation des déclarations mensuelles du chiffre d'affaires taxable et des demandes de remboursement trimestrielles dont les mentions inexactes ne constituent que des mensonges, exclusifs de manoeuvres frauduleuses. Les juges d'appel précisaient que la passation d'écritures fictives en "opérations diverses" et l'émission de fausses factures étaient postérieures aux paiements des sommes indues. Ces actes n'avaient donc pas pu être à l'origine du remboursement de crédit de TVA, mais n'avaient pour "utilité" que la dissimulation du caractère mensonger des déclarations.
Précisons que le ministère public a, seul, qualité pour exercer l'action publique en matière d'escroquerie ou de tentative d'escroquerie à la TVA. Ce sont les dispositions du Code de procédure pénale qui trouvent à s'appliquer, et non celles du Livre des procédures fiscales. La mise en oeuvre de l'action publique, s'agissant d'un délit de droit commun, n'est pas subordonnée, comme en matière de fraude fiscale, au dépôt préalable d'une plainte de l'administration fiscale, même si, dans la pratique, la Direction générale des Finances publiques est amenée à déposer une plainte, afin de faire connaître au Parquet les informations qu'elle a pu recueillir. Il n'en demeure pas moins que l'avis de la Commission des infractions fiscales n'est pas nécessaire en la matière (Cass. crim., 19 octobre 1987, n° 85-94.605, publié au Bulletin N° Lexbase : A1809CIT, Bull. crim., n° 353, relatif à l'article 405 ancien du Code pénal). Constatons toutefois que depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 59-1472 du 28 décembre 1959, qui a modifié la rédaction de l'article 1741 du CGI, l'escroquerie à la TVA tombe à la fois sous le coup de l'article 313-1 du Code pénal et de l'article 1741 du CGI.
Cette décision de la cour administrative d'appel de Paris est relative à un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle réalisé à l'encontre d'un trafiquant de stupéfiant, et à l'issue duquel l'administration l'a taxé d'office, en application des dispositions de l'article L. 69 du LPF (N° Lexbase : L8559AEQ), à raison du solde créditeur de sa balance de trésorerie constitué par une somme de 352 000 francs (53 662 euros) trouvée à son domicile, et de la valeur de 70 kilogrammes de cannabis découverts dans son véhicule personnel, estimés par l'administration à la somme de 1 400 000 francs (213 429 euros). Il a été considéré que l'administration pouvait rattacher ces produits au titre des années vérifiées, dès lors que ces sommes étaient emballées dans des journaux marocains datant des mois de janvier et mars de l'année en cause. Le contribuable n'était pas dans la possibilité d'établir que la somme de 352 000 francs (53 662 euros), et celle avec laquelle il a acheté les produits stupéfiants se rattachent à des revenus ou à des éléments dans son patrimoine constitués avant le 1er janvier de l'année vérifiée. Les dispositions de l'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E), concernant une demande d'éclaircissement pouvaient donc être mises en oeuvre par l'administration fiscale pour demander au contribuable de justifier de l'origine des sommes dont il a disposé au titre de l'année concernée. La juridiction d'appel rappelle les termes de l'article L 16 du LPF : "en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements [...]. Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés". Il est également précisé qu'aux termes de l'article L. 69 du même livre : "sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16" et qu'aux termes de l'article L. 193 du même livre (N° Lexbase : L8356AE9) : "dans tous les cas où une imposition a été établie d'office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition". En l'espèce, le contribuable n'apporte pas la preuve que les revenus en cause ne concernent pas l'année vérifiée.
Par ailleurs, concernant le déroulement du contrôle fiscal, le requérant reproche à l'administration d'avoir mis en place un unique entretien avec le vérificateur, et que la demande de justifications lui a été remise à l'issue de cet entretien. La cour administrative d'appel rappelle, dans un premier temps, l'article L. 10 du LPF (N° Lexbase : L4149ICN) : "avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 (N° Lexbase : L6793HWI) et L. 13 (N° Lexbase : L6794HWK), l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration. Selon cette charte, il est exigé que le vérificateur ait recherché un dialogue avant même d'avoir recours à la procédure écrite et contraignante de l'article L. 16 du LPF ; que la méconnaissance de cette exigence a le caractère d'une irrégularité substantielle portant atteinte aux droits et garanties reconnus par la charte au contribuable vérifié". Il s'agit là du point le plus contestable, pour lequel le juge d'appel considère que le contribuable n'établit toutefois pas que cette seule rencontre aurait été insuffisante pour lui permettre de dialoguer avec l'administration sur le seul redressement envisagé, au vu des renseignements obtenus auprès de l'autorité judiciaire. Selon la cour d'appel administrative de Paris, le contribuable ne peut soutenir qu'il a été privé de la garantie d'un dialogue contradictoire prévu par la charte du contribuable vérifié et que, par suite, la demande de justifications lui aurait été remise sans avoir été précédée d'un tel dialogue.
