Lecture: 10 min
N2812BSX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction
le 20 Mai 2011
Eric Devaux : Le barreau de Béthune est un barreau de taille moyenne, jeune et assez féminisé, comptant un peu plus d'une centaine d'avocats inscrits, essentiellement généralistes.
La particularité locale que nous avons est l'importance de la population sur le ressort ce qui fait d'une part, que l'activité est très importante au tribunal de grande instance et, d'autre part, que nous avons un énorme pourcentage d'aide juridictionnelle (5ème ou 6ème rang au niveau national). Aussi l'actualité récente, notamment la garde à vue, a un impact fort sur notre activité puisque une forte population a pour corollaire une forte délinquance...
Et comme il y a beaucoup d'intervention dans le cadre du secteur assisté nous rencontrons des difficultés particulières et non négligeables dans la mise en oeuvre de la réforme.
Le barreau de Béthune est un barreau très réactif et très motivé.
L'ambiance et l'état d'esprit qui nous animent sont particuliers et ont toujours fait envie aux barreaux limitrophes et même plus lointains. En effet, nous avons toujours privilégié une excellente ambiance interne, une grande convivialité, une grande confraternité, une grande ouverture pour les confrères extérieurs, un excellent accueil, ce qui n'est pas toujours le cas dans tous les barreaux. Tous ces éléments là ont toujours été l'une des caractéristiques du barreau de Béthune et malgré le renouvellement des générations cela ne change pas et je m'en félicite.
Lexbase : Bâtonnier depuis le 1er janvier 2011, quels sont les objectifs que vous visez durant ces deux années de mandat ?
Eric Devaux : L'objectif principal est d'essayer de faire face et c'est déjà beaucoup tant sur l'année en cours que sur l'année à venir !
Il faut faire face aux deux énormes réformes auxquelles on est et on sera confronté : la garde à vue et la réforme des cours d'appel. Il n'y a pas de quoi s'amuser, ni de quoi se réjouir particulièrement ; c'est difficile à mettre en oeuvre pour la garde à vue et cela le sera tout autant pour la procédure d'appel.
C'est déjà un beau programme. Et pour le reste, je tenterai de pérenniser la tradition béthunoise : faire face à toutes les difficultés qui peuvent surgir là où on ne les attend pas forcément et puis préserver l'ambiance du barreau. Je considère que le barreau est une espèce de grande famille et je n'aime pas les familles lorsqu'elles se déchirent ; j'aime lorsqu'il y a une solidarité, une réactivité qui fait que lorsque l'un faiblit, l'autre le prend en charge.
Enfin, je souhaite continuer les travaux commencés sous mon prédécesseur, mais poursuivis activement depuis janvier, visant à réunir les CARPA de la quasi-totalité des Barreaux du Nord-Pas-de-Calais, à l'exception de Lille. Ce projet de fusion doit se concrétiser au 1er juillet 2011 par la création de la CARPA des Hauts de France. C'est évidemment un projet important pour nos barreaux qui a mobilisé l'énergie des Bâtonniers et présidents de CARPA du ressort, lesquels se sont à de nombreuses reprises réunis à Béthune, siège de la future CARPA, pour résoudre au fur et à mesure les nombreux problèmes posés par la création de cette nouvelle structure.
A une époque où la profession subit des réformes et des décisions qu'elle n'a pas toujours voulues, il est important de noter que nous pouvons aussi travailler ensemble avec la création d'organismes ou d'institutions utiles à la Profession.
On ne peut que se féliciter de voir des barreaux coopérer pour élaborer un projet commun conforme à leurs attentes.
Lexbase : Les arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 15 avril dernier (1) ont quelque peu précipité la mise en place de la réforme de la garde à vue. Comment s'organise le barreau de Béthune ?
Eric Devaux : Concernant cette réforme on a pris l'habitude de dire que c'est le barreau qui l'a voulue et que c'est à lui de l'assumer : c'est à la fois vrai et faux.
C'est, évidemment, le barreau qui a toujours dit qu'il fallait modifier les données qui composent la garde à vue, telle qu'elle existait précédemment. Mais cette réforme est également conditionnée tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, que par celle de la Cour européenne des droits de l'Homme (2). Ce n'est pas le barreau aujourd'hui, avec la faible efficacité, la faible aura dont il jouit qui est en mesure de créer ou de susciter un texte de loi quel qu'il soit. Nous sommes d'accord pour dire que c'est une bonne réforme. Cela fait vingt-cinq ans que je fais ce métier, et vingt-cinq ans que j'entends dire que les gardes à vue se déroulent dans des conditions parfois très critiquables, indignes, que la pression effectuée, même par des policiers consciencieux, était susceptible d'entraîner sur des gens faibles ou fatigués des aveux qui, derrière, les liaient dans le cadre du débat judiciaire.
