Lecture: 7 min
N2909BSK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 26 Mai 2011
Philippe Pourchez : La particularité du barreau d'Amiens est d'être installé au siège de la cour d'appel. Son autre caractéristique est d'être un barreau qui a été impacté très largement par la réforme de la carte judiciaire. En effet, la Somme est un des rares départements à ne disposer que d'un seul tribunal de grande instance, puisque que ceux d'Abbeville et de Péronne ont été intégrés à celui d'Amiens. Cette fusion a entraîné un accroissement du nombre de confrères : nous étions environ 170 avocats avant la fusion et nous sommes aujourd'hui un peu plus de 240. Cette fusion génère quantité de dysfonctionnements (approximations au niveau des greffes, problématique des délais de traitement, transmission des dossiers, numéros de dossier identiques, notamment avec la mise en place du RPVA faite en simultané) que nous allons être amenés à régler rapidement. Le barreau d'Amiens est un barreau jeune et il est implanté dans une région très largement touchée par la crise économique. Aussi, une bonne partie de nos jeunes confrères travaille à l'aide juridictionnelle.
Lexbase : Comment s'est organisée la mise en place de la nouvelle garde à vue au sein de votre barreau ?
Philippe Pourchez : Le barreau d'Amiens est un barreau courageux ! Lorsqu'il y a eu la réforme de la garde à vue, certains de mes homologues Bâtonniers faisaient valoir que leurs confrères ne souhaitaient pas intervenir dès lors qu'ils n'avaient pas de garanties de paiement de leurs prestations : je n'ai eu, dans mon barreau, aucune réaction de ce type là.
Tous les confrères sont très motivés. Ils considèrent que c'est un droit nouveau qui leur a été offert et, même s'il n'y avait pas de certitude du règlement à l'époque -puisqu'il y a eu une période d'une quinzaine de jours où cette question est restée en suspend-, je n'ai vu strictement aucune réaction hostile. Tous ceux qui étaient de permanence y sont allés sans rechigner, comme un seul homme, pour passer nuits et jours à assister les gardés à vue.
Je dirai que quelque part c'est exemplaire et je m'en suis même entretenu avec le Procureur de la République qui convenait qu'il n'y avait eu absolument aucun dysfonctionnement dans le ressort sur la mise en oeuvre des nouvelles interventions en matière de garde à vue. Le barreau a donc réussi à faire face et j'en suis assez satisfait !
Je n'ai qu'un espoir maintenant, c'est que les conditions de règlements qui vont nous être proposées, ou imposées, soient suffisamment raisonnables. En effet, il est indispensable qu'elles prennent en compte les frais de déplacements -le département est très vaste-, ainsi que les majorations de nuit et durant le week-end.
Pour faire fonctionner le système j'ai besoin de beaucoup de volontaires.
Jusqu'alors le barreau pouvait compter sur une cinquantaine de volontaires qui étaient de permanence chacun leur tour une semaine d'affilée. Avec le nouveau système, cette organisation va devoir être revue, les confrères ne pouvant pas délaisser leur cabinet jour et nuit pendant huit jours de suite. Cela pénaliserait et désorganiserait la structure de leurs cabinets.
En tant que Bâtonnier, il est de mon ressort de mettre en oeuvre un système où il y aura un minimum de contrainte pour mes confrères.
Le temps de permanence sera réduit et passera d'une semaine à deux jours et demi.
Il restera la question des volontaires pour le week-end, mais si l'indemnisation pour cette période n'est pas majorée, il se peut que des difficultés surgissent...
Lexbase : Justement que pensez-vous du financement proposé par le Conseil national des barreaux et la Chancellerie ?
Philippe Pourchez : Le CNB s'est calé sur les calculs qui avaient été faits par la Conférence des Bâtonniers, elle-même se fondant sur la rémunération qui était celle applicable à l'époque pour la demi-heure. Une extrapolation a été faite pour arriver à peu près à 365 euros. La Chancellerie de son côté propose 300 euros. L'un et l'autre ne sont pas très éloignés.
Ce qui me semble être à ce jour un écueil est l'absence des majorations de la nuit et de week-end, ainsi que la prise en compte des frais de déplacement. Sur le ressort du barreau, nous avons, par exemple, des points de garde à vue qui sont distants de soixante kilomètres donc je vous laisse faire le calcul des distances parcourues pour assister les gardés à vue...
Et il ne semble guère imaginable que les confrères ne soient pas indemnisés de ces kilomètres. La rémunération doit être équitable et, à défaut, je crains de ne pas disposer de suffisamment de volontaires et la qualité de service risquerait d'être moindre pour les dossiers où les lieux de garde à vue seront éloignés. Il n'est pas impossible, dès lors, que nous ne soyons plus en mesure de répondre à toutes les demandes. Mais, pour le moment il y a un certain engouement, encore (!), et tout fonctionne très bien.
Lexbase : Comment se déroule le passage au RPVA dans votre barreau ?