Enfin, il est reproché au juge administratif de ne pas avoir tenu compte de l'obligation faite à l'administration de tenir à la disposition du contribuable qui le demande, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux rehaussements. En l'occurrence, il s'agissait du procès-verbal établi par les services de police à la suite de l'interrogatoire du trafiquant de stupéfiants. Or, les services fiscaux ont seulement pris connaissance, dans l'exercice du droit de communication, de documents détenus par d'autres administrations ; l'obligation à laquelle est tenue l'administration fiscale consiste donc à renvoyer l'intéressé vers les services concernés. Il résulte de l'instruction que l'administration a indiqué n'être pas détentrice du document en cause et qu'elle a cependant précisé au requérant les références du procès-verbal, afin de lui permettre d'en demander la communication au service qui le détient. Par conséquent, la procédure d'imposition n'est pas entachée d'irrégularité.
De notre avis, le point le plus sérieux de la contestation relève de l'absence de débat oral et contradictoire dans le cadre de l'examen de la situation fiscale personnelle. En effet, la mise en oeuvre, par l'administration fiscale, d'un ESFP entraîne le bénéfice, par le contribuable, d'un certain nombre de garanties qui, pour certaines d'entre elles, sont analogues à celles prévues en matière de vérification de comptabilité.
Selon une jurisprudence constante, le caractère contradictoire de l'ESFP implique que le vérificateur engage un débat avec le contribuable. Par ailleurs, comme le souligne le juge d'appel, la charte du contribuable vérifié, dont les dispositions sont opposables à l'administration fiscale, précise, dans ses dernières dispositions en vigueur, que "dans le cadre de l'ESFP, le dialogue joue un rôle très important tout au long de la procédure". Quant à la forme et l'étendue du débat, il résulte de l'examen de la jurisprudence que le vérificateur doit seulement engager un dialogue sur les points qu'il envisage de retenir, et que le débat n'a pas, nécessairement, à prendre une forme orale.
Il est vrai que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 10, alinéa 4, du LPF, exige, en outre, que le vérificateur engage un dialogue contradictoire avec le contribuable qui fait l'objet d'un ESFP, avant de lui adresser une demande de justifications en application de l'article L. 16 du LPF. La méconnaissance de cette exigence a le caractère d'une irrégularité substantielle, portant atteinte aux droits et garanties reconnus par la charte. Ceci a été rappelé à de multiples reprises par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 10 janvier 2001, n° 211967-212114, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6474APH ; CE 10° et 9° s-s-r., 26 février 2003, n° 222163, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3400A73). Soulignons que dans un arrêt de principe du 10 novembre 2000 (CE 9° et 10° s-s-r., 10 novembre 2000, n° 204805, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9063AH7), le Conseil d'Etat a jugé qu'au sein des dispositions de la charte qui ajoutent à la loi, il convient de distinguer les dispositions qui confèrent aux contribuables de véritables droits et garanties et celles qui instituent de simples formalités de procédure. Seule la méconnaissance des premières d'entre elles affecte la procédure d'imposition d'une irrégularité substantielle. Dans cette affaire, similaire sur ce point à celle qui nous occupe, le vérificateur n'avait pas respecté la clause de la charte lui imposant de rechercher un dialogue contradictoire avec le contribuable faisant l'objet d'un ESFP, avant d'avoir recours à la procédure contraignante de l'article L. 16 du LPF. Le Conseil d'Etat sanctionne l'administration pour irrégularité de la procédure, en considérant que l'exigence ainsi formulée par la charte apporte aux contribuables une garantie supplémentaire par rapport à l'exigence de débat contradictoire prévue par la loi.
A ce stade, il convient de souligner que la version actuelle de la charte n'exige plus clairement que le vérificateur engage un dialogue contradictoire avec le contribuable avant d'envoyer une demande de justifications.