Donc nous ne pouvons que nous satisfaire de l'instauration de cette réforme et de l'intervention, même dans des conditions réduites et minimales, de l'avocat pendant la phase d'enquête.
Mais maintenant il faut l'assumer ! Pour l'assumer, très clairement des barreaux comme le nôtre (comme ceux de Boulogne ou Valenciennes, par exemple), qui regroupent une centaine d'avocats dans un ressort où il y a beaucoup de population et pas mal de délinquance, sont des barreaux où la mise en oeuvre de la réforme est très difficile. Dans un petit barreau, il n'y a pas beaucoup d'avocats et pas beaucoup de délinquance et les choses sont gérables ; dans un grand barreau il y a peut être beaucoup de délinquance mais il y a surtout beaucoup d'avocats pour assumer la charge et c'est plus facile à gérer également.
Très localement, comment avons-nous fait ?
D'entrée de jeux nous avons pris à la lettre les décisions de l'Assemblée plénière du 15 avril, (que nous n'avions pas forcément vu venir notamment en termes de conséquences...).
Nous avons aussitôt organisé un conseil de l'Ordre exceptionnel et décidé qu'il n'était pas question de ne pas y aller tout de suite et surtout qu'il fallait y aller à fond !
Nous avions bien compris qu'il y allait avoir une période intermédiaire assez floue entre ce 15 avril et le 1er juin, date normale de mise en oeuvre du texte de loi du 14 avril 2011 (3). Pendant cette période de flou, nous avons décidé de continuer avec le système qui était mis en place précédemment, c'est-à-dire trois avocats volontaires de permanence par semaine plus deux volontaires qui viendraient épauler l'équipe de base, ces volontaires étant choisis principalement au sein du conseil de l'Ordre avec cette particularité, et j'ai été très clair là-dessus que, d'une part, il fallait qu'il y ait des volontaires et, d'autre part, qu'ils risquaient fort de ne pas être payés. Les nouvelles données financières ne seront appliquées qu'au 1er juin, selon la loi du 14 avril, et pour cette période intermédiaire ceux qui vont faire face à cette obligation nouvelle ne pourront être payés dans les conditions nouvelles. Néanmoins j'ai eu suffisamment de confrères volontaires tout de suite, pour faire face immédiatement à la nouvelle contrainte. Ainsi, depuis le 15 avril, nous assumons avec des volontaires les permanences de garde à vue.
Il a été convenu avec cette équipe de permanence, qui correspond aujourd'hui à 2/5ème du barreau, de faire des permanences d'une semaine à 5 ou 6 avocats, toutes permanences pénales confondues avec un coordinateur, membre du conseil de l'Ordre, qui recueille tous les appels téléphoniques et les attribue ensuite aux avocats de permanence, en fonction de leur emploi du temps, de la charge qu'ils ont déjà assumée, de leur localisation et du point de chute de la garde à vue. Depuis le 15 avril cela fonctionne. Nous nous sommes donnés quelques semaines pour voir quelles seraient les difficultés que nous allions nécessairement rencontrer, quels étaient les point qu'il faudrait sans doute modifier. Mais pour l'instant le barreau de Béthune assume, bien que cela soit évidemment très lourd.
A titre d'exemple, dans la nuit du 15 au 16 avril, il y a eu quatre confrères qui sont allés assumer des gardes à vue au commissariat de Lens en pleine nuit ; ils sont arrivés vers 23 heures et sont sortis vers 4-5 heures du matin. Et depuis c'est quasiment chaque jour pareil. C'est-à-dire que les gardes à vue sont souvent la nuit, à des horaires très décalés par rapport aux horaires de travail "normaux" avec des laps de temps assez importants. La garde à vue d'une demi-heure est assez résiduelle ! Lorsque un avocat se rend en garde à vue et qu'il assure l'entretien, la première audition, les délais inévitables d'attente, de mise en place, d'organisation, le temps consacré atteint facilement trois à cinq heures.
Lexbase : Quel est votre avis sur le financement proposé de cette nouvelle garde à vue ?
