La lettre juridique n°441 du 26 mai 2011 : Procédure civile

[Textes] Fusion des professions d'avocat et d'avoué : la valse des décrets

Réf. : Décret n° 2011-361 du 1er avril 2011 (N° Lexbase : L9137IP4) ; décret n° 2011-419 du 18 avril 2011 (N° Lexbase : L9974IP4) ; décret n° 2011-443 du 21 avril 2011 (N° Lexbase : L0113IQA) ; décret n° 2011-451 du 22 avril 2011 (N° Lexbase : L0069IQM)

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 26 Mai 2011

La loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (N° Lexbase : L2387IP4), a pour objet de fusionner, au 1er janvier 2012, les professions d'avocat et d'avoué près les cours d'appel. A cette date les offices d'avoués seront supprimés, les avoués, sauf s'ils y renoncent au plus tard le 1er octobre 2011, deviendront automatiquement avocats, et la postulation devant la cour d'appel sera ouverte à l'ensemble des avocats du ressort de la cour (1). L'objectif du texte consiste à simplifier et à moderniser les règles de représentation devant les juridictions en permettant au justiciable d'être représenté par un seul auxiliaire de justice tant en première instance qu'en appel. La réforme achève ainsi un mouvement amorcé par la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) qui a unifié les professions d'avocat et d'avoué près des tribunaux de grande instance. Elle permet également à la France d'assurer le respect de ses engagements européens. Depuis le vote de la loi du 25 janvier 2011, quatre décrets d'application ont été publiés au Journal officiel. Les uns détaillent les modalités d'indemnisation des avoués (I) ; les autres exposent les modalités de renonciation à la profession d'avoué (II) et d'accès à certaines professions juridiques et judiciaires (III). I - Modalités d'indemnisation des avoués

En application de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, qui a ouvert un droit à indemnisation aux avoués et à leurs salariés, deux décrets sont venus préciser le fonctionnement de la commission nationale d'indemnisation (A) et du fonds d'indemnisation de la profession d'avoué (B).

A - Le fonctionnement de la commission nationale d'indemnisation

Les membres. Le décret n° 2011-361 du 1er avril 2011 précise la composition de la commission nationale d'indemnisation. Il dispose que les membres de ladite commission sont désignés pour cinq ans par arrêté du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés (2). Pour chaque membre titulaire, un suppléant est désigné dans les mêmes conditions. Les membres représentant les avoués près les cours d'appel sont désignés sur proposition de la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel. En cas d'empêchement d'un ou plusieurs membres titulaires ou suppléants de la commission, il est procédé à leur remplacement dans les mêmes conditions pour la durée du mandat restant à courir.

A noter que les fonctions des membres de la commission sont gratuites. Toutefois, ils ont droit au remboursement de leurs frais de déplacement dans les conditions applicables aux personnels civils de l'Etat.

Les délibérations. La commission ne délibère valablement que lorsque le président et au moins un des deux membres représentant respectivement le ministre de la Justice et le ministre chargé du Budget et un des deux membres représentant les avoués près les cours d'appel, ou leurs suppléants respectifs, sont présents. Dans tous les cas, si le quorum n'est pas atteint, la commission peut délibérer valablement après une nouvelle convocation si la moitié au moins de ses membres sont présents. En cas de partage égal des voix, le président a voix prépondérante.

Les décisions. La commission établit des offres d'indemnisation en s'appuyant sur les justificatifs fournis par l'avoué. Ses décisions sont motivées. Elles sont communiquées au Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, et notifiées au bénéficiaire concerné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, à l'adresse à laquelle il aura formé élection de domicile pour le temps de la procédure d'indemnisation.