Indépendamment du problème relatif à la mise en oeuvre du débat contradictoire avant l'envoi d'une demande d'éclaircissements, soulignons l'importance du dialogue tout au long de la procédure. Ainsi, lorsque l'administration taxe d'office un contribuable, à l'issue d'un ESFP, notamment à raison du solde créditeur de deux balances des espèces, provenant pour partie d'une évaluation de marchandise, même illicite, sans débattre de ce point avec le contribuable avant l'envoi de la demande de justifications, l'examen ne semble pas revêtir un caractère contradictoire et les sommes afférentes à cette évaluation doivent être retranchées des bases imposables du contribuable.
Le débat oral et contradictoire fait partie des garanties du contribuable vérifié dont le respect doit être assuré par l'administration fiscale elle-même sous le strict contrôle du juge.
Aux termes de l'article 1745 du CGI (N° Lexbase : L1736HNM), tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741 (N° Lexbase : L1670IPK), 1742 (N° Lexbase : L1734HNK) ou 1743 (N° Lexbase : L3101IQW) du CGI, peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt, ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes.
La Cour de cassation vient de préciser que la demande d'un contribuable de saisir le Conseil constitutionnel sur la question de la conformité de l'article 1745 du CGI au principe de personnalisation des peines, qui découle des dispositions de l'article 8 de la Déclaration du 26 août 1789 (N° Lexbase : L6813BHS), n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux. Elle précise que cette mesure n'a pas un caractère obligatoire et qu'ainsi, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, le juge n'est pas tenu de prononcer la solidarité. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer cette question devant le Conseil constitutionnel.
La solidarité n'est pas une "punition", au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (lire les observations de Thierry Lambert dans la Chronique de fiscalité des entreprises - Mars 2011 N° Lexbase : N6458BRM, note sous Cons. const., décision n° 2010-90 QPC du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1523GQH). Par conséquent, le grief tiré de la non-conformité de la solidarité est inopérant. Les personnes tenues par la solidarité édictée par l'article 1745 du CGI sont tous les auteurs, coauteurs ou complices d'une même infraction, qui ne sont pas le redevable légal de l'impôt fraudé. En effet, la solidarité ne peut affecter la situation du redevable légal qui, par application des règles propres au droit fiscal, demeure tenu au paiement total des impôts fraudés et des pénalités qui sont la conséquence de cette fraude. Par ailleurs, lorsque le redevable légal de l'impôt fraudé est une personne morale, la Cour de cassation a jugé que la solidarité n'est encourue par le dirigeant poursuivi pénalement que dans la mesure où ce dernier avait la direction de la société au sein de laquelle la fraude fiscale a été perpétrée (Cass. crim., 6 avril 1987, n° 85-96.581 N° Lexbase : A0042AAS, Bull. crim. n° 157, p. 425).
Soulignons, également, qu'il appartient au juge répressif d'apprécier souverainement s'il y a lieu d'ordonner la solidarité, pour le paiement de l'impôt fraudé et des pénalités fiscales y afférentes, entre le redevable légal de l'impôt et les personnes qui ont été condamnées, comme auteur ou comme complice, par application des articles 1741, 1742 et 1743 du CGI (Cass. crim., 22 décembre 1986 n° 85-91140 N° Lexbase : A6784AAI ; Cass. crim., 10 juin 1987 n° 86-94.488 N° Lexbase : A8419AA3; Cass. crim., 16 novembre 1992 n° 91-83.504 N° Lexbase : A4277CUX ; CAA Versailles, 8 novembre 2005 n° 04VE01914, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9468DLA).
Enfin, précisons qu'une action récursoire contre le débiteur principal peut être mise en oeuvre. La Cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer que le complice a droit au remboursement de la totalité des sommes payées par lui (Cass. com., 19 novembre 1991, n° 89-19.709 N° Lexbase : A3990ABE). En l'espèce, un complice de fraude fiscale ayant payé les impôts fraudés et les pénalités y afférentes en vertu de la solidarité de l'article 1745 du CGI, a intenté une action tendant au remboursement par un contribuable condamné pour fraude fiscale. Le juge ne peut limiter ce remboursement en proportion des fautes commises par chacun des condamnés. En effet, l'impôt fraudé et les pénalités en constituant l'accessoire ne procèdent pas de la condamnation pénale et sont personnels au contribuable. Cette solidarité n'est qu'une garantie de recouvrement d'une créance.
Ainsi, concernant l'article 1745 du CGI, la Cour de cassation ne pouvait que refuser le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel.
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