Eric Devaux : Je note que ce que la Chancellerie a proposé n'est pas très éloigné de ce que le Conseil national des barreaux demandait. Donc je ne trouve pas la proposition totalement ridicule, je dis simplement qu'il faudra voir à l'usage comment cela se passe. La proposition telle qu'elle a été présentée par la Chancellerie repose sur l'idée qu'on peut forfaitiser l'intervention de l'avocat sur trois heures. Si d'expérience il s'avère que les gardes à vue génèrent des temps de présence ou des temps d'audition beaucoup plus importants que ceux qui avaient été jaugés dans le cadre des discussions, il faudra en tirer les conséquence qui s'imposent : tout travail méritant une rémunération juste, dans cette hypothèse là il me paraîtra nécessaire de rediscuter du montant de l'indemnisation proposée par la Chancellerie. Cela n'est pas d'actualité immédiate ; je pense qu'il faut se laisser quelques mois de recul pour voir à quoi correspond en moyenne la charge des nouvelles gardes à vue (tout en sachant que l'Etat a des limites et qu'il a déjà programmé un moyen de se rembourser en faisant supporter par chaque justiciable tout ou partie du nouveau coût de la garde à vue, ce qui de mon point de vue est quand même un petit peu anormal...).
Lexbase : L'acte contresigné d'avocat a fait son entrée dans le paysage juridique français le 28 mars dernier (4). Comment appréhendez-vous ce nouvel outil ?
Eric Devaux : Je considère que tout ce qui donne à la Profession une nouveauté en termes de potentiel d'activité est quelque chose de bien.
En effet, nous avons, quand même, tendance à voir notre périmètre d'intervention constamment réduit, diminué, décortiqué ; aussi lorsque on nous donne une possibilité d'intervention nouvelle, nous ne pouvons que nous en féliciter. Ceci dit, personnellement j'attends encore que l'on m'explique très concrètement tous les avantages présentés par cet acte. J'en conçois quelques uns, en particulier en matière familiale, j'en aperçois quelques autres, mais j'avoue que mon imagination est une imagination de juriste et donc elle est assez courte ! Je ne suis pas sûr que nous en ayons, nous généralistes avec une activité judiciaire assez classique, un usage très fréquent, mais j'espère me tromper. Et si c'est le cas je ne pourrai que m'en satisfaire, car cela voudrait donc dire que mon activité peut se développer sous un angle que je n'avais pas prévu au départ ! Au final, j'attends encore qu'on me donne quelques arguments pour être convaincu.
Lexbase : La Convention nationale des avocats se tiendra à Nantes en octobre prochain. Quelles sont les attentes du barreau de Béthune sur cet évènement ?
Eric Devaux : Le barreau de Béthune étant toujours très actif et très réactif, tout a été fait pour qu'au moins une bonne trentaine d'avocats soient présents lors de cette manifestation.
Et nous attendons beaucoup de ce qui sera dit sur les thèmes d'actualité tels que la réforme de la garde à vue, notamment la confrontation avec les autres barreaux, les initiatives locales qui ont été prises, ou encore l'acte d'avocat. Le rendez-vous sera également l'occasion de confronter nos craintes et nos angoisses vis-à-vis de la nouvelle réforme de la procédure d'appel qui sera mise en oeuvre deux mois plus tard et qui, elle aussi, va modifier les modes d'intervention, la pratique de tous les cabinets puisque tous les cabinets ont des procédures d'appel en cours. Donc comment faire ? Dans quelles conditions ? Avec qui ? Quelle est l'attitude qui va être adoptée par nos clients ? Tout cela reste encore assez flou aujourd'hui et selon les réponses à ces questions, il faudra que, dans les cabinets, un travail important soit fait pour assumer cette nouvelle charge, cette nouvelle responsabilité au 1er janvier 2012. Très clairement, si les institutionnels restent avec leur réseau d'avocats et invitent leur avocat à conserver le dossier en appel et à tout gérer, nous allons forcément avoir un volume d'affaires constant et il va faudra assumer les contraintes de procédures propres à l'appel (aujourd'hui encadré dans des délais extrêmement courts avec des sanctions redoutables).
Il faut que l'avocat soit prêt, que le personnel du cabinet soit prêt. Cela induit un mode de fonctionnement plus resserré, plus exigeant que celui que nous avons aujourd'hui puisque nous ne pourrons plus nous reposer sur la vigilance de l'avoué pour nous avertir en temps utile des délais à respecter.
(1) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4) ; n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7) ; n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(2) CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX) ; CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY) ; Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P) ; Cass. crim., 19 octobre 2010, 3 arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY).
(3) Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN).
(4) Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions juridiques ou judiciaires et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L8851IPI).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:422812