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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 19 Mai 2011
Marc Richer : L'article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L1665IPD) dispose que toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance. Les établissements publics demeurent seuls compétents, sans restriction, pour fixer les redevances sur le domaine public qui leur appartient. Le versement d'une redevance perçue en contrepartie d'un contrat d'occupation du domaine public relève de la compétence du juge administratif sur le fondement d'un décret-loi du 17 juin 1938, aujourd'hui article L. 84 du Code du domaine de l'Etat (N° Lexbase : L2077AA8).
Ces redevances représentent le pendant des avantages spéciaux sur le domaine public, et l'occupation irrégulière n'est pas regardée comme étant de nature à dispenser l'occupant de redevances. A ce titre, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 (N° Lexbase : L3736HI9), qui a engendré les articles du Code général de la propriété des personnes publiques relatifs aux dispositions financières des biens relevant du domaine public, la jurisprudence n'a cessé de rappeler le principe selon lequel l'exonération sans titre n'excluait pas le paiement d'une redevance, et ce encore récemment (CAA Marseille, 10 janvier 2011, n° 08MA05219 N° Lexbase : A2914HRD), soit quelques semaines avant l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 2011 concernant la SNCF et France Télécom.
Lexbase : Existe-t-il des possibilités d'exemption à cette redevance ? Une personne publique peut-elle décider par elle-même d'y renoncer ?
Marc Richer : Le principe posé par l'article L. 2125-1 est le paiement d'une redevance. Mais par ce même article, le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit clairement quatre exceptions entraînant la gratuité. C'est le cas lorsque "l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle est forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous" et quand elle "contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même", mais aussi lorsque "les occupation ou utilisation concerne une installation par l'Etat d'équipements visant à améliorer la sécurité routière" ou quand celles-ci sont délivrées "aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général". A chaque fois, l'Etat peut se dispenser de demander une redevance. En revanche, mis à part ces exceptions, le renoncement de perception de la redevance qu'une collectivité voudrait décider paraît difficile, et la cour administrative d'appel de Marseille a, à ce titre, dégagé un principe général du droit de non gratuité des autorisations d'occupation privative, principe ne pouvant être annulé que par la seule notion d'intérêt général (CAA Marseille, 6ème ch., 6 décembre 2004, n° 00MA01740 N° Lexbase : A1418DGM).
La contrepartie de l'exonération légale doit donc avoir pour but l'intérêt public. Toutefois, l'administration peut moduler cette redevance, dans le cas où celle-ci ne romprait pas le principe d'égalité des usagers du service public, si tant est que les différences de traitement puissent être justifiées par des considérations d'intérêt général, et s'expliquent par des considérations objectives (CE, 15 février 1991, n° 70556 N° Lexbase : A1003ARL). L'administration en fixe aussi le prix et le taux peut-être établi soit par loi, soit par décret, ou encore par arrêté ministériel. S'il s'agit du domaine des collectivités locales, une délibération du conseil compétent s'impose. En revanche, les différences tarifaires ne doivent ni être discriminatoires, ni disproportionnées les unes par rapport aux autres. Elles ne peuvent pas non plus résulter uniquement de la surface occupée ou de la nature de l'activité exercée, et du caractère permanent ou occasionnel de l'occupation.
Lexbase : Les régimes d'encadrement des redevances sont-ils différents selon le type d'occupation (téléphone, électricité, eau) ?
Marc Richer : Le Code général de la propriété des personnes publiques prévoit, tout d'abord, un régime de redevance différent du régime commun, celui "susceptible d'être perçu par l'Etat en raison de l'occupation de son domaine public par les canalisations ou ouvrages des services d'eau potable et d'assainissement exploités par les collectivités territoriales et leurs groupements" (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2125-2 N° Lexbase : L2910IQT). Ce régime est fixé par un décret du 30 décembre 2009 (décret n° 2009-1683 N° Lexbase : L1839IG9), pris en application de l'article L. 2224-11-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3866HW4). Ce renvoi vers un simple décret permet de ne pas rompre l'égalité entre les collectivités qui auraient délégué la gestion du service public de l'eau et celles qui l'exploiteraient en régie. Il fixe le montant des redevances en fonction du prorata des lignes de canalisations situées sur le domaine public.
L'article L. 2333-84 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9537DNK) fixe, quant à lui, les modalités du régime des redevances dues pour le transport et la distribution d'électricité et de gaz. Enfin, les articles L. 45-1 (N° Lexbase : L9515ICE), L. 47 (N° Lexbase : L9502ICW) et L. 48 (N° Lexbase : L0765IGG) du Code des postes et des communications électroniques, fixent les modalités qui s'appliquent aux redevances dans le domaine des télécommunications.
Lexbase : En l'espèce, France Télécom considérait avoir une autorisation tacite d'occupation. Pensez-vous que cette position pouvait se justifier ?
Marc Richer : France Télécom a bénéficié, jusqu'à l'ouverture de la concurrence, du droit d'occuper à titre gratuit le domaine public. La loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications (N° Lexbase : L7801GT4) après l'ouverture du marché, a fait cesser cette situation. De plus, l'article L. 47 du Code des postes et des télécommunications précise, lui aussi, que l'occupation du domaine public par un opérateur "donne lieu à versement de redevances dues à la collectivité publique concernée pour l'occupation de son domaine public dans le respect du principe d'égalité entre tous les opérateurs". Certes, un décret, le 1er janvier 1997, a institué un régime d'autorisation tacite d'occupation du domaine public, mais le conseil d'Etat a jugé celui-ci illégal (CE, 21 mars 2003, n° 189191 (N° Lexbase : A7834C8N).
La Haute assemblée avait, alors, considéré qu'il n'était pas possible d'autoriser tacitement l'occupation du domaine public sans porter atteinte au principe constitutionnel de protection de ce domaine que le Conseil constitutionnel avait consacré dans une décision rendue le 21 juillet 1994 (Cons. const., décision n° 94-346 DC N° Lexbase : A8307ACN) : "[...] ainsi que l'a rappelé la loi du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (loi n° 2000-321 N° Lexbase : L0420AIE), un régime de décision implicite d'acceptation ne peut être institué lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent [...] en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1364A9E), auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel [...] le pouvoir réglementaire ne pouvait donc légalement instaurer un régime d'autorisation tacite d'occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d'implantation et d'exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie". La position de France Télécom paraissait donc difficile à défendre.
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