Philippe Pourchez : Le barreau a eu la chance d'avoir l'un de ses membres très intéressé par les nouvelles technologies et qui a été un élément moteur depuis l'origine du lancement de ce système. Le Président du tribunal de grande instance y était également très favorable ce qui fait qu'Amiens a été pratiquement une juridiction pilote pour l'installation du RPVA.
Il est en place depuis deux ou trois ans, et parfaitement opérationnel depuis près de dix-huit mois, date qui coïncide surtout avec une baisse des tarifs d'environ 30 % opérée par le CNB. Donc simultanément nous avons eu un système plus fiable et moins cher !
Pratiquement les trois quarts des confrères sont inscrits au RPVA. Tout fonctionnait très bien jusqu'à décembre 2010. Mais, un ralentissement s'est fait ressentir depuis le début de l'année avec l'intégration de deux barreaux supplémentaires. Sachant qu'elles allaient disparaître, les juridictions d'Abbeville et de Péronne n'ont pas pris la peine de se mettre au RPVA, ce que l'on peut bien évidemment comprendre. Par ailleurs, les greffes n'ont pas anticipé les fusions de tribunaux. Je m'explique : pour la numérotation des dossiers au greffe le système est le même à travers toute la France et donc nous nous retrouvons aujourd'hui avec des numéros "RG" identiques pour Amiens, Abbeville et Péronne... Il était impossible de fusionner les numéros de dossier, il aurait fallu réaffecter de nouveaux numéros et cela aurait généré un surcroît de travail pour le personnel du greffe, déjà très chargé. Donc au final, malheureusement, le système a un peu baissé en qualité du fait de l'arrivée de ces deux tribunaux. Mais progressivement les choses vont rentrer dans l'ordre.
Hormis cela, ce système nous convient très bien et nous l'utilisons même au-delà de ce qui est prévu. En effet, normalement le noyau dur du RPVA tourne autour du tribunal de grande instance, mais nous nous en servons auprès du tribunal correctionnel pour la mise en état des procédures pénales sur intérêts civils. Nous disposons également à la cour d'appel de greffiers qui nous informent des injonctions et des dates de fixation, via le RPVA. Enfin, il nous est possible d'adresser, par ce système, des conclusions à la chambre sociale de la cour.
Lexbase : Du côté des nouveautés, l'acte d'avocat a fait son entrée dans le paysage juridique le 28 mars dernier ; comment appréhendez-vous ce nouvel outil ?
Philippe Pourchez : J'ai mobilisé les confrères via un éditorial de la newsletter du barreau sur ce sujet. Il faut attirer leur attention à la fois sur la nouveauté que cela représente et sur l'intérêt que cela apporte à la profession pour le grand public. Dans l'esprit du public, avec l'acte d'avocat, les confrères seront sollicités non seulement en cas de litige, mais aussi et surtout pour obtenir une sécurité juridique à un prix concurrentiel. L'intervention de l'avocat doit dès lors, nécessairement, se banaliser.
Le barreau va donc organiser une formation sur ce thème où un universitaire expliquera l'outil en lui-même, et où des confrères, spécialisés par domaine d'activité, en présenteront l'intérêt spécifique dans le domaine d'activité considéré.
Lexbase : Bâtonnier depuis le début de l'année, qu'allez vous prévoir pour votre barreau durant ce mandat ?
Philippe Pourchez : Tout d'abord, la fusion me prend beaucoup de temps. Il faut récupérer les archives, régulariser les écritures en retard, s'occuper des questions d'assurance, gérer la continuation des contrats en cours, résoudre le sort du personnel des barreaux absorbés, établir un nouveau tableau de l'Ordre, etc.. On n'imagine pas tout l'administratif qu'il peut y avoir derrière une telle réforme !
Au niveau des formations, le barreau a organisé, récemment, un colloque avec Monsieur Antoine Garapon, Secrétaire général de l'Ecole des hautes études juridiques, sur l'application de la théorie du néo-libéralisme à la Justice. Cette religion de la statistique va générer un mode d'exercice un peu particulier que ce soit au niveau des avocats ou au niveau des juridictions. Il y a un virage important qui, sous couvert de rentabilité et d'efficacité, entraîne un changement de la nature de l'activité : si vous devez gagner 5 à 10 % d'efficacité et de rentabilité, vous aller travailler un peu plus vite sans modifier la nature de l'activité ; en revanche s'il vous faut gagner 50 % de rentabilité, vous ne faites plus le même métier.
Autant dire que ce colloque a remporté un franc succès !
Comme évoqué précédemment, le prochain colloque organisé par le barreau sera consacré à l'acte d'avocat.
Durant mon mandat, je souhaiterais également continuer dans le développement des nouvelles technologies. A cet égard, toute l'informatisation des locaux de l'Ordre va être mise en place et, au Palais de justice avec l'accord des magistrats, des bornes wi-fi devraient voir le jour pour permettre aux confrères équipés de tablettes, en attendant leur tour à l'audience, d'avoir accès à internet et de relever leur courriel. Enfin, je souhaite également installer à la bibliothèque de l'ordre un ou plusieurs ordinateurs connectés à des bases de données juridiques.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:422909