Le montant de l'offre correspondant à l'indemnisation de la perte du droit de présentation est calculé en prenant pour base la moyenne entre, d'une part, la recette nette moyenne des cinq derniers exercices comptables dont les résultats sont connus de l'administration fiscale à la date de la publication de la loi et, d'autre part, trois fois le solde moyen d'exploitation des mêmes exercices. La recette nette est égale à la recette encaissée par l'office, retenue pour le calcul de l'imposition des bénéfices, diminuée des débours payés pour le compte des clients et des honoraires rétrocédés. Le solde d'exploitation est égal aux recettes totales retenues pour le calcul de l'imposition des bénéfices, augmentées des frais financiers et des pertes diverses et diminuées du montant des produits financiers, des gains divers et de l'ensemble des dépenses nécessitées pour l'exercice de la profession, telles que retenues pour le calcul de l'imposition des bénéfices en application des articles 93 (N° Lexbase : L1207IPE) et 93 A (N° Lexbase : L1987HL8) du Code général des impôts. Les données utilisées sont celles qui figurent sur les déclarations fiscales annuelles.

En cas d'acceptation de l'offre par l'avoué, l'indemnité correspondante est versée à l'avoué dans le délai d'un mois à compter de cette acceptation. A défaut d'avoir été acceptée dans le délai de six mois, l'offre de la commission est réputée avoir été refusée par l'avoué, auquel il appartient de saisir le juge de l'expropriation.

Du reste, le décret décrit la procédure d'indemnisation des salariés d'avoué : les indemnités exceptionnelles de licenciement (à hauteur d'un mois de salaire par année d'ancienneté, dans la limite de trente mois), indemnités exceptionnelles de reconversion, et sommes dues au titre du reclassement des salariés licenciés non prises en charge par le Fonds national pour l'emploi, sont calculées par le dernier employeur auquel le salarié doit remettre l'ensemble des pièces permettant de reconstituer sa carrière et de justifier de la demande.

B - Le fonctionnement du fonds d'indemnisation

Le décret n° 2011-419 du 18 avril 2011 précise les modalités de fonctionnement du fonds d'indemnisation de la profession d'avoué institué par l'article 19 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011. Pour mémoire, ce fonds est chargé d'une triple mission : il paie les sommes dues aux avoués près les cours d'appel et aux chambres, ainsi que les sommes dues à leurs salariés ; il procède au remboursement au prêteur du capital restant dû au titre des prêts d'acquisition de l'office ou de parts de la société d'exercice à la date où il intervient ; il prend en charge les éventuelles indemnités liées à ce remboursement anticipé.

La composition du fonds. Doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, le fonds est placé sous la tutelle du ministère de la Justice et du ministre chargé du Budget. Il est administré par un conseil de gestion composé d'un représentant du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, d'un représentant du ministre chargé du Budget, d'un représentant de la Caisse des dépôts et consignations et de deux représentants des avoués près les cours d'appel. Ces derniers sont désignés pour une durée de cinq ans par arrêté du ministre de la Justice, sur proposition de la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel (3).

Le conseil de gestion se réunit au moins deux fois par an sur convocation de son président. Ses délibérations sont adoptées à la majorité simple des suffrages exprimés. En cas de partage, la voix du président est prépondérante. Par ailleurs, le conseil de gestion ne délibère valablement que si trois des membres sont présents. Lorsque le conseil ne peut, faute de quorum, délibérer valablement, il peut à nouveau être réuni et délibérer valablement, quel que soit le nombre des membres présents, sous un délai d'un jour franc.

Au demeurant, il convient de relever que chaque année, sur proposition du président, le conseil de gestion adopte, avant le 31 mars :

- un état prévisionnel pluriannuel de l'équilibre économique et financier du fonds établi conjointement par la Caisse des dépôts et consignations et le ministère de la justice ;

- pour l'exercice à venir, l'état prévisionnel des recettes et des dépenses afférentes aux obligations de toute nature incombant au fonds établi conjointement par la Caisse des dépôts et consignations et le ministère de la justice ;

- le bilan, le compte de résultat et le rapport de gestion du fonds établis par la Caisse des dépôts et consignations concernant l'exercice écoulé.

La gestion du fonds. Le décret indique que la gestion administrative, comptable et financière du fonds d'indemnisation de la profession d'avoué est confiée à la Caisse des dépôts et consignations, dans les conditions fixées par une convention de gestion passée entre le fonds représenté par son président et la caisse. Cette convention fait l'objet d'une approbation par le conseil de gestion du fonds.

