La lettre juridique n°440 du 19 mai 2011 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence relative à l'action en requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 5 mai 2011, n° 10-10.818, F-D (N° Lexbase : A2675HQ7)

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N2775BSL

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par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats

le 19 Mai 2011


Dans un arrêt du 5 mai 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation semble réaffirmer la solution dégagée par la première chambre civile, dans son arrêt du 14 mai 2009 (1), selon laquelle l'impossibilité, pour le collaborateur libéral, de développer effectivement une clientèle personnelle caractérise un contrat de travail. Bien qu'il s'agisse, en l'espèce, d'un arrêt de rejet, de surcroît non publié, la Chambre sociale reprend les principes désormais bien établis en matière de requalification du contrat de collaboration libérale de l'avocat en contrat de travail.

I - Bref exposé des faits

Mme X, initialement engagée comme avocate salariée au sein du cabinet Archibald Andersen, travaillait sous la responsabilité de M. Y dans le département des fusions-acquisitions.

Au début de l'année 2003, M. Y a rejoint le cabinet Mayer Brown avec une équipe de quatre autres avocats, dont Mme X, qui a donc démissionné de son poste d'avocate salariée, le 10 janvier 2003.

Mme X a par la suite été engagée en qualité de collaboratrice libérale par le cabinet Mayer Brown, qui a résilié le contrat de collaboration cinq ans après, le 28 mai 2008.

C'est dans ces conditions que Mme X a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris pour faire juger que son contrat de travail avait été transmis au cabinet Mayer Brown en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) et, en tout état de cause, qu'elle exerçait à titre d'avocate salariée.

Dans une décision du 9 janvier 2009, le délégué du Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris a rejeté les demandes de Mme X, et sa décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 24 novembre 2009.

II - La solution de l'arrêt du 5 mai 2011

Dans son arrêt, la Cour de cassation rejette l'intégralité des moyens soulevés par Mme X à l'appui de son pourvoi contre l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris.

Concernant la transmission de son contrat de travail du cabinet Archibald Andersen au cabinet Mayer Brown, la Cour de cassation considère que la cour d'appel a justement relevé que le départ de Mme X procédait de sa démission et de sa volonté de poursuivre ailleurs son activité professionnelle et qu'elle ne formait pas avec les autres avocats, partis en même temps qu'elle, une équipe dédiée à une activité déterminée.

Par ailleurs, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir rejeté la demande de requalification de Mme X, énonçant notamment que celle-ci "avait été engagée en vertu d'un contrat de collaboration libérale qui l'autorisait à créer ou développer une clientèle personnelle, qu'elle avait d'ailleurs poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée, que le temps de travail imposé n'était pas incompatible avec le développement d'une clientèle personnelle, qu'elle ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps [...]".

III - L'analyse de l'arrêt

  • Sur le transfert du contrat de travail en vertu de l'article L. 1224-1 du Code du travail

L'article L. 1224-1 du Code du travail dispose que "lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur [...] tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise".

Selon la Cour de cassation, ce texte (anciennement l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail N° Lexbase : L5562ACY) s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est reprise (2).

Or, en l'espèce, la cour d'appel avait relevé que Mme X et son équipe, sous la direction de M. Y ne constituaient pas une entité économique autonome, ni une entité économique conservant son identité dès lors qu'il n'existait aucune équipe dédiée à l'activité personnelle de M. Y qui appartenait à un groupe de soixante personnes.

En outre, selon la cour d'appel -suivant en cela le Bâtonnier-, il était loisible à Mme X de rester au cabinet Archibald Andersen ou de négocier avec le cabinet Mayer Brown le maintien de son statut de salariée.

La Cour de cassation a donc logiquement repris les motifs de la cour d'appel selon laquelle le départ de Mme X procédait de sa démission et de sa volonté de poursuivre ailleurs son activité professionnelle et qu'elle ne formait pas avec les autres avocats partis en même temps qu'elle, une équipe dédiée à une activité déterminée.

  • Sur la requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail

Les principes posés par la Cour de cassation paraissent conformes à ceux qui résultent de son arrêt de principe du 14 mai 2009 précité (3).

Dans cette décision, la Haute Juridiction avait, en effet, affirmé que "si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle [...]".

Dans les deux cas, la Cour de cassation s'est donc attachée à vérifier si la cour d'appel avait bien constaté la possibilité effective, pour l'avocat libéral, de développer sa clientèle personnelle.

La solution de l'arrêt du 5 mai 2011 est logique dans la mesure où il relève que la cour d'appel avait notamment constaté que l'avocate avait poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée et que son temps de travail imposé n'était pas incompatible avec le développement d'une clientèle personnelle.

Il semble donc que cette avocate pouvait non seulement se constituer une clientèle personnelle, mais aussi la développer.

Pourtant, une simple lecture de l'arrêt de la cour d'appel de Paris établit que cette avocate n'avait, en réalité, développé aucune clientèle personnelle et que son temps de travail était particulièrement important.

Sur le premier point, la cour d'appel a certes noté que Mme X avait "poursuivi au sein du cabinet le traitement des dossiers dont elle était chargée", mais il ne s'agissait aucunement de dossiers personnels.

D'ailleurs, la cour d'appel avait relevé que, de 2003 à 2007, les revenus de Mme X étaient constitués exclusivement des rétrocessions d'honoraires versées par le cabinet Mayer Brown.

Sur le second point, les juges du fond avaient relevé que Mme X devait facturer 2 000 heures par an en qualité de collaboratrice (ce qui équivaut à peu près à 43 heures facturées par semaine, déduction faite d'un mois de vacances).

En définitive, si la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt du 5 mai 2011 est conforme à sa jurisprudence antérieure, la cour d'appel de Paris semble, en revanche, faire preuve de sévérité à l'égard des actions en requalification.

Toutefois, il convient de se garder d'une lecture trop hâtive de cette décision de la cour d'appel.

En effet, si les juges avaient constaté que Mme X se voyait imposer un temps de travail, ils avaient relevé, par ailleurs, "qu'elle ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps".

Ainsi, aucun lien de subordination n'existait entre cette avocate et le cabinet qui avait recours à ses services professionnels.

Or, ce lien de subordination est l'élément déterminant du contrat de travail, sans lequel ce dernier n'existe pas.

Il est rappelé à cet égard que "le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner le manquement de son subordonné" (4).

En l'espèce, dès lors que la cour d'appel n'avait pas caractérisé de lien de subordination entre les parties, il était parfaitement logique qu'elle écarte les prétentions de l'avocate.

La Cour de cassation n'a, d'ailleurs, pas manqué de reprendre les termes de l'arrêt de la cour d'appel, selon lesquels Mme X "ne justifiait pas d'instructions reçues du cabinet et disposait librement de son temps".

En conclusion, l'arrêt du 5 mai 2011 est conforme à la jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation et présente en outre l'intérêt de réaffirmer qu'un lien de subordination juridique est essentiel pour caractériser un contrat de travail.


(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).
(2) Ass. Plén., 16 mars 1990, n° 86-40.686 (N° Lexbase : A1771AGP).
(3) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, préc..
(4) Cass. soc., 1er juillet 1997, n° 94-45.102 (N° Lexbase : A1666ACP).

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