De plus, le décret énumère les recettes et les dépenses du fonds d'indemnisation en son article 6. Les premières sont constituées par le droit dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel, mentionné à l'article 1635 bis P du Code général des impôts (N° Lexbase : L3226IGL), le montant des emprunts ou des avances contractés auprès de la Caisse des dépôts et consignations, le produit correspondant au placement des éventuels excédents de trésorerie, ainsi que les recettes non prévues et diverses. Les secondes comprennent notamment les frais de gestion du fonds dus à la Caisse des dépôts et consignations, les frais financiers liés à la mise en place des emprunts ou des avances par la Caisse des dépôts et consignations au bénéfice du fonds, le remboursement des emprunts ou des avances contractés auprès de la Caisse des dépôts et consignations et le règlement des intérêts y afférents, les frais de gestion liés aux modalités de versement par l'Etat au fonds du droit mentionné à l'article 1635 bis P du Code général des impôts, ainsi que les dépenses non prévues et diverses.

Enfin, le décret dispose que les paiements du fonds d'indemnisation de la profession d'avoué des sommes dues en application des articles 13, 14, 15 et 17 de la loi du 25 janvier 2011 sont effectués par la Caisse des dépôts et consignations en exécution et après notification des décisions de la commission prévue à l'article 16 de ladite loi ou du président de la commission statuant seul ou encore des décisions de justice exécutoires ou définitives du juge de l'expropriation, avec la production de toutes pièces de nature à établir le caractère exécutoire ou définitif des décisions.

II - Modalités de renonciation à la profession d'avocat

Le décret n° 2011-443 du 21 avril 2011, pris en application de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, définit les modalités selon lesquelles les avoués exercent leur faculté de renonciation à entrer dans la profession d'avocat, ou expriment leur choix d'être inscrits à un autre barreau que celui établi près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé leur office.

La procédure de renonciation. Les avoués près les cours d'appel qui, en application de l'article 26 de la loi du 25 janvier 2011, renoncent à faire partie de la profession d'avocat en avisent le président de la chambre de la compagnie des avoués près la cour d'appel dont ils dépendent, au plus tard le 1er octobre 2011, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Selon les mêmes modalités, les avoués près les cours d'appel qui choisissent d'être inscrits au tableau d'un barreau autre que celui prévu au premier alinéa du I de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 en avisent le président de la chambre de la compagnie des avoués près la cour d'appel dont ils dépendent, qui en informe immédiatement le président de la chambre dans le ressort de laquelle se situe le barreau au tableau duquel l'avoué demande son inscription.

La désignation d'un successeur. Par ailleurs, le décret comprend des dispositions relatives à la transmission des dossiers en cours, par les avoués cessant leur activité. Précisément, l'avoué renonçant avise ses clients de la nécessité pour eux de constituer un avocat pour le substituer à compter du 1er janvier 2012 dans les instances en cours et transmet sans délai à son successeur les pièces dont il est dépositaire ainsi que les actes de procédure. A défaut de désignation d'un successeur par le client, trois mois après l'envoi de la lettre recommandée, l'avoué transmet les pièces et les actes de la procédure au Bâtonnier du barreau dans le ressort duquel il a son office. Il informe son client de cette transmission. En l'absence de demande en restitution du client, le Bâtonnier est dépositaire des pièces pendant un délai de cinq ans.

III - Modalités d'accès à certaines professions

L'accès privilégié des avoués aux professions juridiques et judiciaires. Pris pour l'application de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, le décret n° 2011-451 du 22 avril 2011 détermine les conditions dans lesquelles les avoués qui renoncent à entrer dans la profession d'avocat et leurs collaborateurs, titulaires de l'examen d'aptitude à la profession d'avoué, d'une part, et, d'autre part, leurs autres collaborateurs juristes, peuvent sur leur demande présentée dans le délai de cinq ans bénéficier d'un accès privilégié aux professions juridiques et judiciaires.

Ce texte permet aux avoués et à leurs collaborateurs titulaires du diplôme d'avoué d'accéder aux professions de notaire, d'huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire et de greffier de tribunal de commerce sous réserve d'accomplir un stage professionnel de six mois au sein de la profession qu'ils intégreront.

Pour accéder aux professions d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire ils doivent accomplir un stage pratique de un an et passer un examen d'aptitude allégé. Pour la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, un stage de deux ans est requis pour les collaborateurs et l'examen d'aptitude, qui reste nécessaire, est allégé pour les avoués.

Les autres collaborateurs, bénéficient d'une dispense de l'examen ou des conditions d'accès à la formation ou au stage, suivant les professions. Ils demeurent soumis à l'obligation d'accomplir la durée du stage et de subir l'examen d'aptitude. Une dispense partielle de stage peut leur être accordée par décision du procureur général ou des commissions nationales d'inscription et de discipline des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

Le décret fixe, en outre, les conditions de diplôme et d'expérience professionnelle requises pour permettre aux collaborateurs juristes de bénéficier de l'accès direct à la profession d'avocat accordé par la loi aux collaborateurs titulaires de l'examen d'aptitude à la profession d'avoué.

Ce texte comprend également, s'agissant spécifiquement de l'accès à la profession d'avocat, des dispositions relatives à l'inscription des avoués au tableau de l'Ordre ainsi qu'à leur faculté d'exercer simultanément cette profession et celle d'avoué pendant une période transitoire de trois mois à compter du 1er octobre 2011.

La désignation du Bâtonnier de la cour d'appel. Dans un autre registre, le décret fixe les modalités de désignation du Bâtonnier de la cour d'appel, nouveau représentant de la profession d'avocat créé par la loi pour prévenir les difficultés qui pourraient surgir du fait de l'extension du nombre de postulants devant la cour d'appel. Ainsi, selon le nouvel article 6-1 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), tous les deux ans dans le premier mois de l'année civile, les Bâtonniers des barreaux d'une même cour d'appel désignent à la majorité celui d'entre eux chargé, en qualité de bâtonnier en exercice, de les représenter pour traiter des questions mentionnées au dernier alinéa de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971. La décision est communiquée sans délai au premier président de la cour d'appel et au procureur général près cette même cour. En l'absence de désignation à l'expiration du délai prévu, le Bâtonnier du barreau du tribunal de grande instance situé au siège de la cour d'appel ou, à défaut, du tribunal de grande instance le plus proche de la cour assure cette représentation.

Les transferts. Sur un plan pratique, le décret règle le sort des archives des chambres d'avoués ainsi que le transfert des fonds détenus par les anciens avoués à la caisse des règlements pécuniaires des avocats. Sauf pour les besoins de l'application des articles 28 et 29 de la loi du 25 janvier 2011, les documents, dossiers et archives professionnels détenus par les anciennes chambres des compagnies d'avoués près les cours d'appel ainsi que par la Chambre nationale des avoués sont respectivement transférés aux barreaux, établis près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé le siège de la chambre, et au Conseil national des barreaux. En outre, les fonds, valeurs ou effets déposés avant le 1er janvier 2012 par un avoué pour le compte de ses clients ou de tiers sur un compte de dépôt ouvert dans une banque ou à la Caisse des dépôts et consignations sont transférés au plus tard le 31 décembre 2012 à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats instituée par le barreau auquel l'avoué aura été inscrit.


(1) Sur la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, v. nos observations La réforme de la représentation devant les cours d'appel, Lexbase Hebdo n° 66 du 3 mars 2011 - édition professions (N° Lexbase : N5089BRW).
(2) V. Arrêté du 4 avril 2011, fixant la composition de la commission prévue à l'article 16 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel (N° Lexbase : L3654IQE).
(3) V. Arrêté du 26 avril 2011, portant nomination au conseil de gestion du fonds d'indemnisation de la profession d'avoué (N° Lexbase : L3655IQG).

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